La Presse Anarchiste

Bagnes d’enfants – du fond de la géhenne

Extrait du jour­nal L’Œu­vre

J’ai main­tenant dix-sept ans. Petit, mai­gre, à moitié fichu par la mis­ère. On était cinq enfants. Je suis par­ti avant douze ans de chez moi pour gag­n­er mon pain. Et, comme je ne gag­nais que dix francs par semaine, pour m’habiller, j’ai pris à mon patron, sur les tournées, sept cents francs par petites sommes. 

Je suis passé au tri­bunal cor­rec­tion­nel de Meaux. J’ai été acquit­té et con­fié à la colonie péni­ten­ti­aire de M… Je ne vous fais pas la con­fes­sion qui suit pour vous api­toy­er. Moi, au moins, j’avais fait quelque chose. J’é­tais un voleur. Mais hélas, com­bi­en de mes cama­rades, de là-bas avaient plutôt gag­né le par­adis que le bagne…

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Je suis arrivé une après-midi à M… et pen­dant qu’une espèce de dogue — pas un homme — me fouil­lait, je voy­ais mes nou­veaux cama­rades « faire la pelote » sous le soleil, sans boire. J’en ai vu com­bi­en tomber, depuis, de soif et d’épuisement !

On m’a mis à la « famille G. » Famille ça veut dire tout sim­ple­ment pavil­lon. Le chef m’a mis aus­sitôt au courant des « pre­miers principes ». Le soir, j’é­tais, bleu. Au bout de trois mois, après les cor­rec­tions, j’avais une vraie tête de bag­nard : la fig­ure brûlée, les yeux ren­fon­cés et le nez cassé, rap­port à un coup de trique. Mais je com­mençais à m’habituer. 

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En dessous du chef, il y a le colon qui nous com­mande et qui a le joli nom de « frère aîné ». Il est responsable.

« Dém …-toi, pourvu que ça marche. » .. Alors il cogne. S’il ne cogne pas assez. c’est lui qui passe à la pelote. 

Après un an, j’ai eu mon galon rouge, pour ma bonne con­duite, et j’ai été « frère aîné ». Les pre­miers jours, ça allait. Je tapais bien, avec le bois qu’on met à la tête du hamac. Mais, au bout d’une semaine, j’é­tais dégoûté. Alors les cama­rades me sont retombés dessus. Le chef aus­si, parce que j’étais obligé de me bat­tre avec tous les colons, qui n’avait pas assez peur de moi. 

Finale­ment, on a mis à ma place la plus grosse brute de la « famille », et moi. on m’a mis à la pelote.

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C’é­tait en juil­let. Il fai­sait une chaleur malade. Il faut tourn­er dans la cour, qui est une étuve, 55 min­utes par heure, avec des mou­ve­ments de gym­nas­tique. Cela, du matin au soir. Nour­ri­t­ure : à midi, un peu de légume, un petit bout de pain, un quart d’eau ; le soir, un peu de soupe, un petit bout de pain un quart d’eau.

Au bout de dix jours, on n’a plus que la peau et les os, mais c’est la soif qui est une tor­ture et qui rend fou. J’aurais don­né dix ans de ma vie bien des fois, pour quelques gouttes.

Pen­dant que le bour­reau avait le dos tourné, vite, on se las­sait tomber dans le caniveau et on buvait l’eau d’égout qui avait servi à laver les cab­i­nets et les cachots. Pire que les chiens.

Alors le bour­reau se retour­nait et il nous con­damnait à ne pas boire notre quart régle­men­taire, en nous le vidant sous le nez, par terre.

(A suiv­re.)

M. Louis Rollin, min­istre aux Colonies se sou­vien­dra-t-il de M. Louis Rollin, prési­dent de la Sauve­g­arde de l’Enfance ?


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