Nous avons fondé une Société coopérative Édition et de Librairie.
Les extraits des statuts que nous publions ci-après montrent assez le caractère désintéressé de l’entreprise. Nous nous bornerons donc à en souligner le côté pratique.
Depuis leur fondation, Les Temps Nouveaux ont vécu d’une vie précaire. En reprenant leur publication après la guerre, nous nous sommes promis de ne plus mendier leur subsistance. Ce n’est pas en perpétuant les sacrifices pécuniaires de quelques camarades convaincus qu’on arrivera à faire de cet organe l’instrument de propagande indispensable à la diffusion de nos idées.
Il faut d’abord publier une revue à laquelle on puisse s’abonner, non seulement par sympathie, mais parce qu’elle offre un réel intérêt de lecture, et nous savons bien tout ce qui manque à celle-ci à cet égard.
Il faut ensuite disposer d’une organisation méthodique pour la vente au numéro et le recrutement incessant des abonnés.
En fondant notre librairie coopérative, nous sommes certains de trouver, dans l’exploitation rationnelle du commerce du livre, les conditions les plus favorables à l’édition de notre revue, sans aliéner en quoi que ce soit l’indépendance de sa rédaction.
La Revue paraîtra sous la direction d’un Comité de rédaction, mais c’est la Société coopérative qui l’éditera.
Donc, deux organismes distincts, rigoureusement indépendants : d’une part, la rédaction, moralement responsable ; d’autre part, la société éditrice, financièrement responsable.
Débarrassée de tout souci matériel, la rédaction aura le loisir de se perfectionner et de s’adjoindre les éléments rédactionnels dont elle a besoin pour faire une publication attrayante et vivante. Elle disposera, à cet effet, des crédits voulus.
L’administration, assumée par un personnel permanent, verra ses frais généraux justifiés par le commerce de librairie, dont les gains normaux fourniront l’appoint nécessaire au lancement et au développement de la revue.
L’essai que nous venons de faire pendant un an, dans des conditions d’édition prohibitives, avec des éléments rédactionnels insuffisants, des moyens de diffusion presque nuls, nous a cependant permis de nous rendre compte qu’une publication anarchiste peut vivre sans faire constamment appel à la charité publique.
Il y a quelque chose d’humiliant à constater que nous n’avons pas su mettre debout un organe de propagande qui se suffise à lui-même. Pourtant jamais le besoin de notre propagande ne s’est davantage fait sentir, dans le désarroi général suscité par la guerre, et dans la confusion inexprimable créée par l’expérience bolcheviste.
Une revue comme nous la concevons ne saurait être la chose d’une individualité, elle doit être l’expression d’une pensée collective, l’affirmation d’une doctrine exempte de tout dogmatiste. Elle doit bannir de ses colonnes toute querelle personnelle. Son seul objet doit être la recherche consciencieuse de la vérité.
Ces qualités, Les Temps Nouveaux les possèdent, à n’en pas douter, mais il leur manque encore ce qui leur a toujours fait défaut : l’attrait d’une rédaction variée. Il leur manque surtout ce sens de l’actualité, qu’ils devraient, au contraire, posséder à un degré éminent, car c’est dans l’observation des faits, beaucoup mieux que dans le domaine théorique, que la critique anarchiste peut s’exercer avec le plus de profit.
Pendant près de quarante ans, une besogne énorme de propagande libertaire a été accomplie avec des moyens de fortune ; mais il faut avoir la franchise de reconnaître que, malgré le sacrifice des camarades qui lui ont donné leur vie, malgré le dévouement de ceux qui lui ont consacré leur existence, malgré le désintéressement de ceux qui lui ont fourni des subsides ou une large part de leur activité, l’organe périodique de cette propagande, rêvé par tous, n’a pas été réalisé.
Il y a, c’est certain, un public de lecteurs pour un semblable organe. Il faut leur offrir une revue bien faite, voilà l’essentiel.
D’un autre point de vue, en fondant une Société coopérative d’Édition et de Librairie, nous donnons une destination active aux sommes qui lui sont confiées, et cette Société fournit en même temps à ceux qui les lui confient la possibilité de participer à sa gestion et le moyen de la contrôler, tout en réservant expressément l’indépendance de la revue qu’elle aura la charge d’éditer.
Le capital de 25.000 francs de la Société servira à installer son commerce de librairie. Elle louera une boutique bien située, dans laquelle on trouvera la littérature qu’on trouve d’ordinaire dans les librairies, et naturellement aussi la littérature révolutionnaire, qu’on n’y rencontre pas. La Société s’efforcera de vendre intelligemment, car, dans ce commerce du livre, tel qu’il est pratiqué, les libraires ne pèchent pas par excès d’initiative.
Comme il ne s’agit pas d’une entreprise capitaliste, que les actionnaires ne toucheront pas de dividendes, ni les administrateurs de jetons de présence, ce qui peut arriver de pire, tout d’abord, à notre Société, c’est de faire seulement ses frais et ceux de la Revue sensiblement améliorée. Nous n’en demandons pas davantage pour le moment.
Nous achèverons cet exposé en disant que nous recrutons nos actionnaires parmi des camarades éprouvés. Ceux qui nous ont compris doivent venir à nous en toute confiance, et notre émission de 250 actions de 100 francs chacune, libérales à raison de 10 francs par mois, sera, grâce à eux, rapidement couverte.
[/
Première liste de souscripteurs
M. Pierrot : 5 actions
P. Reclus : 5 actions
Auguste Bertrand : 5 actions
H.-A. G : 3 actions
Octave P : 3 actions
André B : 3 actions
Georges B : 3 actions
Raymond K : 3 : actions
Laurent-Casas : 2 actions
R. Guérin : 2 actions
R. Chaughi : 1 action
Suzy Z : 2 actions
Dr Emile C. : 1 action
Raymond C. : 1 action
Isidine : 1 action
C. Cornelissen : 2 actions
J. Reclus : 3 actions
Sunshiro : 1 action
G. Chenevière : 2 actions
Frey : 1 action
Emile Pouget : 1 action
Tortelier : 1 action
Total de la première liste : 51 actions
Extrait des statuts
……………………..
……………………
……………………
Les fonctions d’administrateur ne sont pas rétribuées. Aucun administrateur ne peut exercer un emploi rétribué par la Société.
……………………
……………………
Pendant le trimestre qui précède l’époque fixée par les statuts pour la réunion de l’Assemblée générale annuelle, le ou les contrôleurs ont droit, toutes les fois qu’ils le jugent convenable dans l’intérêt social, de prendre communication des livres et d’examiner les opérations de la Société.
Ils peuvent toujours, en cas d’urgence, convoquer l’Assemblée générale.
……………………
Aucun bénéfice n’est réparti aux sociétaires. Les bénéfices sont affectés et répartis de la manière suivante :
Cinq pour cent pour constituer le fonds de réserve légal.
Quatre-vingt-quinze pour cent pour constituer un fonds de réserve spécial, affecté au développement de la Société.
Les fonds de réserve se composent de l’accumulation des sommes produites par l’attribution des bénéfices. Ils servent à supporter les pertes dans les cas où il en surviendrait dans un exercice et sont, en outre, le moyen permettant, sous tous les rapports, le développement de la Société. Le fonds de réserve spécial n’est pas limité. Il peut être également alimenté par les dons ou legs qui peuvent être faits à la Société et par les lots en espèces qui peuvent lui échoir. Le fonds de réserve légal et le fonds de réserve spécial appartiennent à la Société. Tout sociétaire quittant la Société pour quelque cause que ce soit ne peut rien revendiquer des fonds de réserve légal et spécial.
……………………
Après remboursement du passif, l’excédent de l’actif, y compris la totalité des fonds de réserve légal et spécial, devra être versé à des œuvres d’éducation et d’enseignement rationalistes.