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Le manque d’espace nous oblige malheureusement à renvoyer au prochain supplément la réponse de Manuel Devaldès à une enquête de « l’en-dehors » consacrée à la façon dont la question sexuelle est envisagée dans les milieux dits « avancés », et à la thèse de la « camaraderie amoureuse ». On trouvera ci-après quelques remarques de Sylvain. Bonmariage qui auraient, nous en sommes certain, retenu l’attention de notre regretté collaborateur.
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…L’homme au naturel s’entre-tue : Les fauves dans la jungle se repaissent des gazelles. Mais deux tigres ne s’attaquent pas. Allez dans la forêt. Elle respire la haine. Un arbre prolonge ses racines dans le sol où le voisin tient les siennes pour lui voler ses eaux et ses sels. Mais, le voisin n’a que le souci de grimper plus vite que le premier et d’épanouir ses cimes afin de lui voler sa lumière. L’arbre le plus féroce est le cèdre : tout arbre planté dans un cercle d’un rayon de moins de huit mètres de son tronc dépérit et finit par mourir.
Je me trouvais récemment au Muséum d’Histoire naturelle avec l’un de mes amis, ichtyologue fameux, M. Pelgrin. Il a pour mission actuelle d’aleviner certains cours d’eau, certains lacs. Il m’expliqua que la difficulté était alimentaire. Un brochet, une fois atteints deux mois et demi, mange chaque jour son poids de menu fretin. Il en est de même à peu près pour le meunier, la truite et la perche. L’anguille est un peu moins vorace. Conclusion : Si l’on alevine en carpes, en gardons, en brèmes, en tanches, en barbillons, un étang ou un cours d’eau, soixante pour cent de l’alevinage est dévoré. Le saumon et l’alose sont des carnassiers non moins formidables, mais ils s’attaquent surtout à l’ablette et au goujon. Pendant que 60 % des alevins sont dévorés, les autres grandissent. Ils se dévorent entre eux. Un brochet de deux mois est apte à absorber une tanche du même âge.
M. Pelgrin en était là de sa démonstration et allait m’initier aux délices de la vie sous-marine, lorsque vint à nous un autre professeur, dont le nom m’échappe, qui est, lui, un ornithologue. Il me dit, après les présentations d’usage : « On parle de la férocité du tigre, du puma, de l’hyène. Elle n’est absolument rien, toutes proportions gardées, auprès de celle des moineaux et des pigeons qui encombrent les squares de Paris. Un tigre ne s’attaque jamais à un tigre ni à une tigresse. Un moineau ou un pigeon ont des duels d’une cruauté dont vous ne vous doutez pas, et souvent pour un grain de maïs. Rien ne me fait plus rire que d’entendre traiter de pigeons deux amoureux, sauf bien entendu si le symbole s’étend à leur vie intime. Dès lors je suis édifié. » Et il me raconta, dans son détachement scientifique, des scènes atroces dont je vous fais grâce.
Maeterlinck a glorifié le travail des abeilles et des termites qui lui offrent, comme jadis à Péguy la caserne, un spectacle anticipateur de la cité future. Il a évité de nous faire le tableau, comme John Huxel, l’entomologiste anglais, d’un combat entre les termites et les monstres que sont les fourmis gigantesques, dites fourmis rouges. Il intitule gentiment son article, dans la « Saturday Review » : De la haine dans la nature.
[/Sylvain
Extrait de la conférence donnée le 29 janvier 1956 aux « Amis d’E. Armand »/].