La Presse Anarchiste

La gloire militaire

Tout le mérite de Foch fut l’optimisme ; il a eu confiance, il a tenu, tan­dis que d’autres géné­raux conseillaient déjà de faire retraite der­rière la Loire.

D’autre part, l’aide amé­ri­caine en maté­riel et en hommes remon­ta l’optimisme des troupes alliées tout en démo­ra­li­sant l’adversaire. De coup de génie, il ne semble pas qu’il s’en soit pro­duit, en dépit de tous les thu­ri­fé­raires. Les évé­ne­ments donnent rai­son au scep­ti­cisme d’Anatole France tou­chant l’art militaire.

Je n’exagère rien. Je me borne à repro­duire, d’après le Temps du décembre 1918, l’allocution pro­non­cée à Londres par le maré­chal Foch

[(Lorsque l’ennemi s’est pré­sen­té en mars, en avril, en mai, pour mar­cher sur Paris, qu’est-ce que nous avons fait ? Nous nous sommes enten­dus, Fran­çais d’abord, Anglais ensuite et les Amé­ri­cains, lorsqu’ils sont venus, et nous nous sommes dit : « On les arrê­te­ra d’abord coûte que coûte. » Et, lorsque éten­dant son offen­sive furieuse et brusque par sur­prise, il est tom­bé sur des troupes fati­guées par la guerre de tran­chées depuis quatre ans, nous avons arrê­té sa marche sur Amiens, sa marche sur Paris. Voi­là la for­mule que nous avons pra­ti­quée avec un pro­saïsme effa­rant. Nous avons abou­ti. Il n’y a que le simple qui réus­sisse. Nous avons, alors, fait nos comptes et nous avons dit : « Nous avons des troupes fati­guées, usées, mais aux­quelles il reste quand même des éner­gies incon­tes­tables. » Chez les alliés, les armées anglaises avaient éprou­vé des catas­trophes for­mi­dables, nous avons dit la même chose : « Nous allons nous répa­rer et on repartira. »

Et on est repar­ti ! On est repar­ti pour aller bien loin ? Non, on est repar­ti pour assu­rer les com­mu­ni­ca­tions indis­pen­sables à la vie de la Nation, déga­ger Châ­teau-Thier­ry, réta­blir les com­mu­ni­ca­tions entre Paris et Nan­cy, ensuite assu­rer les com­mu­ni­ca­tions avec le Nord, tou­jours très pré­caires. À Amiens, l’attaque du 8 août avait pour but de déga­ger Amiens à tout prix. Tout cela a mar­ché. Alors l’attaque d’Arras avec les armées anglaises. Et puis, voyant que tout cela ne mar­chait pas mal, on a éten­du l’offensive et nous avons fini par lâcher une bataille sur 400 kilo­mètres de front, dans laquelle mar­chait tout le monde : Fran­çais, Anglais, Belges, Américains.)]

Le talent mili­taire paraît donc consis­ter dans l’énergie morale allant jusqu’à la vio­lence, sauf à prendre des pré­cau­tions élé­men­taires, ou à se ser­vir de ruses enfan­tines, comme on l’apprend dans l’histoire grecque et dans l’histoire romaine. De véri­tables hommes de guerre ce sont des hommes comme Du Gues­clin ou Chris­tian Dewet ; mais ils com­man­daient quelques mil­liers de com­bat­tants. Turenne lui-même se décla­rait inca­pable de conduire une armée de plus de 25.000 hommes.

Qu’est-ce qui dis­tingue donc ceux dont on a fait des génies mili­taires : Alexandre, Anni­bal, César, Napo­léon ? Ils, eurent sim­ple­ment en plus un talent d’organisation, d’organisation admi­nis­tra­tive (Rabe­lais paraît s’être ren­du compte de l’importance de cette admi­nis­tra­tion). On peut, en effet, faire évo­luer quelques cen­taines ou quelques mil­liers de sol­dats, sans s’occuper de leur ravi­taille­ment ; ils vivent de gré ou de force sûr le pays. Mais quand Xerxès vou­lut sou­mettre les Hel­lènes, il ras­sem­bla une armée d’un mil­lion d’hommes, car il fal­lait assu­rer com­mu­ni­ca­tions et ravi­taille­ments à 100 ou 200 mille com­bat­tants, qui, arri­vés en Grèce, ne purent évo­luer dans ce pays de mon­tagnes où il n’y a que de rares plaines et très res­ser­rées : l’avantage du nombre se trou­va anni­hi­lé, et ce fut la force morale qui l’emporta.

Ce qui fait la supé­rio­ri­té de Napo­léon sur un sabreur comme Murat, c’est d’avoir su orga­ni­ser ses cam­pagnes, de s’être ren­du compte sur la carte des routes d’approvisionnement aus­si bien que de celles d’appui et de déga­ge­ment, d’avoir assu­ré ces appro­vi­sion­ne­ments et ces appuis. C’est à ce point de vue qu’on a pu dire que Lazare Car­not fut l’organisateur de la vic­toire des armées de la pre­mière Répu­blique. Enfin, Napo­léon avait sous ses ordres une armée qui avait la foi, et des res­sources en hommes qui parais­saient inépui­sables grâce à la conscrip­tion. Les géné­raux autri­chiens, au contraire, devaient ména­ger leurs armées de métier dont le recru­te­ment était dif­fi­cile et dont le moral était médiocre. La for­tune tour­na après 1813 quand l’éveil patrio­tique de l’Allemagne don­na aux Alliés et le nombre, avec l’établissement de la conscrip­tion, et la force morale. La débâcle napo­léo­nienne ne fut pas la consé­quence d’un miracle, ni celle de l’éclipse d’un génie. D’autres exemples de chan­ge­ments de for­tune, mais moins écla­tants, se sont vus pen­dant la guerre de Trente ans.

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