La Presse Anarchiste

Saloperies gouvernementales

Nom de dieu, je suis rude­ment en retard pour jacas­ser un peu sur cette sacrée his­toire de Cosaques et de Fran­çais, qui se sont fou­tus une tri­po­tée dans un pays du diable, — là bas, du côté de la mer Rouge. 

Mais voi­là, nous autres pei­nards, on a tant à se déman­cher de droite et de gauche, pour le bou­lot­tage, pour le tur­bin, et tous les embê­te­ments de l’exis­tence, que quel­que­fois on épluche pas les canards à fond. 

Quand j’ai une paire de godillots trop pres­sés, ça n’ar­rive comme aux copains, de ne pas ava­ler tout le quo­ti­dien d’un bout à l’autre. 

Quoique main­te­nant je fais rude­ment en sorte d’être à l’œil ; y a le petit flanche qu’il ne faut pas perdre de vue !

Pour­tant je l’a­vais lue l’his­toire d’At­chi­noff, de San-gal­lo, et tout le diable et son train. 

Mais cette affaire m’a­vait sem­blé un truc comme on n’en voit que trop sou­vent dans les pays loin­tains, par la faute des gouvernants. 

Quelques batailleurs russes ont vou­lu plan­ter dans un champ une gaule avec un mou­choir au bout — et voyant ça, des Fran­çais leurs ont envoyé des pru­neaux de cent livres.

Natu­rel­le­ment il y a eu des vic­times ! À qui s’en prendre ? Aux gou­ver­nants qui ont mis leur grain de sel. S’ils étaient res­tés coi, les types n’au­raient pas son­gé à se foutre des coups et y aurait pas eu d’embrouillamini.

Flo­quet a vou­lu faire le malin ; il aurait mieux fait ce jour-là d’é­pous­se­ter son grand chapeau.

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Enfin pour cette fois y a rien eu. On dit que ça c’est arran­gé entre les légu­meux de France et de Russie. 

Mais, bon sang, quand je pense que toutes les guerres ont eu des com­men­ce­ments pareils !

Il suf­fi­sait dans toutes les cha­maille­ries d’un brin de sens com­mun pour arran­ger les affaires. 

Je me trompe ! Il n’y avait rien à arran­ger du tout ; fal­lait lais­ser les choses comme elles étaient, il n’en serait pas sor­ti de malheurs. 

Mais voi­la, que fou­traient tous ces salo­piauds d’am­bas­sa­deurs, de diplo­mates, qu’on entre­tient avec notre galette ?

C’est leur métier d’embarbouiller toutes les bri­coles. Et ils s’en chargent : où ils fichent les pattes, y a plus moyen de s’y reconnaître.

S’il n’y avait que le popu­lo, dans tous les pays, on res­te­rait en paix conti­nuel­le­ment. Car nous n’a­vons aucune mau­vaise rai­son pour nous prendre aux che­veux avec les voisins.

Mal­heu­reu­se­ment y a au des­sus de nous les grands chefs, les légu­meux de toute sorte — et il faut comp­ter avec ces cochons-là !

C’est eux qui font les guerres ; c’est eux qui rendent les peuples enra­gés, et les forcent à s’entre-dévorer !

Et pas moyen d’empêcher ces Jean-foutres-là de nous fiche dans des aven­tures ; ils ne rêvent que plaies et bosses.

Y a bien des pleur­ni­cheux qui ont fon­dé des ligues pour la paix, mais houat ! c’est de la foutaise. 

Ligues par ci, ligues par là, y a que ça, nom de dieu ! Et toutes plus bas­si­nantes et plus inutiles les unes que les autres. 

Y aurait un moyen d’être tran­quilles, et d’a­voir défi­ni­ti­ve­ment la paix : ce serait de cou­per les vivres à tous les ambas­sa­deurs, les diplo­mates, les bouffe-galette, tous les mecs de la haute et s’ar­ran­ger de manière à se pas­ser d’eux !

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Mais j’en reviens à l’his­toire des Cosaques ; elle était à ce qu’on dit, à peu près arran­gée quand Dérou­lède y est allé d’une petite frasque. 

Il y avait une éter­ni­té qu’il n’a­vait fait de pet, aus­si ça le déman­geait rudement. 

Res­ter quinze jours sans faire par­ler de lui, c’é­tait trop : il n’y pou­vait plus tenir !

Atchi­noff lui a ser­vi : le Cosaque a été sa tête de turc. 

Or comme le grand chef des patriotes se figure avoir pour armée les 240.000 votards de Bou­lange, il a écrit illi­co aux Russes que ses sol­dats allaient ver­ser cha­cun vingt ronds pour Atchi­noff et ses copains.

Ce qui aurait fait 240.000 balles ! Et tout ça pour prou­ver, clair comme du jus de chique, que les Fran­çais ne veulent pas se fiche de brû­lée avec les Russes. 

Milles bombes, le popu­lo de Rus­sie n’a pas besoin de Dérou­lède pour savoir à quoi s’en tenir sur notre compte — comme nous sur le sien !

Les uns et les autres nous n’a­vons aucune envie de nous foutre des trempes avec qui que ce soit.

Ce que l’homme au grand pif avait sur­tout gui­gné dans ce four­bi, c’est un coup de grosse caisse au pro­fit de la Boulange.

Natu­rel­le­ment les gou­ver­nants ont fait une sale gueule ; ils n’en ont rien lais­sé voir, mais ils se sont ven­gés à leur façon.

Depuis un bout de temps ils cher­chaient à four­rer leur nez dans les pape­rasses de la ligue des patriotes : ils ont pro­fi­té de l’occasion.

Ce grand lou­foque de Dérou­lède, braille : Vive la paix ! Vive les Russes ! Que s’est dit Constans le chi­nois. « C’est le moment de lui faire des mis­toufles, et de l’ac­cu­ser de gueu­ler : Vive la guerre ! à bas les Russes ! »

C’est un rai­son­ne­ment de che­val que celui-là, mais les gou­ver­nants n’en ont jamais d’autres. 

D’ailleurs ils se foutent d’a­voir la logique pour eux ; les ser­gots lui suffisent. 

Tout de même quand on se sou­vient de tous les bateaux que ces Jean-foutres qui nous mènent aujourd’­hui à la baguette, nous ont mon­tés, y a de quoi bondir. 

Ils ont pas­sé leur vie à nous endor­mir avec des boni­ments sur la liber­té, le droit d’as­so­cia­tion et autres gno­le­ries de même calibre.

À vrai dire ils ne se sont jamais cou­pés en quatre pour mettre leurs actes d’ac­cord avec leurs paroles : tenir leurs pro­messes, a été le cadet de leur sou­cis. Leur car­rière de poli­ti­ciens n’a été qu’une per­pé­tuelle menterie.

À tout moment ils ont nié ce qu’ils avaient affir­mé la veille. Quels tristes bougres, que ces répu­bli­cains de pacotille !

Oh, là là, si le popu­lo leur avait four­ré le nez dans leur caca chaque fois qu’ils ont dit un men­songe — comme on fait aux petits chats — nom de dieu, ce qu’ils en auraient bouf­fé des étrons ! 

Ils en seraient gras à crever.

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Tou­jours est-il que l’autre jour ils ont expé­dié leurs poli­ciers far­fouiller chez Dérou­lède — avec presque autant de sans-façons que chez un socialiste. 

Seule­ment on y a mis un peu plus de poli­tesse ; habi­tuel­le­ment un socia­liste était un pei­nard, la rousse n’a pas à mettre de gants pour bar­bot­ter chez lui et foutre tout sans des­sus dessous. 

D’au­tant plus qu’il n’y a pas de cha­ba­nais à craindre de la part des quo­ti­diens : tout est per­mis contre les prolos.

C’est des hommes dan­ge­reux qu’on pré­tend ; ils ont plein la caboche d’i­dées sub­ver­sives : les pré­cau­tions sont utiles. 

Aus­si depuis dix-huit ans, presque à chaque coup de police contre les ouvriers, les jour­na­leux ont applau­di des deux mains — et quand ils n’ont pas approu­vé ils sont res­tés muets comme des carpes. 

Nom de dieu, on nous ren­gaine conti­nuel­le­ment l’empire, mais c’é­tait kif-kif ! 

Il y a même mieux : les poli­ciers qui sous l’empire nous fou­taient le grap­pin des­sus, ont conti­nué à nous faire la chasse sous la république. 

Clé­ment, qui d’un coup de revol­ver troua la joue à Pro­tot en 1869 est mon­té en grade.

Si la répu­blique a été rosse pour le popu­lo, par contre elle a été bou­gre­ment bonne fille pour ces marlous.

C’est ce fameux Clé­ment qui a cro­che­té les portes, à la la ligue où tout s’est pas­sé à la bonne franquette. 

Dérou­lède et ses copains qui à tous les moments gueulent qu’ils ont du biceps, me font l’ef­fet d’être aus­si bafouilleux que les autres.

C’est pas la peine de se dire anti-par­le­men­teux, si dans les occases où fau­drait mon­trer du nerf, on se contente de par­le­men­ter avec les tristes bons­hommes qui viennent vous dévaliser.

Com­ment on enva­hit leur cam­bouse, on se per­met de bar­bot­ter leurs papiers et ils ne font pas de pétard !

Ils se laissent mena­cer du bloc sans rebif­fer. Vrai, ce n’est pas avoir du poil ! 

Je gobe tous les gas qui embêtent Le gou­ver­ne­ment, mais à une condi­tion, c’est qu’ils aient de la poigne.

Et ces anti-par­le­men­teux de mal­heur n’en ont pas a revendre : ils sont qua­si­ment tous avocats. 

Habi­tués à jacas­ser, ils n’ac­couchent jamais d’actes énergiques.

Ce n’est là qu’un défaut de tem­pé­ra­ment ; ils en ont pas moins eu le beau rôle mal­gré leur manque de nerf. 

Les gou­ver­nants ont été, sans s’en dou­ter, les vain­cus de la jour­née. Ils ont été piteux et ne pou­vaient être plus dégueulasses.

S’ils prennent au sérieux leurs mesures bêbêtes, ils sont de rudes moules ; sur­tout s’ils croient avoir tor­du le cou à la ligue.

Elle a cin­quante mille trucs pour se refor­mer, se foutre de leur poire et leur faire la nique !

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Quant aux bouffe-galette de l’A­qua­rium ils ont été encore plus mufles que les légumeux. 

Ils sont rares les quelques uns qui se sont sou­ve­nus de leur cre­do répu­bli­cain, quand il a été ques­tion dans leur boîte de la ligue des patriotes. 

Ces Jean-foutres perdent tota­le­ment la tra­mon­tane ; le trac de ne pas être réélus les rend lou­foques au der­nier point ; ils ont accueilli avec des beu­gle­ments de joie la pro­messe qu’on leur a faite de pio­cher le code pour y dégot­ter toutes les vieilles lois impériales. 

Qui, nom de dieu, ser­vi­ront moins contre les bou­lan­gistes que contre nous autres pauvres bougres. 

Vrai, les bouffe galette sont plus que mûrs pour le décanillage.

Le jour où le popu­lo les flan­que­ra cul par des­sus tête, ce sera un chouette débarras !

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