La Presse Anarchiste

Sur l’antagonisme des sexes

Les sexes ne se sont jamais com­pris. Ils sont sem­blables à deux races réunies dans une ten­ta­tive sin­cère de coha­bi­ta­tion et d’harmonie, mais si inévi­ta­ble­ment dif­fé­rentes pour ce qui regarde les points de vue et les tem­pé­ra­ments qu’une com­pré­hen­sion réelle est impos­sible. Les hommes com­prennent assez bien les hommes, les femmes com­prennent assez bien les femmes, mais quand la ques­tion se pose pour les hommes de com­prendre les femmes ou vice ver­sa, il se pro­duit les mal­en­ten­dus les plus étranges, les erreurs les plus gros­sières, et cha­cun s’en prend à la stu­pi­di­té de l’autre. Les hommes effé­mi­nés com­prennent les femmes mieux que les autres hommes et les femmes « mas­cu­lines » com­prennent les hommes mieux que leurs sœurs, mais ce que ces types spé­ciaux gagnent d’un côté, ils le perdent de l’autre par un manque égal de com­pré­hen­sion des per­sonnes les plus carac­té­ris­tiques de leur sexe.

L’inéluctable conclu­sion, c’est que la dif­fé­ren­cia­tion sexuelle crée une dif­fé­rence d’âme. Dans leur état d’être actuel, les sexes ont des men­ta­li­tés dis­sem­blables et dis­tinctes. Avant la puber­té, la dif­fé­rence semble moins grande ; après l’âge cri­tique, elle dimi­nue éga­le­ment ; mais à l’époque de la pleine flo­rai­son sexuelle, ils semblent être au pôle l’un de l’autre.

Peut-être cette diver­gence et cet éloi­gne­ment sont-ils néces­saires pour pro­vo­quer cette recherche pas­sion­née de l’union sexuelle qui consti­tue l’amour. À preuve ce désir violent de récon­ci­lia­tion et de réunion qui suit une que­relle ou une dis­cus­sion met­tant plus encore en relief l’incompatibilité innée des sexes. Ceux qui s’aiment à la folie ne sont-ils pas ordi­nai­re­ment inaptes à vivre en bonne intel­li­gence ? Entre de véri­tables « âmes sœurs », s’entre-comprenant par­fai­te­ment, atti­rées natu­rel­le­ment vers la même vie, il existe à peine l’attraction sexuelle vou­lue pour ne pas rendre mono­tone la vie com­mune, il n’y a pas de pas­sion aveuglante.

Les sexes demeurent des mys­tères l’un à l’autre, mais des mys­tères s’attirant. Où manque le mys­tère peut aus­si man­quer l’attraction. Ils sont bien plus rap­pro­chés et se com­prennent davan­tage lors­qu’ils s’unissent dans la caresse et dans le mys­tère silen­cieux et tendres de l’amour. Mais s’ils tentent de s’expliquer ver­ba­le­ment, alors se pré­sentent les abîmes inson­dables et les pics inac­ces­sibles. Cepen­dant, se mon­trer l’un à l’autre tel que, c’est ce qui pro­fite et réunit le plus. S’abandonner au déses­poir, au dédain, à l’indifférence conduit uni­que­ment à la sépa­ra­tion – car les sexes ne s’intéressent l’un à l’autre que dans la mesure où ils s’efforcent de se com­prendre. Dire que l’on s’aimera sans cher­cher à se com­prendre implique que si l’on se com­pre­nait, l’amour dis­pa­raî­trait. C’est un para­doxe, mais c’est pour­tant la vérité.

[/​J. William Lloyd/]

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