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L’amitié n’exclut point la pluralité. On peut avoir un seul ami, ou plusieurs, peu importe. Le tout est de bien les choisir.
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Les amitiés plurales sont comme l’amour plural : elles valent ce que valent les partenaires. C’est un contrat qui ne peut être rompu que par le consentement des parties.
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L’amitié hésite au seuil de certaines maisons, fussent-elles des palais : elle rebrousse chemin, mais elle entre de plain-pied dans la chaumière du pauvre, si celui-ci en est digne.
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De faux amis, on en trouve tant qu’on en veut ; de vrais amis, c’est chose infiniment rare.
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On a souvent confondu « camarade » avec ami. C’est un mot dont on abuse un peu trop. Il recouvre les pires machinations. Il permet à certains individus d’exercer sur une vaste échelle leur coupable industrie. Il constitue l’une des formes les plus basses de l’exploitation de l’homme par l’homme.
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L’amour, ou plutôt ce qui en tient lieu, porte en ses flancs la jalousie. Il est frère de l’envie. Il se change en haine, bien souvent. Il n’en est point de même de l’amitié, toujours égale à elle-même. Où l’amour s’éteint comme un feu de paille, l’amitié est une flamme qui se ravive sans cesse.
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Ne rien celer à celui ou celle que l’on aime, en cela surtout consiste l’amitié. L’amour devrait être pareil. Aucune cachotterie ne devrait exister entre deux êtres qui s’adorent.
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L’amour serait à réinventer, d’après Rimbaud, car il a besoin de retouches en un monde où sévit la haine, mais l’amitié n’a pas à l’être, n’existant qu’entre esprits libres qui ont fait table rase de tous les mensonges et renoncé à toutes les hypocrisies.
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L’amour, a‑t-on dit, est une maladie. Peut-on en dire autant de l’amitié qui est le signe d’une santé morale à toute épreuve ?
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La destinée de toute une vie tient souvent à une rencontre de quelques minutes.
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En amour ne rompez jamais le premier. Laissez ce soin à l’adversaire. Alors, vous aurez le beau rôle.
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Ne vous est-il jamais arrivé, lorsqu’ayant rendez-vous avec une femme que vous désiriez ardemment, de vous dire en l’attendant : « Pourvu qu’elle ne vienne pas » ? O mystère du subconscient, qui vous avertit du danger que vous courez !
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Ne jouez pas trop avec l’amour : ses flèches peuvent devenir un jour ou l’autre empoisonnées.
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Après moult expériences amoureuses, on commence à comprendre que le jeu n’en vaut point la chandelle. Et comme au premier jour, on est fondé à dire :« Ce n’est que ça ! ».
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Quoi de plus lâche et de plus sot que d’aller raconter à la femme d’un ami que ce dernier la « trompe », — selon l’expression consacrée — et cela avec l’espoir d’obtenir ses « faveurs ! ». De quel nom qualifier ce genre d’amitié ?
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Dire du mal d’une femme qui a repoussé vos avances est une ignominie, mais en dire de celle qui les accueillit favorablement en est une plus grande.
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« On n’aime bien qu’une fois, c’est la première », a écrit La Bruyère. C’est plutôt la dernière, croyons-nous. Riche d’expériences successives, on apprécie davantage la valeur d’un amour sincère. Comme un mourant rassemble toutes ses forces pour se raccrocher à la vie, on se raccroche à l’amitié.
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L’amour est le seul domaine où la prostitution n’aurait jamais dû exister, et c’est celui où elle existe le plus.
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L’amour et l’amitié ne s’excluent point. Ils peuvent faire bon ménage. Alors, de cet accord, qui suppose une confiance absolue de part et d’autre, naît un bonheur sans mélange, qui est le plus grand des bonheurs que puissent atteindre dans la vie deux êtres qui s’adorent.
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L’amour purifié par l’amitié, quoi de plus beau ! Il n’y a certainement rien au-dessus. Il s’épure à son contact, se libère de ses chaînes et s’ennoblit. Il n’a rien à voir avec ces « coups de foudre » sans lendemain, ou dont les lendemains se traduisent par quelque crime passionnel.
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Un mari doit être pour sa femme un amant, une femme doit être pour son mari une maîtresse. La paix du ménage en résultera. Seule l’amitié peut produire un tel miracle.
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Si l’amour ne s’accompagne point d’amitié, il bat de l’aile. Pour qu’il prenne son essor, il faut qu’il s’appuie sur elle. Rien n’est préférable sur la terre à ce que l’on pourrait appeler l’amour-amitié.
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Si après l’étreinte une femme vous dégoûte, c’est que vous n’avez pour elle aucune espèce d’amitié, celle-ci n’étant point le fait d’un caprice passager, mais d’une sincérité à toute épreuve.
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Un amour déçu se change en mépris, une amitié trahie se change en pitié.
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Ne condamnons pas tous les hommes, ne condamnons pas toutes les femmes, parce qu’un homme ou parce qu’une femme nous a fait souffrir. Chaque sexe a ses défauts. Accordons-lui des circonstances atténuantes, et ne soyons pas injustes envers lui.
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Aimer un être pour lui-même, et non pour son argent, c’est ce qui s’appelle aimer.
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« Aimer, c’est être deux », a dit Victor Hugo. On pourrait aussi bien dire « C’est être plusieurs ». L’amour plural a des défenseurs et des adversaires. Il comporte toutefois des inconvénients que seules peuvent vaincre les natures d’élite.
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Une femme ne doit pas être une cause de désunion entre deux hommes, pas plus qu’un homme n’en saurait être une entre deux femmes. C’est cependant ce qui se produit la plupart du temps, pour le malheur des trois. Ce n’est plus d’amitié qu’il s’agit dans ce cas, mais de jalousie, qui se glisse comme un ver dans un fruit, pour le gâter.
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Une amitié durable n’a rien à voir avec ces amitiés de circonstances, sitôt mortes que nées, comme celles que nouent des voyageurs qui se rencontrent dans le même train ou mangent à la même table d’hôte. Elles sont frappées de stérilité.
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L’amitié se donne, elle ne se vend pas. Ce n’est pas une marchandise monnayable. Elle restitue à l’individu son droit à la vie. Qu’exige-t-elle en échange ? La bonne foi et la franchise.
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Les parasites de l’amitié pullulent. On les rencontre partout où il s’agit de se montrer, de s’emparer de quelque chose, de profiter d’une aubaine, de tirer les marrons du feu. Ils ne ratent aucune occasion de se mettre en avant. Ce sont de parfaits resquilleurs.
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L’autoritarisme est néfaste en amitié comme en amour. Il rejoint le propriétarisme, qui prétend que telle chose lui appartient, qu’il a des droits sur elle, qu’il en est l’unique maître. Singulière prétention qu’ont certains individus de tenir en laisse ceux qu’ils disent aimer et qu’ils ne font que contrarier. Ils les indisposent contre eux, tant leur tyrannie est odieuse !
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L’amitié a souvent besoin de silence, qui en dit autant que la parole. Dans le silence, l’esprit se recueille et l’âme se retrempe. On peut se dire beaucoup de choses en se taisant.
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Un ami est un directeur de conscience auquel on se confesse et qui nous met dans la bonne voie quand nous nous en sommes écartés. Il garde jalousement dans son cœur le secret que vous lui avez confié et qu’il est seul à connaître.
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L’amitié conseille, elle ne morigène pas. Elle suggère, ne frappe point. Elle persuade, ne met personne en demeure de lui obéir passivement. Deux amis dignes de ce nom le seront toujours de la vérité. Leur amour de la vérité en fera des hommes libres.
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Toutefois, nos amis auront toujours assez de tact, et nous-mêmes userions envers eux des mêmes procédés, pour ne pas nous contraindre à épouser à la lettre leurs idées. On peut toujours se rencontrer sur un plan supérieur d’où l’on aperçoit les choses sans parti-pris.
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Un ami n’est pas une girouette qui tourne à tous vents. C’est un être constant et fidèle dans ses affections. Il ne vous abandonne pas à l’heure du danger. Autrement serait-il votre ami ?
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Il faut mépriser celui qui trahit son ami. Il faut avoir pour lui la même aversion que pour le politicien qui trahit son parti ou le moraliste dont les actes contredisent les paroles.
Qui ne voit que l’amitié est la plus haute expression de l’individualisme, « ce pelé, ce galeux » que les gens de mauvaise foi s’obstinent à confondre avec l’égoïsme. Il rend au centuple ce qu’il a reçu.
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Dans une amitié durable, chaque partenaire conserve son autonomie. Il conserve son originalité. Ce n’est qu’en restant lui-même qu’il peut se reconnaître dans un autre, voir en quoi il lui ressemble ou en diffère.
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Que dire d’une amitié qui ne durerait que quelques heures ! L’instabilité frise l’infidélité. Confiance implique constance. Être confiant, cela veut dire : oubli de soi, franchise, sincérité, en un mot : fidélité. Fidélité dans les serments, dans les contrats, dans les promesses, fidélité en tout et pour tout. Fidélité dans nos affections, constance dans nos sentiments, il n’y a point d’amitié durable sans cela.
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Exigeons de nos amis ce que nous exigeons de nous-mêmes : fidélité à la parole donnée, entr’aide et réciprocité. Obéissant aux mêmes aspirations, deux êtres — ou plusieurs — pourront cheminer ensemble, sans crainte de s’égarer, pareils à des alpinistes qui, se tenant par la main, gravissent un roc escarpé.
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L’amitié suppose la réciprocité, chacun de nous devant se montrer digne de la sympathie qu’il éveille autour de lui. Sous le signe de l’amitié, deux êtres se complètent, l’un puisant dans l’autre ce qui lui manque pour l’égaler.
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