Le congrès anarchiste ?
Un certain nombre de socialistes d’extrême gauche – de la tendance qui se qualifie de « communiste anarchiste » – se sont réunis dans une salle du
Comme il est d’usage pour tout Concile qui se prend au sérieux, celui-ci y a été de ses petites excommunications. On a rompu bruyamment avec les individualistes » – mais en se gardant de définir ce qu’il fallait entendre par individualisme. Peut-être est-ce parce que nul des congressistes n’eût su s’en tirer ? On a également stigmatisé l’illégalisme, – autrement dit l’attentat à la propriété perpétré à des fins personnelles ; il parait que, commis dans un but collectif, le même attentat en devient sanctifié !
Comparé avec ce qu’il fut, il y a un quart de, siècle et même-moins, – aux beaux temps de « la Révolte », du « Père Peinard », le mouvement social-communiste anarchiste accuse un recul sensible. C’est l’heure des « rectifications de tir » et les communistes anarchistes ne se relèveront jamais de leur enlisement syndicaliste. L’accès de colère du Père Grave, des « Temps Nouveaux » (sic) contre la malheureuse affiche de nos amis de l’action d’art ne ranimera pas une vigueur disparue.
Le seul incident notable de ce Congrès fut la tentative d’obstruction ou d’envahissement – je parle le langage des RR. PP. du Concile – opérée par une troupe d’anarchistes (?) dont le confusionnisme dans les idées et la tactique parait l’unique point de ralliement. À quel anarchiste individualiste l’idée fut-elle venue d’aller troubler les élaborations fastidieuses de gens aven lesquels il se chercherait vainement un point de contact ? Qu’a‑t-il de commun avec ces « communistes », lui qui réclame la liberté, non seulement de consommer, mais de produire individuellement et de disposer à son gré de son produit ? Ou encore avec ces doctrinaires qui font fi de la formation de la personnalité individuelle, ignorent la vie intérieure et accepteraient volontiers (singuliers anarchistes) de se placer sous l’autorité entraînante des masses égarées et délirantes, pourvu que l’aboutissant de leur folie soit une révolution (?) économique.
Certes, nous croyons utile de réagir contre la tendance illégaliste. Qui donc nierait que la pratique professionnelle de l’illégalisme ne soit dangereuse, néfaste, souvent avilissante Nous pensons qu’il est indigne d’un anarchiste individualiste autant d’exploiter autrui que d’écraser davantage qui l’est déjà. Mais tout cela ne veut pas dire que nous placions le producteur au-dessus de l’Individu. Par ailleurs, nous établissons une différence appréciable, dans nos rapports avec eux, entre le paysan qui fait valoir son champ à la sueur de son front et l’usinier qui édifie sa fortune sur l’exploitation de ses semblables sans défense.
Et dussé-je encourir l’excommunication majeure de ces Messieurs du Concile communiste – je n’en persiste pas moins à déclarer que le travail forcé, pour le compte de l’exploiteur qui vous oblige à produire ce dont souvent vous ne voyez pas la nécessité et sans savoir pour qui, – je persiste à déclarer que ce travail-là n’offre rien d’attrayant ni d’anarchiste. C’est de la prostitution, tout simplement.
Qu’il faille souvent passer par ce pis aller détestable, cela suffit bien. Qu’on l’exalte, c’est ce qui dépasse la mesure !
Il se peut que dans le courant de cet hiver, je convie un certain nombre de camarades, de tous les coins de la France, à se réunir dans une ville du centre (pourquoi se laisser toujours absorber par Paris ?) afin de nous entretenir sur ce qu’il faut entendre par « anarchisme individualiste ». Il ne s’agit point là d’un Congrès, mais d’un échange de vues entre compagnons d’idées heureux de se rencontrer. Pour lui enlever tout caractère sectaire, je demanderai à des camarades naturiens, tolstoïsants, etc., de venir se joindre à nous. Cela se fera sans ostentation, sans publicité, sans avis à la presse, « à la bonne » enfin !
Des scandales…
De temps à autre, l’écume de la mer remonte à la surface, troublant l’apparente tranquillité du flot. Il en est de même pour l’océan social. Nous apprenons donc, sans trop nous émouvoir, qu’un Deperdussin, fournisseur de l’aviation militaire, notable commerçant et décoré, se trouve accusé d’un détournement de trente millions, au détriment de créanciers peu intéressants et usuriers fieffés ; ou encore que des policiers, afin de toucher une prime quelconque, bourraient les poches de pauvres diables qui n’en pouvaient mais d’objets qu’ils affirmaient ensuite provenir de vols. M. Deperdussin et ces zélés défenseurs de la société sont les types représentatifs d’un milieu où la puissance et l’indépendance – pour relatives qu’elles soient – ne s’acquièrent que par la possession d’un million ou d’une pièce de cent sous de plus que le voisin. Or, à quoi les 9⁄10 des êtres que nous coudoyons ne sont-ils pas résolus pour obtenir soit l’un, soit l’autre ?
Autre scandale : sous le regard nonchalant ou amusé des diplomates, des financiers et des pacifistes, les bandits balkaniques ont encore fait parler d’eux depuis que notre dernier fascicule a paru ; ce qu’ils s’en sont donné à cœur joie ces brigands en uniforme, tuant, mutilant, violant et pillant ! En regard,
Scandale moins bruyant, mais non moins significatif, que l’exclusion du syndicat des typographes de Lyon de ce syndiqué qui acceptait que sa femme s’emploie à la même profession et au même salaire que lui. Il nous révèle que, syndiqué ou non, le mâle demeure le mâle et que de l’émancipation de la femme, il se soucie comme un poisson d’une pomme. Il sait pourtant que l’émancipation économique de la femme est seule capable de la rendre maîtresse d’elle-même. Mais, syndiqué ou non, n’est-ce pas par là qu’il la tient ?
Su les routes de France
Je n’ai nulle intention de m’étendre sur les péripéties du voyage à bicyclette dont je parlais au fascicule précédent et qui a couvert treize cents kilomètres. Je me contenterai de dire qu’il m’a été possible de pousser jusqu’à Vienne en Isère et, en trois semaines, de tenir une douzaine de petites réunions. Je suis revenu enchanté. En écrivant « enchanté », je ne veux naturellement pas dire que j’ai enregistré unanimité parfaite concernant mon point de vue de l’anarchisme individualiste et ce n’est point non plus à faire des suiveurs que tend mon activité. Je désire pour ceux avec lesquels je viens en contact intellectuel qu’ils se révèlent à eux-mêmes leur personnalité véritable, qu’ils se sélectionnent, qu’ils se reconnaissent. De là les échanges d’idées très intéressants qui ont marqué certains entretiens ; de là aussi force malentendus dissipés.
Voici ma réponse à plusieurs objections concernant plus spécialement
Non loin de Mâcon, j’ai rencontré un camarade – un communiste – dont je suis encore à envier l’énergie. Seul dans un petit pays perdu ou à peu près, non seulement, ayant acquis du caractère, il a construit des « casses » qui sont loin d’être au modèle réglementaire, il a appris à composer, mais encore il est parvenu à clicher sa composition. Et cela tout en gagnant péniblement sa vie. J’ai sous les yeux des épreuves de ces clichés ; elles fourmillent de fautes d’orthographe et de style ; j’éprouve pourtant à les parcourir le même frisson d’émotion qui me saisit chaque fois que je me trouve en présence de l’œuvre d’un producteur individuel, d’un artisan qui a travaillé en artiste, c’est-à-dire donné tout l’effort dont il est susceptible.
[/E. Armand/]