C’est le troisième Congrès de la Fédération unitaire qui va se tenir à Orléans à la fin de ce mois. Le premier – le Congrès unitaire – eut lieu à Paris en avril 1907. Le deuxième, à Saint-Étienne, en avril 1908.
Quand on regarde le chemin parcouru pendant ces trois années par la Fédération de l’Industrie du Bâtiment, on ne manque pas d’impressions réconfortantes.
Chaque année a marqué une augmentation du nombre des fédérés. Lors de l’unité, les diverses Fédérations groupaient à elles toutes environ 9.000 cotisants. Quelques mois plus tard, au moment de la constitution définitive de la nouvelle Fédération, on enregistrait :
Pour le 3e trim. 1907 : 59.928 cotisations payées.
Depuis, 1er trim. 1908 : 105.948 cotisations payées.
Pour le 3e trim. 1909 : 172.857 cotisations payées.
Pour le 4e trim. 1909 177.000 cotisations payées.
Ces 177.000 cotisations payées dans un trimestre représentent 50.000 fédérés cotisants. De 9.000 fédérés à 59.000, de 138 syndicats à 420, voilà les énormes progrès réalisés en trois ans.
La propagande, pas plus que la lutte, n’a chômé. Le Bâtiment a fait son devoir de solidarité en chaque occasion.
L’ordre du jour du Congrès
II est chargé, trop chargé. Certainement, il ne pourra pas être discuté entièrement, si l’on veut examiner sérieusement chaque question :
1o Administration
A. Composition et Fonctionnement du Bureau et du Comité Fédéral. – B. Nomination du Bureau Fédéral par le Congrès. – C. Durée du mandat. – D. Augmentation du traitement des membres du Bureau. – E. Nomination d’un quatrième permanent.. – F. Délégués à la propagande. – G. Secrétaires ou délégués régionaux. H. Non rééligibilité des fonctionnaires. – I. Augmentation de la cotisation fédérale. J. Livret fédéral obligatoire. – K. Le « Travailleur du Bâtiment » bi-mensuel. – L. Adhésions individuelles. – M. Syndicats de métier et d’industrie. – N. Placement des fonds fédéraux.
2o Propagande
A. Diminution des heures de travail. – B. Repos hebdomadaire. – C. Unification des salaires. – D. Fourniture et entretien de l’outillage par les entreprises. – E. Propagande internationale.
3o Législation
A. Inspection du travail. – B. Hygiène et Sécurité dans les chantiers et ateliers. – C. Assimilation des maladies professionnelles aux accidents du travail. – D. Suppression des rabais dans les adjudications.
4o Création de services annexes
A. Coopératives de production. – B. Orphelinat Fédéral. – C. Restaurants coopératifs dans les grands travaux. – D. Caisse de secours aux accidentés du travail. – E. Conseil Judiciaire Fédéral. – F. Viaticum.
5o Ordre général
A. Attitude de la Fédération en face des projets de réformes sociales. – B. Attitude de la classe ouvrière en temps de guerre. – G. L’Antimilitarisme. – D. Espéranto et Malthusianisme. – E. Application des décisions des Congrès.
Diverses de ces questions ont déjà été solutionnées au dernier. Congrès ; d’autres seront obligées de revenir aux suivants.
Le Congrès d’Orléans a une besogne pratique très importante à faire : établir un programme de propagande et d’action pour les deux années à venir ; donner à la Fédération les moyens financiers de poursuivre la réalisation de ce programme.
Propagande et action
Il n’y a pas lieu d’innover. Le Congrès de Saint-Étienne avait fixé ce qu’il importe de faire par la résolution suivante :
Le 2e Congrès National de la Fédération du Bâtiment, soucieux de poursuivre la besogne syndicale qui lui incombe, déclare : que les efforts des travailleurs doivent tendre à la réalisation de la journée de huit heures comme représentant la durée maximum du travail quotidien.
Décide que pour orienter les organisations vers ce but, il y a lieu de connaître les conditions en usage dans chaque localité et dans chaque région, afin de posséder les éléments de nature à guider le Comité fédéral.
À cet effet, le Congrès invite les Syndicats à établir ces conditions en répondant à la consultation qui leur est faite.
Charge le Comité fédéral, ces conditions établies, d’entamer au plus vite une campagne de propagande et d’action pour intéresser les Syndicats dans la lutte qui va commencer, lutte qui aura. pour but de faire réduire la durée du temps de travail dans la mesure que permettra la force de résistance de ces Syndicats.
Le Comité aura pour devoir de mettre à la disposition des organisations les ressources nécessaires sous forme de brochures, placards, journaux, délégués, etc.
Le Congrès compte sur l’activité des Syndicats et des militants pour qu’au plus tôt la classe ouvrière s’achemine vers les courtes journées et soit en mesure d’enregistrer des diminutions d’heures de travail, afin de se rapprocher de la journée de huit heures, objet, constant de nos efforts.
De plus, le Congrès déclare que le marchandage et le travail aux pièces constituent des modes de travail inconciliables avec les courtes journées et donne mandat au Comité fédéral d’en poursuivre la disparition, seul moyen dans certaines corporations de réaliser la réduction des heures de travail.
Quels sont les résultats enregistrés par la Fédération depuis le Congrès de Saint-Étienne ? Ils n’existent presque pas, en ce qui concerne la diminution des heures de travail ; en revanche, d’assez grandes luttes ont été soutenues contre le marchandage par divers syndicats parisiens, et ces luttes ont préparé le terrain à la diminution des heures de travail.
Conformément à la décision de Saint-Étienne, un questionnaire fut envoyé par le Bureau fédéral, mais très peu d’organisations y répondirent. Les éléments qui pouvaient guider le Comité fédéral ayant manqué, il n’est pas étonnant que la résolution de Saint-Étienne n’ait pas été appliquée. Quant au Bureau fédéral, il eut tant de besogne comme organe enregistreur et de propagande, qu’on ne peut lui faire de reproche.
Il faut reprendre l’action décidée au précédent Congrès. Mais pour travailler à la diminution des heures de travail, une action méthodique, soutenue, et par région, s’impose. Pour ce faire, il convient peut-être de modifier nos méthodes de propagande : au lieu de ne faire que passer dans une ville ou une région, rester le temps de remuer, d’agiter la région, un mois ou deux, s’il le faut. En opérant ainsi, les résultats seraient énormes, le recrutement plus facile, le but du groupement mieux compris, l’ardeur à lutter plus grande.
Pour atteindre ces résultats, pour soutenir la propagande nécessaire à un tel mouvement, il importe de donner à la Fédération des ressources nouvelles, d’augmenter la cotisation, qui se trouve actuellement de 15 centimes par membre et par mois.
Augmentation de la cotisation fédérale
Le Congrès unitaire avait fixé provisoirement la cotisation fédérale à 10 centimes. Celui de Saint-Étienne l’éleva à 15. Déjà 45 syndicats votèrent pour 20 centimes et 11 pour 25.
Les 15 centimes furent ainsi répartis :
Administration : 0,07.
Caisse de résistance : 0,05.
Journal fédéral : 0,03.
Jetons un regard sur les recettes des deux années de la Fédération. Elles ont fourni un total de 197.380 fr. 40 centimes, se décomposant ainsi :
Cotisations et adhésions 149.146, 35
Cartes fédérales 18.807, 65
Recettes diverses, brochures, intérêts.. 11.426, 40
Soit 179.380, 40
Il est entré à la Caisse de résistance, par le prélèvement de 0,05 sur la cotisation et de 0,05 sur la carte fédérale, la somme de 49.806 fr. 60.
Sur cette somme, il a été versé aux organisations en grève 42.197 fr. 50, dont 16.920 francs pour la Seine et Seine-et-Oise et 25.277 fr. 50 pour la province.
Il restait à la Caisse, au 31 décembre 1909, la somme de 7.609 fr. 10.
À côté de la Caisse de résistance, il y a une Caisse de Solidarité, constituée dans le but de venir en aide aux organisations ne remplissant pas les conditions stipulées dans les statuts fédéraux ainsi qu’aux organisations sœurs nationales et internationales.
Les recettes de cette Caisse de solidarité, en 1908, ont été de 9.483 francs, en 1909, de 19.258 fr. 85, ce qui fait un total de 28.741 fr. 85.
Les versements faits sur cette Caisse ont été de 96.883 fr. 50, ce qui fournit, en réunissant les deux
caisses destinées à soutenir les camarades en lutte, la jolie somme de 69.081 francs.
Pour soutenir l’action revendicatrice et révolutionnaire des syndicats, il y a un point qu’il ne faut pas oublier, c’est l’entretien des marmites communistes. Il faut à tout prix qu’elles cuisent la soupe de grève. Sans elles, combien d’échecs n’aurions-nous pas subis ?
Je n’en veux pour preuve que la grève du canal du Nord, à Ytres (100 millions de travaux, dont le lot Brossier – 30 millions – est en grève). Nos camarades terrassiers luttent depuis novembre dernier. Les Brossier, comme réponse aux revendications, déclarèrent le lock-out, espérant ainsi que les éléments agitateurs quitteraient le pays et que la paix dans la misère reviendrait. Mais la Fédération veillait. Grâce aux 800 francs par semaine qu’elle donne aux grévistes, les marmites communistes sont alimentées et les camarades maintenus dans la localité.
Qui cédera ? les lock-outeurs ou les lock-outés ? Il est probable que ce seront les premiers. À l’heure où j’écris, les camarades sont en pourparlers et ont obtenu la presque totalité de leurs revendications.
L’effort de la Fédération dans cette région était nécessaire. Il y a là pour dix ans et pour 100 millions de travaux : il s’agissait d’une question de principe au début de l’entreprise, elle a été posée, et comme nous l’espérons, elle sera résolue suivant nos désirs. Mais il aura fallu de l’argent.
Plus nous irons, d’ailleurs, plus la Fédération aura de conflits sur les bras. Ceux qui naissent spontanément seront toujours plus nombreux en raison des milieux neufs que défriche la propagande. Il y aura encore ceux que provoquera la propagande en faveur de la réduction des heures du travail. Il faut faire face à tous, comme il faut tenir tête aux grandes organisations de défense patronale des Villemin et des Brossier.
Il faut prévoir les combats prochains et s’y préparer. Pour cela, une augmentation de ressources, une augmentation de la cotisation fédérale est nécessaire. Il faut renforcer la Caisse de Résistance, il faut consacrer plus encore à la propagande, à l’agitation. Il faut rendre notre Travailleur bi-mensuel. Pour cela, une cotisation de 25 centimes est indispensable : 15 cent. allant à l’Administration, à la Propagande, au Journal ; 10 cent. à la Caisse de résistance.
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Voilà sur quels points essentiels aura à se prononcer le Congrès d’Orléans. Je ne dirai pas que c’est la vitalité même de la Fédération qui est en cause. Cependant, il est bien certain que si le plan d’action de Saint-Étienne n’est pas repris sérieusement et si la Fédération ne possède pas de ressources nouvelles, elle risquera de marquer le pas, de stationner sur place au lieu d’aller carrément de l’avant.
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