La Presse Anarchiste

Problèmes constructifs

[(Traduit spé­ciale­ment du russe, nous repro­duisons un arti­cle pub­lié le 15 décem­bre 1917 dans le n° 21 de l’organe de l’anarcho-syndicalisme russe Goloss Tru­da (« La Voix du Tra­vail »), qui parais­sait à Saint-Péters­bourg, devenu ensuite Leningrad. Son auteur, le théoricien anar­cho-syn­di­cal­iste Voline, qui fut la bête noire de Lénine, expri­mait, en même temps que sa pen­sée, celle de ses cama­rades Schapiro et Max­i­moff, qui apparte­naient aus­si à la rédac­tion de ce journal.

Nous croyons utile de faire con­naître cet écrit, non seule­ment à titre de doc­u­men­ta­tion his­torique, mais pour mon­tr­er les prob­lèmes que pose une révo­lu­tion sociale, et que, dès les pre­miers moments, ces hommes qui furent per­sé­cutés comme con­tre-révo­lu­tion­naires par le pou­voir bolchevique appor­taient des idées con­struc­tives val­ables. De l’ensemble nous avons bien des enseigne­ments à tirer.)]

Nous affir­mons que la révo­lu­tion « poli­tique » est ter­minée. Depuis huit mois, elle a fait son chemin. Un par­ti poli­tique de gauche a pris le pou­voir. Actuelle­ment, il con­solide ses positions.

Les tra­vailleurs ont le devoir de con­tin­uer la révo­lu­tion avec acharne­ment pour qu’elle ne s’arrête pas.

Il est indispensable :
– que les tra­vailleurs et les paysans empêchent le retour en arrière ;
– que les sol­dats aident à tout prix les tra­vailleurs et les paysans dans cette voie ;
– que la révo­lu­tion soit dirigée vers des voies constructives.

La vic­toire des tra­vailleurs et des paysans sauvera la révo­lu­tion. Dans le cas con­traire, sa mort est certaine.

Que doivent faire les tra­vailleurs pour diriger cette révo­lu­tion vers une révo­lu­tion sociale ?

Plusieurs grands prob­lèmes sont à résoudre par les mass­es des tra­vailleurs des villes et des campagnes.

À la campagne :

Un effort inces­sant, un tra­vail inlass­able est indis­pens­able pour con­quérir la terre et sup­primer la pro­priété privée.

Il est néces­saire d’organiser la pro­duc­tion, mais pour y réus­sir il faut des machines, des instru­ments et du cheptel.

Après l’expropriation de la terre, les paysans doivent organ­is­er la pro­duc­tion sur des bases col­lec­tives et amélior­er gradu­elle­ment les méth­odes actuelles de production.

Par­al­lèle­ment à ce tra­vail, les organ­i­sa­tions paysannes doivent entre­pren­dre la dis­tri­b­u­tion aux con­som­ma­teurs de toutes les den­rées ali­men­taires (céréales, fruits, etc.).

Il est indis­pens­able de garder les pro­duits de la semence et de diriger l’excédent là où les pro­duits agri­coles sont demandés.

D’où sur­gis­sent de nou­veaux problèmes :
– la con­sti­tu­tion d’entrepôts communaux ;
– l’organisation de la distribution ;
– les rela­tions entre les villes et les villages.

Ensuite appa­rais­sent d’immenses prob­lèmes secondaires :
– la trans­for­ma­tion rad­i­cale de l’habitat rural ;
– l’organisation de l’enseignement dans les villages ;
– la solu­tion de la ques­tion san­i­taire et médicale.

À la ville :

L’économie et la vie citadines sont beau­coup plus com­pliquées, surtout actuelle­ment. Seule l’action con­certée, plan­i­fiée, des organ­i­sa­tions des tra­vailleurs, dirigée vers des objec­tifs claire­ment défi­nis, peut don­ner des résul­tats féconds.

En général, le prob­lème est le suivant :
– L’organisation du ravitaillement :

Partout où les forces con­scientes des sol­dats et des marins restent les gar­di­ennes de la révo­lu­tion et appuient les tra­vailleurs, il est urgent de pré­par­er un plan de rav­i­taille­ment et immé­di­ate­ment, énergique­ment, pass­er à sa réalisation.

Les prin­ci­paux pro­duits ali­men­taires (pain, viande, sucre, lait, matières grass­es) qui se trou­vent dans les entre­pris­es doivent être expropriés.

Les pro­duits ali­men­taires se trou­vant dans les mag­a­sins et les bou­tiques doivent égale­ment devenir la pos­ses­sion des organ­ismes dis­trib­u­teurs. Les entre­pris­es com­mer­ciales doivent être rem­placées par des mag­a­sins généraux.

Quels sont ces organ­ismes qui peu­vent entre­pren­dre cette tâche ? Il est pra­tique et souhaitable que celle-ci soit con­fiée aux coopéra­tives, car :

  1. Les élé­ments qui con­stituent ces coopéra­tives sont déjà habitués aux prob­lèmes du ravitaillement ;
  2. Ils peu­vent facile­ment réalis­er l’expropriation des pro­duits et organ­is­er les mag­a­sins de rav­i­taille­ment par quartiers ;
  3. La réal­i­sa­tion de ces prob­lèmes per­me­t­trait aux tra­vailleurs et employés des entre­pris­es privées de tra­vailler dans les mag­a­sins de rav­i­taille­ment de leur quartier ;
  4. Une telle solu­tion du rav­i­taille­ment per­me­t­trait de résoudre le prob­lème de l’habitat.

Le fonc­tion­nement des coopéra­tives de con­som­ma­tion d’une rue ou d’un quarti­er peut être facile­ment coor­don­né avec le fonc­tion­nement des comités des maisons par rue et par quartier.

La néces­sité des rela­tions entre ces deux organ­ismes est déjà prou­vée par la révolution.

L’expropriation des pro­duits ali­men­taires et l’organisation des mag­a­sins généraux doivent être com­plétées par l’organisation de restau­rants pop­u­laires où l’on pour­ra trou­ver des repas chauds et gratuits.

Procéder de cette façon, intro­duire dans la vie une telle méth­ode de rav­i­taille­ment et de dis­tri­b­u­tion, per­me­t­tra d’alléger au plus haut degré les soucis de l’alimentation de la population.

D’autre part, l’ensemble de ces mesures portera un coup mor­tel à l’exploitation et à la con­tre­bande, con­tre lesquelles il n’y a guère d’autres moyens de lutter.

Avec l’organisation du rav­i­taille­ment, il faut dévelop­per une action énergique pour résoudre le prob­lème de l’habitation. Il est urgent d’entreprendre immé­di­ate­ment l’expropriation méthodique des maisons d’habitation appar­tenant à des propriétaires.

Toutes les habi­ta­tions doivent être déclarées pro­priété collective.

Nous savons très bien que tous ces prob­lèmes ne pour­ront être réso­lus en quelques min­utes. Cela exige un tra­vail bien réfléchi et très sérieux. Néan­moins, il est indis­pens­able de pré­par­er déci­sive­ment le plan de la réal­i­sa­tion de tous ces prob­lèmes ardus.

Le gou­verne­ment avait pro­jeté, avec timid­ité, un décret pour résoudre la mis­ère du loge­ment. Il en est resté là.

Pour nous, il n’est pas ques­tion de mod­i­fi­er les con­di­tions de loy­er, mais de sup­primer com­plète­ment la pro­priété privée.

Les organ­i­sa­tions capa­bles de réalis­er ces prob­lèmes sont les comités de l’habitation, qui sont con­sti­tués par rue, quarti­er et rayons.

Chaque comité d’habitation, dans les lim­ites d’un immeu­ble, pré­pare les don­nées sur l’état dans lequel se trou­vent les loge­ments, le chauffage, l’éclairage, etc.

Ces comités for­ment le con­seil (sovi­et) de la ville, qui a pour tâche de procéder, après l’expropriation de l’habitat, à la dis­tri­b­u­tion des logements.

Si le con­seil est réelle­ment com­posé de délégués des comités d’habitation par rue, quarti­er et rayons, c’est-à-dire de bas en haut, ses déci­sions seront tou­jours pos­i­tives, fécon­des et justes.

Je sig­nale que ce procédé com­mence déjà à être appliqué à Kro­nch­tate, avec d’excellents résultats.

Avec l’organisation du rav­i­taille­ment et après avoir résolu le prob­lème du loge­ment, il est indis­pens­able de pass­er immé­di­ate­ment à l’expropriation de toutes les fab­riques, les usines et les ate­liers par leurs comités respectifs.

[|Les fab­riques et les usines|]

Il n’est pas indis­pens­able d’écrire que toutes les fab­riques et usines doivent être sous la direc­tion des organ­i­sa­tions ouvrières.

L’important est d’établir com­ment il faut réalis­er cette grande entre­prise. Actuelle­ment de nom­breuses fab­riques et usines fer­ment leurs portes. Des mil­liers d’ouvriers sont sans tra­vail. Les ouvri­ers doivent s’opposer à la fer­me­ture de ces étab­lisse­ments, les remet­tre en marche et con­tin­uer la production.

Les grandes dif­fi­cultés sont connues :

  1. Insuff­i­sance des commandes ;
  2. Manque de matières pre­mières et de combustible ;
  3. Le sab­o­tage voulu par les entre­pre­neurs et les hauts fonctionnaires ;
  4. Manque de rela­tions régulières avec la campagne ;
  5. Désor­gan­i­sa­tion et isole­ment des cen­tres de pro­duc­tion char­bon­nière, pétrolière et métal­lurgique (le bassin du Don et de l’Oural) ;
  6. Diminu­tion sen­si­ble du trans­port routi­er et désor­gan­i­sa­tion com­plète du traf­ic ferroviaire.

Les tra­vailleurs ont le devoir de résoudre ces prob­lèmes sans rien atten­dre d’un pou­voir central.

Les tra­vailleurs des villes doivent, pour assur­er leur exis­tence, pré­par­er et con­solid­er la pro­duc­tion. Il leur faut entr­er immé­di­ate­ment en rela­tion avec la cam­pagne, les régions et les départements.

Il est indis­pens­able d’entreprendre des échanges avec les organ­i­sa­tions rurales. Il faut, pour cela, pré­par­er un Man­i­feste aux paysans et organ­is­er l’échange des pro­duits de la terre avec les pro­duits indus­triels, organ­is­er la répar­ti­tion des instru­ments agricoles.

Dans cer­tains endroits, les tra­vailleurs ont déjà appliqué cette méth­ode de tra­vail et les résul­tats obtenus sont inespérés.

[|Les matières pre­mières et le com­bustible|]

En ce qui con­cerne les matières pre­mières et le com­bustible, il y a eu énor­mé­ment de temps de per­du. Il aurait fal­lu, dès le début, accorder une grande impor­tance à cette ques­tion. La sit­u­a­tion est très sérieuse, mais elle n’est pas dés­espérée. Atten­dre une aide du bassin du Don est pour l’instant impos­si­ble. Reste l’Oural. Il est urgent d’envoyer des hommes pour établir des rela­tions directes.

Il est urgent que les ouvri­ers déci­dent d’entreprendre énergique­ment ce tra­vail sans per­dre de temps.

Il faut égale­ment essay­er, dans la lim­ite du pos­si­ble, de recon­ver­tir cer­taines fab­riques pour pro­duire des matéri­aux néces­saires aux paysans.

[|Trans­port|]

Les ouvri­ers restés sans tra­vail doivent diriger leurs efforts sur les trans­ports fer­rovi­aires (répa­ra­tions des chemins de fer, des wag­ons, loco­mo­tives, etc.). Il faut qu’immédiatement le trans­port fer­rovi­aire et routi­er passe sous la direc­tion des organ­i­sa­tions ouvrières.

[|Con­clu­sion|]

Il faut aus­si organ­is­er les affaires sociales dans les villes et s’occuper du chômage.

Tels sont les innom­brables prob­lèmes à résoudre pour les tra­vailleurs des villes. Prob­lèmes ardus exigeant de l’énergie et de l’audace. De leur prompte réal­i­sa­tion dépend notre victoire.

En con­clu­sion, nous proposons :

  1. Organ­is­er immé­di­ate­ment un con­grès de tra­vailleurs avec le plus pos­si­ble de délégués, afin de résoudre les prob­lèmes indiqués plus haut ;
  2. Agir avec énergie et audace sans crainte de com­met­tre des erreurs ni de s’arrêter devant un échec pos­si­ble, car pour amélior­er la sit­u­a­tion dans laque­lle nous nous trou­vons il n’y a que nos propositions ;
  3. Ne pas atten­dre ou espér­er une aide du pou­voir central.

Il faut agir par les organ­i­sa­tions de tra­vailleurs. Si ces derniers sont impuis­sants pour pass­er à l’attaque, il faut établir un plan en dehors de ces organisations.

Vous devez compter unique­ment sur vous !

Ne vous arrêtez devant aucun obstacle !

Agis­sez inlass­able­ment pour le bien de tous !

Ain­si seule­ment les tra­vailleurs réus­siront dans leur lutte pour une vie meilleure.

Ne per­me­t­tez pas au pou­voir cen­tral bolchevique et à la bour­geoisie de tri­om­pher sur les ruines de la révolution.

[/Voline/]


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