La Presse Anarchiste

Le « pourrissoir » au conseil de guerre

Honnêtes gens.

L’en­sei­gne­ment le plus évident, qui se dégage de cette triste affaire, c’est le néant de cette hon­nê­te­té bour­geoise dont sont férus les mora­listes en redin­gote à la Jules Simon.

Voi­ci un séna­teur, homme una­ni­me­ment res­pec­té du « com­mun » que l’ins­truc­tion et les débats montrent pour le moins comme un escroc assez dépour­vu de scru­pule. Voi­ci Lenoir, fils de Lenoir, type que Bal­zac n’au­rait point osé conce­voir, canaille énorme auprès de qui Isi­dore Lechat est un petit niais ; et sa sainte femme de mère qui pro­digue, épis­to­lai­re­ment à son fils des conseils étranges.

Quand on se sou­vient que le père Lenoir fut avec Rap­pa­lo­vitch le prin­ci­pal dis­tri­bu­teur de la publi­ci­té finan­cière des emprunts russes, des emprunts de l’al­liance cri­mi­nelle avec le tza­risme, on se dit que les mil­lions du père Lenoir sont des mil­lions san­glants, et auprès du crime de les pos­sé­der, com­bien paraissent sans inté­rêt les actes pour les­quels les accu­sés ont à subir la jus­tice des gens d’armes.

Et dans l’ombre des sil­houettes d’hon­nêtes gens indis­cu­tables passent, des noms sont cités, tou­jours des noms d’hon­nêtes gens ! Il y a des magis­trats — intègres natu­rel­le­ment — il y a même le pré­sident de la Répu­blique !… Ah ! ces hon­nêtes gens quand ils s’en mêlent !…

Pour­quoi te bas-tu ? ont deman­dé bien des voix durant le mas­sacre euro­péen. La lec­ture des débats du 13e conseil de guerre répond élo­quem­ment à. cette ques­tion… Nous n’in­sis­te­rons pas.

Relations mondaines.

C’est dans le Cri de Paris (6 avril) que nous cueillons cet échos du procès :

On a par­lé de beau­coup de femmes qui furent suc­ces­si­ve­ment les amies de Pierre Lenoir ; on n’a pas rap­pe­lé qu’il était marié légi­ti­me­ment et père de famille.

Son mariage, qui se ter­mi­na rapi­de­ment par un divorce, fut célé­bré le 18 mars 1908 ; Pierre Lenoir n’a­vait pas tout à fait 23 ans.

Ses témoins étaient son oncle, M. Marius Mar­teau, 59 ans, sous-direc­teur des agences dépar­te­men­tales du Cré­dit Lyon­nais, et M, Michel Cle­men­ceau, 34 ans, ingé­nieur civil, à Paris, rue de la Tour, 25.

Pierre Lenoir avait de belles relations.

Évi­dem­ment, évidemment !…

Décorations.

D’autre part, Vic­tor Méric demande dans le Jour­nal du Peuple :

À‑t-on peur que le nom de M. Michel Cle­men­ceau, retrou­vé, comme par hasard, sur les chèques de M. Lenoir fils, ne sug­gère au public quelques idées fâcheuses ? Redoute-t-on qu’on explique publi­que­ment com­ment M. Alphonse Lenoir a reçu la rosette de la Légion d’hon­neur, grâce à M. Etienne et à M. Cle­men­ceau, et en dépit des pro­tes­ta­tions de M. Caillaux ?

Ne fut-il pas éga­le­ment, au cours des débats, ques­tion de la fameuse déco­ra­tion de Jelliveck ?

Le séna­teur Etienne est vrai­ment un homme extra­or­di­naire et dans cette salle du 3e conseil de guerre, on se demande vrai­ment où finit exac­te­ment le banc des accusés.

Questions indiscrètes.

Le Cri de Paris, plus haut cité, pose encore quelques ques­tions indiscrètes :

De même pour­quoi si peu de curio­si­té à l’é­gard de ces ban­quiers pari­siens qui pré­sen­tèrent Bolo à Charles Hum­bert ? Ne serait-il pas inté­res­sant de savoir s’ils garan­tirent la sol­va­bi­li­té de Bolo et s’ils l’ac­cré­di­tèrent auprès de leur ancien cor­res­pon­dant, Pavenstedt ?

Est-ce l’a­mi­tié d’un magis­trat, déchu mais encore influent, qui les immu­nise ? Et ce magis­trat qui a cor­ri­gé de sa main le brouillon du contrat ? On ne s’ex­plique pas com­ment on ne tient pas à l’entendre.

Mme Lenoir et le pré­sident Monier ne figurent pas sur la liste des deux cents témoins qu’on enten­dra au pro­cès. Pour­quoi ? L’ac­cu­sa­tion n’est vrai­ment pas curieuse. La défense ne le sera-t-elle pas davantage ?

La défense a répon­du par l’af­fir­ma­tive à cette ques­tion. C’est le Jour­nal — qui fut à M. Charles Hum­bert après avoir été à MM. Letel­lier (plâtres et ciments de Pana­ma) — qui répond cette fois (8 avril).

L’in­ci­dent vaut d’être cité.

On dis­cute si Charles Hum­bert pou­vait se croire cou­vert par une visite faite au chef de l’É­tat. La date de cette visite est mise en cause :

Le colo­nel Mas­se­lin veut se faire une opi­nion nette. Hum­bert a‑t-il vu le chef de l’É­tat avant ou après l’ar­res­ta­tion de Bolo ?

La ques­tion amène un gros incident.

— Le 28 sep­tembre, dit-il, arres­ta­tion de Bolo. Vous avez fait, à ce moment-là, une démarche auprès du pré­sident de la République.

Hum­bert. — Avant.

Le colo­nel Mas­se­lin. — Vous n’êtes pas d’ac­cord avec le président.

Me de Moro-Giaf­fer­ri. — C’est le chef de l’É­tat. Il vaut peut-être mieux…

Le capi­taine Mor­net. — On lira sa déposition.

Me de Moro-Giaf­fer­ri, réso­lu­ment. — Faites atten­tion : à par­tir du moment où cette dépo­si­tion est aux débats, j’ai le droit de la discuter.

Le capi­taine Mor­net. — C’est votre droit.

Me de Moro-Giaf­fer­ri. — Cette dépo­si­tion contient des erreurs volontaires.

Le com­mis­saire du gou­ver­ne­ment pâlit et se dresse. — Je ne vous per­met­trai pas de dire cela !

Mais l’a­vo­cat n’a rien per­du de sa déci­sion ni de son calme.

– Je vous avais dit qu’il valait mieux n’en pas par­ler ! Vous m’a­vez répon­du : « Elle est aux débats. » Je déclare, dans ces condi­tions, que j’en use­rai vis-à-vis d’elle comme de toutes les autres, et je crois que j’ai la pos­si­bi­li­té d’ap­por­ter la preuve que cette dépo­si­tion contient, notam­ment, sur le point qui nous occupe, des erreurs. C’est le mot « volon­taires » qui vous gêne ? Nous débat­trons cela plus tard…

Me de Moro-Giaf­fer­ri nous pro­met des débats intéressants !…

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