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Dans « l’ère nouvelle » de fin janvier 1911, sous le titre de
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À la question : « L’athée a‑t-il le droit d’empêcher sa femme d’aller à l’église ? » je réponds : « Non ».
Si je ne le lui concède-pas, je lui reconnais par contre le droit (je suis tenté de dire le devoir ; – devoir envers lui-même – et envers sa femme, du fait même de sa tolérance) de chercher, avec tact et bonté, à libérer sa compagne de croyances qui lui interdisent d’être elle-même et la privent d’un autre et plus vaste bonheur que celui qu’elles peuvent lui donner. Car le questionnaire de l’ère nouvelle dit de ces croyances qu’elles « la rendent intérieurement heureuse ». Oui, ce bonheur tout fait (et d’ailleurs négatif, puisque sa base est la résignation), elle l’éprouvera, – peut-être, – mais à condition qu’elle observe le « devoir » mensonger que lui impose l’église, précisément pour entraver la libre expansion de sa personnalité, où réside virtuellement son bonheur.
Si la tolérance est recommandable à l’homme athée envers sa femme catholique, – pourvu toutefois que celle-ci ne désorganise pas la vie de son compagnon, auquel cas la rupture s’impose, – il en va tout autrement lorsque l’éducation de l’enfant est en cause. La tolérance – capitulation, en réalité – devient en ce cas lâche et criminelle :
Mais qu’on ne vienne pas dissimuler l’intolérance ici nécessaire sous le masque d’une illusoire conciliation, impossible entre l’athée et la catholique : il n’est pas de mensonge, si richement paré soit-il, qui vaille la vérité nue.
Selon le dogme, un individu n’est catholique que s’il a reçu le baptême, condition de son salut, lequel doit être assuré à tout instant en prévision de la mort. Pour la même raison, il doit communier et par conséquent être catéchisé. Il doit, en un mot, et ses parents doivent à son égard faire acte de catholiques, faute de quoi les châtiments que l’on sait attendent enfant et parents après la mort. Il ne peut donc s’agir, pour une dévote catholique, d’attendre « l’âge de raison », où l’enfant devenu homme pourrait se faire – et ne se ferait pas – catholique. C’est dès la naissance de l’enfant que la question se pose et doit être résolue. Or, elle est insoluble par des moyens de conciliation, parce que la prétention athée et la prétention catholique sont absolument inconciliables.
Parce qu’il est, en fait, le seul maître de la génération, l’homme, lorsqu’il appelle un enfant à la vie, contracte envers lui un engagement où il a tous les devoirs, notamment celui de l’éduquer selon la conception qu’il juge la meilleure pour qu’il devienne un homme. S’il est athée, il doit l’élever dans l’athéisme et tout obstacle apporté par autrui à cette tâche doit être par lui impitoyablement écarté. C’est dire qu’aucune considération sentimentale ne doit le détourner de l’accomplissement du devoir qu’il a librement contracté : s’il y faut il commet une lâcheté envers lui-même et un crime sur son enfant qui sera en état d’infériorité dans la lutte pour la vie.
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