La Presse Anarchiste

Où va la révolution benbelliste

[[Cette note nous est par­ve­nue quand l’article Réa­li­tés algé­riennes, de Gas­ton Leval, était écrit. Elle le com­plète utilement.]]

Tant pis pour les ben­bel­listes et autres natio­na­listes algé­riens qui ne voient pas plus loin que la bagarre révo­lu­tion­naire par laquelle ils sont obnu­bi­lés. Nous avons tou­jours sou­te­nu et nous conti­nuons de sou­te­nir qu’une révo­lu­tion sociale est un fait de tant d’importance qu’il ne peut être entre­pris à la légère.

Ben Bel­la vient d’apporter une fois de plus la preuve de notre affir­ma­tion, en fai­sant, le 28 octobre, des décla­ra­tions sen­sa­tion­nelles, que le Monde repro­dui­sait le jour suivant :

« Les tra­vailleurs du sec­teur agri­cole, a‑t-il décla­ré, ne ver­ront pas leurs condi­tions de vie s’améliorer rapidement. »

Pre­mière douche gla­cée sur l’enthousiasme de ceux selon les­quels il suf­fi­sait de mettre dehors les colons euro­péens pour amé­lio­rer sen­si­ble­ment, et du jour au len­de­main, le sort de la popu­la­tion arabe. 

Deuxième douche :

« Pour l’instant, notre pro­duc­tion agri­cole est com­plè­te­ment dés­équi­li­brée. L’Algérie importe 70 mil­liards par an de den­rées ali­men­taires alors qu’elle pour­rait en pro­duire la plus grande par­tie sur son territoire. »

Cette der­nière affir­ma­tion est plus que dis­cu­table. Mais que devient donc la socia­li­sa­tion agraire dont on se gar­ga­rise tant ? Pour­quoi la pro­duc­tion en est-elle là alors que dans les col­lec­ti­vi­tés espa­gnoles elle aug­mente rapi­de­ment, d’une année à l’autre ?

Troi­sième douche :

Ben Bel­la découvre que la situa­tion agri­cole algé­rienne se carac­té­rise comme suit : « Huit mil­lions de fel­lahs dont les condi­tions de vie sont à peine ima­gi­nables sur quatre mil­lions d’hectares de ter­rain rava­gés par l’érosion et le ravinement. » 

Ce qui fait un demi-hec­tare de mau­vaise terre par fellah.

Nous avons tou­jours posé ces ques­tions dans notre revue, et nous disons que tout révo­lu­tion­naire sérieux doit les poser. Mais à temps. Les décla­ma­teurs et les agi­ta­teurs écer­ve­lés ne sont pas ceux qui doivent gui­der l’histoire, mais ceux qui ont une matière grise valable dans leur boîte crâ­nienne. Car Ben Bel­la découvre aus­si main­te­nant – ce que nous avons dit il y a sept ans, que « la moder­ni­sa­tion de l’agriculture ne suf­fi­ra pas pour four­nir du tra­vail à tous les hommes ».

Il en déduit donc qu’il faut « opé­rer un trans­fert d’au moins un mil­lion de jeunes de ces régions du sec­teur agri­cole au sec­teur industriel ».

Ce qui s’est fait et se fait par­tout, et d’abord dans les nations capi­ta­listes (en Angle­terre et aux États-Unis), ce qui s’est fait en URSS et même ce qui se fait actuel­le­ment dans l’Espagne de Fran­co, car les lois de l’économie sont les mêmes. Mais voi­ci une chose qu’il oublie : c’est que pour cette poli­tique de dépla­ce­ment de popu­la­tion et de créa­tion indus­trielle il faut d’abord avoir une éco­no­mie agri­cole solide, qui serve de sup­port, d’accu­mu­la­tion pri­mi­tive, comme disent les éco­no­mistes. Sinon, rien n’est faisable.

Atten­dons voir com­ment il s’y pren­dra. Mais comme il est pré­voyant, il a annon­cé qu’il fau­drait « un effort for­mi­dable », « une aus­té­ri­té libre­ment consen­tie » qui devra durer quinze ans !

Le peuple algé­rien, qu’il dis­trait par la guerre, a‑t-il gagné à ce chan­ge­ment par la façon dont on l’a fait ? Et n’oublions pas que dans trente ans il sera deux fois plus nom­breux que maintenant.

Non, la révo­lu­tion n’est pas une affaire pour les petites cer­velles. Aurons-nous l’honnêteté et le cou­rage de le reconnaître ?

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