La Presse Anarchiste

La question agraire

Dès mars 1950, la Confé­dé­ra­tion géné­rale agri­cole écri­vait dans son jour­nal, La Libé­ra­tion pay­sanne, ce qui suit :

« Nous sommes incon­tes­ta­ble­ment un pays sur­pro­duc­teur. Il ne peut être ques­tion d’emblaver la tota­li­té de nos super­fi­cies culti­vées et d’être en sur­pro­duc­tion per­ma­nente avec des mar­chés non orga­ni­sés pour résor­ber les excédents.

« Les crises suc­ces­sives ne peuvent être évi­tées, et la ren­ta­bi­li­té du tra­vail pay­san assu­rée, qu’à la condi­tion qu’environ 10 % des sur­faces culti­vées ne soient pas ense­men­cées et soient lais­sées en jachère, de manière à mieux équi­li­brer pro­duc­tion et débouchés.

« Il vaut mieux que nous culti­vions 90 % de nos terres avec des prix de revient moindres et plus de pro­fit, que d’en culti­ver 100 % à des prix de revient éle­vés et avec perte.

« L’abondance a tou­jours rui­né le pay­san, tan­dis que la disette l’a tou­jours enrichi.

« Lorsque les indus­triels et les pay­sans sont atteints par la mévente, ils réduisent leur acti­vi­té et per­sonne ne songe à leur en faire grief.

« Pour­quoi les pay­sans n’auraient-ils pas les mêmes droits ? »

Que peut-on conclure de cet exposé ?

1° Que la France est en sur­pro­duc­tion par rétré­cis­se­ment du mar­ché inté­rieur qui manque de pou­voir d’achat ; par accrois­se­ment de la pro­duc­ti­vi­té agri­cole là où la qua­li­té est sacri­fiée à la quantité.

2° Que le pay­san, comme tous les pro­duc­teurs capi­ta­listes, n’est pas inquiet de la sous-consom­ma­tion, mais de la mévente et de la chute des prix qui en résultent ; qu’il envi­sage froi­de­ment, comme tous les pro­duc­teurs capi­ta­listes, une baisse de pro­duc­tion, une raré­fac­tion des mar­chan­dises pour main­te­nir les prix et le taux du profit.

Consomme qui pour­ra !… C’est la loi de la jungle.

Le Mou­ve­ment liber­taire, qui est au ser­vice de l’Homme et ne sau­rait être dupe des caté­go­ries d’égoïsme, ne peut pas se lais­ser flé­chir par des reven­di­ca­tions hos­tiles à la consommation.

L’Homme, avant toute autre qua­li­té, est un consom­ma­teur, et dans une socié­té judi­cieu­se­ment, scien­ti­fi­que­ment orga­ni­sée, toute la pro­duc­tion doit être au ser­vice de la consom­ma­tion et contrô­lée par elle, dans une asso­cia­tion éco­no­mique et sociale, grou­pant les deux ser­vices : de pro­duc­tion et de distribution.

Le Mou­ve­ment liber­taire est au ser­vice de l’Homme. Il ne sau­rait appuyer des reven­di­ca­tions mer­can­tiles, encou­ra­ger la sous-pro­duc­tion alors que sur la terre, des cen­taines de mil­lions d’hommes meurent de pri­va­tions, de famine et des maux qui en résultent !

Il n’y a jamais eu sur­pro­duc­tion, car les besoins n’ont jamais été entiè­re­ment satisfaits.

Le Gou­ver­ne­ment des USA, qui apporte une aide ali­men­taire à de nom­breux pays, a réduit de 15 % sa pro­duc­tion de blé et de 12 % celle du maïs. Le Gou­ver­ne­ment fran­çais annon­çait sa volon­té de réduire de 100 000 hec­tares la pro­duc­tion bet­te­ra­vière. Or, pen­dant ce temps, des mil­lions d’hommes appar­te­nant à des éco­no­mies arrié­rées meurent de faim ; ils ignorent la limi­ta­tion des naissances !

Aujourd’­hui, les pay­sans fran­çais pro­posent de limi­ter la pro­duc­tion pour raré­fier les mar­chan­dises et pro­vo­quer la hausse des prix !

Les poli­ti­ciens ont un pro­blème à résoudre : la prise du pou­voir dont l’homme n’est qu’un méca­nisme. Ils peuvent sacri­fier l’Homme à leurs ambi­tions et sou­te­nir des reven­di­ca­tions cri­mi­nelles, mais Nous?… Nous, nous sommes au ser­vice de l’Homme. Son aveu­gle­ment même est la rai­son de nos inter­ven­tions, de notre combat.

Nous répé­tons donc : la recherche du pro­fit est un obs­tacle à la satis­fac­tion des besoins. Le pro­blème de la pro­duc­tion, c’est l’affaire des consommateurs.

Il ne peut pas y avoir liber­té de pro­duc­tion, là où les besoins ne sont pas satisfaits.

Il appar­tient aux consom­ma­teurs d’organiser et de sou­mettre l’agriculture et l’industrie à des plans dont toute recherche du pro­fit sera ban­nie, et ne visant qu’à satis­faire les besoins.

Nous sommes avec les pay­sans pour assu­rer la satis­fac­tion des besoins et leur propre sécu­ri­té sociale.

Avec eux pour l’Homme, mais contre tous les affameurs.

[/​Gaston Bri­tel./​]

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