« Notre ignorance est grande », – disent les fondateurs de l’Idée Libre dan l’appel qu’ils ont adressé au public. Ils proclament ainsi une grande, une incontestable vérité ; mais ils auraient grand tort d’attacher au mot « Notre » une pensée de modestie excessive. Notre ignorance, à tous, l’ignorance même des plus grands savants est immense, si l’on compare le peu que nous savons avec la multitude des phénomènes qui restent encore inconnus ou inexpliqués.
Cependant, cette toute petite parcelle de vérité est formidable ; elle est destinée à transformer progressivement le monde ; et cela parce qu’elle est le résultat d’une méthode qu’aucune découverte nouvelle n’ébranlera jamais, et à laquelle nous devons toutes les découvertes passées.
Que les prétendus ignorants se consolent donc sans peine. Qu’ils n’entreprennent pas la tâche impossible, et inutile, de vouloir bourrer leur mémoire de la masse des faits connus actuellement, ou des théories souvent fragiles construites pour expliquer ou classer ces faits. L’érudition n’est pas la science ; elle est quelquefois tout le contraire.
La seule chose qui importe – et elle importe à tous – c’est de s’imprégner de la « méthode scientifique », d’y adapter tous ses actes en toute matière, d’y revenir dès qu’on reconnaît s’en être un instant écarté.
Or, cette méthode est merveilleuse de simplicité, de clarté, si les applications aux diverses branches de nos connaissances en sont souvent pénibles et malaisées.
Elle consiste à n’accepter comme vérités que les faits rentrant dans les deux catégories suivantes :
- Ceux qui sont constatés, d’une façon certaine, par l’observation ou l’expérience ;
- Ceux qui se déduisent des précédents par l’application du raisonnement, par voie de déduction logique.
Cela serait à la portée de tous les humains, même les plus ignorants, si en fait les ignorants, au lieu de conserver leur cervelle démeublée, mais intacte, n’avaient été bourrés, depuis le début de la vie, de notions fausses et mensongères et de grossiers préjugés.
Combattre en nous-mêmes l’ignorance, cela veut donc dire simplement développer nos facultés d’observation et conserver le plus précieux des biens, notre sens critique, c’est-à-dire la possibilité d’user de notre raison.
Si, par un coup de baguette magique, les êtres humains devenaient instantanément raisonnables, sans accroître pour cela aucune parcelle de leurs connaissances actuelles, toute l’organisation sociale s’effondrerait sur l’heure.
Si les enfants, à partir de ce jour, étaient nourris cérébralement des principes de la méthode scientifique, cet effondrement se produirait dans vingt ans.
Aussi l’idée scientifique est elle l’antagoniste irrésistible non seulement des religions, mais de toutes les puissances oppressives.
Aussi les mangeurs de chair humaine qui gouvernent le monde maintiendront-ils, tant qu’ils le pourront, et l’ignorance, et la déformation systématique des cerveaux.
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