La Presse Anarchiste

Savons-nous respirer ?

On aurait bien sur­pris nos grands-pères, si on leur avait dit que la res­pi­ra­tion n’est pas une fonc­tion naturelle, et que si tous les êtres humains respirent, il en est peu qui savent respir­er. À vrai dire, il n’y a guère qu’en ces dernières années qu’on s’en est préoc­cupé. On croy­ait jadis avoir tout fait, quand on avait placé le malade dans une atmo­sphère pure de tous ger­mes ; ce n’était pour­tant que la moitié du prob­lème qui était résolue.

Certes, il importe de plac­er ceux dont l’hématose est insuff­isante, les can­di­dats à la tuber­cu­lose notam­ment, dans un air qui ne soit pas souil­lé par des microbes mal­faisants, comme l’est celui des quartiers surpe­u­plés, tels qu’il s’en trou­ve encore trop dans les grandes cités. L’air, est-il besoin de le répéter encore, est un ali­ment de pre­mière impor­tance, aus­si néces­saire à l’organisme que les ali­ments solides et liq­uides ; encore faut-il que le sujet ait de « l’appétit » ; que son estom­ac, je veux dire ses poumons, ne soient bouchés ; c’est pourquoi on doit veiller à ce que les malades dila­tent au max­i­mum leurs cel­lules pul­monaires, afin que l’air y pénètre complètement.

On a observé que la plu­part des sujets qui sont prédis­posés aux affec­tions pul­monaires ont pris l’habitude de ralen­tir leur fonc­tion res­pi­ra­toire ; la plu­part de leurs cel­lules restent ain­si inac­tives ; et, par suite, il n’entre, à chaque mou­ve­ment d’inspiration, qu’une quan­tité restreinte d’air dans la poitrine.

Le besoin de respir­er aug­mente, on ne le sait pas assez, en pro­por­tion directe de la quan­tité de tra­vail effec­tuée par les mus­cles. Restez-vous immo­bile, le besoin de respir­er est réduit au min­i­mum. La phys­i­olo­gie nous apprend que, chez l’homme bien por­tant, le poumon au repos ne respire pas avec toutes ses cel­lules ; une notable par­tie de l’organe reste dans l’inaction, se réser­vant pour le moment où se man­i­festera un plus grand besoin de respir­er, une plus grande « soif d’air ».

Quand on reste trop au repos, il se crée des habi­tudes de res­pi­ra­tion ralen­tie ; un grand nom­bre de cel­lules pul­monaires finis­sent par se dés­in­téress­er pour ain­si dire de leur fonc­tion. Au con­traire, quand les mus­cles font chaque jour une quan­tité de tra­vail suff­isante, les cel­lules pul­monaires de réserve se trou­vent sol­lic­itées à entr­er chaque jour en jeu, et le fonc­tion­nement réguli­er aug­mente leur apti­tude fonctionnelle.

Cela est si vrai que, chez les sujets à res­pi­ra­tion ralen­tie, où les som­mets des poumons représen­tent la par­tie inac­tive de l’organe, ce sont ces som­mets qui se tuber­culisent tout d’abord, qui devi­en­nent les champs de cul­ture les plus favor­ables à l’ensemencement du bacille tuberculeux.

Mais la démon­stra­tion n’a pas besoin d’être pour­suiv­ie ; on com­prend par­faite­ment qu’une région quel­conque de l’organisme devient, par insuff­i­sance de fonc­tion­nement, un lieu de moin­dre résis­tance ; alors qu’un organe très act­if acquiert de la force et du volume.

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On a fait, à cet égard, une con­stata­tion curieuse : on a remar­qué une diminu­tion notable de la tuber­cu­lose chez les sourds-muets, depuis qu’on a adop­té la méth­ode phoné­tique. La parole artic­ulée est, en effet, au dire de tous les spé­cial­istes, un puis­sant agent d’activité res­pi­ra­toire ; le silence pro­longé réduit, par con­tre, au min­i­mum, le fonc­tion­nement de ce souf­flet que représente la cage tho­racique où les poumons sont ren­fer­més. Aus­si, chez les sourds-muets, la capac­ité du poumon est-elle beau­coup plus faible que chez un sujet nor­mal ; et, par suite, ces pau­vres infirmes sont plus aisé­ment la proie de la bacillose.

Depuis qu’on a pu appren­dre aux enfants privés de la parole, à artic­uler et à pronon­cer à haute voix des mots qu’ils n’entendent pas, mais qui sont com­pris par leur entourage, leur capac­ité res­pi­ra­toire aug­mente, et la tuber­cu­lose pul­monaire dimin­ue pro­por­tion­nelle­ment chez ces dis­graciés de la nature.

Une autre obser­va­tion, ren­trant dans le même ordre d’idées, a été faite par ceux qui, de par leur pro­fes­sion, sont appelés à soign­er des chanteurs. Un médecin de l’Opéra nous écrivait naguère que, par­mi les nom­breux chanteurs qu’il avait soignés et con­nus, il n’avait jamais ren­con­tré un cas de tuber­cu­lose pul­monaire. Et comme nous lui deman­dions à quoi il attribuait cette immu­nité, il nous répon­dit : « À l’amplitude de leur res­pi­ra­tion, qui fait pénétr­er de l’air, d’une façon nor­male, jusque dans les plus petites cel­lules du som­met des poumons, phénomène incom­plet dans la res­pi­ra­tion ordi­naire ; et nul chez les anémiques, chez les déchéants ».

Selon notre con­frère, les par­ents devraient faire chanter leurs enfants, dès le jeune âge : « Dans les maîtris­es, nous dis­ait-il encore, les enfants qui chantent, à par­tir de 10 ans et même moins – et dont plusieurs ont illus­tré la scène française, Fau­re par exem­ple – sont beau­coup plus vigoureux, plus dévelop­pés du tho­rax, que la plu­part de leurs cama­rades de classe. Le chant bien com­pris est une cause de force, de bonne santé ».

Si la parole et le chant con­stituent pour le poumon une gym­nas­tique naturelle, l’exercice mus­cu­laire est aus­si un fac­teur res­pi­ra­toire qui n’est pas nég­lige­able. Qui ne sait que l’activité de la res­pi­ra­tion s’accroît avec l’activité des mus­cles ? L’homme qui marche intro­duit, en un temps don­né, trois fois plus d’air dans ses poumons qu’un homme immo­bile et couché ; l’homme qui court en intro­duit sept fois plus. Ce qui revient à dire que l’exercice mus­cu­laire accroît l’appétit de respir­er, dont nous par­lions il y a un moment ; et, comme on l’a juste­ment dit, la surac­tiv­ité res­pi­ra­toire est un agent de recon­sti­tu­tion autrement sûr et effi­cace que la sural­i­men­ta­tion tant vantée.

La sural­i­men­ta­tion peut, en effet, ne pas être tolérée par tous les estom­acs ; cer­tains se révoltent du tra­vail exces­sif qu’on leur impose et le man­i­fes­tent à leur façon, c’est-à-dire par les nausées, ou même par les vom­isse­ments ; tan­dis que la « suraéra­tion », pourvu que l’air ne soit pas trop vif et soit de bonne qual­ité, de com­po­si­tion nor­male, pour tout dire, ne peut qu’être favor­able à la santé.

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L’exercice mus­cu­laire général n’est pas la seule forme que puisse pren­dre la gym­nas­tique res­pi­ra­toire ; et cela est heureux, car il y a beau­coup de malades qui ne pour­raient pas sup­port­er l’exercice vio­lent néces­saire pour activ­er la res­pi­ra­tion. Chez ceux-là, la somme mus­cu­laire néces­saire pour obtenir la surac­tiv­ité du poumon, représen­terait une dépense en dis­pro­por­tion avec le faible état de leurs forces, et l’on arriverait bien vite à pro­duire chez eux du sur­me­nage ou de l’épuisement.

La gym­nas­tique res­pi­ra­toire la plus sim­ple con­sis­terait à faire chaque jour un cer­tain nom­bre de res­pi­ra­tions aus­si éten­dues et aus­si pro­fondes que la capac­ité du poumon le per­met, suiv­ies d’expirations, dans lesquelles on s’applique à faire sor­tir l’air de la poitrine aus­si com­plète­ment que possible.

Ces exer­ci­ces reposent sur ce fait d’observation que le mou­ve­ment d’élévation et d’écartement des bras, surtout quand il est aidé par la coïn­ci­dence d’un effort d’inspiration volon­taire, entraîne les côtes en haut et en arrière, par l’intermédiaire des mus­cles qui s’attachent au bras ou à l’épaule, et d’autre part, à la cage tho­racique. Le sujet arrive ain­si à pro­duire le max­i­mum d’effort inspi­ra­toire ; out­re qu’il intro­duit une grande quan­tité d’air dans la poitrine, il aug­mente la force et l’amplitude fonc­tion­nelle des mus­cles de la res­pi­ra­tion : de la sorte, le poumon est ven­tilé plus active­ment et les résidus organiques sont bal­ayés avec plus d’énergie.

Une fois l’aptitude à respir­er acquise, l’éducation de la res­pi­ra­tion est faite ; l’habitude est prise de respir­er suiv­ant un sys­tème lent et pro­fond. Le vol­ume du poumon aug­mente, les côtes se relèvent, le périmètre du tho­rax s’agrandit, la san­té s’améliore et la fâcheuse tuber­cu­lose est éloignée.

Ces résul­tats valent bien la peine qu’on se soumette à des exer­ci­ces qui ne pren­nent qu’un peu de temps de notre exis­tence, temps qui nous est ren­du, du reste, au centuple.

C’est comme un place­ment à gros intérêts.

[/Docteur Cabanès./]


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