[(
De nombreux lecteurs nous ont demandé de traiter quelques sujets « du jour ». Nous ne saurions mieux faire que d’aborder, avec cette première étude, une des questions les plus tragiques de l’actualité 1951. La politique nataliste des gouvernements qui se sont succédé au pouvoir depuis la Libération peut-elle être plus inconséquente, plus brouillonne, plus imprévoyante ? De Charles de Gaulle, qui, dans un des discours dont il a le secret, réclamait douze millions de beaux bébés – les Français, bien sûr, ne sauraient en avoir d’autres ! – jusqu’aux communistes, chacun incite les jeunes ménages à reproduire à outrance. S’est-on seulement soucié de construire des crèches, de nouvelles écoles, des maternités modernes ? Ce serait mal connaître nos hommes d’État, qui, s’abritant derrière les ministres des Finances successifs, ne trouvent des crédits que pour la construction de bâtiments administratifs, de nouvelles casernes, et d’armements variés. Cela, chacun le sait, quelques journalistes le disent timidement ; nous allons, quant à nous, donner notre avis en quelques études. Aujourd’hui, André Maille a la parole.
)]
Le problème démographique
La superstructure des États modernes reposant sur le militarisme et sur la diplomatie, ne peut nous empêcher de constater que la forme de ces États opprimant les peuples, enfermés en de fragiles, frontières, passa de la Nation à l’État ; elle est essentiellement fondée sur la politique et l’économie sociale.
Le problème le plus important des relations pacifiques entre les Nations, les peuples continuant à demeurer considérés comme quantité négligeable, n’a pas jusqu’ici, retenu l’attention des sociologues, ni de la plupart des écrivains qui se sont penchés sur la misère humaine ; nous voulons parler du problème démographique.
Devant la négation ou le silence de certains esprits clairvoyants, que l’on rencontre parfois à l’avant-garde du mouvement d’émancipation, nous devons reprendre les enseignements de Paul Robin, de Gabriel Giroud, de Manuel Devaldès, d’Eugène et Jeanne Humbert, qui étudièrent en détail, le rapport qui lie la population aux subsistances.
S’il est regrettable d’enregistrer l’opposition systématique manifestée à l’égard de ce problème par Kropotkine, par Jean Grave et par les Reclus et l’attitude hostile qu’il rencontra de la part des Millerand, Sembat et autres Benoît Malon, rappelons qu’Alfred Naquet et Jaurès ne furent pas insensibles aux démonstrations des précurseurs rappelés plus haut.
Néanmoins, nous ne pouvons que nous étonner de l’usage abusif que l’on fait de l’idée d’abondance formulée par Kropotkine en 1888 sans en donner la référence. Ce n’est pas parce qu’il était loin d’envisager le danger de la prolifération humaine qui engendre la surpopulation, et de ce fait se trouve nuisible aux relations pacifiques des humains, qu’on doit faire le silence sur ce précurseur.
Pour les esprits inquiets de l’ineptie des mesures prises, à contre-temps, pour ménager les tendances qui se manifestent parmi certaines organisations, où la démence quantitative supplante la sagesse qualitative, la question démographique ne peut manquer d’être agitée devant l’accroissement inquiétant des masses humaines.
Nous nous trouvons partagés entre la structure explosive des nations prolifiques, l’indice de bellicité qui caractérise la pression démographique et l’infanticide différé qui marque la profonde ignorance de ceux qui se prétendent des conducteurs d’hommes.
Avant de pousser plus avant l’examen de ces différents points de vue, examinons les idées trop souvent exprimées, sans étude approfondie. On a, depuis près d’un demi-siècle, une tendance marquée à déplorer la dépopulation. Or il n’est pas, de nation ou de peuplade qui, dans les temps modernes, se trouve dépeuplée. Il n’y a, en effet, dépopulation que lorsque, pour une quantité de produits demeurant constante, le nombre des consommateurs diminue ; on peut même ajouter qu’en dehors de certaines exterminations, perpétrées sur plusieurs points du globe au cours du
On parle également beaucoup en France de dénatalité. Mais, si l’on compare les chiffres officiels des mouvements de la population, on acquiert rapidement la conviction que l’interprétation de ces chiffres est tendancieuse. L’indice de natalité, un moment en baisse généralisée dans toutes les nations civilisées, n’a jamais été défavorable à la population française qui, chaque année, augmentait de 60 000 unités environ. Nous laisserons de côté les chiffres récents qui aggravent notre inquiétude.
Mais, la surpopulation, niée par diverses ligues inféodées à la loi du nombre, est au contraire l’état actuel dans lequel se trouvent toutes les nations, civilisées ou non, puisque la quantité des produits nécessaires à leur nourriture se trouve constamment dépassée par le nombre des consommateurs qu’elle doit satisfaire. Si, temporairement, le Canada, l’Australie et la République Argentine se trouvent être exportateurs de céréales, sans en priver leurs ressortissants, les besoins extérieurs dépassent notablement leurs disponibilités.
Au cours des cent cinquante dernières années, la population de notre petit tas de boue a presque quadruplé, soit 650 millions d’individus à 2.347.000.000, malgré les guerres de plus en plus sanglantes qui ont sévi et aussi malgré les cataclysmes naturels (inondations, tremblements de terre, etc.) où la volonté humaine n’a pas à intervenir. Nous nous trouvons, de ce fait, bien près des accroissements prévus par la loi de Malthus, qui établissait que, sans obstacle à leur développement, les populations pouvaient doubler tous les trente ans.
Sans doute, la structure explosive du Japon avec son augmentation annuelle de plus de 2 millions d’habitants ; celles de l’Italie et de l’Allemagne, où l’accroissement était respectivement de 600 000 et 900 000 ; celles de la Russie et des États-Unis d’Amérique qui donnent des chiffres également inquiétants, contribuaient à élever l’indice de bellicité qui se caractérisa par la recherche de l’espace vital qui aboutit au dernier conflit armé. Quant à la Pologne, avec un excédent des naissances sur les décès de 500 000 unités par an, elle est une démonstration convaincante de la surpopulation des campagnes polonaises, mal inconnu dans les autres pays d’Europe.
[|* * * *|]
À cette ascension rapide de la population mondiale, comparons à présent la surface utile des terres cultivables des pays considérés. Comparés aux chiffres français utilisés comme base, les 36 millions d’hectares de l’Italie ne pourraient nourrir que 25 millions d’habitants ; il y a donc 16 millions d’Italiens en surnombre. Les 45 millions d’hectares de l’Allemagne peuvent satisfaire les besoins de 34 millions d’hommes, soit un excès de 30 millions d’Allemands. Quant au Japon, le même calcul montre que l’archipel nippon compte 55 millions d’habitants en trop.
Si l’espace dont disposent momentanément la Russie et les USA dépasse la densité humaine au kilomètre carré, on ne saurait prétendre que ces nations soient pour longtemps à l’abri de la saturation.
Voyons maintenant quelles sont les quantités de denrées que l’on peut mettre à la disposition de ces populations que l’on cherche à augmenter par l’appât trompeur d’avantages pécuniaires. La ration-type nécessaire, à l’adulte, chiffrée en Amérique par Atwatter, est de 3 520 calories, apportées à l’organisme humain par 125 grammes de protéines, 125 grammes de graisses et 450 grammes d’hydrates de carbone. En Russie, cette ration-type varie suivant le cas et est évaluée comme suit : pour un travail moyen : 3 644 calories ; pour un adulte des campagnes : 3 800 et pour un très gros travail : 4 300.
Si l’on songe qu’en temps ordinaire on arrivait à peine à 2 500 calories et que ce chiffre se trouva parfois inférieur à 1 000 calories par l’effet des restrictions imposées par les consommations anormales du temps de guerre, et aussi du fait des allocations supérieures accordées aux combattants, on est en droit de mettre en doute certaines affirmations que la réalité dément.
Le public européen n’est pas familiarisé avec l’emploi du terme calorie qui mesure l’apport thermique fourni à l’organisme animal par l’ingestion des aliments ; mais, il est d’usage courant en Amérique, où les menus des restaurants indiquent, en regard du prix des plats, la valeur calorifique des éléments qui les composent.
La production des céréales, nous dit-on, est en progression et pour ne pas diminuer le profit capitaliste, on brûle ou on dénature le surplus que l’on ne peut écouler normalement. Si nous pouvons nous déclarer d’accord pour condamner la structure sociale qui permet une telle hérésie économique, nous sommes obligés de faire des remarques qui sont loin d’être favorables à la thèse de la progression, quant à la production agricole. Tout d’abord, il faudrait que les statisticiens usent d’un même langage et emploient des unités comparables, sinon identiques. Mais la confusion des termes céréales, blé ou froment, est déjà regrettable ; à fortiori quand les chiffres sont évalués soit en tonnes, soit en quintaux, soit en hectolitres au cours d’un même exposé.
La récolte de blé n’a pas le caractère d’abondance que l’on tente de nous faire croire et pour ne considérer que l’agriculture française, nous constatons que c’est une quasi-stabilité que l’on rencontre, tant dans le rendement par hectare que dans la production globale. La récolte exceptionnelle atteinte en France en 1907 s’élevait à 103 millions de quintaux ; jamais ces chiffres ne furent relevés dans les statistiques depuis 40 ans ; les années excellentes elles-mêmes se font assez rares et la production de 1948, estimée à 80 millions de quintaux, n’avait pas été atteinte depuis 1935. Ce n’est que par l’abandon de certaines cultures, qui ont fait place à l’emblavement en blé, que la production totale se maintient à un niveau à peine satisfaisant ; mais, les rendements à l’hectare demeurent de 20 quintaux en moyenne et n’ont guère subi de changement notable depuis un siècle.
Les variations s’observent également au Canada, un des premiers pays producteurs de blé. De 154 millions de quintaux en 1928 la production tombait à 82 en 1929 pour se relever à 108 en 1930. D’autre part, il faut avoir le temps de comparer les diverses statistiques avant d’apporter des jugements pour le moins téméraires. Les exportations de l’Argentine, évaluées en 1929 à 66 millions de quintaux, contredisent le Bulletin de la SDN qui marque une récolte de 65 millions de quintaux. Il y a lieu de supposer que les Argentins ne sont pas restés sans manger de pain, pendant un an. D’ailleurs, la réduction de la consommation du pain en France, qui passe de 224 kilos par habitant en 1914 à 191 kilos en 1935, paraît illustrer suffisamment notre thèse.
Au cours de la guerre 1939–1945, on peut estimer que les déficits observés étaient dus à la suppression des échanges, à une moins bonne sélection des semences, à la pénurie d’engrais et à un travail moins soigné de la terre.
Mais, là n’est pas toute la question.
Indépendamment de la qualité inférieure du grain obtenu avec l’emploi de plus en plus important des engrais qui altèrent la composition chimique de la farine et modifient les qualités biologiques du pain, il faut compter par surcroît avec une usure prématurée des terres qui connaissent un épuisement les rendant infertiles.
Les USA, qui dans la période consécutive à la crise de 1929, ont connu un nombre de chômeurs inusité, avaient de 25 à 30 millions de sous-alimentés, malgré des récoltes abondantes qui leur permettaient de satisfaire partiellement les demandes de l’ancien continent, en continuel surpeuplement ; les Européens passaient ainsi avant les Américains. Herbert Agar, agronome de la République étoilée, déclare que cette production intensive n’a pas été sans épuiser une partie de leur sol jusqu’à rendre impropres à toute culture des étendues considérables qu’il détaille ainsi : « Environ 4 millions d’hectares ont été complètement détruits, et quand je dis détruits, je n’entends pas que ces terres aient besoin de repos et de quelque matière fertilisante ; je veux dire qu’il faudra des siècles pour les restaurer, qu’il est trop tard pour qu’on puisse espérer leur prochaine amélioration par le travail humain. En dehors de ces 4 millions d’hectares, devenus désertiques, 8 millions d’autres sont sérieusement atteints et près de 30 millions sont menacés. » (Ces 42 millions d’hectares correspondent à la surface cultivable de la France).
Hitler, lui-même, envisageait déjà que la limite d’utilisation du sol était sur le point d’être atteinte, en Allemagne, et jugeait que l’abus des engrais chimiques présentait des signes de détérioration. Malgré cette constatation, qui ne lui est pas personnelle, il n’hésitait pas à décréter des lois de nature à faire remonter la courbe de natalité dans une proportion sensible [[N’oublions pas que la prolificité de l’Allemagne et de l’Italie avait été amenuisée par les hécatombes de 1914–1918 et que le taux de natalité dans ces pays baissa au-dessous de celui de la France.]]. N’avait-il pas la prétention de faire vivre sur le continent 250 millions d’Allemands ?
L’industrialisation de l’Angleterre a réduit notablement sa production agricole qui ne peut subvenir que pour 25 % aux besoins de sa population. II y a là un exemple caractéristique qui fait dire ce qui suit à Manuel Devaldès : « La surpopulation est l’état d’un territoire où la population a dépassé le niveau qui lui est assigné par ses disponibilités en subsistances. » (Croître et multiplier, c’est la guerre, page 45.).
Déjà en 1919, Hoover, alors dictateur aux vivres aux USA, avant d’en devenir Président de la République, estimait qu’en dépit des 30 millions de victimes de la guerre de 1914–1918, il y avait 100 millions d’Européens en trop. Joseph Caillaux portait bientôt ce chiffre à 150 millions et dans son « Inquiétude du Monde », Francesco Nitti disait que 250 millions d’Européens ne disposaient pas d’un territoire suffisant. En 1945, après une hécatombe trois fois plus importante, l’évaluation des populations en surnombre reste à faire. Mais la fragilité du régime alimentaire s’est trouvée suffisamment démontrée et seuls les trafiquants éhontés des situations difficiles peuvent se vanter de n’avoir pas eu le souci du lendemain quant à leur vie physique. N’oublions pas que nos intendants du ravitaillement étaient dispensés du recours au marché noir pour satisfaire leurs désirs.
Imaginons les USA avec une densité de population égale à celle, bien modeste, de la France ; leur population serait de 600 millions d’habitants dont l’appétit viendrait compliquer le problème du ravitaillement de l’Europe. Mais cette supposition dépasse nos apôtres inféconds de la surnatalité qui se contentent de présider aux destinées des nombreuses ligues polygénistes [[Ce mot parait plus adéquat à l’épithète résumant une nombreuse progéniture et doit remplacer « familles nombreuses ».]] sans se préoccuper des vicissitudes personnelles que créent les charges familiales.
La période de 1890 à 1930 marquait pourtant un signe heureux dans la baisse des taux de natalité qui, conjuguée avec une plus grande longévité, n’affectait en rien l’indice démographique qui continuait sa courbe ascendante. Dans la seule période 1910–1930 le taux de natalité tombe de 32 à 17,50 % en Allemagne, de 26 à 15,3 en Angleterre, de 20 à 17,3 en France, alors que la baisse était moins accentuée dans la période de vingt années qui l’avait précédée. Le relèvement artificiel obtenu en Allemagne et en Italie qui fut un facteur important dans le déclenchement de la seconde guerre mondiale, s’est étendu à la France à la faveur de la période troublée qui bouleversa l’Europe. Les millions de berceaux réclamés devant un micro, par celui dont la taille est sans rapport avec l’esprit, ne sont-ils pas nécessaires pour l’alimentation des charniers que sa caste prépare.
L’audace des surpopulateurs est sans limite. N’a‑t-on pas souvenir du procès intenté par l’Alliance familiale des Alpes-Maritimes à Paul Reboux qui en un judicieux article publié dans un journal local, reprenait les chiffres que nous rappelons plus haut et marquait sa profonde émotion au spectacle de certaines attitudes peu clairvoyantes, qu’il fustigeait en ces termes :
« Malgré cela (ces chiffres) des gens vous engagent à faire des enfants… C’est nous que ça regarde, pas eux ! Et les lois fiscales sont instituées pour pousser à la repopulation ! Et le Code pénal menace tous les clairvoyants penseurs, tous les éminents philosophes ou tous les citoyens ou citoyennes qui font en sorte, par la doctrine et par l’action, que de nouvelles victimes de la surpopulation ne viennent au monde. La prodigieuse et ruineuse stupidité de ces règles morales date du temps où les conquérants voulaient des hommes, des hommes pour en faire des cadavres glorieux. »
« Plus loin : « Une famille nombreuse vit aux crochets de la collectivité et contribue à déséquilibrer le budget national. Au-delà de huit enfants le père n’a plus qu’à pêcher à la ligne ou à lever le coude. » Et encore : « En ce temps de compressions, il faut prendre d’urgence cette mesure : aucune famille nombreuse ne recevra de prime ou d’exemption d’aucune sorte si le chef de famille ne peut présenter un certificat d’indigence. Présentement, la famine s’est étendue sur toute la surface de la terre. Ce n’est pas le moment de créer des bouches nouvelles. » Et enfin : « Tout individu qui prétend augmenter démesurément le chiffre des hommes est un ennemi de l’humanité. »
L’affaire se termina en mars 1949 par la condamnation aux dépens de l’Alliance familiale et l’acquittement de Paul Reboux, attendu, dit le jugement, « que les critiques adressées par Paul Reboux au régime des allocations familiales ont fait, à maintes reprises, l’objet de développements analogues. »
Dans le même ordre d’idées, nous assistons à l’alignement de la population japonaise sur celle des États-Unis. Les faits économiques et même biologiques n’ont pas échappé à la sagacité de Mac Arthur qui recommande dans ce pays, où il a acquis une grande influence, la limitation des naissances. Il a su attirer l’attention du ministre de la Santé du Japon sur la superficie restreinte de l’archipel nippon et sur l’impossibilité d’émigrer ; celui-ci a donc pris différentes mesures qui sont à l’opposé de celles que pratique la France démocratique.
Un décret ministériel du 1er avril 1949 approuve la vente de produits anticonceptionnels chimiques. D’autre part, un film de vulgarisation propage dans le pays, le conseil de limiter les naissances. Nécessité de freiner la natalité, prévoyance parentale, éducation plus profonde des enfants, comportement sexuel lié à la conduite morale des individus, sont exposés dans ce film qui s’achève sur l’activité d’une clinique particulière où les jeunes femmes sont initiées à la limitation des naissances, par des tableaux figurant les méthodes anticonceptionnelles et l’usage des divers procédés qui s’y rapportent.
Est-il nécessaire de rappeler que les grandes tueries collectives que relate l’histoire sont toujours suivies de périodes de félicité, si relatives soient-elles ? Les grandes épidémies, aggravées par les cataclysmes naturels ont rarement été aussi meurtrières que la plus bénigne des guerres. Mais les conflits modernes se transforment en état de guerre permanent et ont fait réapparaître la famine qui avait disparu de l’Europe depuis plus de deux siècles. Pourtant, si les enseignements du passé n’étaient pas si facilement et si légèrement oubliés, la classe ouvrière s’inspirerait des périodes faciles qui succèdent aux guerres et aux épidémies. La main‑d’œuvre se faisant plus rare, serait plus recherchée et les salaires deviendraient plus profitables.
Pour corroborer ce qui précède, jetons un regard sur le Courrier de l’Unesco, qui s’appesantit sur la question avec une louable objectivité.
Dans son numéro de février 1949, sous la plume du Docteur Sripati Chandrasekar„ nous trouvons ce passage : « La population du monde a continué de croître même pendant la deuxième guerre mondiale. Actuellement, en dépit de guerres moins importantes, d’épidémies régionales et de la sous-alimentation, sinon de la famine généralisée, cet accroissement se poursuit. En 1950, le monde comptera plus de 2 400 millions d’habitants d’après la courbe des naissances et des décès.
« Le fait qu’il y ait actuellement dans le monde 2 250 millions d’êtres humains et qu’il y en aura 3 000 millions dans un proche avenir, ne poserait aucun problème si tous étaient assurés d’un minimum vital et de jouir de conditions acceptables en ce qui concerne l’alimentation, l’habillement, le logement, l’éducation et les loisirs. Mais la grande majorité des hommes est actuellement privée, même du nécessaire et il ne semble pas que ce nécessaire puisse lui être fourni à l’avenir si la population continue à augmenter plus rapidement que la production. C’est là, bien entendu, une question qui prête à controverse et la discussion du problème démographique échauffe souvent plus qu’elle n’éclaire les esprits, en provoquant le heurt des différentes idéologies économiques, religieuses et politiques. »
Et, plus loin, nous lisons encore :
« Quelle que soit la vérité, la réalité des problèmes démographiques mondiaux est incontestable ; j’entends que d’une façon ou d’une autre l’accroissement de la population mondiale a été la cause inconsciente ou délibérément proclamée des déclarations de guerre, ainsi que des revendications d’espace vital, d’accès aux matières premières et de liberté absolue d’émigration ou d’immigration.
« Certains pays, comme la Suède et les USA, maintiennent un niveau de vie élevé [[Lors de l’Exposition internationale de Paris, en 1937, un tableau du pavillon suédois portait cette citation : « L’élévation du standard de vie a profondément transformé les habitudes du peuple suédois ; mais, la lourde rançon du progrès du bien-être a été une limitation volontaire des naissances. »]], en exerçant un contrôle strict sur le chiffre de la population ; d’autres, comme la Chine et l’Inde, s’en remettent à Dieu et à la nature et voient leur niveau de vie s’abaisser. »
Dans le numéro d’avril 1949 du même Courrier, sous la signature de James Torrès-Bodet, directeur général de cette institution, une invitation lancée dans le monde pour s’associer à la grande croisade pour le maintien de la paix par l’éducation des peuples, contenait ce passage :
« C’est dans les quartiers ouvriers des villes, c’est dans les villages qu’il faut construire la Paix. C’est là que vit la grande masse de la population, là qu’elle vit dans des conditions qui constituent une menace perpétuelle pour la Paix… »
Cette discrète allusion aux funestes propagandes dominées par la quantité et négligeant la qualité sera-t-elle comprise par les aveugles qui président aux destinées du monde ?
Toujours dans le même journal, parlant de la pauvreté dans l’indigence Aldous Huxley écrit :
« … Qui plus est, alors que la population s’accroît, la fertilité du sol diminue. La guerre atomique peut détruire une civilisation donnée. L’érosion du sol peut supprimer toute possibilité de civilisation… La nourriture est une denrée renouvelable. Si le sol n’est pas exploité jusqu’à l’épuisement, les récoltes se succéderont d’année en année. Mais le gisement d’étain ou de cuivre qui a fourni du minerai cette année, ne se reconstituera pas l’an prochain…
« L’existence d’un rapport défavorable entre le chiffre de la population et la somme des ressources naturelles crée une menace permanente pour la paix ainsi que pour la liberté individuelle et politique. À l’heure actuelle, pour que la paix soit menacée, il suffit qu’une nation surpeuplée dispose d’une industrie capable de produire des armements. »
Quittons ces appréciations suggestives et signalons au passage les travaux de Gaston Bouthoul qui dans des ouvrages [[La Population dans le Monde (1935). Cent millions de morts (1947). 8 000 traités de paix (1948).]] successifs se penche sur le problème que nous étudions. Cet auteur estime que condamner la guerre ne suffit pas, mais que pour prononcer cette condamnation, il est nécessaire de connaître les circonstances qui la provoquent. Constatant la médiocrité dans laquelle nous nous débattons au milieu du
« Les races jaunes, de même que les civilisations archaïques de l’Europe, usaient traditionnellement de l’infanticide. Mais l’Europe moderne a choisi l’infanticide différé. Le sacrifice des adultes y est considéré comme préférable à celui des nouveaux-nés. » [[G. Bouthoul. Cent millions de morts, page 78 (souligné dans le texte).]]
Si l’on pouvait appliquer aux Indes, l’hygiène pratiquée actuellement aux États-Unis, l’âge moyen des Hindous se trouvant porté de 27 à 61 ans, on trouverait sur cette partie du globe, en moins d’un siècle, de quoi peupler cinq Terres. Par contre, si l’on tient compte de l’accroissement de population chez les grandes races européennes entre 1800 et 1940, on constate que si les Latins ont baissé de 33 à 24 %, les Germains et les Scandinaves ont passé de 32 à 30 %, tandis que les populations slaves se sont élevées de 35 à 45 %. Il y a là une pénible constatation, car les fondations du monde civilisé risquent de se trouver ébranlées. »
Le docteur Simon Obispo à qui nous empruntons ces observations, conclut en ces termes :
« L’attitude actuelle de l’URSS, comparable à celle de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon dans le passé, ne saurait laisser aucun doute sur ses intentions belliqueuses.
« Guidée dans son programme de surpopulation par une ignorance crasse des problèmes économiques les plus élémentaires ou par un désir de dominer le monde, l’URSS devra faire la guerre. » [[Revue Europe-Amérique – Avril-mai 1946.]]. Et plus loin :
« On ne répétera jamais assez que nous sommes des hommes libres, ingénieux, relativement puissants, et non des lapins et qu’il y a avantage à nous conduire comme tels. Si nous ne voulons du moins avoir à choisir bientôt entre l’inanition et l’anthropophagie. »
[|* * * *|]
Des esprits superficiels, reprenant certaines idées générales exprimées, sur ce sujet particulier, par Kropotkine et ses adeptes, ont cherché à tirer un enseignement du développement du machinisme qui aboutit à la grande crise de Wall Street en 1929 et qui s’étendit à toute l’économie capitaliste. Avec raison, ils ont conclu que le maintien du profit était incompatible avec le progrès scientifique. Si, sur le terrain industriel on peut justifier, dans une certaine mesure, l’abondance toute relative de certains produits, on ne saurait en dire autant de la production des denrées alimentaires. Encore faudrait-il tenir compte dans le premier cas de l’épuisement progressif des matières premières dont la consommation effrénée au cours de la dernière guerre a révélé le danger.
Laissons de côté les prévisions trop théoriques, qui, en réduisant des 2/3 les efforts de l’homme, sont susceptibles de permettre l’approvisionnement des marchés, en produits de plus en plus nombreux et de meilleure apparence. (Culture en tiroir, où la terre n’est même plus indispensable) et examinons quelques chiffres concernant les produits laitiers.
Tout d’abord, pourquoi la routine française de la paysannerie se laisse-t-elle surpasser par les éleveurs étrangers ? Actuellement, pendant que la vache hollandaise produit 3 400 litres de lait par an, la vache allemande en produit 2 500, et la vache suisse 3 150. La vache française qui, avant la guerre, produisait 1 800 litres, n’en donne plus que 1 500. Nous avons là des chiffres qui sont loin de corroborer les résultats obtenus avec une vache frisonne qui, de 67 litres en 1933 passait en 1936 à 70 litres par jour ; il ne fallait pas moins de six traites par jour pour alléger les mamelles de l’animal.
S’il était possible de niveler à cette échelle la production de lait mondiale, la pénurie de lait serait vite oubliée. Mais, cette exceptionnelle manne n’a pas encore été généralisée et la rareté de ces produits, qui n’est pas toujours provoquée pour maintenir ou hausser les prix, a une autre cause sur laquelle nos statisticiens font le silence.
C’est l’usage qui est fait des sous-produits du lait et notamment de la caséine pour des préparations de guerre. Ce qui amenait le Professeur Debré à déclarer le 30 janvier 1948 à la radio : « Sur 100 millions de litres de lait recueillis, 32 millions sont convertis en beurre, ou en fromage ; et 18 millions en lait industriel [[C’est nous qui soulignons.]]. Résultat : 250 000 enfants n’ont qu’un demi-litre par jour. » Le Professeur Debré oubliait ce jour-là, une déclaration faite par lui à la même radio, le 25 novembre 1947, et qui nous paraît en flagrante contradiction avec celle qui précède : « L’augmentation du nombre des naissances est un phénomène heureux montrant la confiance des Français en la prospérité de leur pays et par surcroît une élévation du niveau moral. »
En dépit des affirmations optimistes qui, depuis plus de quinze ans sont colportées, la guerre de 1939–1945 a ramené la famine dont les pays civilisés avaient perdu la mémoire. Si pendant l’année qui précéda la guerre, 30 millions d’hommes sont morts par défaut de nutrition, à quel chiffre estimera-t-on les victimes que la dernière guerre a provoquées ? Ces faits peuvent surprendre l’homme de la rue, mais les milieux officiels n’ignorent pas la famine qui régna dans la partie méridionale de notre Afrique du Nord pendant les années 1936 et 1937 ; la presse française, alors grisée ou désolée par l’euphorie provoquée par le Front populaire, si riche de promesses envolées, observa de Conrart le silence prudent.
Les conclusions d’un rapport des services de la SDN, qui dément toute surabondance dans le domaine agricole méritent d’être signalées ici : « Ce qui manque le plus, dans l’alimentation universelle, ce sont les aliments protecteurs : lait, produits de ferme, œufs, légumes, fruits et viande,
On peut certes accorder un certain crédit aux découvertes des savants qui s’obstinent à rechercher des améliorations au sort de leurs semblables ; mais, les résultats de leurs travaux sont trop souvent utilisés à des fins contraires pour nous inciter à une croyance aveugle.
Quand on nous parle de l’emploi de l’énergie nucléaire pour suppléer aux engrais insuffisants afin de fertiliser un sol appauvri par des cultures intensives, nous ne pouvons manquer d’évoquer la pilule Berthelot qui devait révolutionner l’alimentation humaine, mais qui était incompatible avec la nécessité de contenir les vitamines dont sont dépourvus les aliments morts, composés chimiquement.
Dans le même ordre d’idées, nous pouvons rapprocher les expériences auxquelles procéda, récemment, l’armée américaine dans la zone arctique. Pour vérifier la résistance humaine aux températures polaires, quelques groupes d’hommes ont été soumis à une alimentation spéciale leur permettant de résister à — 40° C. Des rations savamment dosées, composées de dix tablettes de nourriture condensée, correspondant à 500 grammes par homme et par jour, pouvaient apporter à l’organisme humain de 4 200 à 5 500 calories. Nous supposons que l’on n’a pas négligé le facteur goût, dans cette nourriture scientifique, que nous ne saurions souhaiter concluante, puisqu’elle tend à envoyer au massacre, préparé par les chancelleries, ces futures victimes.
Le prestige grandissant des militaires qui servent si bien le pouvoir occulte des financiers internationaux, survit aux cuisants échecs qui ont été vite oubliés. Ce n’est certes pas la première fois dans l’histoire que nos militaires essuyèrent une défaite comparable celle de juin 1940 qui nous avait donné l’illusion de la chute définitive du militarisme. Cependant, au contraire, n’a‑t-on pas vu les responsables du désastre s’emparer des rênes du pouvoir. Les craintes manifestées, jadis, par les républicains de voir les généraux vainqueurs se proclamer dictateurs, ne s’étaient jamais orientées vers le danger que pouvaient présenter des généraux vaincus.
La politique natalitaire ébauchée par Vichy avait pour but lointain l’alimentation en matériel humain des futurs champs de carnage où nos stratèges pratiquent cette sélection humaine à rebours qui nous conduit à une dégénérescence certaine.
Les temps sont révolus où l’on attendait que l’enfant, mal renseigné, ait atteint l’âge de 18 ans pour vendre les meilleures années de sa vie en contractant un engagement dans l’armée ; dans une attitude spartiate, qui est loin de nous séduire, les mères acceptent cet inhumain trafic dès la conception. Il est vrai que trop souvent victimes de l’égoïsme masculin elles ne connaissent que rarement le plaisir que devrait leur causer ladite conception ; leur passivité amoureuse, qu’elles déplorent entre elles le démontre et l’instinct maternel a perdu chez ces dernières, grand nombre de ses qualités initiales.
Les encouragements à la prolifération que l’on distribue avec tant d’empressement, depuis plusieurs années, ne rencontrent pas le même accueil dans tous les pays. Les mères anglaises notamment ne se laissent pas prendre à ce grossier appât. À une enquête faite en 1946, par Mass Observation, sorte de Gallup anglais, elles donnaient comme suit, leur appréciation sur la nécessité du relèvement du taux de la natalité en Angleterre, qui était offerte à leurs suffrages :
« 1° Toute politique de natalité est inspirée par des préoccupations militaires ; 2° Les petits peuples ont plus de chance que les autres de ne pas être entraînés dans les guerres ; 3° Les femmes anglaises estiment que leur pays est assez bien peuplé pour les ressources dont il dispose ; 4° Une augmentation de la population amènerait une recrudescence du chômage. »
Quant aux mesures financières anglaises favorables aux nombreuses familles, elles se révèlent peu efficaces, car l’enquête concluait : « Le public anglais n’aime pas qu’on achète ses enfants. »
Ces pertinentes observations ont été passées sous silence par la presse qui continué à poursuivre l’abêtissement de ses lecteurs. On prend prétexte, en France, du manque de main‑d’œuvre pour relever la natalité ; mais on oublie de faire remarquer que dans un foyer élevant trois enfants, l’un succédera au père ; le second pourra devenir fonctionnaire ; quant au troisième il aura de fortes chances pour connaître le chômage.
Pour l’ensemble de la classe ouvrière une seule réponse est à notifier à ces prétentions surnatalitaires : pour obtenir des salaires élevés, le nombre des producteurs doit être réduit. Lorsque les exploiteurs sont à la recherche d’ouvriers, ceux-ci peuvent accroître leurs prétentions à un niveau de vie plus satisfaisant.
La loi du nombre que veulent imposer les domestiques des gouvernants, par qui ils sont grassement entretenus, ne feront jamais ressortir que, malgré ses 180 millions d’habitants, la Russie s’est trouvée envahie par 80 millions d’Allemands. De même, la Chine, avec ses 400 millions d’habitants, fut la proie de 80 millions de Japonais et 45 millions d’Anglais purent pendant longtemps dominer les 340 millions d’Hindous.
En faisant cette judicieuse observation, G. Bouthoul précise : « L’hégémonie du plus grand nombre est une conception paresseuse qui s’efforce de grossir la population à la mesure de son appétit au lieu de la limiter à ses ressources. » [[Op. cité page 134.]]
Nous ne pouvons que regretter la situation de tous les pays de l’Europe, déjà surpeuplés puisque la sous-alimentation persiste, de se trouver réduits à la formule du César de carnaval qui trouva, près de sa maîtresse, en 1944, une mort sensationnelle, près de Milan. Quand il proclamait la nécessité pour l’Italie de « s’étendre ou d’exploser » il oubliait les solennelles déclarations qu’il fit en 1913 au docteur Luigi Berta, en se proclamant malthusien convaincu. Il poussa le machiavélisme jusqu’à promulguer, en 1934, comme son compère Hitler, des lois populationnistes qui ne pouvaient qu’accroître la structure explosive de leurs peuples comprimés dans leurs frontières.
De telles mesures vont à l’encontre de la poursuite du bien-être par les humains ; au lieu de correspondre à une élévation physique et morale elles entraînent au contraire la masse humaine vers une déchéance certaine. Non seulement l’encouragement à la prolifération n’élimine pas les individus atteints de tares physiologiques qui, par surcroît, ne font qu’aggraver la morbidité, mais encore, il est de nature à satisfaire les appétits de conquête des pêcheurs en eau trouble, en mettant à leur disposition des armées de plus en plus nombreuses.
La motorisation des armées permet d’enrôler des jeunes gens de 16 à 17 ans et d’accroître dans la proportion d’un tiers le nombre des recrues.
Un plus grand développement de certains points ébauchés au cours de cet exposé aurait été nécessaire pour démontrer le caractère biologique des guerres modernes ; la voie ouverte au mouvement pacifiste, en plein essor, lui impose de fonder sa propagande sur le solide terrain du pacifisme scientifique. Mais il faut nous limiter et c’est sur ces remarques finales de G. Bouthoul que nous conclurons :
D’abord son étonnement, qui n’est pas le nôtre, de voir que : « les nations trouvent naturel de dépenser des dizaines de milliards pour préparer les guerres, des centaines de milliards pour les faire. Mais elles ne dépensent pas un sou pour essayer de comprendre la nature de cette étrange épidémie mentale qui les afflige périodiquement. »
Ensuite, cette crainte que nous devons partager : « La surpopulation de l’Europe la fera choir au rang des vieilles civilisations asiatiques avec leurs foules immenses, abruties, asservies et végétant misérablement. À cause de son trop grand nombre, l’homme sera de plus en plus avili ; de citoyen il deviendra sujet… La liberté est un luxe impossible dans les pays surpeuplés car la fragilité extrême de leur situation, du fait qu’il existe unie forte proportion de « desperados » sans ressources, ni débouchés, oblige les classes dirigeantes à une politique d’obscurantisme et de férocité à l’égard du peuple. »
Que pouvons-nous ajouter pour renforcer notre thèse tendant à démontrer que l’humanité n’est pas à la veille de connaître l’euphorie qu’un enthousiasme mal établi cherche à répandre ? La stupidité des masses sganarellisées [[Expression copiée de H. Jeanson.]] ne doit pas nous faire désespérer d’un avenir meilleur et bien que le vent soit rarement à l’optimisme, tendons tous nos efforts vers ce bien-être et cette liberté qui nous sont indispensables.
[/André