La Presse Anarchiste

Réponse au Bureau socialiste international

Récem­ment, un député social­iste belge, M. Léon Furné­mont, a fait un voy­age à Madrid pour s’aboucher avec des mem­bres de l’organisation poli­tique dirigée par Pablo Igle­sias. Là, dans une con­férence publique, il a fait des déc­la­ra­tions qu’a repro­duites la presse espag­nole, et que voici :

« 1o Le Par­ti social­iste est un par­ti de classe, c’est-à-dire le par­ti des tra­vailleurs, tant manuels qu’intellectuels, de ceux qui, ne pos­sé­dant pas de moyens d’existence, se voient oblig­és de ven­dre au cap­i­tal leur force pro­duc­trice et vivent soumis à sa tyrannie ;

« 2o La classe ouvrière doit s’organiser pour l’action poli­tique ; c’est-à-dire qu’à côté de son organ­i­sa­tion syn­di­cale et pro­fes­sion­nelle, elle doit faire de la poli­tique pour obtenir la pro­tec­tion économique des lois : car si les lois ne sanc­tion­nent pas les amélio­ra­tions apportées à la con­di­tion du pro­lé­tari­at, il ne sera pas facile à celui-ci d’acquérir la capac­ité de trans­former le régime social ;

« 3o La classe ouvrière doit s’emparer des pou­voirs publics, pour effectuer la trans­for­ma­tion de l’organisation actuelle, basée sur le mono­pole au prof­it de quelques-uns, en une organ­i­sa­tion com­mu­niste ou col­lec­tiviste, dans laque­lle tous les moyens de pro­duc­tion appar­tien­dront aux nations et à l’humanité entière, fon­dant ain­si toutes les class­es en une seule, qui tra­vaillera et qui jouira de la richesse.

« Celui qui accepte ces trois propo­si­tions est social­iste. Celui qui ne les accepte pas, quelle que soit la noblesse de son cœur, quelle que soit son intel­li­gence et l’ardeur de son zèle démoc­ra­tique, n’est pas socialiste. »

La con­séquence d’un sem­blable pro­gramme, c’est que tout tra­vailleur manuel ou intel­lectuel qui accepte ces trois propo­si­tions – qu’il soit Anglais, Français, Belge, Suisse, Alle­mand, Russe, Ital­ien, Espag­nol, Por­tu­gais, etc. – n’est pas inter­na­tion­al­iste : c’est un nation­al­iste, qui, mécon­nais­sant la capac­ité révo­lu­tion­naire du pro­lé­tari­at, demande aux lég­is­la­teurs et aux gou­ver­nants de son pays des lois pro­tec­tri­ces grâce aux­quelles les tra­vailleurs devien­dront capa­bles de trans­former le régime social.

Dans cet évangile qu’enseignent les apôtres du nou­veau social­isme, – diamé­trale­ment opposé à ce social­isme au nom duquel les social­istes de Paris et de Berlin s’appelaient frères et protes­taient con­tre la guerre fran­co-prussi­enne ; à ce social­isme qui réu­nis­sait à Madrid, en 1870 et en 1871, des ouvri­ers français et des ouvri­ers espag­nols pour pro­test­er con­tre la fête patri­o­tique du Deux-Mai [[La pop­u­la­tion de Madrid célèbre toutes les années, le 2 mai, une fête civique à la mémoire des patri­otes espag­nols qui mou­rurent le 2 mai 1808 en livrant bataille, dans les rues de Madrid, aux Français com­mandés par Murat.]], – dans cet évangile social­iste absol­u­ment con­traire à celui de l’Association inter­na­tionale des tra­vailleurs, qui réu­nis­sait en une pen­sée et une action com­munes tous les tra­vailleurs du monde sans dis­tinc­tion de couleur, de croy­ance ni de nation­al­ité, – on frac­tionne le pro­lé­tari­at par nations au lieu de main­tenir sa sol­i­dar­ité inter­na­tionale, et on fait croire aux tra­vailleurs qu’en se con­sacrant à la poli­tique nationale et en se con­fi­ant aux politi­ciens de pro­fes­sion on peut espér­er voir s’accomplir la trans­for­ma­tion du régime social, ce qui est la néga­tion des deux grands principes de l’Internationale : « L’émancipation des tra­vailleurs doit être l’œuvre des tra­vailleurs eux-mêmes » ; « l’émancipation des tra­vailleurs n’est pas un prob­lème local ni nation­al, mais un prob­lème social qui embrasse tous les pays civil­isés, et dont la solu­tion dépend de leur con­cours tant pra­tique que théorique ».

Furné­mont me fait ici l’effet d’un de ces milords anglais qui, imbus du préjugé que l’Espagne est un pays de manolas et de toreros, vont à Séville assis­ter à une « réjouis­sance pop­u­laire » arti­fi­cielle­ment pré­parée, qu’ils pren­nent pour une man­i­fes­ta­tion spon­tanée et authen­tique des mœurs du pays, et s’en retour­nent chez eux plus trompés que jamais, s’imaginant avoir vu la con­fir­ma­tion de leurs illu­soires croyances.

Comme il l’a dit dans sa con­férence, Furné­mont croit que le pro­lé­tari­at est inca­pable d’opérer la trans­for­ma­tion du régime social, et que, pour en acquérir la capac­ité, il a besoin de la pro­tec­tion des lois ; c’est comme si les agneaux, pour se délivr­er de la tyran­nie des loups, leur demandaient leur pro­tec­tion. Il arrive à Madrid, il s’entretient avec Pablo Igle­sias et son entourage, et se fig­ure avoir pris con­tact avec l’ensemble du pro­lé­tari­at espag­nol : comme s’il n’y avait pas une Andalousie ouvrière d’antique tra­di­tion com­mu­niste, une région valen­ci­enne ouverte aux idées pro­gres­sistes, une Cat­a­logne syn­di­cal­iste révo­lu­tion­naire de date plus anci­enne que l’Internationale elle-même, une côte cantabrique habitée par une race forte et pru­dente, pays où la Corogne et Gijon bril­lent comme deux phares de la pen­sée rédemptrice du pro­lé­tari­at. Et avec cette vis­ite à Madrid coïn­cide, peut-être comme résul­tat des ren­seigne­ments obtenus ou sug­gérés, la pub­li­ca­tion dans le jour­nal le Peu­ple, de Brux­elles, du 8 févri­er, d’une cir­cu­laire véri­ta­ble­ment incroy­able, signée par les mem­bres du Comité Exé­cu­tif du Bureau social­iste inter­na­tion­al, Van­dervelde, Anseele, Furné­mont et Huys­mans, dans laque­lle on demande aux comités cen­traux des Par­tis affil­iés de vers­er de l’argent pour per­me­t­tre de repren­dre la pub­li­ca­tion à Barcelone d’un jour­nal inti­t­ulé la Inter­na­cional.

Ce doc­u­ment débute ainsi :

« Depuis la fon­da­tion de l’Internationale en Espagne, il n’y a pas eu en Cat­a­logne, et surtout à Barcelone, un mou­ve­ment social­iste sérieux. Les bak­ounistes ont pris la tête du mou­ve­ment ouvri­er dès les débuts, et ils se sont livrés à des attaques vio­lentes con­tre les social­istes. Ils pub­lièrent d’abord, à Barcelone, un quo­ti­di­en, el Pro­duc­tor, et une revue sci­en­tifique, la Revista Blan­ca. Ils éditèrent ensuite, d’une manière presque con­stante, un grand heb­do­madaire à Barcelone, et plusieurs jour­naux dans les autres villes de Cat­a­logne. Cette activ­ité ren­dit fort pénible le tra­vail des « social­istes », qui se con­tentèrent de pub­li­er, de temps en temps, des heb­do­madaires, et tenaient des réu­nions publiques que les anar­chistes trou­blaient méthodique­ment et essayaient même par­fois de dis­soudre à coups de revolver.

« Cette sit­u­a­tion anor­male, dont la classe ouvrière a souf­fert énor­mé­ment, avait sen­si­ble­ment changé à la suite de divers échecs essuyés par les anar­chistes, notam­ment après la grève de 1902. »

La cir­cu­laire ajoute qu’alors, comme les syn­di­cats « avaient à peu près dis­paru de la Cat­a­logne », on vit « les social­istes entr­er dans la bataille pour recon­stituer ces organ­ismes sur une base plus sûre et plus forte ». Et amal­ga­mant le vrai et le faux, le Bureau social­iste inter­na­tion­al con­tin­ue en ces termes :

« Le pre­mier effort dans ce sens a été fait en 1904, en con­tribuant à la con­sti­tu­tion de la Fédéra­tion locale des syn­di­cats ouvri­ers con­nue sous le nom de « Sol­i­dari­dad Obr­era ». Cette ten­ta­tive a été très heureuse, car en 1907 cette fédéra­tion locale est dev­enue régionale. Un sec­ond effort beau­coup plus impor­tant a été ten­té par les « social­istes » en con­sti­tu­ant, pour la pre­mière fois, la « Fédéra­tion social­iste cata­lane » et en fon­dant un organe impor­tant qui por­tait le titre : la Inter­na­cional. »

Le Bureau social­iste inter­na­tion­al se charge lui-même de démon­tr­er que les efforts de 1904 et 1907 n’ont pas réus­si à con­stituer en Cat­a­logne un mou­ve­ment « social­iste » sérieux. Il le prou­ve par le fait même de la demande qu’il adresse aux comités cen­traux des Par­tis affil­iés de venir en aide à ces pau­vres « social­istes » cata­lans, qui ne sont pas en état de repren­dre par leurs pro­pres forces la pub­li­ca­tion de leur organe.

« Il est absol­u­ment néces­saire – dit la cir­cu­laire – de faire revivre ce jour­nal… Mais nos cama­rades ne sont pas à même de fournir les moyens néces­saires de pub­li­er la Inter­na­cional. Ils devraient plutôt être sec­ou­rus eux-mêmes… En vue de cette sit­u­a­tion par­ti­c­ulière, ces cama­rades se sont adressés au Bureau social­iste inter­na­tion­al pour lui deman­der de leur venir en aide. Pour pou­voir refaire leur jour­nal avec chance de suc­cès, ils auraient besoin de huit à neuf mille francs. Cette somme, rel­a­tive­ment con­sid­érable pour eux, ils ne peu­vent la deman­der au Comité nation­al du Par­ti espag­nol… Comme vous le voyez, nos cama­rades espag­nols sont à un tour­nant très dif­fi­cile dans la vie de leur parti. »

Par con­tre, ces bak­ounistes qui n’ont jamais rien su faire de sérieux, ces anar­chistes dont les « échecs » sont cen­sés avoir favorisé la crois­sance du par­ti « social­iste », se trou­vent, de l’aveu du Bureau social­iste inter­na­tion­al, con­stituer une force red­outable ; si red­outable, que c’est con­tre elle qu’il fait appel à l’argent des pays voisins. Écoutez plutôt : 

« Les anciens bak­ounistes sont là, prêts à recom­mencer la lutte et à s’emparer de nou­veau du mou­ve­ment ouvri­er et des syn­di­cats forte­ment ébran­lés en ce moment… En aidant les « social­istes » de Cat­a­logne, vous con­tribuerez à étein­dre un des plus grands et des plus anciens foy­ers de l’anar­chie en Europe. Vous aiderez par là à con­stituer et à ren­forcer la puis­sance des « social­istes » en Espagne, et vous inter­vien­drez, enfin, d’une façon effi­cace dans le pénible et courageux effort que tente en ce moment la classe ouvrière de toute l’Espagne (!). »

Je ne dis­cuterai pas davan­tage la cir­cu­laire si mal­adroite­ment lancée par le Bureau social­iste inter­na­tion­al. Cette cir­cu­laire, comme il est naturel, a soulevé l’indignation des syn­di­cal­istes cata­lans, dont l’organe, la Sol­i­dari­dad Obr­era, l’a stig­ma­tisée dans son numéro du 26 févri­er comme un doc­u­ment qui « fal­si­fie les faits d’une manière déplorable » et qui « con­tient des calom­nies préju­di­cia­bles à l’harmonie qui doit régn­er dans le camp syn­di­cal­iste. » Quant au jour­nal Tier­ra y Lib­er­tad, il a pub­lié, le 3 mars, une réponse que je veux don­ner ici en entier :

« Le groupe édi­teur et rédac­teur de Tier­ra y Lib­er­tad, de Barcelone, dénonce au monde tra­vailleur le fait suivant : 

« Le Bureau social­iste inter­na­tion­al, dans le jour­nal belge le Peu­ple, organe quo­ti­di­en de la démoc­ra­tie social­iste, numéro du 8 févri­er dernier, s’adresse aux comités cen­traux des Par­tis affil­iés, en leur deman­dant huit à neuf mille francs pour la recon­sti­tu­tion du jour­nal la Inter­na­cional.

« Dans cette cir­cu­laire, le Bureau social­iste inter­na­tion­al, mal infor­mé, com­met des inex­ac­ti­tudes qui peu­vent être qual­i­fiées de graves et même de calomnieuses.

« Pour éviter les mau­vais effets de ce doc­u­ment, qui a les allures d’un décret gou­verne­men­tal, il con­vient que les tra­vailleurs aux­quels il est adressé sachent ce qui suit :

« 1o Que la frac­tion appelée « social­iste », qui con­stitue en Espagne le groupe­ment poli­tique nom­mé Par­tido Obrero (Par­ti ouvri­er) et le groupe­ment ouvri­er appelé Union. Gen­er­al de Tra­ba­jadores (Union générale des tra­vailleurs), n’a pas d’importance en Catalogne ;

« 2o Que la Revista Blan­ca n’a pas été pub­liée à Barcelone ;

« 3o Que la grève générale de Barcelone de 1902, bril­lant mou­ve­ment de sol­i­dar­ité envers une cor­po­ra­tion ouvrière en lutte avec le cap­i­tal, mou­ve­ment qui a éton­né le monde par sa nou­veauté et sa grandeur, a été dén­i­grée par le secré­taire du comité directeur du sus-men­tion­né Par­tido Obrero, qui don­na des ren­seigne­ments défa­vor­ables au Con­seil des Trades Unions d’Angleterre, lequel avait vu avec une sym­pa­thie naturelle ce mou­ve­ment grandiose ;

« 4o Que la Fédéra­tion locale, de sociétés ouvrières con­sti­tu­ant le corps désigné par le nom de « Sol­i­dari­dad Obr­era » a été le pro­duit d’un mou­ve­ment spon­tané des tra­vailleurs barcelon­ais, et non celui de l’insignifiant groupe « social­iste » barcelon­ais, lequel a don­né à peine, en de longues années, des signes d’existence à Barcelone ;

« 5o Que la « Fédéra­tion social­iste cata­lane », dont l’existence est à peine remar­quée, et le jour­nal la Inter­na­cional, qui s’appelait son organe, d’une part, et de l’autre la fédéra­tion appelée « Sol­i­dari­dad Obr­era » et son organe inti­t­ulé Sol­i­dari­dad Obr­era, sont deux choses tout à fait dis­tinctes, sans con­fu­sion possible ;

« 6o Que les anar­chistes n’ont jamais trou­blé les réu­nions con­vo­quées et tenues par les mem­bres du groupe social­iste, et, à plus forte rai­son, n’y ont jamais tiré des coups de revolver ;

« 7o Que si c’est en aidant les « social­istes » de la Cat­a­logne à étein­dre un des plus anciens foy­ers de l’anarchie – comme dit le Bureau social­iste inter­na­tion­al dans un lan­gage. Indigne et calom­nieux – qu’on con­solid­era et ren­forcera la puis­sance du « social­isme » en Espagne, on n’a que faire de deman­der 9.000 francs aux fédéra­tions ouvrières inter­na­tionales pour soutenir le jour­nal la Inter­na­cional : il suf­fit de présen­ter la note au fonds des reptiles.

« Le Bureau social­iste inter­na­tion­al, les sociétés et les tra­vailleurs aux­quels est adressée la mal­heureuse cir­cu­laire, et la général­ité des tra­vailleurs qui ne font pas du social­isme d’une manière aus­si mesquine, sont invités à pren­dre note de ces déclarations.

« Pour notre part, vive­ment impres­sion­nés par les récentes déc­la­ra­tions des tra­vailleurs de la République Argen­tine qui, renonçant à leurs divi­sions, se sont rap­prochés en une con­sciente et puis­sante union qui doit être comme le syn­di­cat liq­ui­da­teur de la société bour­geoise en fail­lite ; admi­rant le grandiose mou­ve­ment éman­ci­pa­teur des tra­vailleurs de Pen­syl­vanie et désireux de nous unir à tous les tra­vailleurs de l’Europe et du monde dans l’idée et dans l’œuvre de l’émancipation et de la par­tic­i­pa­tion de tous au pat­ri­moine uni­versel, nous prote­stons con­tre les machi­na­tions de ces « social­istes » qui aspirent seule­ment à être chefs et députés, au prix de la soumis­sion de leurs affil­iés, et qui trans­for­ment le social­isme, la glo­rieuse ini­tia­tive de l’Association inter­na­tionale des tra­vailleurs, en un hum­ble trou­peau de coti­sants et d’électeurs, ce en quoi se résume ce que ces gens-là appel­lent « les doc­trines de leur parti. »

On ne peut rien ajouter à une réplique aus­si écras­ante que méritée. 

Puisse-t-elle être com­prise par les organ­i­sa­tions ouvrières aux­quelles on demande de l’argent pour une pro­pa­gande d’une effi­cac­ité dou­teuse et d’un car­ac­tère plus qu’équivoque.

Main­tenant, comme con­traste à l’impression reçue par Furné­mont de sa vis­ite à Madrid, il sera bon de met­tre en regard l’impression qu’a rap­portée Jouhaux de sa récente vis­ite à Barcelone, où il avait été délégué par la Con­fédéra­tion Générale du Tra­vail pour assis­ter au grand meet­ing annon­cé pour le 6 févri­er et qui n’a pu avoir lieu. C’est dans la Voix du Peu­ple, de Paris, du 27 févri­er, que Jouhaux a racon­té ce qu’il a vu et entendu :

« Je pus, dit-il, entr­er en rela­tions avec les valeureux mil­i­tants barcelon­ais. L’impression faite sur moi par cette entre­vue fut excel­lent. Si faible numérique­ment que soit à l’heure présente l’organisation ouvrière en Cat­a­logne, elle n’en con­stitue pas moins une grande force agis­sante et combative.

« Con­traire­ment à ce qui se passe mal­heureuse­ment trop dans nos milieux syn­di­caux, les ouvri­ers cata­lans sont ani­més d’un esprit large­ment ouvert aux idées nobles et généreuses. Les syn­di­cal­istes sont là-bas des hommes hardis et courageux, qu’aucune ten­ta­tive, si auda­cieuse soit-elle, n’effraie. L’atmosphère qui plane dans les réu­nions syn­di­cales est une atmo­sphère de fra­ter­nité et de sym­pa­thie récipro­ques. Les tra­vailleurs vivent la vie de leurs organ­i­sa­tions, vibrant à toutes ses man­i­fes­ta­tions. C’est là, à mon avis, que réside la force d’un mouvement.

« Quand l’indifférence a dis­paru, quand les gens sont attachés par des liens d’affinité au sort de leur organ­i­sa­tion, celle-ci est alors véri­ta­ble­ment forte. C’est la sit­u­a­tion exis­tant à Barcelone… Avec de tels groupe­ments rien n’est impos­si­ble, tout peut être ten­té. L’échec, loin d’annihiler les éner­gies, les stim­ule pour de nou­veaux com­bats. C’est ain­si que nos cama­rades de Sol­i­dari­dad Obr­era me déclaraient être prêts à recom­mencer la lutte si le gou­verne­ment n’accordait pas l’amnistie. Je ne pou­vais que les encour­ager dans cette voie, tout en leur démon­trant l’utilité d’une organ­i­sa­tion méthodique.

« Le défaut en Cat­a­logne c’est juste­ment le manque d’organisation. Le tem­péra­ment chaud et exubérant des Cata­lans se plie dif­fi­cile­ment à une dis­ci­pline. Cepen­dant, en nous bas­ant sur les sen­ti­ments très élevés de ce peu­ple par­ti­c­ulière­ment studieux, l’on peut être assuré qu’il saura tir­er l’enseignement qui se dégage des derniers événe­ments de Barcelone.

« Les prin­ci­paux mil­i­tants l’ont d’ailleurs com­pris, et c’est pleins d’enthousiasme qu’à peine sor­tis de la péri­ode de répres­sion féroce, ils se sont hardi­ment attelés à ce tra­vail de réor­gan­i­sa­tion. D’ici peu, la Cat­a­logne ouvrière aura une organ­i­sa­tion puis­sante et red­outable. Ani­mée par un esprit de com­bat­iv­ité qui est sa car­ac­téris­tique, con­duite vers un idéal très élevé, l’avenir lui sera large­ment ouvert.

« Voilà l’impression que je rap­porte de mon trop court séjour dans la belle cité artis­tique de Barcelone. »

En ce qui con­cerne le manque d’organisation que le cama­rade Jouhaux a observé chez les tra­vailleurs barcelon­ais, je demande à présen­ter deux ou trois sim­ples remar­ques. Que l’on tienne compte que nous venons de tra­vers­er une péri­ode de dure et cru­elle répres­sion gou­verne­men­tale ; que nous nous trou­vons dans une grande crise de chô­mage, où la faim pousse les tra­vailleurs à l’émigration ; que l’inexpérience des jeunes gens et des jour­naliers qui vien­nent des dis­tricts ruraux de la Cat­a­logne, de l’Aragon et de Valen­cia se laisse facile­ment séduire par l’éloquent char­la­tanisme des répub­li­cains ; que les bour­geois ont recours au pacte de famine con­tre les ouvri­ers intel­li­gents et act­ifs ; et on s’expliquera cette faib­lesse numérique et ce défaut d’organisation.

Cela n’empêche pas que l’intelligence et l’énergie de ceux qui restent, des invin­ci­bles, de ceux qui main­ti­en­nent le feu sacré de l’idée con­tre les per­sé­cu­tions et con­tre les dévi­a­tions, nous don­nent l’assurance que Barcelone, que la Cat­a­logne, que l’Espagne ouvrière tout entière ne man­quera pas à l’accomplissement de son devoir au grand jour des reven­di­ca­tions prolétariennes.

Barcelone l’a prou­vé en févri­er 1902 et en juil­let 1909, comme l’ont prou­vé aus­si maintes villes et maintes régions de l’Espagne durant la péri­ode écoulée depuis le début du mou­ve­ment éman­ci­pa­teur du prolétariat.

[/Anselmo Loren­zo/]


Note de la rédac­tion Pour « con­tribuer à étein­dre un des plus grands et des plus anciens foy­ers de l’anarchie en Europe », la Com­mis­sion admin­is­tra­tive Per­ma­nente du par­ti social­iste a voté, dans sa séance du 23 févri­er dernier, une somme de 500 francs.

Con­sta­tons qu’aucune protes­ta­tion n’a été faite con­tre ce vote, ni à la lec­ture de l’appel du Bureau Inter­na­tion­al, ni depuis, par aucun mem­bre de la Com­mis­sion Admin­is­tra­tive, où la ten­dance insur­rec­tion­nelle compte cepen­dant deux représentants.

Con­sta­tons avec plus de sur­prise encore que pour ces 500 francs, un arti­cle para­phras­ant la cir­cu­laire du Bureau inter­na­tion­al a paru dans l’Humanité du 16 févri­er, sous la sig­na­ture d’André Morizet. 


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