[/« Quiconque aspire au titre de savant a aujourd’hui une double mission : découvrir et vulgariser. D’une main, il doit travailler au progrès de la science et de l’autre a sa diffusion ».
Félix
Le langage articulé a permis la constitution de la science, mais avant de découvrir la méthode scientifique d’analyse et de comparaison, le langage servit à transmettre un ensemble de récits de personne à personne et de génération en génération. Ainsi s’établit l’histoire qui fut plutôt une légende, étant donnée la déformation progressive des épisodes à travers les bouches et les temps. Ces légendes déformées, et par conséquent abondantes en faits extraordinaires, aidèrent à l’établissement d’un ensemble de croyances qui générèrent des religions.
Une collection de recettes, (manière de faire le feu, de lutter contre les animaux, de soulager certaines plaies) se transmirent aussi de père en fils et l’on vit naître des traditions. Religions, traditions, tels furent les premiers résultats du langage constitué.
Mais quelques penseurs ou philosophes reconnurent que l’ensemble des croyances, résultant de ces traditions, avaient aiguillonné la société sur une voie qui l’éloignait de plus en plus de la découverte exacte, de l’explication raisonnable des phénomènes. Il fallait nier la tradition et reprendre l’observation méticuleuse des faits. Dans chaque branche du savoir furent accumulés des faits qui, comparés, révélèrent certains rapports qu’on désigna sous le nom de lois. Une loi est une première synthèse et c’est ce qui constitue vraiment la science telle qu’on l’a conçue au
On a voulu – toujours du même côté – rendre suspecte la science qui apportait une telle infaillibilité dans ses lois qu’elle prophétisait autrement que les papes, annonçant à heure fixe la production des événements astronomiques et divulguant les résultats réactionnels des corps entre eux ; on a voulu jeter le doute sous prétexte que lorsque des moyens de calcul plus minutieux s’ouvrent à l’homme, que des instruments plus précis sont mis entre ses mains, on reconnaît de très légères erreurs, on s’aperçoit que les lois ne sont pas rigoureusement exactes. Mais cette exactitude rigoureuse ne serait possible que si l’homme possédait déjà toute la science, c’est-à-dire l’omniscience universelle. Or la science ne fait que des conquêtes progressives sur le domaine de l’infini.
La loi d’un phénomène est l’ensemble des conditions qui l’entourent, lesquelles sont elles mêmes déterminées par un ensemble d’autres conditions, ainsi jusqu’au centre de l’univers. Le résultat d’un phénomène est tel parce que chacune des conditions est telle en qualité et quantité. Pour arriver à la connaissance absolument parfaite du phénomène, il faudrait en connaître et en étudier à fond toutes les conditions déterminantes, des plus proches aux plus lointaines, il serait indispensable d’apprécier et de mesurer tous les états, toutes les formes, que présentaient à ce moment la matière, l’énergie, l’éther ; il faudrait, en un mot, ausculter l’état de l’Univers entier au moment où se passe le phénomène dont on veut déterminer la loi. Or la science n’a pas déclaré connaître encore tout le mécanisme du Cosmos, mais prétend en savoir chaque jour davantage.
On lui reproche de ne pas tout savoir, parce que depuis l’effacement de la science grecque, le catholicisme triomphant réussit à maintenir la pensée sous le joug le plus terrible qu’ait connu l’histoire, et lorsqu’au
Quoi qu’il en soit, les lois scientifiques qui existent sont déjà si précises, qu’en mécanique, elles permettent la construction de ces machines merveilleuses, si habilement productives qu’elles rendent milliardaires ceux qui peuvent injustement les détenir ; qu’en astronomie, elles révèlent la marche de la terre, des planètes, des comètes ; qu’en chimie, elles assurent la fabrication des corps composés inorganiques et organiques et fixent sur une plaque sensible les images des panoramas les plus diversement colorés ; qu’en physique, ce sont les féeries de l’électricité, les beautés de la lumière, les surprises de la téléphonie et de la télégraphie sans fil.
Le
Mais pour observer nous ne possédons que nos cinq sens, c’est beaucoup, mais manifestement insuffisant et complètement trompeur. La science inventa des instruments qui, indépendants du caprice des sens, mesurent les effets et les ramènent à une exacte estimation, traduisible par un
Cette traduction mathématique des phénomènes les plus différents a permis de constater entre les divers compartiments ou cantons jusqu’alors fermés de la science des correspondances, des équivalences ; on a pu mettre dans une même équation des choses qui semblaient ne devoir jamais s’accorder, des choses que nos sens – qui ne nous font voir qu’une apparence phénoménale, qu’une illusion effective de la Réalité invisible bien qu’objective – nous montraient comme des qualités irréductibles, lesquelles qualités n’ont pas d’existence en elles-mêmes, mais sont dues à des différences de quantités dans la substance ou dans le mouvement, traduites en qualités par nos cinq sens (nez, langue, œil, peau, oreille). Ces qualités, son, chaleur, lumière, saveur, odeur, sont, comme réalités, des mouvements plus ou moins rapides et complexes d’une substance plus ou moins dense.
Ainsi l’Unification des Sciences et l’Unité de substance apparaissent aux yeux les plus réfractaires. On vit naître tour à tour la thermo-mécanique, la thermo-chimie et le couronnement par la thermo-dynamique qui réalisait enfin la synthèse du domaine scientifique et obligeait d’admettre que la réalité ne se ramène pas seulement aux jeux de lois mécaniques, mais qu’elle consiste en un système de forces dont le mécanisme n’est que l’expression, l’effet, la résultante. C’est la grande synthèse préparée par. William Gibbs qui permet de faire figurer dans une même équation du mouvement, du travail, de la chaleur, du son, des réactions chimiques, et d’en poser l’égalité. La thermo-dynamique impose comme évidence qu’il n’y a à la base de tous les phénomènes qu’une substance unique douée de force.
Une usine d’électricité fournit un modèle complet des transformations de l’énergie. Le charbon brûle dans la machine, (énergie chimique) et produit de la chaleur, (énergie calorifique) qui fait mouvoir une machine à vapeur, (énergie mécanique) laquelle actionne une machine Gramm, (énergie électro-magnétique) dont le courant peut être employé ensuite soit pour actionner un tramway, soit pour produire de la lumière, soit pour fabriquer des produits chimiques, (électrolyse et électro-synthèse).
Sous tous ces aspects, c’est l’énergie qui est présente et que nous exprimons en langage mathématique, si rigoureusement exact que le résultat de ces transformations et forces rendues disponibles est établi sur le papier, avant l’installation pratique.
Si le son (par le sonomètre) la chaleur (par le thermomètre) le travail (par le dynamomètre), etc. sont convertissables en chiffres et peuvent se traduire en équivalences mécaniques, c’est qu’en réalité, sous l’apparente diversité des phénomènes, il n’y a originellement que de la substance et du mouvement. La science consiste à trouver l’explication dynamique, puis la formule mathématique précise de ces apparences sensorielles (subjectives) en retrouvant le mouvement (objectif) qui est à la base.
La formule synthétique à laquelle put aboutir Gibbs est une découverte de grande importance. Pour nous, elle a en outre une portée philosophique capitale. L’homme ne connaissant, par ses sens, que des aspects variables du monde, que des phénomènes constatés au point de vue humain : sa science, devenue impersonnelle, restait humaine, maintenant elle est, si j’ose dire, extra-humaine, par la considération de la constance de ces quantités, la matière et l’énergie. L’impersonnalité, voilà le résultat salutaire de la science.
Si l’on sait aujourd’hui que tous les phénomènes physiques et chimiques sont mécaniques ou, plus exactement, dynamiques, et par conséquent mathématiquement évaluables, on s’aperçoit également que la séparation qu’on a voulu établir entre ces phénomènes et les manifestations vitales est artificielle. Les réactions qui caractérisent les êtres vivants, assimilation par exemple, sont déjà ramenées à des phénomènes physico-chimiques, c’est donc pour l’avenir l’explication mécanique préparée, et les travaux des Herrera, des frères Mary, des Leduc, les recherches sur la génération spontanée (qui est évidente) et les travaux des plasmogénistes sont en si bonne voie que nous ne saurions tarder à décrire la mécanique vitale, Mais ici, qu’on ne se trompe pas : nous connaîtrons la mécanique de la matière visible, pondérable, en d’autres termes, nous saurons exactement comment s’exécutent tous les échanges entre les éléments matériels, les molécules chimiques, nous ne saurons pas pour cela les secrets de la mémoire, de la conscience, de la pensée, de la volonté, car ils relèvent d’une substance excessivement subtile, impondérable à nos instruments, non visible à nos sens ; de la génération, au sein de la molécule vivante, d’un atome central doué de pouvoirs spéciaux, et qui mettra nos courageux savants, ci-dessus cités, dans une rampe fermée, s’ils ne veulent s’affranchir de ce préjugé par lequel il n’y a de réel et d’existant que ce qui tombe sous leurs instruments ou leurs sens actuels.
(à suivre)
[/Émile