La Presse Anarchiste

L’énergie nucléaire

Le déve­lop­pe­ment de l’esprit de des­truc­tion qui contraste tant avec les rêves de bon­heur ima­gi­nés par l’homme au cours des mil­lé­naires, doit atti­rer notre atten­tion sur les décou­vertes qui marchent à une cadence rapide.

En dépit des moyens gigan­tesques mis en œuvre aux États-Unis grâce à de vastes espaces libres pour recherches et expé­riences et aus­si à des sources d’énergie impor­tantes, tout pro­grès reste subor­don­né à la pos­ses­sion de matières premières.

Négli­geons l’antagonisme qui oppo­sa un moment les phy­si­ciens et le Penta­gone, quant à l’utilisation à des fins pure­ment mili­taires de la nou­velle décou­verte ; de même, met­tons une sour­dine aux réti­cences d’Albert Ein­stein qui, après avoir insis­té d’abord sur son usage, le condamne à pré­sent, pour mettre en relief les récentes expé­riences contri­buant à étendre les connais­sances sur les réac­tions nucléaires se chif­frant actuel­le­ment par centaines.

Les savants se penchent à pré­sent sur le vaste pro­blème de l’énergie nucléaire légère dont les ensei­gne­ments, chaque jour plus pré­cis, marquent son oppo­si­tion avec l’énergie nucléaire lourde qui ne trai­tait que des élé­ments ura­niens. Ces der­niers, indé­pen­dam­ment des des­truc­tions mas­sives d’août 1945 au Japon, nous ont four­ni par leurs iso­topes radio­ac­tifs des usages répan­dus en métal­lur­gie, en bio­lo­gie et en agriculture.

Mal­gré la com­plexi­té du pro­blème, aggra­vé par l’apparition de nou­veaux élé­ments qui, comme le lithium, le bore et le béryl­lium, suc­cèdent au deu­té­rium et au tri­té­rium, des espé­rances sont for­mu­lées quant aux nou­velles et impor­tantes res­sources d’énergie envi­sa­gées. Sou­hai­tons tou­te­fois que les mili­taires ne s’emparent pas, une fois de plus, de ces pro­grès scien­ti­fiques pour les des­truc­tions qu’ils ont l’habitude de préméditer.

Le prix de revient éle­vé de l’uranium pur limite l’avenir de la pile ato­mique ; de plus, les pro­duits de fis­sion occa­sionnent des dépenses sup­plé­men­taires pour pous­ser la puri­fi­ca­tion indis­pen­sable à la réduc­tion de la pro­pa­ga­tion des élé­ments radioactifs.

Les expé­riences faites, tant par le pro­fes­seur Rich­ter en Argen­tine que par cer­tains phy­si­ciens anglais pour ima­gi­ner un nou­vel accé­lé­ra­teur de par­ti­cules, appe­lé ther­mo­tron, laissent entre­voir de grands espoirs du fait que la fusion nucléaire est obte­nue dans le cadre des basses tem­pé­ra­tures sans néces­si­ter l’usage de l’amorce atomique.

Les longs cal­culs qui avaient conclu à l’impossibilité de réa­li­ser un appa­reil sus­cep­tible de libé­rer la tota­li­té de l’énergie se trouvent contre­dits par la nou­velle méthode qui, par­tant du deu­té­rium, réa­lise à peu de frais des engins de puis­sance presque sans limite.

Au point où nous en sommes de cette nou­velle étape, ce que les phy­si­ciens qua­li­fiaient hier d’utopie devient la pos­si­bi­li­té de demain et, qui plus est, l’abondance de matières pre­mières : bore et béryl­lium, se montre favo­rable à l’usage de ces nou­veaux réac­teurs nucléaires.

Le béryl­lium, qui s’obtient pré­sen­te­ment en quan­ti­tés impor­tantes, pal­lie­ra la pénu­rie de tri­té­rium et l’on remarque depuis quelque temps une acti­vi­té dans les recherches de res­sources miné­ra­lo­giques dont se trouvent dému­nis les États-Unis. Mada­gas­car est l’une des régions du globe qui recèle le plus de mine­rai de béryl­lium et les visées amé­ri­caines sur ce der­nier sont aus­si âpres que celles qui recher­chaient l’uranium du Congo belge.

Indé­pen­dam­ment de la concur­rence qui se mani­feste sur le plan indus­triel, quant à la nou­velle source d’énergie, nous ne pou­vons voir sans inquié­tude s’instaurer le mono­pole de celle-ci entre les mains des puis­sants trusts de l’industrie amé­ri­caine des arme­ments. De la Dupont de Nemours à la Car­bide and Car­bone, en pas­sant par la Wes­tin­ghouse et la Gene­ral Elec­tric, on voit que l’industrie lourde conserve son acti­vi­té ; les deux der­nières n’ont-elles pas des plans en cours d’exécution pour la construc­tion d’un sous-marin et d’un avion atomiques ?

L’hypothèse du désar­me­ment qui se trouve posée actuel­le­ment à l’ONU peut faire dis­pa­raître l’usage des armes ato­miques ; bien que ce ne soit pas la seule et vraie issue paci­fique, c’est peut-être la voie ouverte au désar­me­ment pur et simple.

Rap­pe­lons-nous enfin que l’excès des dan­gers scien­ti­fiques peut rame­ner à la sagesse envi­sa­gée par Lord Byron : « La paix régne­ra dans ce monde, lorsque tout homme tien­dra dans sa main de quoi le faire sauter. »

[/​André Maille./​]

La Presse Anarchiste