La République russe (no du 15 juillet) publie la lettre d’un des chefs du parti social démocrate russe. Nous en détachons les extraits ci-dessous :
[/Moscou, le 26 juin 1920./]
…L’atmosphère ici est, bien entendu, très lourde. Deux ans « sans presse » ont, à mon avis, abruti la race ; tout le monde est devenu plus bête et les bolcheviks qui diffèrent du reste des hommes par le fait qu’ils ne s’ennuient pas après la parole libre — plus que les autres. Je crois qu’une quinzaine d’années de ce régime suffirait pour que nous nous couvrions de poils et nous mettions à aboyer. D’ailleurs, quant aux poils, il faudra peut-être s’en couvrir plus tôt, les étoffes étant épuisées
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… Après la trahison de ses chefs, il a été facile d’écraser l’opposition laquelle pour une fois était vraiment large et comprenait des ouvriers syndiqués, de nombreux militants locaux qui s’étaient dressés contre l’hyper-centralisme meurtrier, et aussi des idéalistes révoltés par les agissements des commissions extraordinaires et la corruption. Dans l’Ukraine l’opposition est « cautérisée au fer rouge », ses membres chassés de leurs postes, envoyés au front, exilés dans des provinces lointaines. La même chose a lieu dans d’autres endroits. Il y a quelques jours, à Toula, on a envoyé au front 200 ouvriers communistes coupables d’avoir voulu révoquer leur comité et le comité exécutif, lesquels, de l’avis même des bolcheviks locaux, étaient composés de spéculateurs et de criminels.
Ce fait peu éclairci marque une lutte à l’intérieur du bolchevisme et constitue peut-être l’événement le plus important du moment actuel, bien que ses résultats ne se fassent pas sentir de sitôt. La dictature et le culte de Lénine qui règnent dans le parti empêchent l’opposition de prendre corps et tuent tout courage civique. Mais il est clair dès maintenant que le jour où la paix extérieure sera conclue et que disparaîtra la menace de la liquidation totale de la révolution, l’atmosphère deviendra moins tendue et non seulement les ouvriers en général lèveront la tête, mais les communistes eux-mêmes engageront une lutte intestine entre eux. Ceci est d’autant plus inévitable- que le parti bolcheviste absorbe les déchets de tous les partis : internationalistes, social-démocrates, socialistes-révolutionnaires de droite et de gauche, boundistes, anarchistes et même des cadets comme Grodeskoul, auquel sa véritable foi vient d’être révélée. Cette affluence ébranle la consistance primitive du parti d’une façon plus sûre encore que ne le faisaient auparavant les éléments criminels qui s’y attachaient
N’oubliez pas que depuis les commissaires et le commandement militaire jusqu’aux membres des commissions extraordinaires et les intendances de formation récente — immenses organes de ravitaillement des armées — un grand nombre de gens — comme ce fut le cas en France en 1794 — est intéressé à ce que la guerre devienne permanente.
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Dans un autre article de La République russe, nous lisons le passage suivant.
C’est à propos de la nomination de Krivochéine au poste de dictateur civil, à côté du général baron Wrangel, chef suprême de la Crimée et dictateur militaire :
« Pour comprendre toute la portée de cette nomination, il faut se rappeler que Krivochéine est un des réactionnaires les plus farouches et qu’il avait été ministre de l’agriculture du gouvernement tsariste. Ces titres ont suffi à le désigner au poste de « dictateur civil » auprès de Wrangel, qui veut « donner satisfaction aux intérêts de la population paysanne ». N’est-ce pas le défi le plus flagrant à tous ceux qui croient Wrangel capable d’accepter le fait de la révolution agraire ? Quelle « satisfaction » aux paysans peut donner le leader notoire des grands propriétaires fonciers russes, qui a consacré toute sa vie politique à la défense des privilèges économiques et politiques de la noblesse russe ?
Le choix que Wrangel vient de faire est beaucoup plus important que toutes ses déclarations, que tous ses manifestes. Ce choix démontre avec une netteté aveuglante pour ne pas dire cynique, le sens social de la lutte de ces antibolchevistes contre la Russie soviétise : c’est la lutte de la réaction féodale contre la révolution russe, dont la tâche primordiale est la libération de la Russie agraire des chaînes féodales moyenâgeuses ; c’est la lutte des grands propriétaires fonciers contre le paysan qui s’est emparé de la terre ; c’est la lutte de la noblesse pour la restauration de son pouvoir. »
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M. Millerand vient de reconnaître le gouvernement de Wrangel. C’est là un fait inouï, et véritablement scandaleux. Nos diplomates ne se sont pas encore aperçus que le tzarisme est mort.
D’autre part, ils ont voulu faire de la Pologne un pays sous le protectorat anglo-français. Le résultat des événements actuels sera de la mettre sous le protectorat bolcheviste, en attendant l’organisation d’une grande fédération des pays slaves.