La Presse Anarchiste

Haute école

La danse de la vie : un bal de passants.

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Nous sommes des éphé­mères, je suis le pre­mier à le recon­naître, mais mon désir est que mon « jour » ait la lon­gueur d’un siècle.

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« La vie d’un homme n’est rien : l’homme passe, la nation demeure ».

Tant qu’ils per­met­tront l’en­sei­gne­ment de pareilles âne­ries, leit­mo­tive des trai­tés de morale et d’ins­truc­tion civique, les humains méri­te­ront leur sort, notam­ment celui qu’on leur fait en temps de guerre.

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… la grande farce universelle. 

L’im­por­tant est de n’y pas jouer un rôle de dupe.

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Tu ne vis pas gratuitement. 

Tu paies par ta mort le fait d’a­voir vécu.

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La Mort : triomphe du prix unique. 

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Tu es arri­vé à com­prendre, à savoir qu’il n’y a rien après la mort, qu’on ne vit qu’une fois et que, de même qu’a­vant de naître tu n’é­tais pas, après la mort tu ne seras plus : te voi­là plus tran­quille que ce pauvre d’es­prit qui croit qu’a­près la mort vient une autre vie, une vie éter­nelle, avec ses récom­penses para­di­siaques sans doute, si dif­fi­ciles à obte­nir tou­te­fois, et la menace des châ­ti­ments infernaux.

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« Ils ne sont pas morts en vain… » 

Tu ne meurs peut-être pas en vain pour d’autres, ô sacri­fié ; mais pour toi — toi : seule richesse pour toi-même vivant — tu meurs sûre­ment en vain, puisque n’é­tant plus, tu ne peux jouir de ce pour­quoi tu as combattu.

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Te sou­viens-tu de ceux qui sont morts, peut-être pas pour Dant­zig, mais « pour que l’Eu­rope vive » ? 

Et, au sur­plus, l’Eu­rope conti­nue de crever.

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« Mou­rir pour quelque chose qui nous dépasse » : grande duperie.

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Vis plu­tôt pour quelque chose qui soit à ton niveau : toi-même.

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Il y a aus­si le « grand homme » — qui « entre dans l’Histoire ».

Il se console de mou­rir en pen­sant qu’il y a là une manière de survie. 

Dupe­rie encore.

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La gloire post­hume : soleil des morts.

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Dans le los à la mort, maint poète révèle sa joie de vivre.

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Le bio­lo­giste nous assure que de chaque parent vingt-quatre chro­mo­somes sur­vi­vront dans les cel­lules de l’en­fant et que, par suite, chaque géné­ra­teur ou géné­ra­trice sur­vi­vra en lui de la façon la plus réelle et la plus cer­taine ; que tant que cet enfant vivra, les vingt-quatre chro­mo­somes main­tien­dront en lui ce générateur.

Voi­là qui, comme d’autres « conso­la­tions », nous fait une belle jambe ! La seule chose qui fait la per­son­na­li­té est la conscience de soi. Où est dans cette affaire la conscience de soi du parent ? 

Mon enfant peut me res­sem­bler, mais il n’est pas moi.

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Scho­pen­hauer a dénon­cé ce qu’on pour­rait appe­ler la dupe­rie de l’être vivant de la part de la nature si celle-ci était un être conscient, ce qu’il appelle la dupe­rie de l’in­di­vi­du par le « génie de l’es­pèce » en matière d’« amour » et de géné­ra­tion ; mais, ce fai­sant, il a contri­bué à une autre dupe­rie, d’in­ven­tion humaine celle-là : il a comme d’autres « phi­lo­sophes » évo­qué une enti­té de plus : il a per­son­ni­fié et qua­si­ment divi­ni­sé la nature.

Mais cela ne lui suf­fi­sait pas. Il a col­la­bo­ré à une autre dupe­rie encore, et encore humaine : celle qui consiste à « conso­ler » le mor­tel, de cette façon qui s’est assez répan­due depuis que l’au-delà des reli­gions perd de ses gobeurs, — à conso­ler le mor­tel de son inévi­table mort per­son­nelle, par la pers­pec­tive que les atomes qui le com­posent seront, en ver­tu du bras­sage uni­ver­sel de la matière, dis­sé­mi­nés en d’autres corps orga­niques ou inor­ga­niques. D’où le sophisme : Puisque tes atomes sont tou­jours dans le Grand Toul, tu ne meurs pas, tu es immortel ! 

« La matière, dit-il, par sa per­sis­tance abso­lue, nous assure une indes­truc­ti­bi­li­té en ver­tu de laquelle celui qui serait inca­pable d’en conce­voir une autre pour­rait se conso­ler par l’i­dée d’une cer­taine immor­ta­li­té. — Quoi ! dira-t-on, la per­sis­tance d’une pure pous­sière, d’une matière brute, ce serait là la conti­nui­té de notre être ?

« La connais­sez-vous donc cette pous­sière, savez-vous donc ce qu’elle est et ce qu’elle peut ? Avant de la mépri­ser, appre­nez à la connaître. Cette matière qui n’est que pous­sière et que cendre, bien­tôt dis­soute dans l’eau, va deve­nir un cris­tal, briller de l’é­clat des métaux, jeter des étin­celles élec­triques, mani­fes­ter sa puis­sance magné­tique, se façon­ner en plantes et en ani­maux, et de son sein mys­té­rieux déve­lop­per enfin cette vie dont la perte tour­mente tel­le­ment votre esprit bor­né. Durer sous la forme de cette matière, n’est-ce donc rien ? » [[Pen­sées et Frag­ments trad. J. Bour­deau, pp. 151 – 152.]]. 

Ô puis­sance des mots et de la rhé­to­rique ! Ô verbalisme !

Non, ce n’est rien pour moi et je ne crois guère à l’exis­tence d’un seul vivant à qui cette pers­pec­tive apporte une conso­la­tion d’a­voir été condam­né à mort dès qu’il a été pro­je­té dans la vie par l’u­ni­ver­sel déter­mi­nisme. Il y a tout de même une limite au gogoïsme de l’homme !

Ce qui fait que l’homme est une per­sonne, ce qui le satis­fait d’être tel, c’est la conscience de soi, qui dis­pa­raît à jamais, bien enten­du, au moment de la mort. Et rien de moins que la sur­vi­vance à la mort sous forme d’« esprit », rien de moins que la per­sis­tance de la conscience de soi après la mort, — idée absurde puisque « soi » n’a alors plus de sens, puisque le moi n’est plus, ain­si que ne l’i­gnore pas le maté­ria­liste, — rien de moins que ça ne pour­rait dis­si­per son regret de devoir dis­pa­raître à jamais de la scène du monde. C’est pour­quoi les reli­gions, qui pro­mettent ça, ont encore du succès.

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1940. Sou­ve­nir de chô­mage. Dans une com­mune de ban­lieue. Au cimetière. 

Le fos­soyeur, un homme d’en­vi­ron cin­quante-cinq ans, était d’un aspect repous­sant. Crâne chauve, yeux chas­sieux, la peau du visage blan­châtre et par­che­mi­née par places, une bouche répu­gnante, où appa­rais­sait une seule dent de devant cariée. Avec cela, une barbe de huit jours. 

The right man in the right place !

Il émet­tait de ces consi­dé­ra­tions phi­lo­so­phiques sur la vie et la mort qui veulent être pro­fondes et ne sont que super­fi­cielles et, en outre, écu­lées à force d’a­voir été répé­tées par les hommes. 

Il pro­cé­dait, avec quelques chô­meurs à qui la com­mune fai­sait payer en tra­vail l’in­dem­ni­té de chô­mage, au vidage d’une fosse où un mort avait été enter­ré quelques jours plus tôt et que la famille, ayant chan­gé d’a­vis, fai­sait exhu­mer pour lui don­ner une sépul­ture en province. 

— Celui-là ne sent rien, dit-il : il n’y a que quatre jours qu’il est là ; mais quand il y a long­temps, ce que ça pue !

Et il accom­pa­gna cette réflexion d’un bras levé vers le ciel et d’un pin­ce­ment de nez…

[/​Manuel Deval­dès/​]

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