La Presse Anarchiste

Une lettre de Bontemps

[/Paris, le 10 févri­er 1949./]

Mon cher Lecoin,

Je pen­sais faire un papi­er en réponse à ton plaidoy­er en faveur des col­lab­o­ra­teurs. Après avoir lu ta réplique à Lau­mière, qui m’avait devancé, je me suis con­va­in­cu, après y avoir bien réfléchi, que ce serait inutile. On ne peut suiv­re une polémique de cet ordre dans une revue mensuelle.

Je ne t’envoie donc pas de copie, car, bien qu’en principe les rédac­teurs de ta revue n’engagent qu’eux-mêmes, il en va dif­férem­ment des arti­cles du directeur sur un sujet de cette impor­tance. Mes fonc­tions de respon­s­abil­ité en tant que secré­taire général de la Ligue con­tre le Racisme et l’Antisémitisme (L.I.C.A.) et de rédac­teur du Droit de Vivre sont incom­pat­i­bles avec ta posi­tion et je ne pour­rais, en con­science, me jus­ti­fi­er de te con­tin­uer ma col­lab­o­ra­tion après ton sec­ond arti­cle. Le fait a échap­pé jusqu’i­ci à mes cama­rades du Comité cen­tral, mais je n’ai pas à atten­dre une remar­que pour pren­dre une déci­sion con­forme à la fois à mes oblig­a­tions morales et à mon pro­pre sentiment.

Je le regrette vive­ment, car je m’étais assez attaché à ta revue pour te don­ner un papi­er chaque mois, bien que je n’en eusse guère le temps. J’espère qu’une évo­lu­tion des cir­con­stances ou un fait nou­veau mod­i­fieront la sit­u­a­tion ain­si créée et que je pour­rai repren­dre ma col­lab­o­ra­tion. Je le désire sincère­ment, Défense de l’Homme comblant cer­taine­ment une lacune. Mal­heureuse­ment, dans les con­jonc­tures actuelles, toute action publique s’accomplit sur la corde raide et il est des points comme celui-ci qu’on ne peut franchir. Pour­tant, crois-le bien, je ne suis pas au nom­bre des extrémistes et j’ai, tant sur les excès d’une cer­taine « résis­tance » que sur les juge­ments ren­dus par les cours d’exception, une opin­ion tout à fait mit­igée. Mais les abus des uns ne sauraient en aucune façon inno­cen­ter les autres, surtout quand je les vois con­tin­uer de plus belle à mesure qu’ils repren­nent une place dans la presse.

Dans la bataille où je suis engagé avec mes amis, il ne m’est pas per­mis de plan­er et de me prêter à une méta­physique du sentiment.

Bien ami­cale­ment à toi.

[/Ch.-Aug. Bon­temps./]

Notre réponse

Le « directeur », qui se mon­tre aus­si large que pos­si­ble et qui insère par­fois des écrits dont il n’approuve pas tou­jours com­plète­ment la teneur, aimerait que les rédac­teurs lui lais­sent au moins la même lib­erté qu’il leur accorde.

L’amnistie générale sera bien votée un jour, ne serait-ce que pour blanchir les gou­ver­nants du moment et leur éviter la prison. Alors, tu nous revien­dras, mon cher Bon­temps, après nous avoir puni inutile­ment et à tort pour nous être affir­mé moins impi­toy­able que la plu­part de nos conci­toyens, et plus clairvoyant.