La Presse Anarchiste

Notre ignorance

« Notre igno­rance est grande », – disent les fon­da­teurs de l’Idée Libre dan l’appel qu’ils ont adres­sé au public. Ils pro­clament ain­si une grande, une incon­tes­table véri­té ; mais ils auraient grand tort d’attacher au mot « Notre » une pen­sée de modes­tie exces­sive. Notre igno­rance, à tous, l’ignorance même des plus grands savants est immense, si l’on com­pare le peu que nous savons avec la mul­ti­tude des phé­no­mènes qui res­tent encore incon­nus ou inexpliqués.

Cepen­dant, cette toute petite par­celle de véri­té est for­mi­dable ; elle est des­ti­née à trans­for­mer pro­gres­si­ve­ment le monde ; et cela parce qu’elle est le résul­tat d’une méthode qu’aucune décou­verte nou­velle n’ébranlera jamais, et à laquelle nous devons toutes les décou­vertes passées.

Que les pré­ten­dus igno­rants se consolent donc sans peine. Qu’ils n’entreprennent pas la tâche impos­sible, et inutile, de vou­loir bour­rer leur mémoire de la masse des faits connus actuel­le­ment, ou des théo­ries sou­vent fra­giles construites pour expli­quer ou clas­ser ces faits. L’érudition n’est pas la science ; elle est quel­que­fois tout le contraire.

La seule chose qui importe – et elle importe à tous – c’est de s’imprégner de la « méthode scien­ti­fique », d’y adap­ter tous ses actes en toute matière, d’y reve­nir dès qu’on recon­naît s’en être un ins­tant écarté.

Or, cette méthode est mer­veilleuse de sim­pli­ci­té, de clar­té, si les appli­ca­tions aux diverses branches de nos connais­sances en sont sou­vent pénibles et malaisées.

Elle consiste à n’accepter comme véri­tés que les faits ren­trant dans les deux caté­go­ries suivantes :

  1. Ceux qui sont consta­tés, d’une façon cer­taine, par l’observation ou l’expérience ;
  2. Ceux qui se déduisent des pré­cé­dents par l’application du rai­son­ne­ment, par voie de déduc­tion logique.

Cela serait à la por­tée de tous les humains, même les plus igno­rants, si en fait les igno­rants, au lieu de conser­ver leur cer­velle démeu­blée, mais intacte, n’avaient été bour­rés, depuis le début de la vie, de notions fausses et men­son­gères et de gros­siers préjugés.

Com­battre en nous-mêmes l’ignorance, cela veut donc dire sim­ple­ment déve­lop­per nos facul­tés d’observation et conser­ver le plus pré­cieux des biens, notre sens cri­tique, c’est-à-dire la pos­si­bi­li­té d’user de notre raison.

Si, par un coup de baguette magique, les êtres humains deve­naient ins­tan­ta­né­ment rai­son­nables, sans accroître pour cela aucune par­celle de leurs connais­sances actuelles, toute l’organisation sociale s’effondrerait sur l’heure.

Si les enfants, à par­tir de ce jour, étaient nour­ris céré­bra­le­ment des prin­cipes de la méthode scien­ti­fique, cet effon­dre­ment se pro­dui­rait dans vingt ans.

Aus­si l’idée scien­ti­fique est elle l’antagoniste irré­sis­tible non seule­ment des reli­gions, mais de toutes les puis­sances oppressives.

Aus­si les man­geurs de chair humaine qui gou­vernent le monde main­tien­dront-ils, tant qu’ils le pour­ront, et l’ignorance, et la défor­ma­tion sys­té­ma­tique des cerveaux.

[/C.A. Lai­sant./​]

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