Madeleine Vernet nous a envoyé sa nouvelle brochure sur l’Amour libre (57 pages, en vente à l’Avenir social d’Épône (Seine-et-Oise), au bénéfice de l’Orphelinat ouvrier, prix. : 1 fr. 25).
Elle en avait écrit une autre, il y a plus de quinze ans, sur le même sujet ; la nouvelle brochure est la contre-partie de la première. Dans celle-ci M. Vernet avait revendiqué en amour l’égalité des deux sexes, sans obligation, ni devoirs, ni droits. Dans la suite, elle s’est aperçue que sa pensée avait été mal interprétée. Les mots, improprement employés signifient souvent des choses fort différentes et peuvent amener des confusions et des erreurs regrettables (p. 56). La plupart de ceux qui ont vanté l’amour libre, n’y ont vu que la liberté sexuelle ; ils ont basé leurs théories sur le désir et non sur l’amour.
Interprétée (abusivement) de ce point de vue, la première brochure de M. Vernet eut un très grand succès dans les groupes individualistes, qui la réimprimèrent sans vergogne pour leur propagande, malgré l’opposition de l’auteur.
On peut bien dire que dans ces milieux la caractéristique la plus frappante était le dévergondage sexuel. M. Vernet, qui fréquenta ces groupes dans l’hiver 1905 – 1906, s’exprime elle-même en ces termes (p. 13) :
« Mœurs relâchées, libertinage, compromissions, vénalité se donnaient libre cours. Sous le couvert de l’amour libre, la plus grande dépravation sexuelle s’étalait, impudiquement, comme un défi. »
Madeleine Vernet regrette que sa première brochure ait pu servir d’argument pour favoriser de telles mœurs. Autre chose est d’écrire pour des intellectuels qui savent réfléchir, autre chose est d’être lu par des gens dont la culture est peu étendue. Ceux-ci ont pour les livres un véritable culte ; ils y cherchent leur ligne de conduite, la règle morale de leur vie (p. 18).
Dans la réalité « l’amour libre — ou du moins ce qu’on appelle ainsi dans notre société — est pour la femme une source nouvelle de servitude et de souffrance. Liée à un homme, sans aucune garantie de sécurité, tremblant d’être abandonnée, elle devient servile et soumise ; elle se plie aux caprices, aux exigences de l’homme, afin de se l’attacher. Il n’y a donc plus ni dignité, ni loyauté de part et d’autre.
« Une autre conséquence, terrible pour la femme, c’est l’avortement et ses dangers. L’homme ne voulant pas de charges, ne veut pas d’enfants. Mais comme, d’autre part, il entend ne se priver d’aucune satisfaction sexuelle, il se repose sur la femme du soin de prendre toute précaution utile. Or, on sait combien ces moyens sont aléatoires et peu sûrs. Survienne la grossesse, il menace de s’en aller si la femme ne se soumet pas à l’avortement. Et souvent elle se soumet.
« J’ai connu des histoires lamentables de femmes auxquelles plusieurs avortements successifs avaient été désastreux. La santé était ruinée, la force perdue. Elles n’étaient plus rien que de pauvres loques humaines. Il en est même qui payèrent de leur vie l’exigence de leur maître » (p. 25).
À propos de l’avortement, M. Venet reproduit la lettre qu’elle adressa aux Temps Nouveaux et qui parut dans le numéro du 1er avril 1911. À cette époque, les T. N. avaient entrepris une campagne contre les théories du néo-malthusianisme (articles du Dr Duchemin, alias Michel Petit, du Dr Zielinski, du Dr Pierrot). L’expérience de ces médecins et celle de Madeleine Vernet aboutissaient aux mêmes conclusions.
« En somme, dit M. Vernet, la femme pauvre n’est pas libre. Elle est la victime, la plus grande victime, des conditions sociales qui pèsent sur les miséreux. Et elle est aussi la victime de l’égoïsme individuel.
« L’oppression sociale peut être supprimée par la transformation des conditions économiques. La disparition de l’oppression individuelle doit être cherchée dans l’éducation.
« Pas de responsabilité, voilà l’idéal des hommes d’aujourd’hui. Il faut, au contraire, développer chez chaque individu le sentiment de la responsabilité… L’éducation devra avoir pour base la vérité — et surtout la sincérité. »
[/M. P./]