La Presse Anarchiste

Les échos de Mowgli

Infiltrations sous le rideau de fer

L’expulsion des Bri­tan­niques des raf­fi­ne­ries d’Abadan, en Iran, a empli le monde de tumulte et fait craindre les pires com­pli­ca­tions inter­na­tio­nales. Aujourd’hui les sol­dats de Sa Majes­té ont d’autres chats à fouet­ter, sans allu­sion à celui de Perse. Seule­ment, voi­là ! Le pétrole est un pro­duit dont on ne sau­rait se pas­ser à l’heure actuelle. Et la marine d’Elisabeth ii moins que tout autre. Il fal­lut avi­ser. Tout comme l’argent, l’or noir aurait-il per­du toute odeur ? Sans doute, puisque l’Anglo Ira­nian Oil CO a envoyé ses pétro­liers faire une croi­sière dans le port rou­main de Constan­za où ils prirent livrai­son de deux cent mille tonnes de mazout. A‑t-on sou­le­vé le rideau de fer un ins­tant pour mener à bien cette opé­ra­tion ? Nous ne sommes pas dans le secret des dieux, mais le fait est là. Petit mys­tère assez fami­lier, Com­merce et poli­tique savent faire bon ménage lorsque l’intérêt est en jeu. Donne-moi de ton pétrole, je te don­ne­rai de mon acier. Ce seront nos peuples qui trin­que­ront si la guerre a lieu. Et pour­quoi se gêner, puisqu’ils sont aveugles, sourds… et muets ?

Un homme sauvé des eaux

Fati­guée des hor­reurs habi­tuelles qui lui sont pro­di­guées, la foule vient de se pas­sion­ner pour un acte de cou­rage qui force le res­pect au pre­mier abord. Pris dans la tem­pête, – son bateau sérieu­se­ment endom­ma­gé, le capi­taine Carl­sen, « maître après Dieu » sur le « Flying Enter­prise », déci­da d’évacuer l’équipage et de res­ter seul à bord à affron­ter le dan­ger. Ce fut un vrai cal­vaire et cha­cun se sen­tit sou­la­gé lors­qu’il apprit que l’homme était sau­vé à l’instant même où le car­go s’engloutissait dans les flots. Pour­quoi faut-il que nous appre­nions aujourd’­hui que cette conduite héroïque revê­tait cer­tains aspects étranges ? On pou­vait pen­ser que Carl­sen se sacri­fiait à la tra­di­tion mari­time ou qu’il défen­dait, au péril de sa vie, les inté­rêts majeurs des arma­teurs. Or on sait à pré­sent que la car­gai­son se trou­vait en par­tie com­po­sée par du maté­riel de guerre de grande valeur des­ti­né aux moteurs à réac­tion. Il est ques­tion de colom­bite, mine­rai exces­si­ve­ment rare. Cela expli­que­rait les inci­dents rela­tifs au remor­quage qui eurent leur part de res­pon­sa­bi­li­té dans la perte du car­go. Il s’en est fal­lu de peu que la guerre froide fît une nou­velle victime.

Un autre est mort

Il était géné­ral. Il devint maré­chal en mou­rant. Mince com­pen­sa­tion. Durant une semaine la presse et la radio ont un peu abu­sé de ce fait divers. De source auto­ri­sée, nous tenons que cette mort est due à une mala­die orga­nique géné­ra­li­sée qui fait, hélas ! de plus en plus de vic­times et dont la science n’arrive point à décou­vrir la thé­ra­peu­tique. Ce point a été lais­sé volon­tai­re­ment dans l’ombre. Depuis son retour d’Indochine, les milieux infor­més ne se fai­saient aucune illu­sion sur l’état de san­té de M. de Lattre de Tas­si­gny, dont la dra­ma­tique issue était pré­vue. Les poli­ti­ciens moins que les autres. N’est-ce, pas, M. Letour­neau ? Aus­si esti­mons-nous ici que M. Georges Bidault se paye roya­le­ment la tête des contri­buables lorsque, dans son ordre du jour cocar­dier, il pro­clame que l’ex-haut com­mis­saire en Indo­chine a don­né sa vie au pays. Il est vrai que les­dits contri­buables seront invi­tés indi­vi­duel­le­ment à régler par l’impôt la fac­ture des obsèques natio­nales. Et dans ce cas il faut bien leur lais­ser au moins l’ombre d’une satisfaction.

Gris-gris

La sot­tise humaine est inson­dable. Ce n’est pas d’au­jourd’­hui que la chose est connue. S’appuyant sur cette cer­ti­tude, un libraire pari­sien du quar­tier Latin tra­fi­quait de gris-gris et autres effi­gies de Vich­nou pour s’enrichir aux dépens de noirs afri­cains assez naïfs pour atta­cher de l’importance à ces amu­lettes et leur attri­buer de fan­tai­sistes qua­li­tés. La com­bi­nai­son était assez bien mon­tée pour durer long­temps, sinon tou­jours. Mal­heu­reu­se­ment, à l’insu de l’astucieux libraire, une enquête était menée pour concur­rence déloyale par les pères – les bons Pères – de Braz­za­ville, qui voyaient dimi­nuer à vue d’œil le fruc­tueux com­merce de médailles pieuses. Le pot aux roses décou­vert, plainte fut por­tée, car il reste bien enten­du que la vente de gris-gris consti­tue une escro­que­rie, mais non point celle de médailles chré­tiennes. En der­nier res­sort la trei­zième chambre cor­rec­tion­nelle déci­de­ra. À la place de l’inculpé, nous dépo­se­rions une demande reconventionnelle.

Les précurseurs

Dans un numé­ro spé­cial de Contre-cou­rant, Louis Lou­vet don­nait l’année der­nière la pre­mière par­tie d’une étude sur les ori­gines de la pen­sée et de l’action liber­taire sous le titre : Aux sources de l’anarchie. Une seconde par­tie doit com­plé­ter ce pre­mier fas­ci­cule et for­mer un tout. Elle com­pren­dra la période allant de l’utopiste Tho­mas More à la Révo­lu­tion fran­çaise. Ce second numé­ro spé­cial est aux deux tiers com­po­sé chez l’imprimeur. L’auteur ter­mine les deux der­niers cha­pitres – rema­niés à la suite de la décou­verte de nou­veaux docu­ments – et met au point un troi­sième qui ne lui donne pas entière satis­fac­tion. La tâche se révèle plus longue et plus dif­fi­cul­tueuse qu’il n’avait paru de prime abord. Si la patience des lec­teurs est mise à l’épreuve, qu’ils aient la satis­fac­tion de savoir que le tra­vail pro­gresse, qu’il n’est pas bâclé et qu’ils en auront de bonnes nou­velles bientôt. 

Momo va fort !…

Lorsque nous par­lions tout à l’heure de sot­tise, nous n’avions pas lu la seconde mou­ture des Mémoires que M. Mau­rice Che­va­lier a lar­ge­ment dis­pen­sé dans un quo­ti­dien ves­pé­ral de Paris. Le célèbre fan­tai­siste tente, une fois de plus, d’en recu­ler les bornes. L’avantage dans l’affaire c’est que cette suite de lieux com­muns et de locu­tions tri­viales est stric­te­ment réser­vée aux lec­teurs du jour­nal en ques­tion puisque la repro­duc­tion, même par­tielle, en est inter­dite. Beau­coup des admi­ra­teurs de cette vedette ne sau­ront donc point que Momo a été tou­ché par la grâce et qu’il a été déçu par la messe de minuit, qu’il refuse ses lèvres aux jolies femmes, et qu’il consi­dère Pata­chon comme un être excep­tion­nel. Toutes choses d’un inté­rêt qua­si inter­na­tio­nal. Cer­tains ont le délire de la per­sé­cu­tion ; d’autres pré­fèrent l’exhibitionnisme. C’est la voie choi­sie par M. Che­va­lier, qui se donne un mal inouï pour nous faire savoir qu’à son âge ça baisse ter­ri­ble­ment et que l’intérêt por­té à une chose aus­si par­che­mi­née n’est pas digne d’un homme bien équilibré.

Oh ! Mau­rice, oh ! Mau­rice, oh ! Mau­rice, oh !…

Pan-Mun-Jom

Chi­noi­se­rie a, en fran­çais, une signi­fi­ca­tion qui s’applique assez exac­te­ment aux mani­gances qui ont lieu sous la tente his­to­rique dres­sée en ce petit vil­lage nord-coréen. Voi­ci des mois et des mois que se réunissent là des mili­taires-diplo­mates char­gés soi-disant de conclure un armis­tice pré­cur­seur de la paix tout court. Ils s’entretiennent, selon les jours, de vingt à soixante minutes, puis se retirent, cha­cun de leur côté, sans nous lais­ser l’impression – pas plus les uns que les autres – d’un désir réel d’aboutir. C’est un régime fort déplai­sant de douche écos­saise qui laisse pres­sen­tir un jour le règle­ment rapide du conflit, le len­de­main la reprise immé­diate des hos­ti­li­tés, et même leur exten­sion. Guerre des nerfs qui a son bon côté pour cer­tains, puis­qu’elle per­met les fruc­tueux coups de Bourse, les hausses et baisses sou­daines des matières pre­mières, lais­sant de solides béné­fices dans l’escarcelle des tra­fi­quants. Sans comp­ter que cela donne de la copie à la presse mon­diale, qui délègue là-bas, à grands frais des envoyés spé­ciaux. Quitte à par­ler de désar­me­ment dans la colonne voisine.

Paris-City

Paris pos­sède un pré­fet de police qui se veut à poigne. Son acti­vi­té s’exerce sur divers plans. Côté mani­fes­ta­tions, les lau­riers du père Lépine et de Jean Chiappe l’empêchent de dor­mir. Pour la répres­sion du ban­di­tisme, il innove. On doit avouer la chose, les exploits des Pier­rot le fou, Émile Buis­son et leurs émules laissent le public quelque peu scep­tique sur le zèle poli­cier. Et ce n’étaient point les affaires mar­seillaises qui rehaus­saient le pres­tige de ces mes­sieurs du Quai. Or le trans­fert récent de quelques mil­lions confiés à des cais­siers, dans la poche de par­ti­cu­liers n’y ayant point de droits sinon ceux qu’ils s’octroyaient, fit prendre la mouche à notre haut fonc­tion­naire. Si bien que l’autre jour les usa­gers du bou­le­vard des Inva­lides purent assis­ter à une repré­sen­ta­tion gra­tuite de Scar­face ou de tout autre film de votre choix dans le plus pur style amé­ri­cain. Tout cela est fort gen­til, et même dis­trayant, mais comme de part et d’autre on tra­vaille à la mitraillette, un beau jour ce seront les pas­sants qui feront les frais de la casse.

Vas-Ike

Les hommes poli­tiques amé­ri­cains ne valent guère mieux que ceux des autres nations. Il y a par­mi eux des com­bi­nards, des tri­po­teurs, quelques intègres éga­rés, et tout un « petit per­son­nel », aus­si avide que le gros, âpre­ment jaloux de ses pré­bendes parce que moins à l’abri du besoin. Or le par­ti démo­crate s’étant empa­ré du pou­voir depuis des années, les concur­rents dénoncent à grand fra­cas les exac­tions de l’administration Tru­man. Simple lutte de places que les élec­tions pro­chaines favo­risent et dont l’enjeu suprême est la pré­si­dence des U.S.A. Les répu­bli­cains oppo­se­ront sans doute au sor­tant – qui a mon­tré la der­nière fois ses qua­li­tés de manœu­vrier – le géné­ral Eisen­ho­wer. C’est du solide, et ses chances sont grandes. Autant lui qu’un autre puisque, de toutes façons, la place ne res­te­ra pas vacante. Rap­pe­lons-lui en pas­sant sa décla­ra­tion du 20 octobre 1950 : « Il est pos­sible que ma haine de la guerre m’aveugle au point que je sois inca­pable de com­prendre tous les argu­ments qu’on allègue, mais à mon avis une guerre pré­ven­tive n’existe pas. Bien qu’on l’ait dit à plu­sieurs reprises, per­sonne n’a encore expli­qué com­ment la guerre pou­vait empê­cher la guerre. » En sou­hai­tant que ces paroles-là ne se soient pas envolées.

Quand le Bâtiment va…

Avec le nou­veau gou­ver­ne­ment nous revient M. Clau­dius-Petit et ses solu­tions per­son­nelles au pro­blème du loge­ment. Les can­di­dats loca­taires ont peine à croire que notre Excel­lence ne galège pas un peu lors­qu’il jus­ti­fie le néant de ses initiatives.

Il est tom­bé par terre,
C’est d’la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est d’la faute à Rousseau.

On connaît la chan­son. Durant ce temps des jour­nées d’études du loge­ment se sont dérou­lées, le Conseil éco­no­mique a esti­mé à 300 000 le nombre des loge­ments à construire chaque année, les augures ont tenu des confé­rences de presse très à la mode – dans tous les milieux – de nos jours. Il eût été pré­fé­rable d’empiler des briques enduites de mor­tier. Pour­tant en Alle­magne on a édi­fié 295 690 loge­ments en 1950 et les ser­vices ad hoc esti­maient à 350 000 ceux qui pour­raient être livrés aux sans-logis en 1951. Le mal­heur de l’Allemagne réside dans le fait qu’elle n’a pas d’armée à entre­te­nir, pas d’Indochine à défendre, pas d’armements à entas­ser dans les arse­naux. On com­prend qu’elle tienne à ce mal­heur puisqu’il per­met de loger ceux qui n’ont pas de toit. Il faut être Fran­çais pour avoir le bon­heur de se payer des bom­bar­diers dont le prix d’un seul d’entre eux suf­fit à faire construire une ferme avec douze mai­sons autour.

Tiens tiens !

Est-ce que les finan­ciers devien­draient pers­pi­caces en dehors de leurs tra­fics bour­siers ? Ce peut n’être qu’un cas par­ti­cu­lier, mais il mérite d’être signa­lé. À l’assemblée annuelle du conseil des gou­ver­neurs de banques, M. Eugen Black, pré­sident d’un des éta­blis­se­ments de cré­dit les plus impor­tants du monde, a décla­ré à ses col­lègues ce qui suit : « Aujourd’hui nous savons, plus clai­re­ment que jamais, ce qu’il advient lorsque des hommes vivent et sont trai­tés comme des masses, comme des élé­ments de sta­tis­tiques, comme des esclaves des classes pri­vi­lé­giées ou des ins­tru­ments de l’État. Pen­dant toute notre vie, nous avons vu les peuples se déchaî­ner dans l’émeute et dans le car­nage. Nous les avons vus hyp­no­ti­sés, pré­ci­pi­tés dans des guerres d’auto-destruction. La menace que nous avons à affron­ter aujourd’hui ne réside pas dans l’obstination de quelques hommes, mais dans leur pou­voir de domi­ner les masses popu­laires, et d’exercer une attrac­tion sur d’autres masses, qui pour­raient être dis­po­sées à échan­ger une forme d’asservissement contre une autre. » Ce n’est tout de même pas banal. Pour­tant ces gou­ver­neurs de banques uti­lisent leurs capi­taux dans le finan­ce­ment des entre­prises d’armements. C’est le cas de le dire : qu’attendent-ils pour chan­ger leur fusil d’épaule ?

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