La Presse Anarchiste

À Madagascar

Les indi­gènes de Mada­gas­car, les Mal­gaches, ont, tout comme les Indo­chi­nois, les Tuni­siens, les Maro­cains, les Algé­riens, Séné­ga­lais, etc., de plus en plus à se plaindre de la façon dont les traitent les civi­li­sa­teurs français. 

Leurs doléances leurs plaintes, leurs pro­tes­ta­tions se font jour et s’é­lèvent de plus en plus âpres, pré­sa­geant des révoltes, des sou­lè­ve­ments. Ils sont las des misères, des injus­tices, des sévices qu’on leur inflige, las d’être pillés, bat­tus et bafoués. 

Les civi­li­sa­teurs ont dépas­sé la mesure et des voix élo­quentes s’é­lèvent pour flé­trir les exac­tions qui sont mon­naie cou­rante sur toute l’é­ten­due de l’empire colonial. 

Signa­lons cer­tains faits.

À Mada­gas­car, les popu­la­tions sont si pauvres qu’elles ne peuvent bien sou­vent payer l’im­pôt, alors les gen­darmes, agents de police et « mpi­ka­ra­ka­ra » (agents de police indi­gènes) opèrent de véri­tables raids sur les vil­lages, et emmènent tous les habi­tants au chef de can­ton : là, ceux qui ont de l’argent se libèrent, ceux qui n’en ont pas sont gar­dés en pri­son. D’autres fois on se contente d’emmener les femmes. L’ad­mi­nis­tra­tion a créé des « chan­tiers fis­caux » où s’exerce la contrainte par corps. 

La récu­pé­ra­tion de l’im­pôt sur l’in­di­gène est très impor­tante, car il tend à appor­ter la démons­tra­tion que le bud­get colo­nial s’é­qui­libre de lui-même, c’est-à-dire que les civi­li­sa­teurs vivent de ceux qu’ils civi­lisent et que le colo­nia­lisme se tra­duit pour l’É­tat fran­çais par une opé­ra­tion bénéficiaire. 

Or les, colo­nies sont dévo­rées par le fonctionnarisme : 

« Nous nous per­met­tons d’af­fir­mer, dit un organe de Mada­gas­car, que l’une des prin­ci­pales rai­sons d’être du colo­nia­lisme, c’est le fonc­tion­na­risme qui est une des formes les plus éhon­tées de l’ex­ploi­ta­tion des popu­la­tions colo­niales : les fonc­tion­naires venant aux colo­nies dans leur propre inté­rêt égoïste et mépri­sable et nul­le­ment dans l’intérêt des indigènes. »

Avec un tel para­si­tisme, avec, d’autre part, des hordes capi­ta­listes qui mettent en coupe réglée le ter­ri­toire, l’in­di­gène n’a plus place chez lui qu’en qua­li­té de bête de travail.

II est dans une situa­tion pire que l’es­cla­vage, à moins qu’il ne passe du côté du manche en se fai­sant « mpi­ka­ra­ka­ra ». Ceci encore : quand des Mal­gaches meurent dans un hôpi­tal, on les enterre comme des chiens cre­vés. D’autres. Mal­gaches, des déte­nus, sont char­gés de les enfouir.

Quand un déte­nu mal­gache est libé­ré de pri­son, il rend ses effets, qui consistent en un bour­ge­ron de toile (pas de pan­ta­lon), et l’ad­mi­nis­tra­tion lui fait cadeau, au cas où il ne retrouve pas ses vête­ments, d’un sac de jute per­cé de trois trous. Ce cos­tume est bon pour un Mal­gache qui, par sur­croît de honte, sort de prison…

Quant à la façon dont s’exerce la judi­ca­ture sur l’in­di­gène, elle n’a de com­mun que de vagues sima­grées avec la jus­tice, telle que nous la voyons rendre en France où pour­tant elle prête beau­coup à critique. 

Autant dire qu’elle rend des arrêts contre les indi­gènes et qu’elle les frappe d’au­tant plus fort qu’ils mani­festent plus de digni­té et d’es­prit d’indépendance. 

La grande misère des colo­nies loin­taines livrées à tous les abus de la force est une des réa­li­tés les plus dra­ma­tiques des temps pré­sents. En sup­po­sant que des adou­cis­se­ments aient été appor­tés à l’ex­ploi­ta­tion des peuples colo­ni­sés depuis les temps où Vigné d’Oc­ton écri­vait La gloire du Sabre et la Sueur du bur­nou, et Pierre Mille le Caou­tchouc rouge, ces adou­cis­se­ments ne sont que de surface. 

On ne coupe plus des mains comme au Congo Léo­pol­dien, il y a trente ans, on ne dyna­mite plus par sadisme on a renon­cé à des diver­tis­se­ments indi­vi­duels que l’é­tat actuel des esprits ne per­met­trait plus, mais on fait mou­rir en groupe, à petit feu, et des races humaines répu­tées infé­rieures, sont en voie d’extinction, 

Dénon­çons l’an­thro­po­pha­gie blanche sur les Noirs. Stig­ma­ti­sons le colo­nia­lisme dévorateur.

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