La Presse Anarchiste

Du haut de ma tour d’ivoire

Le congrès anarchiste ?

Un cer­tain nombre de socia­listes d’extrême gauche – de la ten­dance qui se qua­li­fie de « com­mu­niste anar­chiste » – se sont réunis dans une salle du xve arron­dis­se­ment, à Paris. Après trois jours de lec­tures, de dis­cus­sions et de congra­tu­la­tions mutuelles, ces per­sonnes se sont séparées‑, non sans avoir jeté les bases d’une… Église,… par­don, d’une orga­ni­sa­tion dénom­mée Fédé­ra­tion Com­mu­niste Anar­chiste Révo­lu­tion­naire dont les dits et les gestes ne feront pas d’ailleurs grand mal à la pro­pa­gande des idées anar­chistes individualistes.

Comme il est d’usage pour tout Concile qui se prend au sérieux, celui-ci y a été de ses petites excom­mu­ni­ca­tions. On a rom­pu bruyam­ment avec les indi­vi­dua­listes » – mais en se gar­dant de défi­nir ce qu’il fal­lait entendre par indi­vi­dua­lisme. Peut-être est-ce parce que nul des congres­sistes n’eût su s’en tirer ? On a éga­le­ment stig­ma­ti­sé l’illégalisme, – autre­ment dit l’attentat à la pro­prié­té per­pé­tré à des fins per­son­nelles ; il parait que, com­mis dans un but col­lec­tif, le même atten­tat en devient sanctifié !

Com­pa­ré avec ce qu’il fut, il y a un quart de, siècle et même-moins, – aux beaux temps de « la Révolte », du « Père Pei­nard », le mou­ve­ment social-com­mu­niste anar­chiste accuse un recul sen­sible. C’est l’heure des « rec­ti­fi­ca­tions de tir » et les com­mu­nistes anar­chistes ne se relè­ve­ront jamais de leur enli­se­ment syn­di­ca­liste. L’accès de colère du Père Grave, des « Temps Nou­veaux » (sic) contre la mal­heu­reuse affiche de nos amis de l’action d’art ne rani­me­ra pas une vigueur disparue.

Le seul inci­dent notable de ce Congrès fut la ten­ta­tive d’obstruction ou d’envahissement – je parle le lan­gage des RR. PP. du Concile – opé­rée par une troupe d’anarchistes (?) dont le confu­sion­nisme dans les idées et la tac­tique parait l’unique point de ral­lie­ment. À quel anar­chiste indi­vi­dua­liste l’idée fut-elle venue d’aller trou­bler les éla­bo­ra­tions fas­ti­dieuses de gens aven les­quels il se cher­che­rait vai­ne­ment un point de contact ? Qu’a‑t-il de com­mun avec ces « com­mu­nistes », lui qui réclame la liber­té, non seule­ment de consom­mer, mais de pro­duire indi­vi­duel­le­ment et de dis­po­ser à son gré de son pro­duit ? Ou encore avec ces doc­tri­naires qui font fi de la for­ma­tion de la per­son­na­li­té indi­vi­duelle, ignorent la vie inté­rieure et accep­te­raient volon­tiers (sin­gu­liers anar­chistes) de se pla­cer sous l’autorité entraî­nante des masses éga­rées et déli­rantes, pour­vu que l’aboutissant de leur folie soit une révo­lu­tion (?) économique.

Certes, nous croyons utile de réagir contre la ten­dance illé­ga­liste. Qui donc nie­rait que la pra­tique pro­fes­sion­nelle de l’illégalisme ne soit dan­ge­reuse, néfaste, sou­vent avi­lis­sante Nous pen­sons qu’il est indigne d’un anar­chiste indi­vi­dua­liste autant d’exploiter autrui que d’écraser davan­tage qui l’est déjà. Mais tout cela ne veut pas dire que nous pla­cions le pro­duc­teur au-des­sus de l’Individu. Par ailleurs, nous éta­blis­sons une dif­fé­rence appré­ciable, dans nos rap­ports avec eux, entre le pay­san qui fait valoir son champ à la sueur de son front et l’usinier qui édi­fie sa for­tune sur l’exploitation de ses sem­blables sans défense.

Et dus­sé-je encou­rir l’excommunication majeure de ces Mes­sieurs du Concile com­mu­niste – je n’en per­siste pas moins à décla­rer que le tra­vail for­cé, pour le compte de l’exploiteur qui vous oblige à pro­duire ce dont sou­vent vous ne voyez pas la néces­si­té et sans savoir pour qui, – je per­siste à décla­rer que ce tra­vail-là n’offre rien d’attrayant ni d’anarchiste. C’est de la pros­ti­tu­tion, tout simplement.

Qu’il faille sou­vent pas­ser par ce pis aller détes­table, cela suf­fit bien. Qu’on l’exalte, c’est ce qui dépasse la mesure !

Il se peut que dans le cou­rant de cet hiver, je convie un cer­tain nombre de cama­rades, de tous les coins de la France, à se réunir dans une ville du centre (pour­quoi se lais­ser tou­jours absor­ber par Paris ?) afin de nous entre­te­nir sur ce qu’il faut entendre par « anar­chisme indi­vi­dua­liste ». Il ne s’agit point là d’un Congrès, mais d’un échange de vues entre com­pa­gnons d’idées heu­reux de se ren­con­trer. Pour lui enle­ver tout carac­tère sec­taire, je deman­de­rai à des cama­rades natu­riens, tol­stoï­sants, etc., de venir se joindre à nous. Cela se fera sans osten­ta­tion, sans publi­ci­té, sans avis à la presse, « à la bonne » enfin !

Des scandales…

De temps à autre, l’écume de la mer remonte à la sur­face, trou­blant l’apparente tran­quilli­té du flot. Il en est de même pour l’océan social. Nous appre­nons donc, sans trop nous émou­voir, qu’un Deper­dus­sin, four­nis­seur de l’aviation mili­taire, notable com­mer­çant et déco­ré, se trouve accu­sé d’un détour­ne­ment de trente mil­lions, au détri­ment de créan­ciers peu inté­res­sants et usu­riers fief­fés ; ou encore que des poli­ciers, afin de tou­cher une prime quel­conque, bour­raient les poches de pauvres diables qui n’en pou­vaient mais d’objets qu’ils affir­maient ensuite pro­ve­nir de vols. M. Deper­dus­sin et ces zélés défen­seurs de la socié­té sont les types repré­sen­ta­tifs d’un milieu où la puis­sance et l’indépendance – pour rela­tives qu’elles soient – ne s’acquièrent que par la pos­ses­sion d’un mil­lion ou d’une pièce de cent sous de plus que le voi­sin. Or, à quoi les 910 des êtres que nous cou­doyons ne sont-ils pas réso­lus pour obte­nir soit l’un, soit l’autre ?

Autre scan­dale : sous le regard non­cha­lant ou amu­sé des diplo­mates, des finan­ciers et des paci­fistes, les ban­dits bal­ka­niques ont encore fait par­ler d’eux depuis que notre der­nier fas­ci­cule a paru ; ce qu’ils s’en sont don­né à cœur joie ces bri­gands en uni­forme, tuant, muti­lant, vio­lant et pillant ! En regard, nos « ban­dits tra­giques » appa­raissent comme de bien pauvres petits garçons.

Scan­dale moins bruyant, mais non moins signi­fi­ca­tif, que l’exclusion du syn­di­cat des typo­graphes de Lyon de ce syn­di­qué qui accep­tait que sa femme s’emploie à la même pro­fes­sion et au même salaire que lui. Il nous révèle que, syn­di­qué ou non, le mâle demeure le mâle et que de l’émancipation de la femme, il se sou­cie comme un pois­son d’une pomme. Il sait pour­tant que l’émancipation éco­no­mique de la femme est seule capable de la rendre maî­tresse d’elle-même. Mais, syn­di­qué ou non, n’est-ce pas par là qu’il la tient ?

Su les routes de France

Je n’ai nulle inten­tion de m’étendre sur les péri­pé­ties du voyage à bicy­clette dont je par­lais au fas­ci­cule pré­cé­dent et qui a cou­vert treize cents kilo­mètres. Je me conten­te­rai de dire qu’il m’a été pos­sible de pous­ser jusqu’à Vienne en Isère et, en trois semaines, de tenir une dou­zaine de petites réunions. Je suis reve­nu enchan­té. En écri­vant « enchan­té », je ne veux natu­rel­le­ment pas dire que j’ai enre­gis­tré una­ni­mi­té par­faite concer­nant mon point de vue de l’anarchisme indi­vi­dua­liste et ce n’est point non plus à faire des sui­veurs que tend mon acti­vi­té. Je désire pour ceux avec les­quels je viens en contact intel­lec­tuel qu’ils se révèlent à eux-mêmes leur per­son­na­li­té véri­table, qu’ils se sélec­tionnent, qu’ils se recon­naissent. De là les échanges d’idées très inté­res­sants qui ont mar­qué cer­tains entre­tiens ; de là aus­si force mal­en­ten­dus dissipés.

Voi­ci ma réponse à plu­sieurs objec­tions concer­nant plus spé­cia­le­ment Les Réfrac­taires. Qu’ils ne soient point par­faits, je ne l’ignore pas. Qu’ils soient un reflet per­son­nel, je n’en ai jamais dis­con­ve­nu. La caté­go­rie de lec­teurs aux­quels je m’adresse s’attache beau­coup plus à l’effort per­son­nel néces­si­té par la besogne accom­plie qu’à l’apparence du pro­duit. Je laisse aux com­mis voya­geurs en vul­ga­ri­sa­tion le soin de don­ner le pas à la cou­ver­ture sur le conte­nu du livre, à la forme sur le fond, à la régu­la­ri­té de paru­tion d’un pério­dique sur les dif­fi­cul­tés éprou­vées pour sa confec­tion. Je n’ai nul désir de les imiter.

Non loin de Mâcon, j’ai ren­con­tré un cama­rade – un com­mu­niste – dont je suis encore à envier l’énergie. Seul dans un petit pays per­du ou à peu près, non seule­ment, ayant acquis du carac­tère, il a construit des « casses » qui sont loin d’être au modèle régle­men­taire, il a appris à com­po­ser, mais encore il est par­ve­nu à cli­cher sa com­po­si­tion. Et cela tout en gagnant péni­ble­ment sa vie. J’ai sous les yeux des épreuves de ces cli­chés ; elles four­millent de fautes d’orthographe et de style ; j’éprouve pour­tant à les par­cou­rir le même fris­son d’émotion qui me sai­sit chaque fois que je me trouve en pré­sence de l’œuvre d’un pro­duc­teur indi­vi­duel, d’un arti­san qui a tra­vaillé en artiste, c’est-à-dire don­né tout l’effort dont il est susceptible.

[/​E. Armand/]

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