La Presse Anarchiste

Les Droits de l’Individu

Les sau­veurs du genre humain sont légions.

Que de sys­tèmes affir­més infaillibles, scien­ti­fiques, irré­fu­tables, démon­trés ; que de régimes supé­rieu­re­ment conçus et non moins supé­rieu­re­ment appli­qués ; que de pana­cées sur­gies de toutes ces ima­gi­na­tions en plein forme ; que de bonnes volon­tés pour faire le bon­heur com­plet et défi­ni­tif de tous les habi­tants de la planète !

Et que de droits !

Droits de l’Homme et du Citoyen ! Droit des peuples à dis­po­ser d’eux-mêmes ! Quoi encore ?

Mais dans ce bouillon­ne­ment de droits et de sys­tèmes on cherche vai­ne­ment cette flo­rai­son de para­dis ter­restres énon­cés si triomphalement.

Bien sûr, on peut cyni­que­ment bap­ti­ser joie, sécu­ri­té, aisance et même bon­heur la pire ser­vi­tude, le plus sombre escla­vage. On peut trom­per, duper, men­tir pour faire accré­di­ter de soi-disant pro­grès sociaux.

Mais si un mini­mum de sin­cé­ri­té, de pro­bi­té, d’honnêteté intel­lec­tuelle anime les meneurs de peuples, ils peuvent consta­ter que l’insécurité est géné­rale et le mépris total de la vie humaine le seul moyen effi­cace pour main­te­nir leur pouvoir.

Com­ment expli­quer une telle contra­dic­tion et un tel échec ?

Les esprits tour­nés vers le pas­sé en accu­se­ront la science et le maté­ria­lisme, comme si la longue his­toire des peuples menés par les reli­gions n’était point rem­plie de luttes sau­vages équi­va­lentes à celles de la jungle naturelle.

La cause de l’insuccès de toutes les réformes sociales, vio­lentes ou paci­fiques, réside dans ce legs ances­tral, que se sont trans­mis les tra­di­tions, dans cet esprit de clan qui lie l’individu à son grou­pe­ment et l’incorpore, de gré ou de force, au milieu qui l’a formé.

L’individu ne s’appartient pas en toute propriété.

Il a appar­te­nu à la horde, au clan, à la tri­bu, au royaume. Il a tou­jours été le sujet d’un pou­voir laïque ou reli­gieux ; il est un objet dont dis­pose le grou­pe­ment, l’Église, l’État, le parti.

On lui impose déjà la vie, on lui impose une édu­ca­tion, des mœurs, des lois, des sys­tèmes sociaux, un mor­cel­le­ment de la pla­nète. On dis­pose de son temps, de son intel­li­gence, de son éner­gie. Il doit être ou Fran­çais, ou Anglais, ou Amé­ri­cain, ou Russe, mars il n’a pas le droit de n’être rien de tout cela et d’être par­tout chez lui.

Les hommes se dis­putent la terre et s’en pré­tendent propriétaires.

Cer­tains poussent leurs pré­ten­tions plus loin et s’inventent le droit d’obliger les autres à leur obéir, de faire leur bon­heur mal­gré eux. Com­ment ne pas voir dans cette appro­pria­tion la source de tous les conflits sociaux ?

Tant qu’un homme impo­se­ra à un autre homme sa concep­tion de la vie ; tant qu’un homme, ou un grou­pe­ment, ou un État, dis­po­se­ra de l’individu contre son gré ; tant qu’on ne res­pec­te­ra pas la per­sonne humaine comme un être indé­pen­dant et libre de mener l’existence qui lui convient, sous la condi­tion qu’à son tour il res­pecte les autres, il n’y aura aucune paix pos­sible par­mi les terriens.

Quand on recon­naî­tra les Droits de l’Individu et qu’on ne l’agglutinera pas de force à des sys­tèmes qu’il n’a ni étu­diés, ni choi­sis et qui peuvent ne pas lui conve­nir ; quand il sera le maître de ses pen­sées et de ses actes, alors on pour­ra par­ler de civi­li­sa­tion paci­fique et d’harmonie sociale.

En dehors de ces condi­tions élé­men­taires d’existence, l’individu est en droit de consi­dé­rer l’action du milieu qui se l’approprie contre sa volon­té comme une véri­table agres­sion orga­ni­sée contre laquelle il est tou­jours en état de légi­time défense.

Les droits recon­nus à l’homme, au citoyen, au patriote, au par­ti­san, au reli­gieux, sont des droits qui les lient à des actes dont les consé­quences vont jus­qu’à leur sacri­fice et à leur mort.

Ce ne sont pas des droits, ce sont des utilisations.

Les Droits de l’Individu sont des mani­fes­ta­tions de son exis­tence pour vivre, pour durer et non pour mou­rir ; des droits bio­lo­giques, pour­rait-on dire, dont il est seul maître et juge et qui n’ont qu’une limite : le res­pect des autres individus.

Avec une telle concep­tion du droit indi­vi­duel il y a peu d’espoir de réus­site de menées bel­li­queuses ou d’entreprises pha­rao­niques des­truc­trices de vies humaines.

Que l’on rem­place les fameux Droits de l’Homme, et le non moins fameux droit des peuples à dis­po­ser d’eux-mêmes, par les Droits de l’Individu tels que je viens de les défi­nir, et qu’on déve­loppe cette concep­tion dans toutes ses consé­quences, et l’on ver­ra une autre éthique orien­ter les humains d’une tout autre façon qu’ils le sont actuellement.

Est-il pos­sible, avec un tel point ce départ, de conce­voir une vie indi­vi­duelle et sociale satis­fai­sante ? Peut-on ima­gi­ner avec une telle affir­ma­tion des droits de l’individu que les hommes puissent arri­ver à coor­don­ner leurs efforts, à s’organiser paci­fi­que­ment sans heurts, sans désordre et au mieux de leurs inté­rêts maté­riels et moraux ? Et cela mal­gré la puis­sance des hommes d’argent, des gens d’Église, des forces éta­tistes et la cohé­sion de grou­pe­ments qui s’imposent par la domination ?

En quelques articles à suivre, j’essayerai non pas de bâtir à mon tour un sys­tème social (car je ne suis pas le défen­seur d’un seul sys­tème social, mais au contraire d’une mul­ti­tude), mais de recon­naître dans la longue évo­lu­tion de l’humanité les chances de réa­li­sa­tion de cette har­mo­nieuse fra­ter­ni­té que nous dési­rons tous et que nous n’atteignons jamais.

[/​Ixi­grec/​]

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