La Presse Anarchiste

Au gré des jours

… Ce sont ceux que nous aimons qui, ordi­nai­re­ment, nous font le plus souf­frir. Ce ne sont pas ceux qui nous indif­fèrent. Pour­quoi faut-il que la souf­france soit incluse dans l’a­mour ? Ce devrait être le contraire…

… Nous souf­frons rare­ment du fait de nos enne­mis. Nous savons ce que nous pou­vons attendre d’eux. Rien ne sau­rait nous éton­ner de leur part. Mais de ceux que nous aimons ?

… L’argent aide beau­coup au talent. Il y a bien des talents igno­rés qui auraient per­cé s’ils avaient eu la bourse mieux garnie…

… Que Wells ait pu écrire dans son « Uto­pie Moderne » que l’a­mour existe entre hommes âgés et fraîches jeunes filles, entre jeunes hommes et femmes mûries, voi­là ce qui paraît étrange — pour ne pas dire davan­tage — non seule­ment à l’im­mense majo­ri­té des confor­mistes ès morale, mais encore à bien des non-confor­mistes. Ce qui ne nous empêche pas de chan­ter que « le cœur ne vieillit jamais » ou, que « lors­qu’on aime on a tou­jours vingt ans » — ce qui, d’ailleurs, est vrai…

… Je n’aime pas plus la fri­vo­li­té que la fami­lia­ri­té dans les rela­tions entre cama­rades. Je trouve que cela rabaisse la cama­ra­de­rie à je ne sais quelle « copi­ne­rie » de bas aloi, sur­tout quand il s’a­git de cama­rades de sexe dif­fé­rent. La cama­ra­de­rie la plus franche n’ex­clut pas la réserve à l’é­gard de la femme. C’est même à cette réserve qu’on peut juger de l’édu­ca­tion d’un homme…

… La pau­vre­té de situa­tion, de mise, de moyens, n’ex­cuse pas la gros­siè­re­té dans les rela­tions entre amis. Je n’ai jamais pu com­prendre quelle joie pou­vaient reti­rer des amis à échan­ger des pro­pos de corps de garde. Et pour­tant nul n’est plus que moi l’ad­ver­saire du « mora­li­téisme », c’est-à-dire de cette mora­li­té à la petite semaine que les sots veulent faire pas­ser pour de l’éthique… 

… Être non confor­miste ne veut pas dire être vul­gaire. Au contraire, plus on est un non confor­miste par rap­port aux us et cou­tumes du trou­peau, moins on est por­té à être vul­gaire. La vul­ga­ri­té, la gros­siè­re­té, mais, je les ren­contre chaque jour dans mes rap­ports avec le milieu social, hélas !…

… Ce n’est pas parce que je suis pous­sé par un sot orgueil ou une vani­té ridi­cule que je m’abs­tiens d’une trop grande fami­lia­ri­té même à l’é­gard de per­sonnes que je fré­quente depuis long­temps. D’a­bord, j’ai l’im­pres­sion que je les dimi­nue­rais et que je me dimi­nue­rais moi-même en me mon­trant trop fami­lier avec eux. Ensuite, je redoute, je le recon­nais fran­che­ment, qu’on ne prenne ensuite à la légère les idées que je puis être ame­né à expo­ser, les thèses que je puis être conduit à formuler.

[/​E. Armand

26 mars 1944./]

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