La Presse Anarchiste

Nos revendications individualistes an-archistes

Dans le fas­ci­cule n° 15 de l’Unique a paru une lettre du cama­rade Gayet, de Lié­fra, nous deman­dant de pré­ci­ser cer­tains pas­sages des thèses et reven­di­ca­tions de notre indi­vi­dua­lisme, telles qu’elles ont paru dans l’en dehors (fas­ci­cule 308 – 309) – juillet-août 1937 – et ont été repro­duites en bro­chure. Nos occu­pa­tions ne nous avaient pas per­mis jus­qu’i­ci d’examiner cette demande de précisions.

Or, nous venons de par­cou­rir ces « thèses et reven­di­ca­tions » dont le thème prin­ci­pal est la facul­té d’association volon­taire pour la réa­li­sa­tion des diverses acti­vi­tés dont est capable l’unité humaine. À ce moment-là le machi­nisme se mon­trait moins mena­çant qu’il l’est actuel­le­ment, le diri­gisme n’empiétait pas comme aujourd’hui sur la liber­té des tran­sac­tions, etc. La crise actuelle pose le pro­blème de l’existence même de l’artisanat agri­cole ou indus­triel. La situa­tion est donc autre qu’alors.

D’un autre côté, il nous a sem­blé, dès qu’a paru l’Unique, qu’il impor­tait de cou­rir au plus pres­sé : insis­ter sur la résis­tance morale, éthique, à oppo­ser aux empié­te­ments de l’État sur la liber­té d’initiative per­son­nelle, aux efforts d’embrigadement de l’individu dans les par­tis poli­tiques, au nivel­le­ment des valeurs per­son­nelles et ain­si de suite. Créer, sus­ci­ter, main­te­nir l’esprit d’affirmation posi­tive de l’individu en lutte contre le gré­gaire et le tota­li­taire, voi­là ce que nous avons cher­ché à pour­suivre au sein du milieu que consti­tuent ceux de « notre monde ».

Il appar­tien­drait, selon nous, dans le milieu humain où nous sou­hai­te­rions exis­ter, aux asso­cia­tions (ou coopé­ra­tives volon­taires) de régler les ques­tions posées par Gayet : appli­ca­tion du prin­cipe de l’inaliénabilité du moyen de pro­duc­tion (réa­li­sée chez les unes, inad­mise chez les autres, selon le genre de pro­duc­tion envi­sa­gé), trans­fert par héri­tage de l’acquis de l’associé ou coopé­ra­teur (admis ici, alors que là, à sa mort, il y aurait retour au fonds com­mun). Dans notre esprit, chaque asso­cia­tion (ou coopé­ra­tive ou fédé­ra­tion) serait régie par son « droit » par­ti­cu­lier. C’est ce « droit » qui régle­rait la mise en pos­ses­sion de chaque pro­duc­teur de son moyen de pro­duc­tion inalié­nable. C’est ce droit qui déter­mi­ne­rait le sens des termes pro­prié­té ou pos­ses­sion et ain­si de suite. Il ne faut pas oublier que tout cela est rela­tif à un niveau main­te­nu constant de la popu­la­tion de l’association (ou coopé­ra­tive). Pour­tant, plus ces unions ou asso­cia­tions comp­te­raient d’adhérents, plus le « droit » conven­tion­nel, impo­sé. éta­tiste, ten­drait à dis­pa­raître. J’ajoute que je crois pos­sible, même dans l’association à effec­tif res­treint, la réa­li­sa­tion d’une assez grande par­tie de ces revendications.

Ceci dit, nous avons été ame­nés, étant don­né l’esprit actuel, la ligne de conduite pré­sente de l’Unique, à recon­si­dé­rer ces thèses et reven­di­ca­tions. Voi­ci ce qui résulte de cette mise au point :

Les indi­vi­dua­listes an-archistes, à la façon de l’Unique, attendent de la « Socié­té sans gou­ver­ne­ment » qu’ils pré­co­nisent et appellent de tous leurs vœux, qu’elle soit édi­fiée de telle manière qu’y soient satis­faites les reven­di­ca­tions qui suivent, sans res­tric­tion ou entrave aucune (étant enten­du que dans la mesure où ils en ont le pou­voir, ils les réa­lisent actuel­le­ment en tout ou partie).

Les indi­vi­dua­listes à notre manière dénomment « socié­té sans gou­ver­ne­ment » toute socié­té où, l’État ayant été éli­mi­né et le recours à la vio­lence étant exclus, il n’est de domi­na­tion de l’homme sur l’homme ou le milieu social (ou vice-ver­sa) ou d’exploitation de l’homme par l’homme ou le milieu social (ou vice-versa).

Pleine et entière facul­té de se conduire pour et par soi-même, c’est-à-dire pour chaque uni­té sociale d’évoluer, de se déve­lop­per, d’expérimenter à sa guise – selon que l’y poussent où l’y amènent son tem­pé­ra­ment, ses réflexions, ses aspi­ra­tions, sa volon­té, son déter­mi­nisme per­son­nel ; en un moi, sans avoir à rendre compte qu’à soi-même (ou à ceux à d’égard des­quels, il s’est enga­gé) de ses faits et gestes – cette liber­té s’arrêtant là où elle menace d’empiéter sur celle d’autrui et la sphère de son acti­vi­té – et son action ces­sant là où elle risque d’engendrer de la souf­france chez autrui ;

Pleine et entière facul­té d’expres­sion, de pro­fes­sion, de dif­fu­sion, de publi­ca­tion de la pen­sée ou de l’opinion – par l’écrit ou par la parole – en public ou en privé. ;

Pleine et entière facul­té de fédé­ra­tion pour les ententes ou unions à effec­tif res­treint ou toutes asso­cia­tions quelconques ; 

Pleine et entière facul­té d’épouser ou décli­ner toute soli­da­ri­té – de pas­ser tout contrat dans n’importe quelle branche de l’activité humaine, dans n’importe quel but et pour n’importe quelle durée ; de le rési­lier selon dis­po­si­tions clai­re­ment expri­mées à pré­voir, dans tous les cas, lors de l’établissement du contrat, toutes pré­cau­tions étant prises pour que de la répu­dia­tion du contrat ne résulte aucun res­sen­ti­ment, ani­mo­si­té, ran­cœur, tort ou dom­mage pour les co-associés ;

Pleine et entière facul­té de trac­ta­tion entre pro­duc­teurs et consom­ma­teurs ou tous autres (iso­lés ou asso­ciés). Pleine et entière facul­té du choix de l’animateur, de l’initiateur, de l’instructeur, de l’éducateur, du man­da­taire, de l’arbitre, du pro­fes­seur, du dépo­si­taire, de l’entrepositaire, du délé­gué – indi­vi­du ou asso­cia­tion – quel que soit l’objet, le but ou la teneur du man­dat confié ;

Pleine et entière facul­té de fixer une valeur à tout objet, pro­duit ou uti­li­té de consom­ma­tion quel­conque. De faire varier cette valeur, de la débattre ; d’en dis­cu­ter la fixa­tion ou la varia­tion. De recours arbi­tral volon­taire aux fins de déter­mi­na­tion de ladite valeur. Ou de ne fixer aucune valeur ;

Pleine et entière facul­té, pour tout iso­lé, asso­cia­tion ou fédé­ra­tion, de frappe, d’émission et de cir­cu­la­tion de mon­naie, de bons de tra­vail, de bons d’échange, de billets à ordre, de lettres de change, trans­mis­sibles ou non trans­mis­sibles, nomi­na­tifs ou au por­teur. Pleine et entière facul­té de leur attri­buer toute valeur libé­ra­toire et de s’en ser­vir pour le règle­ment de toute tran­sac­tion dès lors que ledit cours n’est ni for­cé ni obli­ga­toire. Ou de se pas­ser de tous bons, ins­tru­ments d’échange ou signes moné­taires quel­conques, si on le trouve préférable ;

Pleine et entière facul­té d’ému­la­tion (ou concur­rence), quelle que soit la branche d’activité à laquelle s’adonne l’isolé ou l’associé – à condi­tion qu’il soit mis en situa­tion de dis­po­ser ou pro­fi­ter sans réserve aucune tant des occa­sions offertes d’apprendre, de connaître et de se per­fec­tion­ner que des moyens ou pos­si­bi­li­tés de pro­duc­tion, des faci­li­tés de dépla­ce­ment et de publicité.

Pleine et entière facul­té d’exposition, de pro­po­si­tion, de toute concep­tion, doc­trine, théo­rie, for­mule, ensei­gne­ment – éco­no­mique, phi­lo­so­phique, scien­ti­fique, lit­té­raire, artis­tique, édu­ca­tif, péda­go­gique, récréa­tif, reli­gieux, hygié­nique ou autre quel­conque. Pleine et entière facul­té d’essai, de réa­li­sa­tion, d’application, des­dites concep­tions, doc­trines, etc. – des méthodes et des sys­tèmes aux­quels elles peuvent don­ner lieu – sans autre limite que l’abstention de les impo­ser à qui elles ne conviennent pas ou les repousse ;

Pleine et entière facul­té de déter­mi­ner pour et par soi-même sa vie affec­tive, à condi­tion que cette déter­mi­na­tion ne s’accompagne ni de dol ni de fraude et que sous aucun pré­texte elle ne nuise à autrui ;

Pleine et entière facul­té de vivre de sa Pro­duc­tion en iso­lé, à l’écart de tout grou­pe­ment, de toute asso­cia­tion, de tout milieu, mais à ses risques et périls. Pleine et entière facul­té de consti­tu­tion du couple, de la famille d’élection ou non, de milieux à forme patriar­cale ou matriar­cale ; d’ententes à quelques-uns, pour vivre d’une exis­tence com­mune sur la base d’af­fi­ni­tés très étroites, à quelque point de vue que ce soit ;

Pleine et entière facul­té d’association volon­taire dans tous les domaines où peut ou peut s’exercer ou rayon­ner l’activité humaine ; quelles que soient les expé­riences à pour­suivre, les fins à atteindre ; – que ce soit au point de vue éco­no­mique, intel­lec­tuel, éthique, affec­tif, récréa­tif ou autre ; – que ces asso­cia­tions aient pour objet la pro­duc­tion, la consom­ma­tion, les moyens de trans­port et de com­mu­ni­ca­tion, la garan­tie ou l’assurance contre les risques quel­conques que l’être humain peut avoir à envi­sa­ger au cours de son exis­tence ; le fonc­tion­ne­ment d’une méthode d’enseignement ou d’un sys­tème d’éducation ; l’application d’une décou­verte scien­ti­fique, l’utilisation d’une force natu­relle ou arti­fi­cielle ; la pro­fes­sion d’une idée ou sa pro­pa­gande ; la réa­li­sa­tion d’une concep­tion quel­conque de la vie en groupe ;

Pleine et entière facul­té de dis­so­lu­tion de l’Association, selon les moda­li­tés ou dis­po­si­tions pré­vues lors de sa formation ;

Pleine et entière facul­té pour chaque union, asso­cia­tion, coopé­ra­tive de s’organiser à sa guise, d’établir son règle­ment inté­rieur, de se régir selon son « droit » particulier.

Pleine et entière facul­té d’occupation et de mise en valeur de tout lieu ou ter­rain inha­bi­té on inoc­cu­pé, ou que l’occupant ne peut mettre en valeur sans exploi­ter autrui ;

Pos­ses­sion garan­tie à l’iso­lé, à titre inalié­nable et défi­ni­tif du moyen de pro­duc­tion (outil, ins­tru­ment, méca­nisme, machine, par­celle de sol ou sous-sol, engin pro­duc­teur quel­conque). Liber­té de dis­po­si­tion du résul­tat de l’effort pro­duc­teur, autre­ment dit du pro­duit, obte­nu sans domi­na­tion ou exploi­ta­tion d’autrui. Pleine et entière facul­té de troc, d’échange, d’aliénation à titre gra­tuit ou oné­reux, de legs du dit pro­duit, de quelque manière que ce soit. Facul­té pour toute asso­cia­tion soit de réa­li­ser en son sein tout ou par­tie des reven­di­ca­tions pré­sen­tées en ce para­graphe, soit de recou­rir à d’autres méthodes.

Pleine et entière facul­té, pour l’isolé comme pour l’associé, de dis­po­si­tion de l’avoir indi­vi­duel, c’est-à-dire des uti­li­tés quel­conques obte­nues en échange de sa pro­duc­tion per­son­nelle et consti­tuant le pro­lon­ge­ment de sa per­sonne, l’habitation (et, spé­cia­le­ment pour l’isolé, le moyen de pro­duc­tion) étant inclus en cet avoir ;

[|reven­di­ca­tions spé­ciales à la femme et à la mère|]

Pleine et entière facul­té pour toute femme – iso­lée ou asso­ciée – de régler à son gré sa fonc­tion mater­nelle. – Tutelle exclu­sive de l’enfant jus­qu’à ce qu’il soit en âge de se déter­mi­ner pour et par soi-même. Facul­té pleine et entière pour la mère de délé­guer tota­li­té ou par­tie de cette tutelle à tout indi­vi­du – homme ou femme – ou à toute association.

[|reven­di­ca­tions spé­ciales à l’enfant|]

Facul­té pleine et entière pour l’enfant – gar­çon ou fille – d’appel ou de recours à un arbi­trage, soit pour deman­der une modi­fi­ca­tion ou une trans­for­ma­tion quel­conque de son état de tutelle, soit pour récla­mer l’octroi de son éman­ci­pa­tion ou pour tout autre motif – le choix de l’arbitre ou tout au moins de l’un des arbitres res­tant dévo­lu à l’enfant.

Comme on le voit, les modi­fi­ca­tions appor­tées au texte pri­mi­tif ne sont pas très importantes.

En tout état de cause – et peu importe le volume des reven­di­ca­tions réa­li­sées, aucun milieu social ne sau­rait conve­nir aux indi­vi­dua­listes à notre façon si, par un arran­ge­ment à déter­mi­ner, il ne per­met pas à l’isolé, au non-asso­cié et aux siens d’évoluer à part et sans crainte.

[/​E. Armand./​]

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