La Presse Anarchiste

Libertaires et pacifistes en Roumanie

(Suite)

En Bucovine, province roumaine annexée jusqu’en 1919 à l’Autriche-Hon­grie, et qui a subi l’in­flu­ence de la cul­ture alle­mande, les œuvres de Muehsam, Lan­dauer, Pierre Ramus, Rudolf Rock­er, Max Net­t­lau ont beau­coup plus pénétré par­mi les anar­chistes. Les jeunes surtout ont émi­gré et cer­tains d’en­tre eux sont allés en Espagne durant la guerre civile de 1936–38, où ils ont ren­con­tré des « légion­naires » fas­cistes roumains qui com­bat­taient dans les rangs de Franco.

En Tran­syl­vanie nous pou­vons retenir le nom de Vic­tor Arady, pub­li­ciste hon­grois à ten­dances lib­er­taires qui a étudié les rébel­lions des paysans roumains sous la dom­i­na­tion des Hab­s­bourgs. Attiré par le mirage com­mu­niste, il a dis­paru ensuite quelque part en Union soviétique.

Générale­ment les véri­ta­bles lib­er­taires de Roumanie devaient chercher ailleurs un milieu plus favor­able. Ils ont émi­gré pour la plu­part vers l’Oc­ci­dent et surtout vers l’Amérique du Nord. Mar­cus Gra­ham, rédac­teur du péri­odique Man, de San-Fran­cis­co, est d’o­rig­ine roumaine. Dans son Antholo­gie des poètes révo­lu­tion­naires, il a pub­lié une poésie de George Cos­buc : « Nous voulons la terre », qui est le cri des paysans roumains récla­mant le partage des grands domaines des boyards. Il y a aus­si Joseph Jshill. C’é­tait un jeune ouvri­er typographe de Boto­sani, qu’il a quit­té il y a quar­ante ans, pour réalis­er en New-Jer­sey cette mag­nifique col­lec­tion d’ou­vrages lib­er­taires, ces livres par­faits au point de vue graphique et artis­tique, qu’il a traduits, annotés et imprimés lui-même, et qui sont appré­ciés non seule­ment dans tous les milieux anar­chistes, mais aus­si par les plus exigeants bibliophiles.

De même Panaït Musoïu — pronon­cer Mou­choïou — la plus émi­nente fig­ure anar­chiste de Roumanie, a fait son appren­tis­sage à l’é­tranger. Il a vécu quelque temps à Brux­elles vers la fin du siè­cle dernier et de retour à Bucarest, il a dirigé avec le doc­teur P. Zosin, Mis­carea Socialä, une des pre­mières revues roumaines (après Con­tim­po­ra­mul de Ion Nade­jde) con­sacrées aux nou­velles ques­tions sociales. Le doc­teur P. Zosin, établi à Yassy, est devenu le pro­mo­teur du pos­i­tivisme d’Au­guste Comte. Musoïu a con­tin­ué, on peut le dire, tout seul, l’œu­vre de dif­fu­sion des idées lib­er­taires par la Revista Ideei dont la col­lec­tion de 1900 à 1916 con­stitue une véri­ta­ble encyclopédie.

D’e­sprit éclec­tique, Musoïu fut au début social­iste et se trou­va en rela­tion avec les sur­vivants de la pre­mière Inter­na­tionale. Il a réu­ni en deux brochures : Ori­en­ta­tion et Autres hori­zons, ses arti­cles de cri­tique sociale. Ensuite il s’est dirigé vers les sources divers­es de l’a­n­ar­chisme en traduisant les auteurs les plus car­ac­téris­tiques depuis Bak­ou­nine et Kropotkine jusqu’à Malat­es­ta et Sébastien Fau­re, sans nég­liger les œuvres d’his­toire, de soci­olo­gie, de lit­téra­ture qui peu­vent aider à la dif­fu­sion des idées et de l’e­sprit lib­er­taires. Il a pub­lié une cen­taine d’ou­vrages, en édi­tions pop­u­laires, qu’il répandait avec per­sévérance dans tous les milieux. Avant même la sys­té­ma­tique pro­pa­gande social­iste et com­mu­niste en Roumanie il a con­tribué, par ses tra­duc­tions, à cette élé­men­taire cul­ture soci­ologique que les jeunes généra­tions trou­vaient dans la col­lec­tion de la « Bib­lio­thèque de Revista Ideei ».

Très peu de ces jeunes gens sont restés fidèles à Panaït Mis­oïu. Ils étaient cap­tés ensuite par les par­tis poli­tiques, mais le tenace tra­duc­teur con­tin­u­ait à dif­fuser ses brochures, généreuse­ment, en ajoutant aux « clas­siques » lib­er­taires, les clas­siques de la lit­téra­ture et de la philoso­phie uni­verselles. Sou­vent il don­nait aus­si des textes curieux comme les Mémoires de Judas Iscar­i­ote, des extraits de Pla­ton ou de Leonar­do de Vin­ci. Mais il n’ou­bli­ait pas Walden de Thore­au, Morale fondée sur les lois de la nature de Deshum­bert, le Petit manuel indi­vid­u­al­iste de Han Ryn­er, les études d’An­ti­o­co Zuc­ca, de Jean Maréchal, d’Au­guste Boy­er, de Bertrand Rus­sel, les pages pathé­tiques de Most, de Lafar­gue, de Reclus, de Cœur­deroy, de Grave, de Paraf-Javal, et les livres d’é­d­u­ca­tion ratio­nal­iste, de morale anar­chiste, de vul­gar­i­sa­tion sci­en­tifique, de philoso­phie human­iste (Paul Gille), et même des nou­velles et des romans qui dévelop­pent l’e­sprit cri­tique : Que faire ? de G.-N. Tch­er­nichewsky, Les Mau­vais Berg­ers d’Oc­tave Mir­beau, les Mémoires de Sil­vio Pel­li­co. Il faudrait citer encore d’autres noms et titres pour mon­tr­er com­ment Musoïu a su choisir dans tous les domaines ce qui pou­vait être utile à l’ac­tion de libéra­tion intel­lectuelle et sociale, à la dif­fu­sion de la cul­ture pro­fondé­ment humaine dans les couch­es dénom­mées populaires.

(à suiv­re)

[/Eugen rel­gis/]


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