La Presse Anarchiste

On décore, on décore…

Depuis quelques temps on décore les anars comme n’importe qui. Pour­quoi pas ?

Après avoir « cra­ché » sur tous les « hochets » et mis en boite tous les por­teurs de petits rubans… on est à son tour tou­ché par la grâce…

Un beau jour, dans un com­mu­ni­qué de presse„ on trouve entre un jour­na­liste nom­mé « com­man­deur » et un mar­chand de nou­gat nom­mé « che­va­lier » un autre gagnant : Alzir Hella.

Ohé ! les jyines, ce nom ne vous dit pas grand-chose ! Mais nous qui avons un peu de « bou­teille », nous nous sou­ve­nons du stir­né­rien, anar­chiste individualiste.

Mon vieux Alzir, les « carottes » sont cuites pour toi, te voi­là clas­sé par­mi les « flaou­gnards », qua­li­fi­ca­tif que décer­na naguère La Fou­char­dière à Gas­sier qui fêtait, lui aus­si, son ruban rouge. Comme on vieillit !

Un bon cama­rade m’a déjà dit : « Qu’est-ce que cela peut te faire ? » Oui, bien sûr…

Cela me fait d’abord rire et ensuite cela me dégoûte, car ce serait vrai­ment facile alors !

Jusqu’à la qua­ran­taine on casse tout, on est un non-confor­miste cent pour cent, anar­chiste inté­gral, et tout et tout… On trempe sa plume dans le vitriol et en avant la musique ! Les héré­tiques n’ont qu’à bien se tenir et on s’écrie, la main sur le cœur, comme Hen­ri Fabre : « À vingt ans, qui n’a pas été anar­chiste ! » Ou comme l’écrivait Tail­hade : « Qu’importe une vague huma­ni­té si le geste est beau ! »

La qua­ran­taine pas­sée, on pense à son ave­nir, on devient sage, on n’accorde plus aux mots la même valeur. Cer­tains misent sur l’Académie, d’autres sur la Mai­son de Nanterre.

Jean Riche­pin, après avoir écrit Le Che­mi­neau et chan­té les gueux, endos­sa l’habit vert avec facilité.

Paul Adam ne fut-il pas l’auteur d’un papier : « Un saint nous est né », par­lant de Rava­chol ? Mau­rice Bar­rès, lui-même, n’a‑t-il pas flir­té avec la lit­té­ra­ture anar­chi­sante de son époque ?

On est libre, bien sûr ! à condi­tion de savoir prendre la res­pon­sa­bi­li­té de ce que l’on écrit. Sans cette garan­tie, on peut aller très loin dans le domaine du reniement.

Sou­ve­nons-nous de Gus­tave Her­vé, pré­co­ni­sant dans « La Guerre sociale » : l’antimilitarisme, l’antipatriotisme, le « dra­peau dans le fumier », etc. Puis, un jour, reniant tout son pas­sé, en 1914, écri­vant qu’il fal­lait aimer l’armée et saluer son dra­peau. Avouons que le sol­dat Chau­se­lat, d’un régi­ment de Mâcon, qui mit en appli­ca­tion ce que Gus­tave Her­vé avait pré­co­ni­sé : « le dra­peau dans le fumier », et qui récol­ta pour cela deux années d’emprisonnement, avouons, dis-je, que s’il était allé « bot­ter les fesses » de celui qui l’avait inci­té à accom­plir son geste, il aurait cer­tai­ne­ment bien fait.

Quand je ren­contre un anar en uni­forme laval­lière noire et large cha­peau – affu­blé du « ruban rouge », tout comme Marthe Richard ou un ban­quier véreux, j’ai une folle envie de rigo­ler et je songe à Liber­tad et à la réac­tion qu’il aurait eue s’il s’était trou­vé brus­que­ment en face d’un de ses anciens dis­ciples por­teur dudit ruban ain­si qu’à l’usage qu’il aurait fait de ses deux cannes en la circonstance.

Amis anar­chistes, lais­sez donc les déco­ra­tions aux vani­teux que sont les hommes en géné­ral. On peut vivre cou­ra­geu­se­ment sans être affu­blé de l’ordre napo­léo­nien, parce que d’abord cela ne prouve rien et qu’ensuite cela ne peut que dimi­nuer la valeur de tout ce qu’on a pu faire de noble dans le passé.

La foule peut faire toutes les bêtises, mais il y a des hommes qui, hon­nê­te­ment, n’ont pas le droit de faire comme tout le monde.

[/​Pierre Le Meillour./​]

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