La Presse Anarchiste

La politique nataliste est-elle conséquente ?

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De nom­breux lec­teurs nous ont deman­dé de trai­ter quelques sujets « du jour ». Nous ne sau­rions mieux faire que d’aborder, avec cette pre­mière étude, une des ques­tions les plus tra­giques de l’actualité 1951. La poli­tique nata­liste des gou­ver­ne­ments qui se sont suc­cé­dé au pou­voir depuis la Libé­ra­tion peut-elle être plus incon­sé­quente, plus brouillonne, plus impré­voyante ? De Charles de Gaulle, qui, dans un des dis­cours dont il a le secret, récla­mait douze mil­lions de beaux bébés – les Fran­çais, bien sûr, ne sau­raient en avoir d’autres ! – jus­qu’aux com­mu­nistes, cha­cun incite les jeunes ménages à repro­duire à outrance. S’est-on seule­ment sou­cié de construire des crèches, de nou­velles écoles, des mater­ni­tés modernes ? Ce serait mal connaître nos hommes d’État, qui, s’abritant der­rière les ministres des Finances suc­ces­sifs, ne trouvent des cré­dits que pour la construc­tion de bâti­ments admi­nis­tra­tifs, de nou­velles casernes, et d’armements variés. Cela, cha­cun le sait, quelques jour­na­listes le disent timi­de­ment ; nous allons, quant à nous, don­ner notre avis en quelques études. Aujourd’­hui, André Maille a la parole.
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Le problème démographique

La super­struc­ture des États modernes repo­sant sur le mili­ta­risme et sur la diplo­ma­tie, ne peut nous empê­cher de consta­ter que la forme de ces États oppri­mant les peuples, enfer­més en de fra­giles, fron­tières, pas­sa de la Nation à l’État ; elle est essen­tiel­le­ment fon­dée sur la poli­tique et l’économie sociale.

Le pro­blème le plus impor­tant des rela­tions paci­fiques entre les Nations, les peuples conti­nuant à demeu­rer consi­dé­rés comme quan­ti­té négli­geable, n’a pas jus­qu’i­ci, rete­nu l’attention des socio­logues, ni de la plu­part des écri­vains qui se sont pen­chés sur la misère humaine ; nous vou­lons par­ler du pro­blème démographique.

Devant la néga­tion ou le silence de cer­tains esprits clair­voyants, que l’on ren­contre par­fois à l’avant-garde du mou­ve­ment d’émancipation, nous devons reprendre les ensei­gne­ments de Paul Robin, de Gabriel Giroud, de Manuel Deval­dès, d’Eugène et Jeanne Hum­bert, qui étu­dièrent en détail, le rap­port qui lie la popu­la­tion aux subsistances.

S’il est regret­table d’enregistrer l’opposition sys­té­ma­tique mani­fes­tée à l’égard de ce pro­blème par Kro­pot­kine, par Jean Grave et par les Reclus et l’attitude hos­tile qu’il ren­con­tra de la part des Mil­le­rand, Sem­bat et autres Benoît Malon, rap­pe­lons qu’Alfred Naquet et Jau­rès ne furent pas insen­sibles aux démons­tra­tions des pré­cur­seurs rap­pe­lés plus haut.

Néan­moins, nous ne pou­vons que nous éton­ner de l’usage abu­sif que l’on fait de l’idée d’abondance for­mu­lée par Kro­pot­kine en 1888 sans en don­ner la réfé­rence. Ce n’est pas parce qu’il était loin d’envisager le dan­ger de la pro­li­fé­ra­tion humaine qui engendre la sur­po­pu­la­tion, et de ce fait se trouve nui­sible aux rela­tions paci­fiques des humains, qu’on doit faire le silence sur ce précurseur.

Pour les esprits inquiets de l’ineptie des mesures prises, à contre-temps, pour ména­ger les ten­dances qui se mani­festent par­mi cer­taines orga­ni­sa­tions, où la démence quan­ti­ta­tive sup­plante la sagesse qua­li­ta­tive, la ques­tion démo­gra­phique ne peut man­quer d’être agi­tée devant l’accroissement inquié­tant des masses humaines.

Nous nous trou­vons par­ta­gés entre la struc­ture explo­sive des nations pro­li­fiques, l’indice de bel­li­ci­té qui carac­té­rise la pres­sion démo­gra­phique et l’infanticide dif­fé­ré qui marque la pro­fonde igno­rance de ceux qui se pré­tendent des conduc­teurs d’hommes.

Avant de pous­ser plus avant l’examen de ces dif­fé­rents points de vue, exa­mi­nons les idées trop sou­vent expri­mées, sans étude appro­fon­die. On a, depuis près d’un demi-siècle, une ten­dance mar­quée à déplo­rer la dépo­pu­la­tion. Or il n’est pas, de nation ou de peu­plade qui, dans les temps modernes, se trouve dépeu­plée. Il n’y a, en effet, dépo­pu­la­tion que lorsque, pour une quan­ti­té de pro­duits demeu­rant constante, le nombre des consom­ma­teurs dimi­nue ; on peut même ajou­ter qu’en dehors de cer­taines exter­mi­na­tions, per­pé­trées sur plu­sieurs points du globe au cours du xixe siècle, contre des popu­la­tions qua­li­fiées rebelles, c’est plu­tôt le contraire qui se pro­duit, comme nous le ver­rons plus loin.

On parle éga­le­ment beau­coup en France de déna­ta­li­té. Mais, si l’on com­pare les chiffres offi­ciels des mou­ve­ments de la popu­la­tion, on acquiert rapi­de­ment la convic­tion que l’interprétation de ces chiffres est ten­dan­cieuse. L’indice de nata­li­té, un moment en baisse géné­ra­li­sée dans toutes les nations civi­li­sées, n’a jamais été défa­vo­rable à la popu­la­tion fran­çaise qui, chaque année, aug­men­tait de 60 000 uni­tés envi­ron. Nous lais­se­rons de côté les chiffres récents qui aggravent notre inquiétude.

Mais, la sur­po­pu­la­tion, niée par diverses ligues inféo­dées à la loi du nombre, est au contraire l’état actuel dans lequel se trouvent toutes les nations, civi­li­sées ou non, puisque la quan­ti­té des pro­duits néces­saires à leur nour­ri­ture se trouve constam­ment dépas­sée par le nombre des consom­ma­teurs qu’elle doit satis­faire. Si, tem­po­rai­re­ment, le Cana­da, l’Australie et la Répu­blique Argen­tine se trouvent être expor­ta­teurs de céréales, sans en pri­ver leurs res­sor­tis­sants, les besoins exté­rieurs dépassent nota­ble­ment leurs disponibilités.

Au cours des cent cin­quante der­nières années, la popu­la­tion de notre petit tas de boue a presque qua­dru­plé, soit 650 mil­lions d’individus à 2.347.000.000, mal­gré les guerres de plus en plus san­glantes qui ont sévi et aus­si mal­gré les cata­clysmes natu­rels (inon­da­tions, trem­ble­ments de terre, etc.) où la volon­té humaine n’a pas à inter­ve­nir. Nous nous trou­vons, de ce fait, bien près des accrois­se­ments pré­vus par la loi de Mal­thus, qui éta­blis­sait que, sans obs­tacle à leur déve­lop­pe­ment, les popu­la­tions pou­vaient dou­bler tous les trente ans.

Sans doute, la struc­ture explo­sive du Japon avec son aug­men­ta­tion annuelle de plus de 2 mil­lions d’habitants ; celles de l’Italie et de l’Allemagne, où l’accroissement était res­pec­ti­ve­ment de 600 000 et 900 000 ; celles de la Rus­sie et des États-Unis d’Amérique qui donnent des chiffres éga­le­ment inquié­tants, contri­buaient à éle­ver l’indice de bel­li­ci­té qui se carac­té­ri­sa par la recherche de l’espace vital qui abou­tit au der­nier conflit armé. Quant à la Pologne, avec un excé­dent des nais­sances sur les décès de 500 000 uni­tés par an, elle est une démons­tra­tion convain­cante de la sur­po­pu­la­tion des cam­pagnes polo­naises, mal incon­nu dans les autres pays d’Europe.

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À cette ascen­sion rapide de la popu­la­tion mon­diale, com­pa­rons à pré­sent la sur­face utile des terres culti­vables des pays consi­dé­rés. Com­pa­rés aux chiffres fran­çais uti­li­sés comme base, les 36 mil­lions d’hectares de l’Italie ne pour­raient nour­rir que 25 mil­lions d’habitants ; il y a donc 16 mil­lions d’Italiens en sur­nombre. Les 45 mil­lions d’hectares de l’Allemagne peuvent satis­faire les besoins de 34 mil­lions d’hommes, soit un excès de 30 mil­lions d’Allemands. Quant au Japon, le même cal­cul montre que l’archipel nip­pon compte 55 mil­lions d’habitants en trop.

Si l’espace dont dis­posent momen­ta­né­ment la Rus­sie et les USA dépasse la den­si­té humaine au kilo­mètre car­ré, on ne sau­rait pré­tendre que ces nations soient pour long­temps à l’abri de la saturation.

Voyons main­te­nant quelles sont les quan­ti­tés de den­rées que l’on peut mettre à la dis­po­si­tion de ces popu­la­tions que l’on cherche à aug­men­ter par l’appât trom­peur d’avantages pécu­niaires. La ration-type néces­saire, à l’adulte, chif­frée en Amé­rique par Atwat­ter, est de 3 520 calo­ries, appor­tées à l’organisme humain par 125 grammes de pro­téines, 125 grammes de graisses et 450 grammes d’hydrates de car­bone. En Rus­sie, cette ration-type varie sui­vant le cas et est éva­luée comme suit : pour un tra­vail moyen : 3 644 calo­ries ; pour un adulte des cam­pagnes : 3 800 et pour un très gros tra­vail : 4 300.

Si l’on songe qu’en temps ordi­naire on arri­vait à peine à 2 500 calo­ries et que ce chiffre se trou­va par­fois infé­rieur à 1 000 calo­ries par l’effet des res­tric­tions impo­sées par les consom­ma­tions anor­males du temps de guerre, et aus­si du fait des allo­ca­tions supé­rieures accor­dées aux com­bat­tants, on est en droit de mettre en doute cer­taines affir­ma­tions que la réa­li­té dément.

Le public euro­péen n’est pas fami­lia­ri­sé avec l’emploi du terme calo­rie qui mesure l’apport ther­mique four­ni à l’organisme ani­mal par l’ingestion des ali­ments ; mais, il est d’usage cou­rant en Amé­rique, où les menus des res­tau­rants indiquent, en regard du prix des plats, la valeur calo­ri­fique des élé­ments qui les composent.

La pro­duc­tion des céréales, nous dit-on, est en pro­gres­sion et pour ne pas dimi­nuer le pro­fit capi­ta­liste, on brûle ou on déna­ture le sur­plus que l’on ne peut écou­ler nor­ma­le­ment. Si nous pou­vons nous décla­rer d’accord pour condam­ner la struc­ture sociale qui per­met une telle héré­sie éco­no­mique, nous sommes obli­gés de faire des remarques qui sont loin d’être favo­rables à la thèse de la pro­gres­sion, quant à la pro­duc­tion agri­cole. Tout d’abord, il fau­drait que les sta­tis­ti­ciens usent d’un même lan­gage et emploient des uni­tés com­pa­rables, sinon iden­tiques. Mais la confu­sion des termes céréales, blé ou fro­ment, est déjà regret­table ; à for­tio­ri quand les chiffres sont éva­lués soit en tonnes, soit en quin­taux, soit en hec­to­litres au cours d’un même exposé.

La récolte de blé n’a pas le carac­tère d’abondance que l’on tente de nous faire croire et pour ne consi­dé­rer que l’agriculture fran­çaise, nous consta­tons que c’est une qua­si-sta­bi­li­té que l’on ren­contre, tant dans le ren­de­ment par hec­tare que dans la pro­duc­tion glo­bale. La récolte excep­tion­nelle atteinte en France en 1907 s’élevait à 103 mil­lions de quin­taux ; jamais ces chiffres ne furent rele­vés dans les sta­tis­tiques depuis 40 ans ; les années excel­lentes elles-mêmes se font assez rares et la pro­duc­tion de 1948, esti­mée à 80 mil­lions de quin­taux, n’avait pas été atteinte depuis 1935. Ce n’est que par l’abandon de cer­taines cultures, qui ont fait place à l’emblavement en blé, que la pro­duc­tion totale se main­tient à un niveau à peine satis­fai­sant ; mais, les ren­de­ments à l’hectare demeurent de 20 quin­taux en moyenne et n’ont guère subi de chan­ge­ment notable depuis un siècle.

Les varia­tions s’observent éga­le­ment au Cana­da, un des pre­miers pays pro­duc­teurs de blé. De 154 mil­lions de quin­taux en 1928 la pro­duc­tion tom­bait à 82 en 1929 pour se rele­ver à 108 en 1930. D’autre part, il faut avoir le temps de com­pa­rer les diverses sta­tis­tiques avant d’apporter des juge­ments pour le moins témé­raires. Les expor­ta­tions de l’Argentine, éva­luées en 1929 à 66 mil­lions de quin­taux, contre­disent le Bul­le­tin de la SDN qui marque une récolte de 65 mil­lions de quin­taux. Il y a lieu de sup­po­ser que les Argen­tins ne sont pas res­tés sans man­ger de pain, pen­dant un an. D’ailleurs, la réduc­tion de la consom­ma­tion du pain en France, qui passe de 224 kilos par habi­tant en 1914 à 191 kilos en 1935, paraît illus­trer suf­fi­sam­ment notre thèse.

Au cours de la guerre 1939 – 1945, on peut esti­mer que les défi­cits obser­vés étaient dus à la sup­pres­sion des échanges, à une moins bonne sélec­tion des semences, à la pénu­rie d’engrais et à un tra­vail moins soi­gné de la terre.

Mais, là n’est pas toute la question.

Indé­pen­dam­ment de la qua­li­té infé­rieure du grain obte­nu avec l’emploi de plus en plus impor­tant des engrais qui altèrent la com­po­si­tion chi­mique de la farine et modi­fient les qua­li­tés bio­lo­giques du pain, il faut comp­ter par sur­croît avec une usure pré­ma­tu­rée des terres qui connaissent un épui­se­ment les ren­dant infertiles.

Les USA, qui dans la période consé­cu­tive à la crise de 1929, ont connu un nombre de chô­meurs inusi­té, avaient de 25 à 30 mil­lions de sous-ali­men­tés, mal­gré des récoltes abon­dantes qui leur per­met­taient de satis­faire par­tiel­le­ment les demandes de l’ancien conti­nent, en conti­nuel sur­peu­ple­ment ; les Euro­péens pas­saient ain­si avant les Amé­ri­cains. Her­bert Agar, agro­nome de la Répu­blique étoi­lée, déclare que cette pro­duc­tion inten­sive n’a pas été sans épui­ser une par­tie de leur sol jus­qu’à rendre impropres à toute culture des éten­dues consi­dé­rables qu’il détaille ain­si : « Envi­ron 4 mil­lions d’hectares ont été com­plè­te­ment détruits, et quand je dis détruits, je n’entends pas que ces terres aient besoin de repos et de quelque matière fer­ti­li­sante ; je veux dire qu’il fau­dra des siècles pour les res­tau­rer, qu’il est trop tard pour qu’on puisse espé­rer leur pro­chaine amé­lio­ra­tion par le tra­vail humain. En dehors de ces 4 mil­lions d’hectares, deve­nus déser­tiques, 8 mil­lions d’autres sont sérieu­se­ment atteints et près de 30 mil­lions sont mena­cés. » (Ces 42 mil­lions d’hectares cor­res­pondent à la sur­face culti­vable de la France).

Hit­ler, lui-même, envi­sa­geait déjà que la limite d’utilisation du sol était sur le point d’être atteinte, en Alle­magne, et jugeait que l’abus des engrais chi­miques pré­sen­tait des signes de dété­rio­ra­tion. Mal­gré cette consta­ta­tion, qui ne lui est pas per­son­nelle, il n’hésitait pas à décré­ter des lois de nature à faire remon­ter la courbe de nata­li­té dans une pro­por­tion sen­sible [[N’oublions pas que la pro­li­fi­ci­té de l’Allemagne et de l’Italie avait été ame­nui­sée par les héca­tombes de 1914 – 1918 et que le taux de nata­li­té dans ces pays bais­sa au-des­sous de celui de la France.]]. N’avait-il pas la pré­ten­tion de faire vivre sur le conti­nent 250 mil­lions d’Allemands ?

L’industrialisation de l’Angleterre a réduit nota­ble­ment sa pro­duc­tion agri­cole qui ne peut sub­ve­nir que pour 25 % aux besoins de sa popu­la­tion. II y a là un exemple carac­té­ris­tique qui fait dire ce qui suit à Manuel Deval­dès : « La sur­po­pu­la­tion est l’état d’un ter­ri­toire où la popu­la­tion a dépas­sé le niveau qui lui est assi­gné par ses dis­po­ni­bi­li­tés en sub­sis­tances. » (Croître et mul­ti­plier, c’est la guerre, page 45.).

Déjà en 1919, Hoo­ver, alors dic­ta­teur aux vivres aux USA, avant d’en deve­nir Pré­sident de la Répu­blique, esti­mait qu’en dépit des 30 mil­lions de vic­times de la guerre de 1914 – 1918, il y avait 100 mil­lions d’Européens en trop. Joseph Caillaux por­tait bien­tôt ce chiffre à 150 mil­lions et dans son « Inquié­tude du Monde », Fran­ces­co Nit­ti disait que 250 mil­lions d’Européens ne dis­po­saient pas d’un ter­ri­toire suf­fi­sant. En 1945, après une héca­tombe trois fois plus impor­tante, l’évaluation des popu­la­tions en sur­nombre reste à faire. Mais la fra­gi­li­té du régime ali­men­taire s’est trou­vée suf­fi­sam­ment démon­trée et seuls les tra­fi­quants éhon­tés des situa­tions dif­fi­ciles peuvent se van­ter de n’avoir pas eu le sou­ci du len­de­main quant à leur vie phy­sique. N’oublions pas que nos inten­dants du ravi­taille­ment étaient dis­pen­sés du recours au mar­ché noir pour satis­faire leurs désirs.

Ima­gi­nons les USA avec une den­si­té de popu­la­tion égale à celle, bien modeste, de la France ; leur popu­la­tion serait de 600 mil­lions d’habitants dont l’appétit vien­drait com­pli­quer le pro­blème du ravi­taille­ment de l’Europe. Mais cette sup­po­si­tion dépasse nos apôtres infé­conds de la sur­na­ta­li­té qui se contentent de pré­si­der aux des­ti­nées des nom­breuses ligues poly­gé­nistes [[Ce mot parait plus adé­quat à l’épithète résu­mant une nom­breuse pro­gé­ni­ture et doit rem­pla­cer « familles nom­breuses ».]] sans se pré­oc­cu­per des vicis­si­tudes per­son­nelles que créent les charges familiales.

La période de 1890 à 1930 mar­quait pour­tant un signe heu­reux dans la baisse des taux de nata­li­té qui, conju­guée avec une plus grande lon­gé­vi­té, n’affectait en rien l’indice démo­gra­phique qui conti­nuait sa courbe ascen­dante. Dans la seule période 1910 – 1930 le taux de nata­li­té tombe de 32 à 17,50 % en Alle­magne, de 26 à 15,3 en Angle­terre, de 20 à 17,3 en France, alors que la baisse était moins accen­tuée dans la période de vingt années qui l’avait pré­cé­dée. Le relè­ve­ment arti­fi­ciel obte­nu en Alle­magne et en Ita­lie qui fut un fac­teur impor­tant dans le déclen­che­ment de la seconde guerre mon­diale, s’est éten­du à la France à la faveur de la période trou­blée qui bou­le­ver­sa l’Europe. Les mil­lions de ber­ceaux récla­més devant un micro, par celui dont la taille est sans rap­port avec l’esprit, ne sont-ils pas néces­saires pour l’alimentation des char­niers que sa caste prépare.

L’audace des sur­po­pu­la­teurs est sans limite. N’a‑t-on pas sou­ve­nir du pro­cès inten­té par l’Alliance fami­liale des Alpes-Mari­times à Paul Reboux qui en un judi­cieux article publié dans un jour­nal local, repre­nait les chiffres que nous rap­pe­lons plus haut et mar­quait sa pro­fonde émo­tion au spec­tacle de cer­taines atti­tudes peu clair­voyantes, qu’il fus­ti­geait en ces termes :

« Mal­gré cela (ces chiffres) des gens vous engagent à faire des enfants… C’est nous que ça regarde, pas eux ! Et les lois fis­cales sont ins­ti­tuées pour pous­ser à la repo­pu­la­tion ! Et le Code pénal menace tous les clair­voyants pen­seurs, tous les émi­nents phi­lo­sophes ou tous les citoyens ou citoyennes qui font en sorte, par la doc­trine et par l’action, que de nou­velles vic­times de la sur­po­pu­la­tion ne viennent au monde. La pro­di­gieuse et rui­neuse stu­pi­di­té de ces règles morales date du temps où les conqué­rants vou­laient des hommes, des hommes pour en faire des cadavres glorieux. »

« Plus loin : « Une famille nom­breuse vit aux cro­chets de la col­lec­ti­vi­té et contri­bue à dés­équi­li­brer le bud­get natio­nal. Au-delà de huit enfants le père n’a plus qu’à pêcher à la ligne ou à lever le coude. » Et encore : « En ce temps de com­pres­sions, il faut prendre d’urgence cette mesure : aucune famille nom­breuse ne rece­vra de prime ou d’exemption d’aucune sorte si le chef de famille ne peut pré­sen­ter un cer­ti­fi­cat d’indigence. Pré­sen­te­ment, la famine s’est éten­due sur toute la sur­face de la terre. Ce n’est pas le moment de créer des bouches nou­velles. » Et enfin : « Tout indi­vi­du qui pré­tend aug­men­ter déme­su­ré­ment le chiffre des hommes est un enne­mi de l’humanité. »

L’affaire se ter­mi­na en mars 1949 par la condam­na­tion aux dépens de l’Alliance fami­liale et l’acquittement de Paul Reboux, atten­du, dit le juge­ment, « que les cri­tiques adres­sées par Paul Reboux au régime des allo­ca­tions fami­liales ont fait, à maintes reprises, l’objet de déve­lop­pe­ments analogues. »

Dans le même ordre d’idées, nous assis­tons à l’alignement de la popu­la­tion japo­naise sur celle des États-Unis. Les faits éco­no­miques et même bio­lo­giques n’ont pas échap­pé à la saga­ci­té de Mac Arthur qui recom­mande dans ce pays, où il a acquis une grande influence, la limi­ta­tion des nais­sances. Il a su atti­rer l’attention du ministre de la San­té du Japon sur la super­fi­cie res­treinte de l’archipel nip­pon et sur l’impossibilité d’émigrer ; celui-ci a donc pris dif­fé­rentes mesures qui sont à l’opposé de celles que pra­tique la France démocratique.

Un décret minis­té­riel du 1er avril 1949 approuve la vente de pro­duits anti­con­cep­tion­nels chi­miques. D’autre part, un film de vul­ga­ri­sa­tion pro­page dans le pays, le conseil de limi­ter les nais­sances. Néces­si­té de frei­ner la nata­li­té, pré­voyance paren­tale, édu­ca­tion plus pro­fonde des enfants, com­por­te­ment sexuel lié à la conduite morale des indi­vi­dus, sont expo­sés dans ce film qui s’achève sur l’activité d’une cli­nique par­ti­cu­lière où les jeunes femmes sont ini­tiées à la limi­ta­tion des nais­sances, par des tableaux figu­rant les méthodes anti­con­cep­tion­nelles et l’usage des divers pro­cé­dés qui s’y rapportent.

Est-il néces­saire de rap­pe­ler que les grandes tue­ries col­lec­tives que relate l’histoire sont tou­jours sui­vies de périodes de féli­ci­té, si rela­tives soient-elles ? Les grandes épi­dé­mies, aggra­vées par les cata­clysmes natu­rels ont rare­ment été aus­si meur­trières que la plus bénigne des guerres. Mais les conflits modernes se trans­forment en état de guerre per­ma­nent et ont fait réap­pa­raître la famine qui avait dis­pa­ru de l’Europe depuis plus de deux siècles. Pour­tant, si les ensei­gne­ments du pas­sé n’étaient pas si faci­le­ment et si légè­re­ment oubliés, la classe ouvrière s’inspirerait des périodes faciles qui suc­cèdent aux guerres et aux épi­dé­mies. La main‑d’œuvre se fai­sant plus rare, serait plus recher­chée et les salaires devien­draient plus profitables.

Pour cor­ro­bo­rer ce qui pré­cède, jetons un regard sur le Cour­rier de l’Unesco, qui s’appesantit sur la ques­tion avec une louable objectivité.

Dans son numé­ro de février 1949, sous la plume du Doc­teur Sri­pa­ti Chan­dra­se­kar„ nous trou­vons ce pas­sage : « La popu­la­tion du monde a conti­nué de croître même pen­dant la deuxième guerre mon­diale. Actuel­le­ment, en dépit de guerres moins impor­tantes, d’épidémies régio­nales et de la sous-ali­men­ta­tion, sinon de la famine géné­ra­li­sée, cet accrois­se­ment se pour­suit. En 1950, le monde comp­te­ra plus de 2 400 mil­lions d’habitants d’après la courbe des nais­sances et des décès.

« Le fait qu’il y ait actuel­le­ment dans le monde 2 250 mil­lions d’êtres humains et qu’il y en aura 3 000 mil­lions dans un proche ave­nir, ne pose­rait aucun pro­blème si tous étaient assu­rés d’un mini­mum vital et de jouir de condi­tions accep­tables en ce qui concerne l’alimentation, l’habillement, le loge­ment, l’éducation et les loi­sirs. Mais la grande majo­ri­té des hommes est actuel­le­ment pri­vée, même du néces­saire et il ne semble pas que ce néces­saire puisse lui être four­ni à l’avenir si la popu­la­tion conti­nue à aug­men­ter plus rapi­de­ment que la pro­duc­tion. C’est là, bien enten­du, une ques­tion qui prête à contro­verse et la dis­cus­sion du pro­blème démo­gra­phique échauffe sou­vent plus qu’elle n’éclaire les esprits, en pro­vo­quant le heurt des dif­fé­rentes idéo­lo­gies éco­no­miques, reli­gieuses et politiques. »

Et, plus loin, nous lisons encore :

« Quelle que soit la véri­té, la réa­li­té des pro­blèmes démo­gra­phiques mon­diaux est incon­tes­table ; j’entends que d’une façon ou d’une autre l’accroissement de la popu­la­tion mon­diale a été la cause incons­ciente ou déli­bé­ré­ment pro­cla­mée des décla­ra­tions de guerre, ain­si que des reven­di­ca­tions d’espace vital, d’accès aux matières pre­mières et de liber­té abso­lue d’émigration ou d’immigration.

« Cer­tains pays, comme la Suède et les USA, main­tiennent un niveau de vie éle­vé [[Lors de l’Exposition inter­na­tio­nale de Paris, en 1937, un tableau du pavillon sué­dois por­tait cette cita­tion : « L’élévation du stan­dard de vie a pro­fon­dé­ment trans­for­mé les habi­tudes du peuple sué­dois ; mais, la lourde ran­çon du pro­grès du bien-être a été une limi­ta­tion volon­taire des nais­sances. »]], en exer­çant un contrôle strict sur le chiffre de la popu­la­tion ; d’autres, comme la Chine et l’Inde, s’en remettent à Dieu et à la nature et voient leur niveau de vie s’abaisser. »

Dans le numé­ro d’avril 1949 du même Cour­rier, sous la signa­ture de James Tor­rès-Bodet, direc­teur géné­ral de cette ins­ti­tu­tion, une invi­ta­tion lan­cée dans le monde pour s’associer à la grande croi­sade pour le main­tien de la paix par l’éducation des peuples, conte­nait ce passage :

« C’est dans les quar­tiers ouvriers des villes, c’est dans les vil­lages qu’il faut construire la Paix. C’est là que vit la grande masse de la popu­la­tion, là qu’elle vit dans des condi­tions qui consti­tuent une menace per­pé­tuelle pour la Paix… »

Cette dis­crète allu­sion aux funestes pro­pa­gandes domi­nées par la quan­ti­té et négli­geant la qua­li­té sera-t-elle com­prise par les aveugles qui pré­sident aux des­ti­nées du monde ?

Tou­jours dans le même jour­nal, par­lant de la pau­vre­té dans l’indigence Aldous Hux­ley écrit :

« … Qui plus est, alors que la popu­la­tion s’accroît, la fer­ti­li­té du sol dimi­nue. La guerre ato­mique peut détruire une civi­li­sa­tion don­née. L’érosion du sol peut sup­pri­mer toute pos­si­bi­li­té de civi­li­sa­tion… La nour­ri­ture est une den­rée renou­ve­lable. Si le sol n’est pas exploi­té jus­qu’à l’épuisement, les récoltes se suc­cé­de­ront d’année en année. Mais le gise­ment d’étain ou de cuivre qui a four­ni du mine­rai cette année, ne se recons­ti­tue­ra pas l’an prochain…

«  L’existence d’un rap­port défa­vo­rable entre le chiffre de la popu­la­tion et la somme des res­sources natu­relles crée une menace per­ma­nente pour la paix ain­si que pour la liber­té indi­vi­duelle et poli­tique. À l’heure actuelle, pour que la paix soit mena­cée, il suf­fit qu’une nation sur­peu­plée dis­pose d’une indus­trie capable de pro­duire des armements. »

Quit­tons ces appré­cia­tions sug­ges­tives et signa­lons au pas­sage les tra­vaux de Gas­ton Bou­thoul qui dans des ouvrages [[La Popu­la­tion dans le Monde (1935). Cent mil­lions de morts (1947). 8 000 trai­tés de paix (1948).]] suc­ces­sifs se penche sur le pro­blème que nous étu­dions. Cet auteur estime que condam­ner la guerre ne suf­fit pas, mais que pour pro­non­cer cette condam­na­tion, il est néces­saire de connaître les cir­cons­tances qui la pro­voquent. Consta­tant la médio­cri­té dans laquelle nous nous débat­tons au milieu du xxe siècle, il fait res­sor­tir l’indigence des idées de la plu­part des guides de l’opinion et le fait que les per­tur­ba­tions enre­gis­trées dans l’équilibre des groupes d’âge et de sexe sont consé­cu­tives aux sai­gnées renou­ve­lées d’hommes jeunes ain­si qu’au dépla­ce­ment des popu­la­tions consé­cu­tif aux guerres mon­diales qui se com­plique par la réap­pa­ri­tion de la famine :

« Les races jaunes, de même que les civi­li­sa­tions archaïques de l’Europe, usaient tra­di­tion­nel­le­ment de l’infanticide. Mais l’Europe moderne a choi­si l’infanticide dif­fé­ré. Le sacri­fice des adultes y est consi­dé­ré comme pré­fé­rable à celui des nou­veaux-nés. » [[G. Bou­thoul. Cent mil­lions de morts, page 78 (sou­li­gné dans le texte).]]

Si l’on pou­vait appli­quer aux Indes, l’hygiène pra­ti­quée actuel­le­ment aux États-Unis, l’âge moyen des Hin­dous se trou­vant por­té de 27 à 61 ans, on trou­ve­rait sur cette par­tie du globe, en moins d’un siècle, de quoi peu­pler cinq Terres. Par contre, si l’on tient compte de l’accroissement de popu­la­tion chez les grandes races euro­péennes entre 1800 et 1940, on constate que si les Latins ont bais­sé de 33 à 24 %, les Ger­mains et les Scan­di­naves ont pas­sé de 32 à 30 %, tan­dis que les popu­la­tions slaves se sont éle­vées de 35 à 45 %. Il y a là une pénible consta­ta­tion, car les fon­da­tions du monde civi­li­sé risquent de se trou­ver ébranlées. »

Le doc­teur Simon Obis­po à qui nous emprun­tons ces obser­va­tions, conclut en ces termes :

« L’attitude actuelle de l’URSS, com­pa­rable à celle de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon dans le pas­sé, ne sau­rait lais­ser aucun doute sur ses inten­tions belliqueuses.

« Gui­dée dans son pro­gramme de sur­po­pu­la­tion par une igno­rance crasse des pro­blèmes éco­no­miques les plus élé­men­taires ou par un désir de domi­ner le monde, l’URSS devra faire la guerre. » [[Revue Europe-Amé­rique – Avril-mai 1946.]]. Et plus loin :

« On ne répé­te­ra jamais assez que nous sommes des hommes libres, ingé­nieux, rela­ti­ve­ment puis­sants, et non des lapins et qu’il y a avan­tage à nous conduire comme tels. Si nous ne vou­lons du moins avoir à choi­sir bien­tôt entre l’inanition et l’anthropophagie. »

[|* * * *|]

Des esprits super­fi­ciels, repre­nant cer­taines idées géné­rales expri­mées, sur ce sujet par­ti­cu­lier, par Kro­pot­kine et ses adeptes, ont cher­ché à tirer un ensei­gne­ment du déve­lop­pe­ment du machi­nisme qui abou­tit à la grande crise de Wall Street en 1929 et qui s’étendit à toute l’économie capi­ta­liste. Avec rai­son, ils ont conclu que le main­tien du pro­fit était incom­pa­tible avec le pro­grès scien­ti­fique. Si, sur le ter­rain indus­triel on peut jus­ti­fier, dans une cer­taine mesure, l’abondance toute rela­tive de cer­tains pro­duits, on ne sau­rait en dire autant de la pro­duc­tion des den­rées ali­men­taires. Encore fau­drait-il tenir compte dans le pre­mier cas de l’épuisement pro­gres­sif des matières pre­mières dont la consom­ma­tion effré­née au cours de la der­nière guerre a révé­lé le danger.

Lais­sons de côté les pré­vi­sions trop théo­riques, qui, en rédui­sant des 23 les efforts de l’homme, sont sus­cep­tibles de per­mettre l’approvisionnement des mar­chés, en pro­duits de plus en plus nom­breux et de meilleure appa­rence. (Culture en tiroir, où la terre n’est même plus indis­pen­sable) et exa­mi­nons quelques chiffres concer­nant les pro­duits laitiers.

Tout d’abord, pour­quoi la rou­tine fran­çaise de la pay­san­ne­rie se laisse-t-elle sur­pas­ser par les éle­veurs étran­gers ? Actuel­le­ment, pen­dant que la vache hol­lan­daise pro­duit 3 400 litres de lait par an, la vache alle­mande en pro­duit 2 500, et la vache suisse 3 150. La vache fran­çaise qui, avant la guerre, pro­dui­sait 1 800 litres, n’en donne plus que 1 500. Nous avons là des chiffres qui sont loin de cor­ro­bo­rer les résul­tats obte­nus avec une vache fri­sonne qui, de 67 litres en 1933 pas­sait en 1936 à 70 litres par jour ; il ne fal­lait pas moins de six traites par jour pour allé­ger les mamelles de l’animal.

S’il était pos­sible de nive­ler à cette échelle la pro­duc­tion de lait mon­diale, la pénu­rie de lait serait vite oubliée. Mais, cette excep­tion­nelle manne n’a pas encore été géné­ra­li­sée et la rare­té de ces pro­duits, qui n’est pas tou­jours pro­vo­quée pour main­te­nir ou haus­ser les prix, a une autre cause sur laquelle nos sta­tis­ti­ciens font le silence.

C’est l’usage qui est fait des sous-pro­duits du lait et notam­ment de la caséine pour des pré­pa­ra­tions de guerre. Ce qui ame­nait le Pro­fes­seur Debré à décla­rer le 30 jan­vier 1948 à la radio : « Sur 100 mil­lions de litres de lait recueillis, 32 mil­lions sont conver­tis en beurre, ou en fro­mage ; et 18 mil­lions en lait indus­triel [[C’est nous qui sou­li­gnons.]]. Résul­tat : 250 000 enfants n’ont qu’un demi-litre par jour. » Le Pro­fes­seur Debré oubliait ce jour-là, une décla­ra­tion faite par lui à la même radio, le 25 novembre 1947, et qui nous paraît en fla­grante contra­dic­tion avec celle qui pré­cède : « L’augmentation du nombre des nais­sances est un phé­no­mène heu­reux mon­trant la confiance des Fran­çais en la pros­pé­ri­té de leur pays et par sur­croît une élé­va­tion du niveau moral. »

En dépit des affir­ma­tions opti­mistes qui, depuis plus de quinze ans sont col­por­tées, la guerre de 1939 – 1945 a rame­né la famine dont les pays civi­li­sés avaient per­du la mémoire. Si pen­dant l’année qui pré­cé­da la guerre, 30 mil­lions d’hommes sont morts par défaut de nutri­tion, à quel chiffre esti­me­ra-t-on les vic­times que la der­nière guerre a pro­vo­quées ? Ces faits peuvent sur­prendre l’homme de la rue, mais les milieux offi­ciels n’ignorent pas la famine qui régna dans la par­tie méri­dio­nale de notre Afrique du Nord pen­dant les années 1936 et 1937 ; la presse fran­çaise, alors gri­sée ou déso­lée par l’euphorie pro­vo­quée par le Front popu­laire, si riche de pro­messes envo­lées, obser­va de Conrart le silence prudent.

Les conclu­sions d’un rap­port des ser­vices de la SDN, qui dément toute sur­abon­dance dans le domaine agri­cole méritent d’être signa­lées ici : « Ce qui manque le plus, dans l’alimentation uni­ver­selle, ce sont les ali­ments pro­tec­teurs : lait, pro­duits de ferme, œufs, légumes, fruits et viande, mal­gré l’apparence de super­pro­duc­tion. » [[Acti­vi­tés de la SDN, n°4. Sec­tion d’Informations 1935, page 42 (cité par « La Grande Réforme ». février 1938.]]

On peut certes accor­der un cer­tain cré­dit aux décou­vertes des savants qui s’obstinent à recher­cher des amé­lio­ra­tions au sort de leurs sem­blables ; mais, les résul­tats de leurs tra­vaux sont trop sou­vent uti­li­sés à des fins contraires pour nous inci­ter à une croyance aveugle.

Quand on nous parle de l’emploi de l’énergie nucléaire pour sup­pléer aux engrais insuf­fi­sants afin de fer­ti­li­ser un sol appau­vri par des cultures inten­sives, nous ne pou­vons man­quer d’évoquer la pilule Ber­the­lot qui devait révo­lu­tion­ner l’alimentation humaine, mais qui était incom­pa­tible avec la néces­si­té de conte­nir les vita­mines dont sont dépour­vus les ali­ments morts, com­po­sés chimiquement.

Dans le même ordre d’idées, nous pou­vons rap­pro­cher les expé­riences aux­quelles pro­cé­da, récem­ment, l’armée amé­ri­caine dans la zone arc­tique. Pour véri­fier la résis­tance humaine aux tem­pé­ra­tures polaires, quelques groupes d’hommes ont été sou­mis à une ali­men­ta­tion spé­ciale leur per­met­tant de résis­ter à – 40° C. Des rations savam­ment dosées, com­po­sées de dix tablettes de nour­ri­ture conden­sée, cor­res­pon­dant à 500 grammes par homme et par jour, pou­vaient appor­ter à l’organisme humain de 4 200 à 5 500 calo­ries. Nous sup­po­sons que l’on n’a pas négli­gé le fac­teur goût, dans cette nour­ri­ture scien­ti­fique, que nous ne sau­rions sou­hai­ter concluante, puis­qu’elle tend à envoyer au mas­sacre, pré­pa­ré par les chan­cel­le­ries, ces futures victimes.

Le pres­tige gran­dis­sant des mili­taires qui servent si bien le pou­voir occulte des finan­ciers inter­na­tio­naux, sur­vit aux cui­sants échecs qui ont été vite oubliés. Ce n’est certes pas la pre­mière fois dans l’histoire que nos mili­taires essuyèrent une défaite com­pa­rable celle de juin 1940 qui nous avait don­né l’illusion de la chute défi­ni­tive du mili­ta­risme. Cepen­dant, au contraire, n’a‑t-on pas vu les res­pon­sables du désastre s’emparer des rênes du pou­voir. Les craintes mani­fes­tées, jadis, par les répu­bli­cains de voir les géné­raux vain­queurs se pro­cla­mer dic­ta­teurs, ne s’étaient jamais orien­tées vers le dan­ger que pou­vaient pré­sen­ter des géné­raux vaincus.

La poli­tique nata­li­taire ébau­chée par Vichy avait pour but loin­tain l’alimentation en maté­riel humain des futurs champs de car­nage où nos stra­tèges pra­tiquent cette sélec­tion humaine à rebours qui nous conduit à une dégé­né­res­cence certaine.

Les temps sont révo­lus où l’on atten­dait que l’enfant, mal ren­sei­gné, ait atteint l’âge de 18 ans pour vendre les meilleures années de sa vie en contrac­tant un enga­ge­ment dans l’armée ; dans une atti­tude spar­tiate, qui est loin de nous séduire, les mères acceptent cet inhu­main tra­fic dès la concep­tion. Il est vrai que trop sou­vent vic­times de l’égoïsme mas­cu­lin elles ne connaissent que rare­ment le plai­sir que devrait leur cau­ser ladite concep­tion ; leur pas­si­vi­té amou­reuse, qu’elles déplorent entre elles le démontre et l’instinct mater­nel a per­du chez ces der­nières, grand nombre de ses qua­li­tés initiales.

Les encou­ra­ge­ments à la pro­li­fé­ra­tion que l’on dis­tri­bue avec tant d’empressement, depuis plu­sieurs années, ne ren­contrent pas le même accueil dans tous les pays. Les mères anglaises notam­ment ne se laissent pas prendre à ce gros­sier appât. À une enquête faite en 1946, par Mass Obser­va­tion, sorte de Gal­lup anglais, elles don­naient comme suit, leur appré­cia­tion sur la néces­si­té du relè­ve­ment du taux de la nata­li­té en Angle­terre, qui était offerte à leurs suffrages :

« 1° Toute poli­tique de nata­li­té est ins­pi­rée par des pré­oc­cu­pa­tions mili­taires ; 2° Les petits peuples ont plus de chance que les autres de ne pas être entraî­nés dans les guerres ; 3° Les femmes anglaises estiment que leur pays est assez bien peu­plé pour les res­sources dont il dis­pose ; 4° Une aug­men­ta­tion de la popu­la­tion amè­ne­rait une recru­des­cence du chômage. »

Quant aux mesures finan­cières anglaises favo­rables aux nom­breuses familles, elles se révèlent peu effi­caces, car l’enquête concluait : « Le public anglais n’aime pas qu’on achète ses enfants. »

Ces per­ti­nentes obser­va­tions ont été pas­sées sous silence par la presse qui conti­nué à pour­suivre l’abêtissement de ses lec­teurs. On prend pré­texte, en France, du manque de main‑d’œuvre pour rele­ver la nata­li­té ; mais on oublie de faire remar­quer que dans un foyer éle­vant trois enfants, l’un suc­cé­de­ra au père ; le second pour­ra deve­nir fonc­tion­naire ; quant au troi­sième il aura de fortes chances pour connaître le chômage.

Pour l’ensemble de la classe ouvrière une seule réponse est à noti­fier à ces pré­ten­tions sur­na­ta­li­taires : pour obte­nir des salaires éle­vés, le nombre des pro­duc­teurs doit être réduit. Lorsque les exploi­teurs sont à la recherche d’ouvriers, ceux-ci peuvent accroître leurs pré­ten­tions à un niveau de vie plus satisfaisant.

La loi du nombre que veulent impo­ser les domes­tiques des gou­ver­nants, par qui ils sont gras­se­ment entre­te­nus, ne feront jamais res­sor­tir que, mal­gré ses 180 mil­lions d’habitants, la Rus­sie s’est trou­vée enva­hie par 80 mil­lions d’Allemands. De même, la Chine, avec ses 400 mil­lions d’habitants, fut la proie de 80 mil­lions de Japo­nais et 45 mil­lions d’Anglais purent pen­dant long­temps domi­ner les 340 mil­lions d’Hindous.

En fai­sant cette judi­cieuse obser­va­tion, G. Bou­thoul pré­cise : « L’hégémonie du plus grand nombre est une concep­tion pares­seuse qui s’efforce de gros­sir la popu­la­tion à la mesure de son appé­tit au lieu de la limi­ter à ses res­sources. » [[Op. cité page 134.]]

Nous ne pou­vons que regret­ter la situa­tion de tous les pays de l’Europe, déjà sur­peu­plés puisque la sous-ali­men­ta­tion per­siste, de se trou­ver réduits à la for­mule du César de car­na­val qui trou­va, près de sa maî­tresse, en 1944, une mort sen­sa­tion­nelle, près de Milan. Quand il pro­cla­mait la néces­si­té pour l’Italie de « s’étendre ou d’exploser » il oubliait les solen­nelles décla­ra­tions qu’il fit en 1913 au doc­teur Lui­gi Ber­ta, en se pro­cla­mant mal­thu­sien convain­cu. Il pous­sa le machia­vé­lisme jus­qu’à pro­mul­guer, en 1934, comme son com­père Hit­ler, des lois popu­la­tion­nistes qui ne pou­vaient qu’accroître la struc­ture explo­sive de leurs peuples com­pri­més dans leurs frontières.

De telles mesures vont à l’encontre de la pour­suite du bien-être par les humains ; au lieu de cor­res­pondre à une élé­va­tion phy­sique et morale elles entraînent au contraire la masse humaine vers une déchéance cer­taine. Non seule­ment l’encouragement à la pro­li­fé­ra­tion n’élimine pas les indi­vi­dus atteints de tares phy­sio­lo­giques qui, par sur­croît, ne font qu’aggraver la mor­bi­di­té, mais encore, il est de nature à satis­faire les appé­tits de conquête des pêcheurs en eau trouble, en met­tant à leur dis­po­si­tion des armées de plus en plus nombreuses.

La moto­ri­sa­tion des armées per­met d’enrôler des jeunes gens de 16 à 17 ans et d’accroître dans la pro­por­tion d’un tiers le nombre des recrues.

Un plus grand déve­lop­pe­ment de cer­tains points ébau­chés au cours de cet expo­sé aurait été néces­saire pour démon­trer le carac­tère bio­lo­gique des guerres modernes ; la voie ouverte au mou­ve­ment paci­fiste, en plein essor, lui impose de fon­der sa pro­pa­gande sur le solide ter­rain du paci­fisme scien­ti­fique. Mais il faut nous limi­ter et c’est sur ces remarques finales de G. Bou­thoul que nous conclurons :

D’a­bord son éton­ne­ment, qui n’est pas le nôtre, de voir que : « les nations trouvent natu­rel de dépen­ser des dizaines de mil­liards pour pré­pa­rer les guerres, des cen­taines de mil­liards pour les faire. Mais elles ne dépensent pas un sou pour essayer de com­prendre la nature de cette étrange épi­dé­mie men­tale qui les afflige périodiquement. »

Ensuite, cette crainte que nous devons par­ta­ger : « La sur­po­pu­la­tion de l’Europe la fera choir au rang des vieilles civi­li­sa­tions asia­tiques avec leurs foules immenses, abru­ties, asser­vies et végé­tant misé­ra­ble­ment. À cause de son trop grand nombre, l’homme sera de plus en plus avi­li ; de citoyen il devien­dra sujet… La liber­té est un luxe impos­sible dans les pays sur­peu­plés car la fra­gi­li­té extrême de leur situa­tion, du fait qu’il existe unie forte pro­por­tion de « des­pe­ra­dos » sans res­sources, ni débou­chés, oblige les classes diri­geantes à une poli­tique d’obscurantisme et de féro­ci­té à l’égard du peuple. »

Que pou­vons-nous ajou­ter pour ren­for­cer notre thèse ten­dant à démon­trer que l’humanité n’est pas à la veille de connaître l’euphorie qu’un enthou­siasme mal éta­bli cherche à répandre ? La stu­pi­di­té des masses sga­na­rel­li­sées [[Expres­sion copiée de H. Jean­son.]] ne doit pas nous faire déses­pé­rer d’un ave­nir meilleur et bien que le vent soit rare­ment à l’optimisme, ten­dons tous nos efforts vers ce bien-être et cette liber­té qui nous sont indispensables.

[/​André Maille./​]

La Presse Anarchiste