La semaine de Lyon, qui a consacré l’union des forces syndicalistes révolutionnaires de France, restera pour le-mouvement syndicaliste de ce pays un point de repère dans l’histoire de son développement.
L’autonomie locale, qui avait semblé à un moment être la panacée tant désirée contre tous les maux dont souffrait le mouvement ouvrier, avait fini par désagréger complètement et le mouvement lui-même et les militants. À un tournant critique et presque fatal de cette dégringolade, une éclaircie jaillit au bout de l’impasse dans laquelle semblait vouloir se jeter, la tête la première, le corps meurtri du syndicalisme révolutionnaire.
Les congrès de Lyon sont venus on ne peut mieux à temps pour arrêter la débâcle complète et définitive. Mais ces congrès ont fait plus. Ils ont non seulement arrêté d’un coup net la chute vers l’abîme, mais ils ont su trouver le moyen de reconstituer cette solidarité idéologique et combative qui, ces dernières années, faisait de plus en plus défaut.
La Fédération du Bâtiment a été la première à rompre avec le passé peu glorieux de ces dernières années. Affaiblie par un état d’esprit indécis et chancelant qui imprégnait de plus en plus ses organismes syndicaux, elle comprit que le salut de son existence même demandait d’elle un langage clair et précis et un abandon définitif du corporatisme asphyxiant qui paralysait ses membres. Le Congrès Extraordinaire du Bâtiment, fit nettement le geste rédempteur. Ni la lettre mielleuse de la CGT qui invitait la rentrée par la porte laissée toujours ouverte, ni le discours diplomatique et aigre-doux du secrétaire de la CGTU, Racamond, qui voudrait voir disparaître tous les syndicalistes révolutionnaires, leur proposant de se laisser avaler par l’une une ou par l’autre des CGT, n’ont pu détourner les bâtimenteux de leur intention nette et précise de sortir une bonne fois pour toutes de l’impasse sans l’aide de ces professionnels du syndicalisme bureaucratique.
Rentrée‑à la CGT ? À peine l’ombre d’une voix : c’est tout ce qui restait de la formidable minorité qui, un an avant, à Lyon aussi, allait presque avoir gain de cause contre l’autonomie fédérale.
Rentrée à la CGTU ? L’ultra-microscope le plus perfectionné n’aurait pu déceler la moindre trace d’une telle tendance.
L’autonomie fédérale ? Le statu quo ? C’était la plus grande surprise du Congrès Extraordinaire. On s’attendait à une forte tendance dans ce sens. Après tout, c’est dans la nature humaine que de ne pas vouloir brusquer les choses. Eh bien ! à peine deux ou trois voix qui préconisaient la stagnation. Le congrès tout entier, conscient des erreurs commises par le passé, ne se laissa pas entraîner… à piétiner sur place. Il préféra déblayer le terrain de l’amas routinier qui empêchait la, libre circulation et proclamer la nécessité et l’urgence d’un regroupement immédiat de toutes les forces syndicalistes révolutionnaires, de leur union dans un organisme national, de leur collaboration avec les syndicalistes révolutionnaires de tous les pays.
Cette décision marquera d’un trait brillant dans l’histoire de la vieille Fédération du Bâtiment. Elle scella, pour ainsi dire, les décisions, que devaient prendre les jours suivants les syndicats autonomes de France et la Conférence Internationale du Bâtiment.
En effet, le lendemain même de cette décision, à l’ouverture du congrès des Syndicats Autonomes, la Fédération du Bâtiment faisait connaître aux congressistes sa décision de la veille. Il n’y eut pas d’objections sérieuses sur lesquelles il aurait fallu s’arrêter. L’« opposition » était plutôt d’ordre psychologique que réel. On était pessimiste. On, ne croyait plus dans la puissance rénovatrice du syndicalisme. C’était déconcertant de voir de bons et sérieux militants, tels Alliet du bâtiment du Havre ; Guigui, des métaux de Paris, opposer leur pessimisme à une courageuse tentative de rassembler les forces éparpillées un peu partout, Ce pessimisme, c’est encore un fruit de cette autonomie malheureuse qui finissait par décourager les plus forts ; pessimisme qui, nous en sommes sûrs, a déjà dû disparaître, maintenant que le fait accompli domine nos faiblesses individuelles et nos réticences subjectives.
Il y eut enfin notre camarade Bastien, d’Amiens, dont le localisme cent-pour-cent se refuse à regarder au-delà des limites de sa cité, et qui ne peut accumuler assez d’énergie pour se résoudre à examiner de front le problème général de l’organisation de la classe ouvrière face au capitalisme international et y apporter une solution proportionnée au problème posé. Nous nous rappelons involontairement la maladie anarchiste d’avant-guerre : celle de petits groupes dispersés, faiblement unis par une liaison fantôme qui ne lierait rien… et la cuisson dans leur propre jus. Et l’on veut, en l’an de disgrâce 1926, à l’heure où une lutte titanique met aux prises État, Capital et Travail nous servir la même sauce insipide du localisme impuissant, capable tout au plus de produire une anesthésie… locale.
Ici, encore, nous avons une lueur d’espoir qu’avec la création et le développement de la nouvelle CGT, les syndicats autonomes d’Amiens ne se tiendront pas à l’écart du mouvement général de rénovation qui se dessine à travers le pays, et y apporteront leur appui.
Le Congrès national des Syndicats Autonomes s’est donc transformé en CGT syndicaliste révolutionnaire. Cette transformation n’est nullement du goût des deux autres CGT. Elles croyaient qu’elles seules avaient droit à l’existence. Elles s’unissent maintenant en une agape fraternelle contre les syndicalistes révolutionnaires. Déjà des rumeurs nous parviennent que dorénavant réformistes et communistes feront cause commune contre les nôtres chaque fois qu’il s’agira de réaliser le front unique contre les syndicalistes révolutionnaires.
Tant mieux. Nos ennemis qui, hier encore, nous faisaient les yeux doux dans l’espoir de nous « avoir », se démasquent bien vite ; cela diminuera les malentendus ; cela ramènera les indécis ; cela redonnera du courage aux pessimistes.
La CGT syndicaliste révolutionnaire aura à mener dès sa naissance une lutte sur tous les fronts : contre le capitalisme impérialiste, contre le fascisme grandissant, contre le réformisme trompeur et endormeur, contre le communisme dictatorial. Toutes ces forces sont anti-ouvrières, anti-révolutionnaires. La CGT syndicaliste révolutionnaire devra les combattre toutes. Elle gagnera, dans cette lutte, l’appui de tous les vrais révolutionnaires du pays ; elle aura l’appui du mouvement syndicaliste international ; elle finira par gagner la sympathie de toute la classe ouvrière le jour où celle-ci se verra abandonnée par tous ses amants de passage qui ne cherchaient qu’à la posséder.
Quand, au lendemain du congrès constitutif de la CGTSR, la conférence internationale du Bâtiment se réunissait au siège de l’U.D. du Rhône, il ne restait qu’à signer le pacte international du Bâtiment, suite logique et inévitable de l’adhésion unanime donnée par la CGTSR à l’Association Internationale des Travailleurs. La Création de la Fédération Internationale Syndicaliste des Travailleurs du Bâtiment, c’est le premier lien pratique qui, sur le plan industriel et international, resserre l’activité des travailleurs d’une même industrie dans tous les pays du monde. Cela entrera dans le rôle de la Section française de l’AIT de multiplier ces liens : ce sera la garantie la plus sûre que l’internationalisme n’est pas un vain mot et que les luttes prochaines, même quand elles n’embrasseront qu’un seul pays arbitrairement délimité par des frontières politiques, porteront néanmoins un caractère franchement international et nécessiteront l’appui international du prolétariat révolutionnaire organisé dans ses syndicats de lutte de classes.
Tel est le message que nous envoie la semaine de Lyon. C’est un message plein d’espérances et un appel au ralliement. C’est enfin un espoir palpable d’unité révolutionnaire au sein de la classe ouvrière contre les partis politiques et contre les pseudo-CGT. qui sont à leur remorque : la seule unité qui pourra mener à bien l’œuvre émancipatrice et reconstructive que seul le prolétariat des villes et des champs est à même d’entreprendre avec succès.
Il ne reste, pour la nouvelle CGT, que de marcher droit vers le but qu’elle s’est assignée, sans trop s’arrêter devant les obstacles que ses ennemis nombreux tâcheront de placer sur sa route.
La ligne droite est après tout le plus court chemin vers notre but.