[(Notre ami et collaborateur Robert Jospin nous donne ici un premier article sur le problème de l’enfance dite coupable. Directeur du Centre régional d’observation pour jeunes gens inadaptés, il nous paraît particulièrement qualifié pour fournir d nos lecteurs une documentation compétente et utile.)]
Le problème, dont l’importance est allée croissant depuis le début du siècle, a pris après la deuxième guerre mondiale une allure d’exceptionnelle gravité.
Ces derniers temps, 40 000 jeunes, de 14 à 18 ans – dont près de 10 000 pour la seule région parisienne – passaient chaque année, en France, devant les tribunaux pour enfants et adolescents.
Ce chiffre a quelque peu baissé depuis 1945, mais il est encore considérable.
Ce n’est pas, d’ailleurs, l’un des moindres méfaits dus à la guerre ! Les repliements familiaux ou administratifs d’enfants – et leurs conséquences : abandon moral ou oisiveté entretenue – le relâchement des disciplines familiales par l’éloignement du chef de famille, la violence célébrée comme une vertu, l’exemple pourrisseur du marché noir, pour s’en tenir aux faits essentiels, expliquent l’affaissement moral d’une jeunesse déjà mal préparée aux résistances nécessaires.
Quoi qu’il en soit, la question ne peut laisser indifférent quiconque aime l’homme et croit à son avenir.
Problème humain, problème social, dont on mesurera l’importance lorsque nous affirmerons que les statistiques les plus optimistes disent qu’il existe actuellement, en France, plus de 300 000 mineurs inadaptés aux conditions de la vie sociale actuelle.
À dessein nous avons dit « inadaptés ».
Sauf cas particuliers, relativement rares, il n’y a pas d’enfance coupable. Il n’y a qu’une enfance malheureuse parce qu’abandonnée, ou malade – qu’il convient de traiter et de guérir.
Ce sont, le plus souvent, des enfants injustement traités par la société, au sein desquels on trouve, cependant, de « petits criminels en herbe », qui défient toute médecine mentale ou pédagogique.
Reconnaître les uns des autres, réadapter les uns, mettre les autres hors d’état de nuire par une ségrégation judicieuse mais humaine, tel est le problème à résoudre.
Enfants instables ou émotifs, influençables ou déficients, enfants paresseux ou apathiques, hâbleurs ou égocentristes, enfants cruels ou pervers légers, à l’hérédité lourde et complexe, les voilà campés tous, ou à peu près, devant nous.
Quel est le but à atteindre ?
Il faut d’abord comprendre, ensuite guérir ou rééduquer ; enfin reclasser dans la vie du travail et dans la vie sociale.
Or, les exemples, remarquables, de la Belgique et de la Suisse sont concluants : 70 % des victimes de leur milieu social ou familial, de leur éducation première, de leur ascendance peuvent être sauvés.
Une telle tâche, dont le développement dépasse le cadre d’un seul article, requiert le concours du médecin, de l’assistante sociale, du psychologue, de l’orienteur professionnel, du magistrat, de l’éducateur, chacun apportant ses matériaux : son observation, ses avis, sa méthode.
Coordination nécessaire qui seule permet les solutions satisfaisantes et salvatrices.
Effort de synthèse aussi.
Il a été dit justement : « Le problème de l’enfance coupable n’est pas une question de délit, c’est un problème de délinquant. »
Formule magnifique et vraie : ce qui importe, ce n’est pas la faute, c’est le fautif, ce n’est pas le fait, c’est l’homme.
En conséquence et pour nous résumer, en premier lieu : dépister l’enfant en danger moral.
Des assistantes sociales spécialisées rechercheront les enfants moralement abandonnés, maltraités, malades, vagabonds. Procéderont à une enquête sur l’enfant, son milieu (familial, scolaire, professionnel). Guideront les parents dans leur mission éducatrice, soit par des conseils judicieux, soit en faisant prendre des mesures plus sévères de retrait de garde, provisoire ou non.
Ensuite, pour l’enfant séparé des siens, l’observer en centre d’accueil.
Seule, en effet, une observation prolongée de l’enfant vivant et agissant aussi librement que possible, soumis à des épreuves dont le sens et l’importance lui sont révélés, offre le plus de garantie, aussi bien pour aider le jugement du magistrat que pour rendre efficaces les mesures prises.
Enfin, et pour parachever l’édifice en quelque sorte, ouvrir des établissements de traitement et de rééducation dignes de ce nom.
Il nous apparaît ici nécessaire que chaque région possède très rapidement l’ensemble de ces établissements correspondant aux diverses catégories dans lesquelles on peut classer les enfants en danger moral.
C’est une erreur funeste, en effet, de grouper sans distinction tous les enfants moralement abandonnés.
Il y a une délinquance occasionnelle et une délinquance motivée, des délinquants normaux et des délinquants anormaux, des enfants tarés et des êtres demeurés sains malgré le milieu ou l’égarement passager. Les mêler inconsidérément, c’est renoncer à les sauver.
Ensuite, ce qui ne doit jamais être perdu de vue, c’est la réadaptation au métier et au milieu social libre. Il ne s’agit pas, par un placement autoritaire, de se mettre à l’abri des méfaits de l’adolescent, il s’agit de lui restituer sa raison de vivre utilement.
Telle est l’une des tâches essentielles de notre époque. Souhaitons qu’elle n’y faillisse pas.
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