Infiltrations sous le rideau de fer
L’expulsion des Britanniques des raffineries d’Abadan, en Iran, a empli le monde de tumulte et fait craindre les pires complications internationales. Aujourd’hui les soldats de Sa Majesté ont d’autres chats à fouetter, sans allusion à celui de Perse. Seulement, voilà ! Le pétrole est un produit dont on ne saurait se passer à l’heure actuelle. Et la marine d’Elisabeth
Un homme sauvé des eaux
Fatiguée des horreurs habituelles qui lui sont prodiguées, la foule vient de se passionner pour un acte de courage qui force le respect au premier abord. Pris dans la tempête, – son bateau sérieusement endommagé, le capitaine Carlsen, « maître après Dieu » sur le « Flying Enterprise », décida d’évacuer l’équipage et de rester seul à bord à affronter le danger. Ce fut un vrai calvaire et chacun se sentit soulagé lorsqu’il apprit que l’homme était sauvé à l’instant même où le cargo s’engloutissait dans les flots. Pourquoi faut-il que nous apprenions aujourd’hui que cette conduite héroïque revêtait certains aspects étranges ? On pouvait penser que Carlsen se sacrifiait à la tradition maritime ou qu’il défendait, au péril de sa vie, les intérêts majeurs des armateurs. Or on sait à présent que la cargaison se trouvait en partie composée par du matériel de guerre de grande valeur destiné aux moteurs à réaction. Il est question de colombite, minerai excessivement rare. Cela expliquerait les incidents relatifs au remorquage qui eurent leur part de responsabilité dans la perte du cargo. Il s’en est fallu de peu que la guerre froide fît une nouvelle victime.
Un autre est mort
Il était général. Il devint maréchal en mourant. Mince compensation. Durant une semaine la presse et la radio ont un peu abusé de ce fait divers. De source autorisée, nous tenons que cette mort est due à une maladie organique généralisée qui fait, hélas ! de plus en plus de victimes et dont la science n’arrive point à découvrir la thérapeutique. Ce point a été laissé volontairement dans l’ombre. Depuis son retour d’Indochine, les milieux informés ne se faisaient aucune illusion sur l’état de santé de M. de Lattre de Tassigny, dont la dramatique issue était prévue. Les politiciens moins que les autres. N’est-ce, pas, M. Letourneau ? Aussi estimons-nous ici que M. Georges Bidault se paye royalement la tête des contribuables lorsque, dans son ordre du jour cocardier, il proclame que l’ex-haut commissaire en Indochine a donné sa vie au pays. Il est vrai que lesdits contribuables seront invités individuellement à régler par l’impôt la facture des obsèques nationales. Et dans ce cas il faut bien leur laisser au moins l’ombre d’une satisfaction.
Gris-gris
La sottise humaine est insondable. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la chose est connue. S’appuyant sur cette certitude, un libraire parisien du quartier Latin trafiquait de gris-gris et autres effigies de Vichnou pour s’enrichir aux dépens de noirs africains assez naïfs pour attacher de l’importance à ces amulettes et leur attribuer de fantaisistes qualités. La combinaison était assez bien montée pour durer longtemps, sinon toujours. Malheureusement, à l’insu de l’astucieux libraire, une enquête était menée pour concurrence déloyale par les pères – les bons Pères – de Brazzaville, qui voyaient diminuer à vue d’œil le fructueux commerce de médailles pieuses. Le pot aux roses découvert, plainte fut portée, car il reste bien entendu que la vente de gris-gris constitue une escroquerie, mais non point celle de médailles chrétiennes. En dernier ressort la treizième chambre correctionnelle décidera. À la place de l’inculpé, nous déposerions une demande reconventionnelle.
Les précurseurs
Dans un numéro spécial de Contre-courant, Louis Louvet donnait l’année dernière la première partie d’une étude sur les origines de la pensée et de l’action libertaire sous le titre : Aux sources de l’anarchie. Une seconde partie doit compléter ce premier fascicule et former un tout. Elle comprendra la période allant de l’utopiste Thomas More à la Révolution française. Ce second numéro spécial est aux deux tiers composé chez l’imprimeur. L’auteur termine les deux derniers chapitres – remaniés à la suite de la découverte de nouveaux documents – et met au point un troisième qui ne lui donne pas entière satisfaction. La tâche se révèle plus longue et plus difficultueuse qu’il n’avait paru de prime abord. Si la patience des lecteurs est mise à l’épreuve, qu’ils aient la satisfaction de savoir que le travail progresse, qu’il n’est pas bâclé et qu’ils en auront de bonnes nouvelles bientôt.
Momo va fort !…
Lorsque nous parlions tout à l’heure de sottise, nous n’avions pas lu la seconde mouture des Mémoires que M. Maurice Chevalier a largement dispensé dans un quotidien vespéral de Paris. Le célèbre fantaisiste tente, une fois de plus, d’en reculer les bornes. L’avantage dans l’affaire c’est que cette suite de lieux communs et de locutions triviales est strictement réservée aux lecteurs du journal en question puisque la reproduction, même partielle, en est interdite. Beaucoup des admirateurs de cette vedette ne sauront donc point que Momo a été touché par la grâce et qu’il a été déçu par la messe de minuit, qu’il refuse ses lèvres aux jolies femmes, et qu’il considère Patachon comme un être exceptionnel. Toutes choses d’un intérêt quasi international. Certains ont le délire de la persécution ; d’autres préfèrent l’exhibitionnisme. C’est la voie choisie par M. Chevalier, qui se donne un mal inouï pour nous faire savoir qu’à son âge ça baisse terriblement et que l’intérêt porté à une chose aussi parcheminée n’est pas digne d’un homme bien équilibré.
Oh ! Maurice, oh ! Maurice, oh ! Maurice, oh !…
Pan-Mun-Jom
Chinoiserie a, en français, une signification qui s’applique assez exactement aux manigances qui ont lieu sous la tente historique dressée en ce petit village nord-coréen. Voici des mois et des mois que se réunissent là des militaires-diplomates chargés soi-disant de conclure un armistice précurseur de la paix tout court. Ils s’entretiennent, selon les jours, de vingt à soixante minutes, puis se retirent, chacun de leur côté, sans nous laisser l’impression – pas plus les uns que les autres – d’un désir réel d’aboutir. C’est un régime fort déplaisant de douche écossaise qui laisse pressentir un jour le règlement rapide du conflit, le lendemain la reprise immédiate des hostilités, et même leur extension. Guerre des nerfs qui a son bon côté pour certains, puisqu’elle permet les fructueux coups de Bourse, les hausses et baisses soudaines des matières premières, laissant de solides bénéfices dans l’escarcelle des trafiquants. Sans compter que cela donne de la copie à la presse mondiale, qui délègue là-bas, à grands frais des envoyés spéciaux. Quitte à parler de désarmement dans la colonne voisine.
Paris-City
Paris possède un préfet de police qui se veut à poigne. Son activité s’exerce sur divers plans. Côté manifestations, les lauriers du père Lépine et de Jean Chiappe l’empêchent de dormir. Pour la répression du banditisme, il innove. On doit avouer la chose, les exploits des Pierrot le fou, Émile Buisson et leurs émules laissent le public quelque peu sceptique sur le zèle policier. Et ce n’étaient point les affaires marseillaises qui rehaussaient le prestige de ces messieurs du Quai. Or le transfert récent de quelques millions confiés à des caissiers, dans la poche de particuliers n’y ayant point de droits sinon ceux qu’ils s’octroyaient, fit prendre la mouche à notre haut fonctionnaire. Si bien que l’autre jour les usagers du boulevard des Invalides purent assister à une représentation gratuite de Scarface ou de tout autre film de votre choix dans le plus pur style américain. Tout cela est fort gentil, et même distrayant, mais comme de part et d’autre on travaille à la mitraillette, un beau jour ce seront les passants qui feront les frais de la casse.
Vas-Ike
Les hommes politiques américains ne valent guère mieux que ceux des autres nations. Il y a parmi eux des combinards, des tripoteurs, quelques intègres égarés, et tout un « petit personnel », aussi avide que le gros, âprement jaloux de ses prébendes parce que moins à l’abri du besoin. Or le parti démocrate s’étant emparé du pouvoir depuis des années, les concurrents dénoncent à grand fracas les exactions de l’administration Truman. Simple lutte de places que les élections prochaines favorisent et dont l’enjeu suprême est la présidence des U.S.A. Les républicains opposeront sans doute au sortant – qui a montré la dernière fois ses qualités de manœuvrier – le général Eisenhower. C’est du solide, et ses chances sont grandes. Autant lui qu’un autre puisque, de toutes façons, la place ne restera pas vacante. Rappelons-lui en passant sa déclaration du 20 octobre 1950 : « Il est possible que ma haine de la guerre m’aveugle au point que je sois incapable de comprendre tous les arguments qu’on allègue, mais à mon avis une guerre préventive n’existe pas. Bien qu’on l’ait dit à plusieurs reprises, personne n’a encore expliqué comment la guerre pouvait empêcher la guerre. » En souhaitant que ces paroles-là ne se soient pas envolées.
Quand le Bâtiment va…
Avec le nouveau gouvernement nous revient M. Claudius-Petit et ses solutions personnelles au problème du logement. Les candidats locataires ont peine à croire que notre Excellence ne galège pas un peu lorsqu’il justifie le néant de ses initiatives.
C’est d’la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est d’la faute à Rousseau.
On connaît la chanson. Durant ce temps des journées d’études du logement se sont déroulées, le Conseil économique a estimé à 300 000 le nombre des logements à construire chaque année, les augures ont tenu des conférences de presse très à la mode – dans tous les milieux – de nos jours. Il eût été préférable d’empiler des briques enduites de mortier. Pourtant en Allemagne on a édifié 295 690 logements en 1950 et les services ad hoc estimaient à 350 000 ceux qui pourraient être livrés aux sans-logis en 1951. Le malheur de l’Allemagne réside dans le fait qu’elle n’a pas d’armée à entretenir, pas d’Indochine à défendre, pas d’armements à entasser dans les arsenaux. On comprend qu’elle tienne à ce malheur puisqu’il permet de loger ceux qui n’ont pas de toit. Il faut être Français pour avoir le bonheur de se payer des bombardiers dont le prix d’un seul d’entre eux suffit à faire construire une ferme avec douze maisons autour.
Tiens tiens !
Est-ce que les financiers deviendraient perspicaces en dehors de leurs trafics boursiers ? Ce peut n’être qu’un cas particulier, mais il mérite d’être signalé. À l’assemblée annuelle du conseil des gouverneurs de banques, M. Eugen Black, président d’un des établissements de crédit les plus importants du monde, a déclaré à ses collègues ce qui suit : « Aujourd’hui nous savons, plus clairement que jamais, ce qu’il advient lorsque des hommes vivent et sont traités comme des masses, comme des éléments de statistiques, comme des esclaves des classes privilégiées ou des instruments de l’État. Pendant toute notre vie, nous avons vu les peuples se déchaîner dans l’émeute et dans le carnage. Nous les avons vus hypnotisés, précipités dans des guerres d’auto-destruction. La menace que nous avons à affronter aujourd’hui ne réside pas dans l’obstination de quelques hommes, mais dans leur pouvoir de dominer les masses populaires, et d’exercer une attraction sur d’autres masses, qui pourraient être disposées à échanger une forme d’asservissement contre une autre. » Ce n’est tout de même pas banal. Pourtant ces gouverneurs de banques utilisent leurs capitaux dans le financement des entreprises d’armements. C’est le cas de le dire : qu’attendent-ils pour changer leur fusil d’épaule ?
[/