Lorsque, l’été dernier, nous avions l’occasion de rencontrer à Paris certains délégués géorgiens de tendances socialistes, nuance « mencheviste », nous avons discuté, question du danger que couraient les républiques transcaucasiennes — notamment la Géorgie et l’Azerbaïdjan — d’être envahies par les armées bolchevistes poussant vers le Sud, à la suite d’une défaite éventuelle des armées du général Wrangel.
Nous ne pouvions pas savoir que ce danger était si proche et que ce n’était qu’une question de quelques semaines. Ceux qui ont lu la note comminatoire envoyée par Tchitchérine au gouvernement géorgien au mois de novembre ont constaté que le gouvernement de Moscou cherche un prétexte pour pénétrer en Transcaucasie où les gisements de pétrole et les richesses naturelles du pays en général constituent de puissants attraits pour les appétits russes.
L’organe officiel du gouvernement bolcheviste, l’Isvestia, de Moscou, a écrit qu’il attribue à « l’Intention des Alliés d’occuper Batoum » une grande importance et est d’avis qu’il est question d’une « nouvelle aventure contre-révolutionnaire ». Le même organe traite la Géorgie comme « une colonie de l’Entente ».
Tout cela est significatif.
Au point de vue socialiste, les intentions belliqueuses de la Russie soviétiste à l’égard de la petite Géorgie sont d’autant plus étonnantes et révoltantes que l’organisation de la Géorgie répond autrement à l’idéal socialiste et à toutes les tendances d’une vie nationale libre que celle de la Russie soviétiste.
La répartition des terres en Géorgie a eu lieu d’après le principe socialiste, c’est-à-dire qu’elles restent propriété des communes, tandis que les bolchevistes russes ont laissé accaparer les terres seigneuriales et ecclésiastiques par les paysans, devenus ainsi propriétaires à leur tour, renouvelant le geste des paysans de la Grande Révolution bourgeoise en France.
En Géorgie règne la liberté complète de la presse, laquelle, par contre, est muselée en Russie soviétiste.
Les syndicats ouvriers, de même que les coopératives paysannes et ouvrières, ont toute liberté de mouvement en Géorgie, tandis que ces organisations sont dominées par l’État en Russie. Et ainsi de suite !
Nous savons qu’actuellement la crainte d’une invasion bolcheviste a soulevé une forte émotion en Géorgie et la population est fort alarmée.
Abstraction faite des intérêts industriels, nous ne saurions nous expliquer les tendances russes vers l’envahissement des républiques transcaucasiennes que par le malheureux esprit de centralisation et de domination qui anime les marxistes bolchevistes russes, — cet esprit maudit qui a déjà causé tant de désastres dans le mouvement ouvrier international et qui semble au même degré que le tsarisme, incompatible avec le principe de la reconnaissance du droit de tous les peuples — aussi des petits peuples — à disposer de leur propre sort.
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