La Presse Anarchiste

André Frossard et les Zutistes

Il y a contro­verse entre le fils de Ludo­vic-Oscar et les Zutistes, ceux-là ne pou­vant être évi­dem­ment ceux qui défrayèrent la petite his­toire lit­té­raire à la fin de l’autre siècle, à peu près dans le même temps que les Hydro­pathes et les Hir­sutes mais plus contem­po­rai­ne­ment des ani­ma­teurs de ce Zut, sur­gi peu après Ça ira ! Frère enne­mi, et incon­tes­ta­ble­ment frère puî­né, à s’en tenir à l’apparence, et Fros­sard de pro­tes­ter contre le faux air de famille tout en arguant du droit d’aînesse ! Droit que nos Zutistes – MM. Jean-André Fau­cher et Chris­tian Le Borgne – contestent, allé­guant de très anciens pré­pa­ra­tifs et l’intention affi­chée où ils étaient, bien avant que Ça ira com­men­çât d’aller, de dire Zut à tout le monde et dans le for­mat exact, à peu de chose de celui du libelle de Frossard.

Nous n’opinerons pas.

Notre pro­pos est ailleurs que dans ces conten­tions au demeu­rant fort secon­daires, et qui, de quelque manière qu’elles se résolvent, n’ôteront ni n’ajouteront au talent des pro­ta­go­nistes. Plu­tôt que de prio­ri­taires nous sommes en quête de précurseurs.

Pour Zut, il n’y a pas appa­rence que dans la chose impri­mée il y ait eu des pré­dé­ces­seurs. Un cabou­lot exis­ta bien sur la Butte qui por­tait cette enseigne, et qu’évoque Mac Orlan dans sa Rue Saint-Vincent, mais l’appellation n’avait ten­té per­sonne au-delà de ce folklore.

Mais pour Ça ira, la tra­di­tion est plus riche.

Le « Ça Ira » de Marie-Antoinette

Deux feuilles au moins, à notre connais­sance, por­tèrent dans le pas­sé même état civil allègre que celle d’André Fros­sard. Et dans des temps qui nous sont moins éloi­gnés qu’on ne pen­se­rait puisque trois révo­lu­tions – 1789, 1848, 1871 – en dépit d’un foi­son­ne­ment, comme il ne s’en était jamais vu, le dédaignèrent.

Il est vrai que pour les grands ancêtres le chant du Ça ira ne fut pas dès le départ, le péan de guerre civile qu’il devint dans la suite.

Né de père, sinon incon­nu du moins contes­té, le Ça ira à son ori­gine, en 1790, n’était encore qu’une bluette assez inno­cente pour que Marie-Antoi­nette ne crût pas s’encanailler en l’interprétant sur son clavecin.

[|Ça ira
La liber­té s’établira :
Mal­gré les tyrans, tout réussira|]

Il fau­dra 1793, pour que le Ça ira, enri­chi par tra­di­tion ver­bale devienne celui venu jusqu’à nous, le « meur­trier Ça ira » comme dit Miche­let. Écou­tons d’ailleurs Sébas­tien Mer­cier, le vieil enchan­teur pari­sien, par­ler du pre­mier Ça ira comme de la plus ano­dine ber­qui­nade : Le sang ne cou­lait pas à cette époque, l’amour pour la Révo­lu­tion était entier, l’énergie était pure, l’idée du meurtre ne s’y mêlait point, on répé­tait Ça ira d’un concert una­nime.

Nul doute que si André Fros­sard a eu quelque rémi­nis­cence, quand il s’est agi pour lui de s’arrêter à un titre, c’est à ce Ça ira de Marie-Antoi­nette et de Sébas­tien Mer­cier qu’il aura pen­sé. Et non à celui de car­nage et de sang, dont s’épouvantait le vieux Jules lui-même, pour­tant convain­cu, bien avant l’autre, que la Révo­lu­tion était un « bloc » !

Du compagnon Constant Martin…

Mais après une incur­sion aus­si loin­taine, rap­pro­chons-nous de notre époque pour arri­ver au pre­mier Ça ira connu dans l’Histoire de la presse, c’est celui du com­pa­gnon Constant Mar­tin, Ça ira, dont Jean Mai­tron le très savant his­to­rien du Mou­ve­ment anar­chiste a dénom­bré une dizaine[[mot man­quant dans l’original. – note de la-Presse-Anarchiste]]de numé­ros à la Nationale.

Ce Constant Mar­tin était un des anciens de la Com­mune de 1871 qui avaient choi­si dans les années 80 – 90 de deman­der à l’« anar­chie por­teuse de flam­beaux » les conso­la­tions et les espoirs que les dif­fé­rentes écoles socia­listes n’étaient plus en état de leur four­nir. De ce petit nombre, Constant Mar­tin était un de ceux qui avaient le plus mar­qué avec Louise Michel et Marie Fer­ré, la sœur de Théo­phile, fusillé à Sato­ry en 1872.

Il venait du blan­quisme et avait même tenu quelque emploi dans la suite d’Édouard Vaillant, quand celui-ci était délé­gué à l’Instruction publique, sous la Com­mune, cela par com­pa­gnon­nage blan­quiste. Réfu­gié à Londres, les fen­deurs de che­veux en quatre des par­lotes de l’exil l’avaient gra­duel­le­ment éloi­gné de ses amours pre­mières et c’est en farouche par­ti­san de l’anarchie, ami d’Émile Pou­get, le fameux Père Pei­nard, plus tard fon­da­teur de la C.G.T., qu’il avait resur­gi en 1888, pré­ten­dant même qu’un peu de dyna­mite ne mes­sié­rait pas pour que ça aille mieux. Ce pre­mier Ça ira signa­le­ra d’ailleurs assez son fon­da­teur, pour que quelques années plus tard lors des grandes rafles de 1894 consé­cu­tives aux exploits de Vaillant et d’Émile Hen­ry, une police qui tenait bien ses comptes s’enquière de lui, au titre du fameux pro­cès des Trente, qui fera date long­temps, ne fût-ce que pour les mots de Félix Fénéon, à coup sûr par­mi les inso­lences les plus belles qu’un tri­bu­nal essuya jamais.

Constant Mar­tin, incul­pé, mais déjà très vieux rou­tier des pro­cé­dures et des arres­ta­tions de toutes sortes, n’avait pas paru à l’audience, s’étant défi­lé vers Londres, de même que Pou­get, Paul Reclus et quelques autres. Il en revien­dra pour créer le Liber­taire en 1896, avec Louise Michel et Sébas­tien Faure.

Tel fut le pre­mier pré­cur­seur d’André Fros­sard. Nous est avis qu’il n’est pas dépour­vu de branche, et que par consi­dé­ra­tion pour son propre père, qui eut des com­men­ce­ments pas tel­le­ment dis­sem­blables des achè­ve­ments de Constant Mar­tin, notre actuel Figu­riste ne le récu­se­ra pas.

… Aux pèlerins de Budapest

Pour ceux qui vinrent après, ils étaient plus banals, n’étant après tout que rési­dus du Par­ti com­mu­niste, donc per­son­nages ouvrés en grande série.

C’est vers 1930 que ces mes­sieurs pré­ten­dirent faire aller les choses. Leur affaire était née d’une dis­si­dence du Par­ti com­mu­niste, dite des Six ou des Pèle­rins de Buda­pesth, dis­si­dence que M. Jacques Fau­vet, qui n’a pas le goût du pit­to­resque, n’a pas enre­gis­trée dans son cata­logue, fort lacu­naire, des schismes du Parti.

Le pen­dable de leur cas était dans ceci : six conseillers géné­raux de Paris et de sa ban­lieue, tous dûment imma­tri­cu­lés au Par­ti, n’avaient pas cru devoir se refu­ser à une expé­di­tion offi­cielle accom­plie à Buda­pest, au temps où y régnait l’amiral Hor­thy, et ce sous cou­leur d’urbanisme ou d’édilité comparée.

Simple mon­da­ni­té, mais dont s’étaient alar­més quelques faux purs, qui en vou­laient sur­tout aux places des incri­mi­nés, pour la rai­son qu’un contact comme celui d’Horthy ne pou­vait être d’un com­mu­niste digne de ce nom (par­mi ces ves­tales éplo­rées, Doriot natu­rel­le­ment, qui n’en était pas encore au bouche-à-bouche avec Hitler).

Donc néces­si­té pour les exclus de se défendre, d’où ce Ça ira, le deuxième que l’histoire connaisse, et éri­gé en organe d’un Par­ti ouvrier et pay­san, plus tard mué en Par­ti d’unité pro­lé­ta­rienne, par fusion avec des débris plus anciens.

Un Ça ira qui avait comme grand homme Louis Sel­lier, conseiller de la Goutte‑d’Or et qui avait été le suc­ces­seur de papa, au secré­ta­riat géné­ral du P.C., après que papa s’en fut démis en jan­vier 1923.

De quel papa direz-vous ?

Mais de celui d’André, Ludo­vic-Oscar Frossard !

[/​Alexandre Croix/] 

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