La Presse Anarchiste

Problème de l’école ? Non ! Stratégie de réaction sociale.

Au regard d’un esprit liber­taire, l’école laïque d’État n’est pas neutre en tout point. Elle ne cultive pas le sens cri­tique de l’enfant jusqu’à lui per­mettre de deve­nir un citoyen par­fai­te­ment conscient des pali­no­dies du per­son­nel poli­tique et des abus du pou­voir réel dis­si­mu­lé en cou­lisse. Mais c’est là un pro­blème qui relève de la réor­ga­ni­sa­tion de tout l’enseignement et est lié à l’évolution sociale.

Le pro­blème « actuel » se pose autre­ment. L’Église et ses alliés ne se plaignent pas de cette fausse neu­tra­li­té. Dans la mesure où ils ne peuvent évi­ter l’existence d’une école publique, ils la pré­fèrent confor­miste. Ce qu’ils veulent, c’est par­ve­nir à offi­cia­li­ser un ensei­gne­ment confes­sion­nel, concur­ren­cer ain­si une école qui a le tort de ne pas faire la pro­pa­gande du bon Dieu et de ne pas ensei­gner le caté­chisme des devoirs du pauvre qui en découle.

L’Église se veut pré­do­mi­nante sur les esprits pour l’être dans l’ordre pro­fi­table du social et du poli­tique. Tout ce qui est conser­va­teur lui est allié parce qu’il est plus facile d’endormir un peuple quand il a, dès l’enfance, été entraî­né à l’absorption mas­sive d’absurdités maquillées en spiritualité.

La loi Baran­gé, éla­bo­rée au nom de la Jus­tice, de l’Égalité, de la Liber­té, de la Conscience, de la Reli­gion et autres enti­tés pour la plu­part astu­cieu­se­ment emprun­tées par les emmer­pés au voca­bu­laire ratio­na­liste, a été rédi­gée avec un soin extrême pour que pas une seule de ces réfé­rences ne nuise à son objet véri­table. Ce n’est pas une loi, c’est une traite usu­raire tirée sur les liber­tés démo­cra­tiques par le conser­va­tisme social. C’est pour­quoi le slo­gan de la laï­ci­té, pré­ten­du péri­mé depuis que Léon Blum a sub­ti­le­ment enva­sé le socia­lisme, est rede­ve­nu le test des posi­tions politiques.

Les preuves sont évidentes :

Reli­gion ? Deman­dons aux « indé­pen­dants » et aux « pay­sans » pour­vus ce qu’ils font de la fra­ter­ni­té chré­tienne et du dédain des richesses. Deman­dons aux curés s’il n’est pas vrai que leur pro­pa­gande fut plus libre et plus effi­cace depuis que l’État n’appointe ni ne contrôle les évêques. Mais cela se passe sur­tout dans l’ordre spi­ri­tuel et est moins ren­table que la dévo­tion aux Fran­co et autres Pétain.

Conscience ? N’est-ce pas à l’école confes­sion­nelle qu’une pres­sion est faite sur l’enfant inca­pable de dis­cri­mi­ner une démons­tra­tion ration­nelle d’une logis­tique aux don­nées incon­trô­lables ? La loi de laï­ci­té ne pré­voit-elle pas le res­pect des opi­nions et ne réserve-t-elle pas expres­sé­ment le jeu­di à l’enseignement religieux ?

Liber­té ? À l’astuce jésui­tique des emmer­pés : « Une liber­té ne vaut que si elle a les moyens (finan­ciers) de s’exercer », Deixonne a répli­qué per­ti­nem­ment qu’à ce compte la liber­té de la presse exige que le Bud­get comble le défi­cit des journaux.

Éga­li­té ? Pour qu’elle fût réelle, il fau­drait qu’au lieu de sub­ven­tion­ner les écoles de sec­ta­risme on sup­pri­mât les classes pri­maires des lycées et des col­lèges et que, tous les enfants fré­quen­tant une seule et même école, y apprissent, dans l’égalité, à se déga­ger des pré­ju­gés de caste.

Et où est la Jus­tice dans la loi Baran­gé ? En face de l’école ten­dan­cieuse sub­ven­tion­née, l’école publique « doit » res­ter neutre. Que fait-on dès lors du droit des autres familles d’esprit à l’enseignement de leurs vues par­ti­cu­lières ? Va-t-on leur ouvrir des écoles ?

Ah ! pas du tout. La jus­tice de Dieu est très spé­ciale. Les conser­va­teurs sociaux baran­gistes crai­gnaient, si bien que d’autres (les com­mu­nistes par exemple) ouvrissent à leur tour des écoles « libres » qu’ils ont spé­ci­fié que nulle sub­ven­tion ne serait attri­buée à une école ouverte après la pro­mul­ga­tion de leur loi. Puis ils ont mis le sceau de leur hypo­cri­sie sur l’article tou­chant le droit des parents à choi­sir leur école en déci­dant qu’en aucun cas l’allocation sco­laire ne serait ver­sée aux­dits parents. Les unes sont mises à la dis­po­si­tion des conseils géné­raux et les autres sont ver­sées aux asso­cia­tions « confes­sion­nelles » de parents d’élèves, c’est-à-dire, pra­ti­que­ment, aux évêques célibataires.

La loi Baran­gé n’est qu’un com­men­ce­ment. Si on laisse faire, voi­ci à quoi doit abou­tir la-jus­tice-par-l’é­ga­li­té-dans-la-liber­té-des-consciences selon ces mes­sieurs prêtres.

L’école laïque enseigne des mil­liers d’enfants de catho­liques. Si leur conscience n’était pas ména­gée avec soin, cela ferait du bruit. On peut à cet égard faire confiance à ces mes­sieurs-dames des patro­nages et des vigi­lantes sacris­ties. Or si dans un vil­lage (dans l’Ouest, par exemple), après que l’école confes­sion­nelle aurait été offi­cia­li­sée comme on le veut, l’école publique soi­gneu­se­ment boy­cot­tée devait fer­mer ses portes parce qu’elle n’aurait que deux ou trois élèves, que devien­drait la conscience de ces trois gosses obli­gés de subir l’enseignement reli­gieux de la seule école à leur dis­po­si­tion ? N’a‑t-on pas déjà ten­té cette opé­ra­tion sous la conduite de maires clé­ri­caux il n’y a guère ? Voi­là com­ment la jus­tice conçue selon les direc­tives du vieil Ita­lien fas­ci­sant qui règne au Vati­can va ral­lu­mer, comme diraient les radi­caux, « la guerre aux vil­lages de France ».

La posi­tion des laïques n’est-elle pas plus équi­table qui s’énonce sim­ple­ment en une phrase : « L’argent de tous pour les seules écoles ouvertes à tous » ?

Mais, répé­tons-le, il s’agit bien moins de reli­gion en cette affaire que de l’un des aspects de la réac­tion sociale, et cela vaut qu’on y prenne garde.

[/Ch.-Aug. Bon­temps./​]

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