La Presse Anarchiste

Degrés de Nationalisme

On est tou­jours le nation­al­iste de quelqu’un, et Foch dépasse Clemenceau.

Ce dernier a mau­vaise presse depuis quelques mois. Il y a eu d’abord la révéla­tion rel­a­tive à Mossoul : « D’un signe de tête, il a aban­don­né tous les droits que des traités (secrets) antérieurs avaient recon­nus a la France. »

Puis, récem­ment, une accu­sa­tion plus grave a été for­mulée. Lors de la sig­na­ture du traité de paix, Clemenceau a dit à Foch : « La paix, ce n’est pas votre affaire. » Et celui-ci a tenu à faire savoir au pub­lic que, lui, aurait pris des garanties sur la rive gauche du Rhin, etc…

Dis­ons d’abord quelques mots de la région de Mossoul, où il y aura du pét­role à exploiter et qui, dans l’Orient méditer­ranéen, est un arrière-pays de la Syrie. La France occupe la Syrie (lais­sons de côté la Cili­cie). Ses troupes sont à Damas, à 80 kilo­mètres de Bey­routh ; elles sont à Alep, à 100 kilo­mètres d’Alexandrette ; elles sont peut-être aus­si un peu plus loin de la côte ; mais, en somme, le ter­ri­toire occupé est une bande longue et assez étroite, desservie par une ligne de chemin de fer aboutis­sant à deux bons ports.

Et Mossoul ? À vol d’oiseau, ce cen­tre est à 650 kilo­mètres d’Alexandrette, le port le plus proche, à 800 kilo­mètres par la route, à au moins 400 kilo­mètres du ter­mi­nus pro­vi­soire du chemin de fer qui, ultérieure­ment, desservi­ra la région — c’est env­i­ron la dis­tance de Paris à Mar­seille. La route est dom­inée au nord par les mon­tagnes où habitent les Turcs ; elle est bor­dée au sud par le désert où cir­cu­lent les Arabes. Pour assur­er les com­mu­ni­ca­tions à tra­vers les pop­u­la­tions hos­tiles il faudrait un étab­lisse­ment de grande envergure.

On nous dit que l’occupation mil­i­taire d’Orient réduite à la Syrie coûtera 500 mil­lions seule­ment. Com­bi­en de temps accorderons-nous aux Syriens pour qu’ils arrivent à se gou­vern­er eux-mêmes ? Soyons mod­estes et dis­ant cinq ans. Autrement dit, la gloire de dress­er le dra­peau français en Syrie ne coûtera pas moins de 2 ou 3 mil­liards au con­tribuable de France. Et pour la Syrie, il n’est pas dou­teux qu’il n’y ait une toute petite por­tion de « devoir » envers des pop­u­la­tions de reli­gions dif­férentes, par­mi lesquelles un gen­darme bénév­ole a un rôle à jouer. 

À Mossoul, rien de sem­blable, ce n’est que gloire et com­merce. Nég­li­geons le compte des vies humaines qu’aurait coûté la con­quête ; bor­no­ns-nous à estimer la dépense à 1 mil­liard par an, au bas mot 10 mil­liards en dix ans pour arriv­er à un modus viven­di. La France peut con­som­mer 1 mil­liard de litres de pét­role par an. Donc 1 franc par litre avant toute extraction.

Les Anglais, eux, y sont bien à Mossoul. Mais ils ont la voie du fleuve Tigre pour les rav­i­tailler, la forte posi­tion de Bag­dad à mi-chemin de la mer et la prox­im­ité de l’Inde. De plus, ils ne s’y trou­vent pas très à l’aise, ils savent ce que cela leur coûte, et voudraient se tir­er de là.

Rive gauche du Rhin. Dans un cer­tain milieu, il est con­venu d’accoler l’épithète infâme au traité de Ver­sailles. Pos­si­ble, du moins ne laisse-t-il pas sub­sis­ter de cause per­ma­nente de haine entre la France et l’Allemagne. La dis­pute actuelle n’est que de gros sous. Foch aurait préféré que l’Allemagne, à son tour, ait une Alsace et une Lor­raine. Grand bien lui fasse !

Clemenceau, de sa nais­sance à la poli­tique jusqu’à sa chute et à son exil volon­taire, Clemenceau fut un ennemi.

Pour­tant, gloire au Clemenceau qui a dédaigné Mossoul ; gloire au Clemenceau qui a imposé silence au général victorieux.

[/P. Reclus/]


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