La Presse Anarchiste

Libertaires et pacifistes de Roumanie

Ceux qui lisent la presse liber­taire, anar­chiste ou paci­fiste, trouvent fré­quem­ment des articles signés par des cama­rades bul­gares et – après la seconde guerre mon­diale – de nom­breux docu­ments, appels et comptes ren­dus concer­nant la féroce répres­sion diri­gée par le nou­veau régime tota­li­taire contre les divers mou­ve­ments liber­taires de Bulgarie.

Dans ce pays, toutes les concep­tions anti­au­to­ri­taires, depuis l’anarchisme indi­vi­dua­liste jus­qu’au tol­stoïsme, du paci­fisme inté­gral à l’éthique végé­ta­rienne, trouvent des mil­liers de com­bat­tants fidèles. Aujourd’­hui, mal­gré leur mar­tyre, ils affrontent la tyran­nie d’un État pro­cla­mé au nom de la « dic­ta­ture pro­lé­ta­rienne et paysanne ».

Leurs cris de révolte, leur refus d’accepter le joug d’un par­ti mili­ta­ri­sé, leur action sou­ter­raine per­sé­vé­rante ont gagné la sym­pa­thie des consciences libres des autres pays, la soli­da­ri­té active de leurs cama­rades d’Europe et d’Amérique.

On ne peut pas en dire autant de la Rou­ma­nie, sépa­rée de la Bul­ga­rie par les eaux du bleu Danube. La situa­tion sociale et poli­tique est la même, comme dans les autres « pays satel­lites » dénom­més « répu­bliques popu­laires ». Le même régime y sévit, les mêmes « révo­lu­tions » diri­gées, la même oppres­sion poli­cière. S’il y a une oppo­si­tion en Rou­ma­nie elle est plu­tôt le fait d’éléments réac­tion­naires. Nous devons le dire fran­che­ment : il n’y a pas une résis­tance active des liber­taires comme en Bul­ga­rie. Leurs grou­pe­ments ne furent jamais déve­lop­pés au même degré, dans ce pays consi­dé­ré comme latin et qui est main­te­nant sub­mer­gé par les vagues du sla­visme « libérateur ».

Le mou­ve­ment était en Rou­ma­nie plu­tôt à l’état embryon­naire. Indi­vi­duel­le­ment on pou­vait comp­ter des liber­taires de toutes nuances, des lec­teurs assi­dus de revues et de livres qui leur par­ve­naient sur­tout de France. Bon nombre de ces liber­taires « de jeu­nesse » sont deve­nus « sages » ou « pra­tiques » vers leur âge mûr, mili­tant dans les cadres d’un par­ti quel­conque qui leur assu­rait sinon une situa­tion enviable, du moins leur pitance.

Je ne veux rien exa­gé­rer. Dans cette étude je n’expose pas les condi­tions de la vie sociale et poli­tique de la Rou­ma­nie, mais je donne seule­ment quelques pré­ci­sions sur les hommes qui ont été consi­dé­rés comme liber­taires ou anar­chistes dans ce pays.

L’Adu­na­ta dei Refrat­ta­ri a repro­duit, dans son numé­ro du 29 jan­vier 1949, les décla­ra­tions d’un jeune anar­chiste rou­main faites à Uma­ni­ta nova. Cette « voix » de Rou­ma­nie est la seule que j’aie enten­due depuis de longues années. Le jeune homme, qui s’est échap­pé de la tyran­nie bol­che­vique, connaît main­te­nant un peu de liber­té dans… un camp de concen­tra­tion ita­lien. Il nous dit dif­fé­rentes choses sur la situa­tion en Rou­ma­nie, mais trop peu sur l’activité des liber­taires de ce pays. Je vais essayer moi-même de le faire, de mémoire, car j’ai aban­don­né là-bas ma biblio­thèque et mes archives.

Les idées anar­chistes ont cir­cu­lé en Rou­ma­nie durant la seconde moi­tié du xixe siècle grâce aux réfu­giés russes et bul­gares qui y avaient trou­vé asile et qui sont par­tis ensuite vers l’Occident. Des adeptes de Bakou­nine ont pas­sé la fron­tière rou­maine, de même que d’autres révo­lu­tion­naires russes per­sé­cu­tés par le tza­risme. Un de ces der­niers est deve­nu le prin­ci­pal théo­ri­cien du socia­lisme rou­main sous le nom de C. Dobro­gea­nu-Ghe­rea. Mais les par­ti­sans de Bakou­nine ou de Kro­pot­kine n’ont pas lais­sé de traces pro­fondes. Ce sont plu­tôt les réfu­giés bul­gares par­mi les­quels on compte le grand poète révo­lu­tion­naire Chris­to Bot­ter (vers 1870 – 80) – qui ont conti­nué à Buca­rest, à Brans et autres villes danu­biennes leur action pour la libé­ra­tion de la Bul­ga­rie de la ser­vi­tude turque. On recon­naît les traces de l’hospitalité que ces pros­crits ont trou­vée en Rou­ma­nie car leur influence dans ce pays fut celle de l’exemple : indi­recte ou indi­vi­duelle. De même que celle des Ita­liens, tou­chés par les idées d’Enrico Mala­tes­ta, qui venaient tra­vailler comme maçons ou comme mar­briers. Mais c’est par­mi les intel­lec­tuels qu’il faut cher­cher des lec­teurs plus com­pré­hen­sifs des écrits anar­chistes et sur­tout par­mi les étudiants.

Pour indi­quer une action, même spo­ra­dique, dans le sens qui nous inté­resse ici, il faut remon­ter plus loin, jusque par­mi les jeunes révo­lu­tion­naires rou­mains de 1848 qui, après leur retour de Paris, ont essayé de chan­ger quelque chose à la struc­ture sociale du pays. Un seul par­mi eux, Dia­mant, a réus­si à appli­quer les idées de Fou­rier en réa­li­sant sur le domaine d’un boyard une com­mune agri­cole connue sous le nom de Pha­lan­stère de Scaïe­ni. Ce fut un suc­cès, mais de brève durée. L’exemple étant trop conta­gieux, la com­mune libre fut détruite par les lati­fun­diaires alertés.

[/​Eugen Rel­gis/​]

(à suivre)

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