Exosthène ne se sentait pas à l’aise dans l’atmosphère de demi-teintes et d’expectative où il évoluait maintenant , il aimait la clarté, les nuances franches, les attitudes tranchées, les « oui » qui disent oui, les « non » qui disent non, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir en horreur les manques de délicatesse et l’absence de ménagements.
Il se rendait compte que ses contemporains souffraient d’une crise de servilité, même certains qu’il regardait comme les meilleurs ne se souciaient que de se choisir un maître ; aspirer tout simplement à être des hommes libres leur était devenu chose indifférente ; ce qu’ils réclamaient à grands cris, c’était tenir l’emploi de vassaux, de sujets, de ressortissants d’une espèce ou d’une autre, ils ne trouvaient plus en eux le ressort nécessaire pour n’être qu’eux-mêmes et pour s’associer avec leurs pareils, ils hésitaient entre les bannières sous lesquelles se ranger et rien d’autre.
Exosthène sentait les larmes lui monter aux yeux, moins à cause de la décadence où il voyait sombrer son environnement, qu’à cause de leur hypocrisie, car, sous-jaçant à leur désir proclamé par les uns : de libération et d’indépendance – et par les autres : d’une intégration, tous étendards déployés, dans un ordre politique mal défini et incertain, s’affirmait le besoin de suivre, suivre, suivre…, moutons en quête d’un berger au chien qui sache bien son métier, brebis à la recherche d’une tondeuse au fonctionnement sans défaut.
Jusqu’alors Exosthène n’avait guère recherché le commerce de ses semblables, mais jamais il ne s’était découvert aussi misanthrope, aussi peu flatté d’être un homme.
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