La Presse Anarchiste

Exosthène

Exos­thène ne se sen­tait pas à l’aise dans l’atmosphère de demi-teintes et d’expectative où il évo­luait main­te­nant , il aimait la clar­té, les nuances franches, les atti­tudes tran­chées, les « oui » qui disent oui, les « non » qui disent non, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir en hor­reur les manques de déli­ca­tesse et l’absence de ménagements.

Il se ren­dait compte que ses contem­po­rains souf­fraient d’une crise de ser­vi­li­té, même cer­tains qu’il regar­dait comme les meilleurs ne se sou­ciaient que de se choi­sir un maître ; aspi­rer tout sim­ple­ment à être des hommes libres leur était deve­nu chose indif­fé­rente ; ce qu’ils récla­maient à grands cris, c’était tenir l’emploi de vas­saux, de sujets, de res­sor­tis­sants d’une espèce ou d’une autre, ils ne trou­vaient plus en eux le res­sort néces­saire pour n’être qu’eux-mêmes et pour s’associer avec leurs pareils, ils hési­taient entre les ban­nières sous les­quelles se ran­ger et rien d’autre.

Exos­thène sen­tait les larmes lui mon­ter aux yeux, moins à cause de la déca­dence où il voyait som­brer son envi­ron­ne­ment, qu’à cause de leur hypo­cri­sie, car, sous-jaçant à leur désir pro­cla­mé par les uns : de libé­ra­tion et d’indépendance – et par les autres : d’une inté­gra­tion, tous éten­dards déployés, dans un ordre poli­tique mal défi­ni et incer­tain, s’affirmait le besoin de suivre, suivre, suivre…, mou­tons en quête d’un ber­ger au chien qui sache bien son métier, bre­bis à la recherche d’une ton­deuse au fonc­tion­ne­ment sans défaut.

Jus­qu’a­lors Exos­thène n’avait guère recher­ché le com­merce de ses sem­blables, mais jamais il ne s’était décou­vert aus­si misan­thrope, aus­si peu flat­té d’être un homme.

[/​E. Armand/​]

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