La Presse Anarchiste

La politique nataliste est-elle conséquente ?

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De nom­breux lecteurs nous ont demandé de traiter quelques sujets « du jour ». Nous ne sauri­ons mieux faire que d’aborder, avec cette pre­mière étude, une des ques­tions les plus trag­iques de l’actualité 1951. La poli­tique natal­iste des gou­verne­ments qui se sont suc­cédé au pou­voir depuis la Libéra­tion peut-elle être plus incon­séquente, plus brouil­lonne, plus imprévoy­ante ? De Charles de Gaulle, qui, dans un des dis­cours dont il a le secret, récla­mait douze mil­lions de beaux bébés – les Français, bien sûr, ne sauraient en avoir d’autres ! – jusqu’aux com­mu­nistes, cha­cun incite les jeunes ménages à repro­duire à out­rance. S’est-on seule­ment soucié de con­stru­ire des crèch­es, de nou­velles écoles, des mater­nités mod­ernes ? Ce serait mal con­naître nos hommes d’État, qui, s’abritant der­rière les min­istres des Finances suc­ces­sifs, ne trou­vent des crédits que pour la con­struc­tion de bâti­ments admin­is­trat­ifs, de nou­velles casernes, et d’armements var­iés. Cela, cha­cun le sait, quelques jour­nal­istes le dis­ent timide­ment ; nous allons, quant à nous, don­ner notre avis en quelques études. Aujour­d’hui, André Maille a la parole.
)]

Le problème démographique

La super­struc­ture des États mod­ernes reposant sur le mil­i­tarisme et sur la diplo­matie, ne peut nous empêch­er de con­stater que la forme de ces États opp­ri­mant les peu­ples, enfer­més en de frag­iles, fron­tières, pas­sa de la Nation à l’État ; elle est essen­tielle­ment fondée sur la poli­tique et l’économie sociale.

Le prob­lème le plus impor­tant des rela­tions paci­fiques entre les Nations, les peu­ples con­tin­u­ant à demeur­er con­sid­érés comme quan­tité nég­lige­able, n’a pas jusqu’i­ci, retenu l’attention des soci­o­logues, ni de la plu­part des écrivains qui se sont penchés sur la mis­ère humaine ; nous voulons par­ler du prob­lème démographique.

Devant la néga­tion ou le silence de cer­tains esprits clair­voy­ants, que l’on ren­con­tre par­fois à l’avant-garde du mou­ve­ment d’émancipation, nous devons repren­dre les enseigne­ments de Paul Robin, de Gabriel Giroud, de Manuel Devaldès, d’Eugène et Jeanne Hum­bert, qui étudièrent en détail, le rap­port qui lie la pop­u­la­tion aux subsistances.

S’il est regret­table d’enregistrer l’opposition sys­té­ma­tique man­i­festée à l’égard de ce prob­lème par Kropotkine, par Jean Grave et par les Reclus et l’attitude hos­tile qu’il ren­con­tra de la part des Millerand, Sem­bat et autres Benoît Mal­on, rap­pelons qu’Alfred Naquet et Jau­rès ne furent pas insen­si­bles aux démon­stra­tions des précurseurs rap­pelés plus haut.

Néan­moins, nous ne pou­vons que nous éton­ner de l’usage abusif que l’on fait de l’idée d’abondance for­mulée par Kropotkine en 1888 sans en don­ner la référence. Ce n’est pas parce qu’il était loin d’envisager le dan­ger de la pro­liféra­tion humaine qui engen­dre la sur­pop­u­la­tion, et de ce fait se trou­ve nuis­i­ble aux rela­tions paci­fiques des humains, qu’on doit faire le silence sur ce précurseur.

Pour les esprits inqui­ets de l’ineptie des mesures pris­es, à con­tre-temps, pour ménag­er les ten­dances qui se man­i­fes­tent par­mi cer­taines organ­i­sa­tions, où la démence quan­ti­ta­tive sup­plante la sagesse qual­i­ta­tive, la ques­tion démo­graphique ne peut man­quer d’être agitée devant l’accroissement inquié­tant des mass­es humaines.

Nous nous trou­vons partagés entre la struc­ture explo­sive des nations pro­lifiques, l’indice de bel­lic­ité qui car­ac­térise la pres­sion démo­graphique et l’infanticide dif­féré qui mar­que la pro­fonde igno­rance de ceux qui se pré­ten­dent des con­duc­teurs d’hommes.

Avant de pouss­er plus avant l’examen de ces dif­férents points de vue, exam­inons les idées trop sou­vent exprimées, sans étude appro­fondie. On a, depuis près d’un demi-siè­cle, une ten­dance mar­quée à déplor­er la dépop­u­la­tion. Or il n’est pas, de nation ou de peu­plade qui, dans les temps mod­ernes, se trou­ve dépe­u­plée. Il n’y a, en effet, dépop­u­la­tion que lorsque, pour une quan­tité de pro­duits demeu­rant con­stante, le nom­bre des con­som­ma­teurs dimin­ue ; on peut même ajouter qu’en dehors de cer­taines exter­mi­na­tions, per­pétrées sur plusieurs points du globe au cours du xixe siè­cle, con­tre des pop­u­la­tions qual­i­fiées rebelles, c’est plutôt le con­traire qui se pro­duit, comme nous le ver­rons plus loin.

On par­le égale­ment beau­coup en France de déna­tal­ité. Mais, si l’on com­pare les chiffres offi­ciels des mou­ve­ments de la pop­u­la­tion, on acquiert rapi­de­ment la con­vic­tion que l’interprétation de ces chiffres est ten­dan­cieuse. L’indice de natal­ité, un moment en baisse général­isée dans toutes les nations civil­isées, n’a jamais été défa­vor­able à la pop­u­la­tion française qui, chaque année, aug­men­tait de 60 000 unités env­i­ron. Nous lais­serons de côté les chiffres récents qui aggravent notre inquiétude.

Mais, la sur­pop­u­la­tion, niée par divers­es ligues inféodées à la loi du nom­bre, est au con­traire l’état actuel dans lequel se trou­vent toutes les nations, civil­isées ou non, puisque la quan­tité des pro­duits néces­saires à leur nour­ri­t­ure se trou­ve con­stam­ment dépassée par le nom­bre des con­som­ma­teurs qu’elle doit sat­is­faire. Si, tem­po­raire­ment, le Cana­da, l’Australie et la République Argen­tine se trou­vent être expor­ta­teurs de céréales, sans en priv­er leurs ressor­tis­sants, les besoins extérieurs dépassent notable­ment leurs disponibilités.

Au cours des cent cinquante dernières années, la pop­u­la­tion de notre petit tas de boue a presque quadru­plé, soit 650 mil­lions d’individus à 2.347.000.000, mal­gré les guer­res de plus en plus sanglantes qui ont sévi et aus­si mal­gré les cat­a­clysmes naturels (inon­da­tions, trem­ble­ments de terre, etc.) où la volon­té humaine n’a pas à inter­venir. Nous nous trou­vons, de ce fait, bien près des accroisse­ments prévus par la loi de Malthus, qui étab­lis­sait que, sans obsta­cle à leur développe­ment, les pop­u­la­tions pou­vaient dou­bler tous les trente ans.

Sans doute, la struc­ture explo­sive du Japon avec son aug­men­ta­tion annuelle de plus de 2 mil­lions d’habitants ; celles de l’Italie et de l’Allemagne, où l’accroissement était respec­tive­ment de 600 000 et 900 000 ; celles de la Russie et des États-Unis d’Amérique qui don­nent des chiffres égale­ment inquié­tants, con­tribuaient à élever l’indice de bel­lic­ité qui se car­ac­térisa par la recherche de l’espace vital qui aboutit au dernier con­flit armé. Quant à la Pologne, avec un excé­dent des nais­sances sur les décès de 500 000 unités par an, elle est une démon­stra­tion con­va­in­cante de la sur­pop­u­la­tion des cam­pagnes polon­ais­es, mal incon­nu dans les autres pays d’Europe.

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À cette ascen­sion rapi­de de la pop­u­la­tion mon­di­ale, com­parons à présent la sur­face utile des ter­res cul­tivables des pays con­sid­érés. Com­parés aux chiffres français util­isés comme base, les 36 mil­lions d’hectares de l’Italie ne pour­raient nour­rir que 25 mil­lions d’habitants ; il y a donc 16 mil­lions d’Italiens en surnom­bre. Les 45 mil­lions d’hectares de l’Allemagne peu­vent sat­is­faire les besoins de 34 mil­lions d’hommes, soit un excès de 30 mil­lions d’Allemands. Quant au Japon, le même cal­cul mon­tre que l’archipel nip­pon compte 55 mil­lions d’habitants en trop.

Si l’espace dont dis­posent momen­tané­ment la Russie et les USA dépasse la den­sité humaine au kilo­mètre car­ré, on ne saurait pré­ten­dre que ces nations soient pour longtemps à l’abri de la saturation.

Voyons main­tenant quelles sont les quan­tités de den­rées que l’on peut met­tre à la dis­po­si­tion de ces pop­u­la­tions que l’on cherche à aug­menter par l’appât trompeur d’avantages pécu­ni­aires. La ration-type néces­saire, à l’adulte, chiffrée en Amérique par Atwat­ter, est de 3 520 calo­ries, apportées à l’organisme humain par 125 grammes de pro­téines, 125 grammes de graiss­es et 450 grammes d’hydrates de car­bone. En Russie, cette ration-type varie suiv­ant le cas et est éval­uée comme suit : pour un tra­vail moyen : 3 644 calo­ries ; pour un adulte des cam­pagnes : 3 800 et pour un très gros tra­vail : 4 300.

Si l’on songe qu’en temps ordi­naire on arrivait à peine à 2 500 calo­ries et que ce chiffre se trou­va par­fois inférieur à 1 000 calo­ries par l’effet des restric­tions imposées par les con­som­ma­tions anor­males du temps de guerre, et aus­si du fait des allo­ca­tions supérieures accordées aux com­bat­tants, on est en droit de met­tre en doute cer­taines affir­ma­tions que la réal­ité dément.

Le pub­lic européen n’est pas famil­iarisé avec l’emploi du terme calo­rie qui mesure l’apport ther­mique fourni à l’organisme ani­mal par l’ingestion des ali­ments ; mais, il est d’usage courant en Amérique, où les menus des restau­rants indiquent, en regard du prix des plats, la valeur calori­fique des élé­ments qui les composent.

La pro­duc­tion des céréales, nous dit-on, est en pro­gres­sion et pour ne pas dimin­uer le prof­it cap­i­tal­iste, on brûle ou on déna­ture le sur­plus que l’on ne peut écouler nor­male­ment. Si nous pou­vons nous déclar­er d’accord pour con­damn­er la struc­ture sociale qui per­met une telle hérésie économique, nous sommes oblig­és de faire des remar­ques qui sont loin d’être favor­ables à la thèse de la pro­gres­sion, quant à la pro­duc­tion agri­cole. Tout d’abord, il faudrait que les sta­tis­ti­ciens usent d’un même lan­gage et emploient des unités com­pa­ra­bles, sinon iden­tiques. Mais la con­fu­sion des ter­mes céréales, blé ou fro­ment, est déjà regret­table ; à for­tiori quand les chiffres sont éval­ués soit en tonnes, soit en quin­taux, soit en hec­tolitres au cours d’un même exposé.

La récolte de blé n’a pas le car­ac­tère d’abondance que l’on tente de nous faire croire et pour ne con­sid­ér­er que l’agriculture française, nous con­sta­tons que c’est une qua­si-sta­bil­ité que l’on ren­con­tre, tant dans le ren­de­ment par hectare que dans la pro­duc­tion glob­ale. La récolte excep­tion­nelle atteinte en France en 1907 s’élevait à 103 mil­lions de quin­taux ; jamais ces chiffres ne furent relevés dans les sta­tis­tiques depuis 40 ans ; les années excel­lentes elles-mêmes se font assez rares et la pro­duc­tion de 1948, estimée à 80 mil­lions de quin­taux, n’avait pas été atteinte depuis 1935. Ce n’est que par l’abandon de cer­taines cul­tures, qui ont fait place à l’emblavement en blé, que la pro­duc­tion totale se main­tient à un niveau à peine sat­is­faisant ; mais, les ren­de­ments à l’hectare demeurent de 20 quin­taux en moyenne et n’ont guère subi de change­ment notable depuis un siècle.

Les vari­a­tions s’observent égale­ment au Cana­da, un des pre­miers pays pro­duc­teurs de blé. De 154 mil­lions de quin­taux en 1928 la pro­duc­tion tombait à 82 en 1929 pour se relever à 108 en 1930. D’autre part, il faut avoir le temps de com­par­er les divers­es sta­tis­tiques avant d’apporter des juge­ments pour le moins téméraires. Les expor­ta­tions de l’Argentine, éval­uées en 1929 à 66 mil­lions de quin­taux, con­tre­dis­ent le Bul­letin de la SDN qui mar­que une récolte de 65 mil­lions de quin­taux. Il y a lieu de sup­pos­er que les Argentins ne sont pas restés sans manger de pain, pen­dant un an. D’ailleurs, la réduc­tion de la con­som­ma­tion du pain en France, qui passe de 224 kilos par habi­tant en 1914 à 191 kilos en 1935, paraît illus­tr­er suff­isam­ment notre thèse.

Au cours de la guerre 1939–1945, on peut estimer que les déficits observés étaient dus à la sup­pres­sion des échanges, à une moins bonne sélec­tion des semences, à la pénurie d’engrais et à un tra­vail moins soigné de la terre.

Mais, là n’est pas toute la question.

Indépen­dam­ment de la qual­ité inférieure du grain obtenu avec l’emploi de plus en plus impor­tant des engrais qui altèrent la com­po­si­tion chim­ique de la farine et mod­i­fient les qual­ités biologiques du pain, il faut compter par sur­croît avec une usure pré­maturée des ter­res qui con­nais­sent un épuise­ment les ren­dant infertiles.

Les USA, qui dans la péri­ode con­séc­u­tive à la crise de 1929, ont con­nu un nom­bre de chômeurs inusité, avaient de 25 à 30 mil­lions de sous-ali­men­tés, mal­gré des récoltes abon­dantes qui leur per­me­t­taient de sat­is­faire par­tielle­ment les deman­des de l’ancien con­ti­nent, en con­tin­uel surpe­u­ple­ment ; les Européens pas­saient ain­si avant les Améri­cains. Her­bert Agar, agronome de la République étoilée, déclare que cette pro­duc­tion inten­sive n’a pas été sans épuis­er une par­tie de leur sol jusqu’à ren­dre impro­pres à toute cul­ture des éten­dues con­sid­érables qu’il détaille ain­si : « Env­i­ron 4 mil­lions d’hectares ont été com­plète­ment détru­its, et quand je dis détru­its, je n’entends pas que ces ter­res aient besoin de repos et de quelque matière fer­til­isante ; je veux dire qu’il fau­dra des siè­cles pour les restau­r­er, qu’il est trop tard pour qu’on puisse espér­er leur prochaine amélio­ra­tion par le tra­vail humain. En dehors de ces 4 mil­lions d’hectares, devenus déser­tiques, 8 mil­lions d’autres sont sérieuse­ment atteints et près de 30 mil­lions sont men­acés. » (Ces 42 mil­lions d’hectares cor­re­spon­dent à la sur­face cul­tivable de la France).

Hitler, lui-même, envis­ageait déjà que la lim­ite d’utilisation du sol était sur le point d’être atteinte, en Alle­magne, et jugeait que l’abus des engrais chim­iques présen­tait des signes de détéri­o­ra­tion. Mal­gré cette con­stata­tion, qui ne lui est pas per­son­nelle, il n’hésitait pas à décréter des lois de nature à faire remon­ter la courbe de natal­ité dans une pro­por­tion sen­si­ble [[N’oublions pas que la pro­lificité de l’Allemagne et de l’Italie avait été amenuisée par les hécatombes de 1914–1918 et que le taux de natal­ité dans ces pays bais­sa au-dessous de celui de la France.]]. N’avait-il pas la pré­ten­tion de faire vivre sur le con­ti­nent 250 mil­lions d’Allemands ?

L’industrialisation de l’Angleterre a réduit notable­ment sa pro­duc­tion agri­cole qui ne peut sub­venir que pour 25 % aux besoins de sa pop­u­la­tion. II y a là un exem­ple car­ac­téris­tique qui fait dire ce qui suit à Manuel Devaldès : « La sur­pop­u­la­tion est l’état d’un ter­ri­toire où la pop­u­la­tion a dépassé le niveau qui lui est assigné par ses disponi­bil­ités en sub­sis­tances. » (Croître et mul­ti­pli­er, c’est la guerre, page 45.).

Déjà en 1919, Hoover, alors dic­ta­teur aux vivres aux USA, avant d’en devenir Prési­dent de la République, esti­mait qu’en dépit des 30 mil­lions de vic­times de la guerre de 1914–1918, il y avait 100 mil­lions d’Européens en trop. Joseph Cail­laux por­tait bien­tôt ce chiffre à 150 mil­lions et dans son « Inquié­tude du Monde », Francesco Nit­ti dis­ait que 250 mil­lions d’Européens ne dis­po­saient pas d’un ter­ri­toire suff­isant. En 1945, après une hécatombe trois fois plus impor­tante, l’évaluation des pop­u­la­tions en surnom­bre reste à faire. Mais la fragilité du régime ali­men­taire s’est trou­vée suff­isam­ment démon­trée et seuls les trafi­quants éhon­tés des sit­u­a­tions dif­fi­ciles peu­vent se van­ter de n’avoir pas eu le souci du lende­main quant à leur vie physique. N’oublions pas que nos inten­dants du rav­i­taille­ment étaient dis­pen­sés du recours au marché noir pour sat­is­faire leurs désirs.

Imag­i­nons les USA avec une den­sité de pop­u­la­tion égale à celle, bien mod­este, de la France ; leur pop­u­la­tion serait de 600 mil­lions d’habitants dont l’appétit viendrait com­pli­quer le prob­lème du rav­i­taille­ment de l’Europe. Mais cette sup­po­si­tion dépasse nos apôtres infé­conds de la sur­na­tal­ité qui se con­tentent de présider aux des­tinées des nom­breuses ligues polygénistes [[Ce mot parait plus adéquat à l’épithète résumant une nom­breuse progéni­ture et doit rem­plac­er « familles nom­breuses ».]] sans se préoc­cu­per des vicis­si­tudes per­son­nelles que créent les charges familiales.

La péri­ode de 1890 à 1930 mar­quait pour­tant un signe heureux dans la baisse des taux de natal­ité qui, con­juguée avec une plus grande longévité, n’affectait en rien l’indice démo­graphique qui con­tin­u­ait sa courbe ascen­dante. Dans la seule péri­ode 1910–1930 le taux de natal­ité tombe de 32 à 17,50 % en Alle­magne, de 26 à 15,3 en Angleterre, de 20 à 17,3 en France, alors que la baisse était moins accen­tuée dans la péri­ode de vingt années qui l’avait précédée. Le relève­ment arti­fi­ciel obtenu en Alle­magne et en Ital­ie qui fut un fac­teur impor­tant dans le déclenche­ment de la sec­onde guerre mon­di­ale, s’est éten­du à la France à la faveur de la péri­ode trou­blée qui boulever­sa l’Europe. Les mil­lions de berceaux réclamés devant un micro, par celui dont la taille est sans rap­port avec l’esprit, ne sont-ils pas néces­saires pour l’alimentation des charniers que sa caste prépare.

L’audace des sur­pop­u­la­teurs est sans lim­ite. N’a‑t-on pas sou­venir du procès inten­té par l’Alliance famil­iale des Alpes-Mar­itimes à Paul Reboux qui en un judi­cieux arti­cle pub­lié dans un jour­nal local, repre­nait les chiffres que nous rap­pelons plus haut et mar­quait sa pro­fonde émo­tion au spec­ta­cle de cer­taines atti­tudes peu clair­voy­antes, qu’il fustigeait en ces termes :

« Mal­gré cela (ces chiffres) des gens vous enga­gent à faire des enfants… C’est nous que ça regarde, pas eux ! Et les lois fis­cales sont insti­tuées pour pouss­er à la repop­u­la­tion ! Et le Code pénal men­ace tous les clair­voy­ants penseurs, tous les émi­nents philosophes ou tous les citoyens ou citoyennes qui font en sorte, par la doc­trine et par l’action, que de nou­velles vic­times de la sur­pop­u­la­tion ne vien­nent au monde. La prodigieuse et ruineuse stu­pid­ité de ces règles morales date du temps où les con­quérants voulaient des hommes, des hommes pour en faire des cadavres glorieux. »

« Plus loin : « Une famille nom­breuse vit aux cro­chets de la col­lec­tiv­ité et con­tribue à déséquili­br­er le bud­get nation­al. Au-delà de huit enfants le père n’a plus qu’à pêch­er à la ligne ou à lever le coude. » Et encore : « En ce temps de com­pres­sions, il faut pren­dre d’urgence cette mesure : aucune famille nom­breuse ne recevra de prime ou d’exemption d’aucune sorte si le chef de famille ne peut présen­ter un cer­ti­fi­cat d’indigence. Présen­te­ment, la famine s’est éten­due sur toute la sur­face de la terre. Ce n’est pas le moment de créer des bouch­es nou­velles. » Et enfin : « Tout indi­vidu qui pré­tend aug­menter démesuré­ment le chiffre des hommes est un enne­mi de l’humanité. »

L’affaire se ter­mi­na en mars 1949 par la con­damna­tion aux dépens de l’Alliance famil­iale et l’acquittement de Paul Reboux, atten­du, dit le juge­ment, « que les cri­tiques adressées par Paul Reboux au régime des allo­ca­tions famil­iales ont fait, à maintes repris­es, l’objet de développe­ments analogues. »

Dans le même ordre d’idées, nous assis­tons à l’alignement de la pop­u­la­tion japon­aise sur celle des États-Unis. Les faits économiques et même biologiques n’ont pas échap­pé à la sagac­ité de Mac Arthur qui recom­mande dans ce pays, où il a acquis une grande influ­ence, la lim­i­ta­tion des nais­sances. Il a su attir­er l’attention du min­istre de la San­té du Japon sur la super­fi­cie restreinte de l’archipel nip­pon et sur l’impossibilité d’émigrer ; celui-ci a donc pris dif­férentes mesures qui sont à l’opposé de celles que pra­tique la France démocratique.

Un décret min­istériel du 1er avril 1949 approu­ve la vente de pro­duits anti­con­cep­tion­nels chim­iques. D’autre part, un film de vul­gar­i­sa­tion propage dans le pays, le con­seil de lim­iter les nais­sances. Néces­sité de frein­er la natal­ité, prévoy­ance parentale, édu­ca­tion plus pro­fonde des enfants, com­porte­ment sex­uel lié à la con­duite morale des indi­vidus, sont exposés dans ce film qui s’achève sur l’activité d’une clin­ique par­ti­c­ulière où les jeunes femmes sont ini­tiées à la lim­i­ta­tion des nais­sances, par des tableaux fig­u­rant les méth­odes anti­con­cep­tion­nelles et l’usage des divers procédés qui s’y rapportent.

Est-il néces­saire de rap­pel­er que les grandes tueries col­lec­tives que relate l’histoire sont tou­jours suiv­ies de péri­odes de félic­ité, si rel­a­tives soient-elles ? Les grandes épidémies, aggravées par les cat­a­clysmes naturels ont rarement été aus­si meur­trières que la plus bénigne des guer­res. Mais les con­flits mod­ernes se trans­for­ment en état de guerre per­ma­nent et ont fait réap­pa­raître la famine qui avait dis­paru de l’Europe depuis plus de deux siè­cles. Pour­tant, si les enseigne­ments du passé n’étaient pas si facile­ment et si légère­ment oubliés, la classe ouvrière s’inspirerait des péri­odes faciles qui suc­cè­dent aux guer­res et aux épidémies. La main‑d’œuvre se faisant plus rare, serait plus recher­chée et les salaires deviendraient plus profitables.

Pour cor­ro­bor­er ce qui précède, jetons un regard sur le Cour­ri­er de l’Unesco, qui s’appesantit sur la ques­tion avec une louable objectivité.

Dans son numéro de févri­er 1949, sous la plume du Doc­teur Sri­pati Chan­drasekar„ nous trou­vons ce pas­sage : « La pop­u­la­tion du monde a con­tin­ué de croître même pen­dant la deux­ième guerre mon­di­ale. Actuelle­ment, en dépit de guer­res moins impor­tantes, d’épidémies régionales et de la sous-ali­men­ta­tion, sinon de la famine général­isée, cet accroisse­ment se pour­suit. En 1950, le monde comptera plus de 2 400 mil­lions d’habitants d’après la courbe des nais­sances et des décès.

« Le fait qu’il y ait actuelle­ment dans le monde 2 250 mil­lions d’êtres humains et qu’il y en aura 3 000 mil­lions dans un proche avenir, ne poserait aucun prob­lème si tous étaient assurés d’un min­i­mum vital et de jouir de con­di­tions accept­a­bles en ce qui con­cerne l’alimentation, l’habillement, le loge­ment, l’éducation et les loisirs. Mais la grande majorité des hommes est actuelle­ment privée, même du néces­saire et il ne sem­ble pas que ce néces­saire puisse lui être fourni à l’avenir si la pop­u­la­tion con­tin­ue à aug­menter plus rapi­de­ment que la pro­duc­tion. C’est là, bien enten­du, une ques­tion qui prête à con­tro­verse et la dis­cus­sion du prob­lème démo­graphique échauffe sou­vent plus qu’elle n’éclaire les esprits, en provo­quant le heurt des dif­férentes idéolo­gies économiques, religieuses et politiques. »

Et, plus loin, nous lisons encore :

« Quelle que soit la vérité, la réal­ité des prob­lèmes démo­graphiques mon­di­aux est incon­testable ; j’entends que d’une façon ou d’une autre l’accroissement de la pop­u­la­tion mon­di­ale a été la cause incon­sciente ou délibéré­ment proclamée des déc­la­ra­tions de guerre, ain­si que des reven­di­ca­tions d’espace vital, d’accès aux matières pre­mières et de lib­erté absolue d’émigration ou d’immigration.

« Cer­tains pays, comme la Suède et les USA, main­ti­en­nent un niveau de vie élevé [[Lors de l’Exposition inter­na­tionale de Paris, en 1937, un tableau du pavil­lon sué­dois por­tait cette cita­tion : « L’élévation du stan­dard de vie a pro­fondé­ment trans­for­mé les habi­tudes du peu­ple sué­dois ; mais, la lourde rançon du pro­grès du bien-être a été une lim­i­ta­tion volon­taire des nais­sances. »]], en exerçant un con­trôle strict sur le chiffre de la pop­u­la­tion ; d’autres, comme la Chine et l’Inde, s’en remet­tent à Dieu et à la nature et voient leur niveau de vie s’abaisser. »

Dans le numéro d’avril 1949 du même Cour­ri­er, sous la sig­na­ture de James Tor­rès-Bodet, directeur général de cette insti­tu­tion, une invi­ta­tion lancée dans le monde pour s’associer à la grande croisade pour le main­tien de la paix par l’éducation des peu­ples, con­te­nait ce passage :

« C’est dans les quartiers ouvri­ers des villes, c’est dans les vil­lages qu’il faut con­stru­ire la Paix. C’est là que vit la grande masse de la pop­u­la­tion, là qu’elle vit dans des con­di­tions qui con­stituent une men­ace per­pétuelle pour la Paix… »

Cette dis­crète allu­sion aux funestes pro­pa­gan­des dom­inées par la quan­tité et nég­ligeant la qual­ité sera-t-elle com­prise par les aveu­gles qui prési­dent aux des­tinées du monde ?

Tou­jours dans le même jour­nal, par­lant de la pau­vreté dans l’indigence Aldous Hux­ley écrit :

« … Qui plus est, alors que la pop­u­la­tion s’accroît, la fer­til­ité du sol dimin­ue. La guerre atom­ique peut détru­ire une civil­i­sa­tion don­née. L’érosion du sol peut sup­primer toute pos­si­bil­ité de civil­i­sa­tion… La nour­ri­t­ure est une den­rée renou­ve­lable. Si le sol n’est pas exploité jusqu’à l’épuisement, les récoltes se suc­céderont d’année en année. Mais le gise­ment d’étain ou de cuiv­re qui a fourni du min­erai cette année, ne se recon­stituera pas l’an prochain…

«  L’existence d’un rap­port défa­vor­able entre le chiffre de la pop­u­la­tion et la somme des ressources naturelles crée une men­ace per­ma­nente pour la paix ain­si que pour la lib­erté indi­vidu­elle et poli­tique. À l’heure actuelle, pour que la paix soit men­acée, il suf­fit qu’une nation surpe­u­plée dis­pose d’une indus­trie capa­ble de pro­duire des armements. »

Quit­tons ces appré­ci­a­tions sug­ges­tives et sig­nalons au pas­sage les travaux de Gas­ton Bouthoul qui dans des ouvrages [[La Pop­u­la­tion dans le Monde (1935). Cent mil­lions de morts (1947). 8 000 traités de paix (1948).]] suc­ces­sifs se penche sur le prob­lème que nous étu­dions. Cet auteur estime que con­damn­er la guerre ne suf­fit pas, mais que pour pronon­cer cette con­damna­tion, il est néces­saire de con­naître les cir­con­stances qui la provo­quent. Con­statant la médi­ocrité dans laque­lle nous nous débat­tons au milieu du xxe siè­cle, il fait ressor­tir l’indigence des idées de la plu­part des guides de l’opinion et le fait que les per­tur­ba­tions enreg­istrées dans l’équilibre des groupes d’âge et de sexe sont con­séc­u­tives aux saignées renou­velées d’hommes jeunes ain­si qu’au déplace­ment des pop­u­la­tions con­sé­cu­tif aux guer­res mon­di­ales qui se com­plique par la réap­pari­tion de la famine :

« Les races jaunes, de même que les civil­i­sa­tions archaïques de l’Europe, usaient tra­di­tion­nelle­ment de l’infanticide. Mais l’Europe mod­erne a choisi l’infanticide dif­féré. Le sac­ri­fice des adultes y est con­sid­éré comme préférable à celui des nou­veaux-nés. » [[G. Bouthoul. Cent mil­lions de morts, page 78 (souligné dans le texte).]]

Si l’on pou­vait appli­quer aux Indes, l’hygiène pra­tiquée actuelle­ment aux États-Unis, l’âge moyen des Hin­dous se trou­vant porté de 27 à 61 ans, on trou­verait sur cette par­tie du globe, en moins d’un siè­cle, de quoi peu­pler cinq Ter­res. Par con­tre, si l’on tient compte de l’accroissement de pop­u­la­tion chez les grandes races européennes entre 1800 et 1940, on con­state que si les Latins ont bais­sé de 33 à 24 %, les Ger­mains et les Scan­di­naves ont passé de 32 à 30 %, tan­dis que les pop­u­la­tions slaves se sont élevées de 35 à 45 %. Il y a là une pénible con­stata­tion, car les fon­da­tions du monde civil­isé risquent de se trou­ver ébranlées. »

Le doc­teur Simon Obis­po à qui nous emprun­tons ces obser­va­tions, con­clut en ces termes :

« L’attitude actuelle de l’URSS, com­pa­ra­ble à celle de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon dans le passé, ne saurait laiss­er aucun doute sur ses inten­tions belliqueuses.

« Guidée dans son pro­gramme de sur­pop­u­la­tion par une igno­rance crasse des prob­lèmes économiques les plus élé­men­taires ou par un désir de domin­er le monde, l’URSS devra faire la guerre. » [[Revue Europe-Amérique – Avril-mai 1946.]]. Et plus loin :

« On ne répétera jamais assez que nous sommes des hommes libres, ingénieux, rel­a­tive­ment puis­sants, et non des lap­ins et qu’il y a avan­tage à nous con­duire comme tels. Si nous ne voulons du moins avoir à choisir bien­tôt entre l’inanition et l’anthropophagie. »

[|* * * *|]

Des esprits super­fi­ciels, reprenant cer­taines idées générales exprimées, sur ce sujet par­ti­c­uli­er, par Kropotkine et ses adeptes, ont cher­ché à tir­er un enseigne­ment du développe­ment du machin­isme qui aboutit à la grande crise de Wall Street en 1929 et qui s’étendit à toute l’économie cap­i­tal­iste. Avec rai­son, ils ont con­clu que le main­tien du prof­it était incom­pat­i­ble avec le pro­grès sci­en­tifique. Si, sur le ter­rain indus­triel on peut jus­ti­fi­er, dans une cer­taine mesure, l’abondance toute rel­a­tive de cer­tains pro­duits, on ne saurait en dire autant de la pro­duc­tion des den­rées ali­men­taires. Encore faudrait-il tenir compte dans le pre­mier cas de l’épuisement pro­gres­sif des matières pre­mières dont la con­som­ma­tion effrénée au cours de la dernière guerre a révélé le danger.

Lais­sons de côté les prévi­sions trop théoriques, qui, en réduisant des 2/3 les efforts de l’homme, sont sus­cep­ti­bles de per­me­t­tre l’approvisionnement des marchés, en pro­duits de plus en plus nom­breux et de meilleure apparence. (Cul­ture en tiroir, où la terre n’est même plus indis­pens­able) et exam­inons quelques chiffres con­cer­nant les pro­duits laitiers.

Tout d’abord, pourquoi la rou­tine française de la paysan­ner­ie se laisse-t-elle sur­pass­er par les éleveurs étrangers ? Actuelle­ment, pen­dant que la vache hol­landaise pro­duit 3 400 litres de lait par an, la vache alle­mande en pro­duit 2 500, et la vache suisse 3 150. La vache française qui, avant la guerre, pro­dui­sait 1 800 litres, n’en donne plus que 1 500. Nous avons là des chiffres qui sont loin de cor­ro­bor­er les résul­tats obtenus avec une vache frisonne qui, de 67 litres en 1933 pas­sait en 1936 à 70 litres par jour ; il ne fal­lait pas moins de six traites par jour pour alléger les mamelles de l’animal.

S’il était pos­si­ble de nivel­er à cette échelle la pro­duc­tion de lait mon­di­ale, la pénurie de lait serait vite oubliée. Mais, cette excep­tion­nelle manne n’a pas encore été général­isée et la rareté de ces pro­duits, qui n’est pas tou­jours provo­quée pour main­tenir ou hauss­er les prix, a une autre cause sur laque­lle nos sta­tis­ti­ciens font le silence.

C’est l’usage qui est fait des sous-pro­duits du lait et notam­ment de la caséine pour des pré­pa­ra­tions de guerre. Ce qui ame­nait le Pro­fesseur Debré à déclar­er le 30 jan­vi­er 1948 à la radio : « Sur 100 mil­lions de litres de lait recueil­lis, 32 mil­lions sont con­ver­tis en beurre, ou en fro­mage ; et 18 mil­lions en lait indus­triel [[C’est nous qui soulignons.]]. Résul­tat : 250 000 enfants n’ont qu’un demi-litre par jour. » Le Pro­fesseur Debré oubli­ait ce jour-là, une déc­la­ra­tion faite par lui à la même radio, le 25 novem­bre 1947, et qui nous paraît en fla­grante con­tra­dic­tion avec celle qui précède : « L’augmentation du nom­bre des nais­sances est un phénomène heureux mon­trant la con­fi­ance des Français en la prospérité de leur pays et par sur­croît une élé­va­tion du niveau moral. »

En dépit des affir­ma­tions opti­mistes qui, depuis plus de quinze ans sont col­portées, la guerre de 1939–1945 a ramené la famine dont les pays civil­isés avaient per­du la mémoire. Si pen­dant l’année qui précé­da la guerre, 30 mil­lions d’hommes sont morts par défaut de nutri­tion, à quel chiffre estimera-t-on les vic­times que la dernière guerre a provo­quées ? Ces faits peu­vent sur­pren­dre l’homme de la rue, mais les milieux offi­ciels n’ignorent pas la famine qui régna dans la par­tie mérid­ionale de notre Afrique du Nord pen­dant les années 1936 et 1937 ; la presse française, alors grisée ou désolée par l’euphorie provo­quée par le Front pop­u­laire, si riche de promess­es envolées, obser­va de Con­rart le silence prudent.

Les con­clu­sions d’un rap­port des ser­vices de la SDN, qui dément toute surabon­dance dans le domaine agri­cole méri­tent d’être sig­nalées ici : « Ce qui manque le plus, dans l’alimentation uni­verselle, ce sont les ali­ments pro­tecteurs : lait, pro­duits de ferme, œufs, légumes, fruits et viande, mal­gré l’apparence de super­pro­duc­tion. » [[Activ­ités de la SDN, n°4. Sec­tion d’Informations 1935, page 42 (cité par « La Grande Réforme ». févri­er 1938.]]

On peut certes accorder un cer­tain crédit aux décou­vertes des savants qui s’obstinent à rechercher des amélio­ra­tions au sort de leurs sem­blables ; mais, les résul­tats de leurs travaux sont trop sou­vent util­isés à des fins con­traires pour nous inciter à une croy­ance aveugle.

Quand on nous par­le de l’emploi de l’énergie nucléaire pour sup­pléer aux engrais insuff­isants afin de fer­tilis­er un sol appau­vri par des cul­tures inten­sives, nous ne pou­vons man­quer d’évoquer la pilule Berth­elot qui devait révo­lu­tion­ner l’alimentation humaine, mais qui était incom­pat­i­ble avec la néces­sité de con­tenir les vit­a­mines dont sont dépourvus les ali­ments morts, com­posés chimiquement.

Dans le même ordre d’idées, nous pou­vons rap­procher les expéri­ences aux­quelles procé­da, récem­ment, l’armée améri­caine dans la zone arc­tique. Pour véri­fi­er la résis­tance humaine aux tem­péra­tures polaires, quelques groupes d’hommes ont été soumis à une ali­men­ta­tion spé­ciale leur per­me­t­tant de résis­ter à — 40° C. Des rations savam­ment dosées, com­posées de dix tablettes de nour­ri­t­ure con­den­sée, cor­re­spon­dant à 500 grammes par homme et par jour, pou­vaient apporter à l’organisme humain de 4 200 à 5 500 calo­ries. Nous sup­posons que l’on n’a pas nég­ligé le fac­teur goût, dans cette nour­ri­t­ure sci­en­tifique, que nous ne sauri­ons souhaiter con­clu­ante, puisqu’elle tend à envoy­er au mas­sacre, pré­paré par les chan­cel­leries, ces futures victimes.

Le pres­tige gran­dis­sant des mil­i­taires qui ser­vent si bien le pou­voir occulte des financiers inter­na­tionaux, survit aux cuisants échecs qui ont été vite oubliés. Ce n’est certes pas la pre­mière fois dans l’histoire que nos mil­i­taires essuyèrent une défaite com­pa­ra­ble celle de juin 1940 qui nous avait don­né l’illusion de la chute défini­tive du mil­i­tarisme. Cepen­dant, au con­traire, n’a‑t-on pas vu les respon­s­ables du désas­tre s’emparer des rênes du pou­voir. Les craintes man­i­festées, jadis, par les répub­li­cains de voir les généraux vain­queurs se proclamer dic­ta­teurs, ne s’étaient jamais ori­en­tées vers le dan­ger que pou­vaient présen­ter des généraux vaincus.

La poli­tique natal­i­taire ébauchée par Vichy avait pour but loin­tain l’alimentation en matériel humain des futurs champs de car­nage où nos stratèges pra­tiquent cette sélec­tion humaine à rebours qui nous con­duit à une dégénéres­cence certaine.

Les temps sont révo­lus où l’on attendait que l’enfant, mal ren­seigné, ait atteint l’âge de 18 ans pour ven­dre les meilleures années de sa vie en con­trac­tant un engage­ment dans l’armée ; dans une atti­tude spar­ti­ate, qui est loin de nous séduire, les mères acceptent cet inhu­main traf­ic dès la con­cep­tion. Il est vrai que trop sou­vent vic­times de l’égoïsme mas­culin elles ne con­nais­sent que rarement le plaisir que devrait leur causer ladite con­cep­tion ; leur pas­siv­ité amoureuse, qu’elles déplorent entre elles le démon­tre et l’instinct mater­nel a per­du chez ces dernières, grand nom­bre de ses qual­ités initiales.

Les encour­age­ments à la pro­liféra­tion que l’on dis­tribue avec tant d’empressement, depuis plusieurs années, ne ren­con­trent pas le même accueil dans tous les pays. Les mères anglais­es notam­ment ne se lais­sent pas pren­dre à ce grossier appât. À une enquête faite en 1946, par Mass Obser­va­tion, sorte de Gallup anglais, elles don­naient comme suit, leur appré­ci­a­tion sur la néces­sité du relève­ment du taux de la natal­ité en Angleterre, qui était offerte à leurs suffrages :

« 1° Toute poli­tique de natal­ité est inspirée par des préoc­cu­pa­tions mil­i­taires ; 2° Les petits peu­ples ont plus de chance que les autres de ne pas être entraînés dans les guer­res ; 3° Les femmes anglais­es esti­ment que leur pays est assez bien peu­plé pour les ressources dont il dis­pose ; 4° Une aug­men­ta­tion de la pop­u­la­tion amèn­erait une recrude­s­cence du chômage. »

Quant aux mesures finan­cières anglais­es favor­ables aux nom­breuses familles, elles se révè­lent peu effi­caces, car l’enquête con­clu­ait : « Le pub­lic anglais n’aime pas qu’on achète ses enfants. »

Ces per­ti­nentes obser­va­tions ont été passées sous silence par la presse qui con­tin­ué à pour­suiv­re l’abêtissement de ses lecteurs. On prend pré­texte, en France, du manque de main‑d’œuvre pour relever la natal­ité ; mais on oublie de faire remar­quer que dans un foy­er éle­vant trois enfants, l’un suc­cédera au père ; le sec­ond pour­ra devenir fonc­tion­naire ; quant au troisième il aura de fortes chances pour con­naître le chômage.

Pour l’ensemble de la classe ouvrière une seule réponse est à noti­fi­er à ces pré­ten­tions sur­na­tal­i­taires : pour obtenir des salaires élevés, le nom­bre des pro­duc­teurs doit être réduit. Lorsque les exploiteurs sont à la recherche d’ouvriers, ceux-ci peu­vent accroître leurs pré­ten­tions à un niveau de vie plus satisfaisant.

La loi du nom­bre que veu­lent impos­er les domes­tiques des gou­ver­nants, par qui ils sont grasse­ment entretenus, ne fer­ont jamais ressor­tir que, mal­gré ses 180 mil­lions d’habitants, la Russie s’est trou­vée envahie par 80 mil­lions d’Allemands. De même, la Chine, avec ses 400 mil­lions d’habitants, fut la proie de 80 mil­lions de Japon­ais et 45 mil­lions d’Anglais purent pen­dant longtemps domin­er les 340 mil­lions d’Hindous.

En faisant cette judi­cieuse obser­va­tion, G. Bouthoul pré­cise : « L’hégémonie du plus grand nom­bre est une con­cep­tion paresseuse qui s’efforce de grossir la pop­u­la­tion à la mesure de son appétit au lieu de la lim­iter à ses ressources. » [[Op. cité page 134.]]

Nous ne pou­vons que regret­ter la sit­u­a­tion de tous les pays de l’Europe, déjà surpe­u­plés puisque la sous-ali­men­ta­tion per­siste, de se trou­ver réduits à la for­mule du César de car­naval qui trou­va, près de sa maîtresse, en 1944, une mort sen­sa­tion­nelle, près de Milan. Quand il procla­mait la néces­sité pour l’Italie de « s’étendre ou d’exploser » il oubli­ait les solen­nelles déc­la­ra­tions qu’il fit en 1913 au doc­teur Lui­gi Berta, en se procla­mant malthusien con­va­in­cu. Il pous­sa le machi­avélisme jusqu’à pro­mulguer, en 1934, comme son com­père Hitler, des lois pop­u­la­tion­nistes qui ne pou­vaient qu’accroître la struc­ture explo­sive de leurs peu­ples com­primés dans leurs frontières.

De telles mesures vont à l’encontre de la pour­suite du bien-être par les humains ; au lieu de cor­re­spon­dre à une élé­va­tion physique et morale elles entraî­nent au con­traire la masse humaine vers une déchéance cer­taine. Non seule­ment l’encouragement à la pro­liféra­tion n’élimine pas les indi­vidus atteints de tares phys­i­ologiques qui, par sur­croît, ne font qu’aggraver la mor­bid­ité, mais encore, il est de nature à sat­is­faire les appétits de con­quête des pêcheurs en eau trou­ble, en met­tant à leur dis­po­si­tion des armées de plus en plus nombreuses.

La motori­sa­tion des armées per­met d’enrôler des jeunes gens de 16 à 17 ans et d’accroître dans la pro­por­tion d’un tiers le nom­bre des recrues.

Un plus grand développe­ment de cer­tains points ébauchés au cours de cet exposé aurait été néces­saire pour démon­tr­er le car­ac­tère biologique des guer­res mod­ernes ; la voie ouverte au mou­ve­ment paci­fiste, en plein essor, lui impose de fonder sa pro­pa­gande sur le solide ter­rain du paci­fisme sci­en­tifique. Mais il faut nous lim­iter et c’est sur ces remar­ques finales de G. Bouthoul que nous conclurons :

D’abord son éton­nement, qui n’est pas le nôtre, de voir que : « les nations trou­vent naturel de dépenser des dizaines de mil­liards pour pré­par­er les guer­res, des cen­taines de mil­liards pour les faire. Mais elles ne dépensent pas un sou pour essay­er de com­pren­dre la nature de cette étrange épidémie men­tale qui les afflige périodiquement. »

Ensuite, cette crainte que nous devons partager : « La sur­pop­u­la­tion de l’Europe la fera choir au rang des vieilles civil­i­sa­tions asi­a­tiques avec leurs foules immenses, abru­ties, asservies et végé­tant mis­érable­ment. À cause de son trop grand nom­bre, l’homme sera de plus en plus avili ; de citoyen il devien­dra sujet… La lib­erté est un luxe impos­si­ble dans les pays surpe­u­plés car la fragilité extrême de leur sit­u­a­tion, du fait qu’il existe unie forte pro­por­tion de « des­per­a­dos » sans ressources, ni débouchés, oblige les class­es dirigeantes à une poli­tique d’obscurantisme et de féroc­ité à l’égard du peuple. »

Que pou­vons-nous ajouter pour ren­forcer notre thèse ten­dant à démon­tr­er que l’humanité n’est pas à la veille de con­naître l’euphorie qu’un ent­hou­si­asme mal établi cherche à répan­dre ? La stu­pid­ité des mass­es sganarel­lisées [[Expres­sion copiée de H. Jean­son.]] ne doit pas nous faire dés­espér­er d’un avenir meilleur et bien que le vent soit rarement à l’optimisme, ten­dons tous nos efforts vers ce bien-être et cette lib­erté qui nous sont indispensables.

[/André Maille./]


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