Les néo-communistes, dans leurs démêlés avec les communistes orthodoxes, cherchent à démolir ces derniers à coups de Marx. Ils viennent de dénicher une interview donnée par Marx à un ouvrier allemand en 1869 dans lequel, parait-il, Marx avait proclamé que « les syndicats ne devaient jamais être associés à un groupement politique ni dépendre de celui-ci » : De là à déclarer que Karl. Marx est le seul, unique et authentique père du syndicalisme révolutionnaire il n’y a qu’un pas, que l’organe de ces communistes se hâte, du reste, de faire joyeusement en assimilant leur thèse à celle du père Mark… de 1869.
Hélas, on veut oublier le Karl Marx de la Première Internationale, le Karl Marx ennemi farouche du fédéralisme de Bakounine, le Karl Marx de 1871 – c’est-à-dire de deux ans après l’interview dont parlent les néo-communistes. Rappelons les faits.
En 1871 fut convoquée à Londres, par les soins du Conseil général de l’Internationale, c’est-à-dire par Marx qui vivait à Londres et qui dirigeait tous les rouages du Conseil, une Conférence dont le but était de centraliser l’Internationale et de donner des pouvoirs plus larges au Conseil général. Voici quelques passages de la résolution de cette Conférence rédigée par le Conseil général, c’est-à-dire toujours par Marx, et signée par tous ses membres :
« … Considérant que contre le pouvoir collectif des classes possédantes le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes ;
« Que cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême : l’abolition des classes ;
« La Conférence rappelle aux membres de l’Internationale :
« Que dans l’état militant de la classe ouvrière, son mouvement économique et son action politique sont indissolublement unis. »
C’est un peu loin du syndicalisme révolutionnaire que nos syndicalo-marxistes, cherchent chez Marx. C’est bel et bien dans le parti politique que Marx voyait le triomphe de la révolution sociale, dans l’union indissoluble de l’action politique et du mouvement économique – et non dans l’indépendance de celui-ci à l’égard de celle-là.
Du reste, au Congrès de La Haye, en 1872, à ce Congrès où Marx réussit à faire exclure Bakounine et Guillaume de l’Internationale, c’est-à-dire quand il devint le seul maître… et fossoyeur de l’Internationale, il fut décidé d’ajouter aux Statuts un paragraphe disant que « la conquête du pouvoir politique devient donc le grand devoir du prolétariat ! »
Non, décidément, les chercheurs de la paternité du syndicalisme révolutionnaire n’ont pas de chance. Nous leur conseillons de relire, ou de lire s’ils ne l’ont pas encore fait, la résolution sur l’attitude envers les partis politiques, adoptée par le Congrès romand de l’Internationale, tenu à La Chaux-de-Fonds en 1870, et par la Fédération Jurassienne au Congrès de Saint-Imier en 1872. Ils trouveront là les principes fondamentaux, qui restent encore aujourd’hui intacts, du syndicalisme révolutionnaire fédéraliste.
Seulement, voilà, Marx n’y était pas, à ces Congrès. Alors, ça devient inacceptable, car il faut absolument que ce soit ou Marx ou Lénine. Autrement la boutique du quai Jemmapes se refuse à accepter la marchandise.