La Presse Anarchiste

Les Templiers de Londres

L’Ordre des Che­va­liers du Temple fut créé en 1118 par neuf che­va­liers fran­çais, com­pa­gnons de Gode­froy de Bouillon, appa­rem­ment pour assu­rer la sécu­ri­té des routes sui­vies par les pèle­rins se ren­dant au tom­beau du Christ. En moins de 50 ans, l’Ordre opé­ra, dans toute l’Eu­rope, une des plus for­mi­dables raz­zias finan­cières connues. 

Les Tem­pliers devinrent dès le milieu du xiie siècle les seuls ban­quiers inter­na­tio­naux de la Chré­tien­té. L’Eu­rope fut héris­sée de leurs com­man­de­ries, des for­te­resses der­rière les­quelles s’a­bri­taient leurs coffres-forts, alors que l’es­prit de la règle, en 72 articles, don­née par saint Ber­nard, sur l’ordre du Pape, et avec l’as­sen­ti­ment préa­lable du concile de Troyes, peut se résu­mer dans ce mot signi­fi­ca­tif du célèbre abbé de Cîteaux prê­chant la pau­vre­té aux pre­miers Tem­pliers : Pas un pan de mur… pas un pouce de terre !

Ce n’est pas for­tui­te­ment que, dès 1185, les Temples de Paris et de Londres, immenses domaines enclos et for­ti­fiés, sont deve­nus des éta­blis­se­ments publics de cré­dit. Ils firent des sou­ve­rains leurs agents dociles, en argen­tant leurs ambi­tions, leurs ran­cunes ou leurs vices. 

La confiance ins­pi­rée par l’in­té­gri­té appa­rente et la forte orga­ni­sa­tion finan­cière de l’Ordre était telle que ce fut une cou­tume prise par tous les sou­ve­rains et barons de l’Eu­rope de confier leurs tré­sors aux Tem­pliers. Leurs cou­vents devinrent de véri­tables banques de dépôt ; on y consi­gnait en compte-cou­rant des fonds consi­dé­rables. Les moines du Temple ouvraient des cré­dits aux per­sonnes sol­vables, fai­sant par­tout concur­rence aux chan­geurs juifs, pos­sé­dant sur eux deux immenses avan­tages : ils étaient catho­liques, ce qui ôtait toute méfiance à leurs core­li­gion­naires et, de plus, ils appor­taient, dans les rap­ports avec leurs clients, une affa­bi­li­té et une pro­bi­té, au moins appa­rente, qui leur assu­rèrent bien­tôt le mono­pole des tran­sac­tions. Ils se char­geaient volon­tiers, moyen­nant une com­mis­sion rela­ti­ve­ment minime, de trans­por­ter de grosses sommes d’une ville à une autre, d’une place com­mer­ciale à une autre place, soit maté­riel­le­ment par des convois bien escor­tés, soit au moyen de jeux d’é­cri­tures entre leurs mai­sons des divers pays. 

Au Moyen-Âge, les deux plus impor­tantes asso­cia­tions inter­na­tio­nales de manieurs d’argent, en Occi­dent, étaient celles des chan­geurs : Juifs, Lom­bards, Véni­tiens, etc., et celles des Tem­pliers acca­pa­reurs du sol. 

Par­tout où s’é­le­vait une mai­son des Che­va­liers du Temple, les Juifs étaient chas­sés, per­sé­cu­tés. Aus­si ceux-ci employèrent-ils toute leur intel­li­gence, leur influence et leur cré­dit à détruire leurs enne­mis. En rai­son des prêts — qu’ils fai­saient constam­ment à la haute noblesse pour entre­te­nir son luxe et sol­der ses rui­neuses entre­prises, — et de leurs spé­cu­la­tions, ils avaient de puis­sants inté­rêts dans la poli­tique. Leurs rela­tions constantes avec cette haute noblesse les met­taient à même de péné­trer bien des mys­tères. Enfin, ils s’ad­joi­gnaient les astro­logues et les devins si en vogue alors. On a pré­ten­du que ceux-ci étaient en rela­tion avec des col­lèges de dames-faées ou fatales, selon le Fatum antique, et uti­li­saient leur état de voyance ou de trans­mis­sion de pen­sée pour connaître les secrets des grands et pré­dire l’a­ve­nir. Elles avaient suc­cé­dé aux prê­tresses druidiques. 

Phi­lippe le Bel, par un geste har­di, les débar­ras­sa des Tem­pliers de France. Il fit par­ve­nir à tous les baillis du royaume de France des plis cache­tés que cha­cun d’eux devait ouvrir le 13 octobre 1307, le jour de la fête de saint Edouard, patron du roi d’An­gle­terre. Il y avait, dans le choix de cette date, qui fut, quatre ans plus tard, celle de la sup­pres­sion cano­nique de l’Ordre, une inten­tion qui mon­tra bien aux Tem­pliers pour­quoi on les frap­pait. La ques­tion d’hé­ré­sie n’é­tait qu’ac­ces­soire en ce pro­cès aus­si mys­té­rieux que célèbre. Regar­dez les pièces frap­pées au temps de Richard-Cœur-de-Lion et de Jean-sans-Terre. Elles portent le signe carac­té­ris­tique de la Kab­bale orien­tale : l’é­toile à 6 branches, la croix grecque, le sceau de Salo­mon et jus­qu’aux crois­sants de lune, sym­boles par­ti­cu­liers des Musul­mans. L’Em­pe­reur d’O­rient, le Basi­leus de Byzance, avait gar­dé jus­qu’en 1204 le droit exclu­sif de frap­per l’or ; les princes latins le lui avaient arra­ché en ren­ver­sant l’Em­pire grec pen­dant la Qua­trième Croisade. 

Afin d’é­tendre davan­tage et d’as­su­rer pleine sécu­ri­té à leurs spé­cu­la­tions com­mer­ciales, les Tem­pliers cher­chaient à cen­tra­li­ser dans leur Temple de Londres les annales de la Chré­tien­té [[Les annales sont les rede­vances que devaient autre­fois payer au Pape, en rece­vant leurs bulles, les titu­laires des béné­fices confé­rés en consis­toires.]] et les encaisses métal­liques qui consti­tuaient la richesse mobi­lière de la France. S’ils avaient atteint ce but, la France et l’É­glise se fussent trou­vées à la mer­ci des tout-puis­sants finan­ciers d’Albion.

Qui fit échouer leur com­plot ? C’est le secret de la politique.

Au len­de­main de la vic­toire d’Has­tings, sur le rivage de la Manche, les hauts barons nor­mands s’é­taient par­ta­gé la suze­rai­ne­té de l’An­gle­terre. Ils avaient soi­gneu­se­ment pré­pa­ré leur conquête et l’as­su­rèrent par des mariages, au lieu de mettre les châ­teaux au pillage, ren­dant inalié­nable dans leur famille la pro­prié­té de ces biens fon­ciers qu’ils s’oc­cu­pèrent de mettre en valeur et de défendre. Le land­lord, maître de la terre, bailla à cha­cun la part du sol qu’il pou­vait culti­ver, contre une rede­vance annuelle pro­por­tion­née à la récolte et géné­ra­le­ment payée en nature. Il défen­dit, lance au poing, les labou­reurs et les ber­gers contre les rapines des rou­tiers et les exac­tions fis­cales du Roi. Ce fut bien une autre affaire lors­qu’il dut lut­ter en plus contre la rapa­ci­té des spé­cu­la­teurs et des mar­chands. Les Fla­mands ache­taient le blé et la laine, mais ils ne ven­daient leurs tis­sus que contre des flo­rins d’or, les­quels étaient esti­més si haut en mon­naies d’argent d’An­gle­terre que payer avec ces der­niers ne lais­sait aucun béné­fice aux mar­chands bri­tan­niques. Le Temple de Londres réso­lut d’ins­tal­ler des docks fla­mands sur le sol bri­tan­nique. Les land­lords n’y furent d’a­bord aucu­ne­ment hos­tiles. Les entre­pôts faci­li­taient le com­merce des laines, ouvraient un débou­ché aux pro­duits des champs, créaient une source d’ac­ti­vi­té nou­velle. Mais bien­tôt ils s’a­per­çurent que loin de favo­ri­ser les inté­rêts des agri­cul­teurs, les indus­triels spé­cu­laient sur l’a­bais­se­ment du prix des matières pre­mières. On dépré­ciait la valeur des den­rées et des laines dès qu’il s’a­gis­sait d’a­che­ter. Les hauts barons firent incen­dier les docks. Les Tem­pliers inter­vinrent secrè­te­ment auprès de Hen­ri ii Plan­ta­ge­nêt dont ils avaient fait leur homme dans leur lutte occulte contre Tho­mas Becket [[Tho­mas Becket, grand Chan­ce­lier d’An­gle­terre, fut pen­dant 8 ans le ministre favo­ri de Hen­ri ii.

Deve­nu évêque de Can­tor­bé­ry, il prit les inté­rêts du cler­gé contre le roi qui le fit assas­si­ner en 1170.

Plus tard il fur cano­ni­sé. ]]. Le roi aug­men­ta les pri­vi­lèges de ces pro­té­gés des ban­quiers, don­na aux tra­fi­quants des droits poli­tiques et les dota de nou­veaux éta­blis­se­ments. Son fils Richard-Cœur-de-Lion devint de plus en plus l’homme lige des Tem­pliers ; à son retour de Terre Sainte, il obtint du grand Maitre de l’Ordre la faveur de por­ter le Cos­tume sans pro­non­cer de vœux publics. 

Jean-sans-Terre exas­pé­ra les barons par ses rapines. Ils lui impo­sèrent la Grande Charte qu’il jura solen­nel­le­ment de res­pec­ter. Mais les Tem­pliers avaient fait trop d’a­vances aux Plan­ta­ge­nêt pour leurs croi­sades et ils comp­taient trop sur la sécu­ri­té assu­rée à leurs spé­cu­la­tions par le pou­voir abso­lu du monarque anglais pour admettre que sa puis­sance fut ain­si mise en tutelle. Ils lui four­nirent de l’argent pour lut­ter contre les barons. 

Ceux-ci orga­ni­sèrent une armée à laquelle ils don­nèrent le nom signi­fi­ca­tif de Milice de Dieu et envoyèrent à Paris deux émis­saires char­gés de remettre à Phi­lippe-Auguste un pli, scel­lé de leur grand sceau, offrant la cou­ronne à son fils Louis. Louis viii pas­sa la mer, mais Jean-sans-Terre mou­rut subi­te­ment d’un accès de colère, ce qui dénoua la situation. 

La lutte reprit un peu plus tard entre « les land­lords » et les Tem­pliers ban­quiers et indus­triels. Les land­lords par­vinrent à faire com­prendre au roi de France que les Tem­pliers, per­cep­teurs de ses tailles, sou­te­naient contre lui ses grands vas­saux et les riches Fla­mands. Com­pre­nant dès lors l’hos­ti­li­té de Boni­face viii à son égard, Phi­lippe le Bel pesa de tout son poids pour que Ber­trand de Got, arche­vêque de Bor­deaux, fût élu Pape (1305) et l’ins­tal­la a Avi­gnon. Comme nous l’a­vons vu plus haut, deux ans plus tard, les Tem­pliers de France furent frap­pés en plein triomphe, empri­son­nés avec le Grand Maître de l’Ordre, Jacques du Molay. Par les tor­tures, on obtint d’eux toutes sortes d’a­veux et le 13 octobre 1311, le Concile de Vienne sup­pri­mait leur Ordre. Jacques du Molay ou de Mol­lay fut brillé vif à Paris en 1314. 

Le Temple de Paris avait ren­du gorge, mais bien des capi­taux pas­sèrent la fron­tière de Flandre et le détroit. 

Le Temple de Londres capi­ta­li­sa ces richesses et pré­pa­ra sa revanche. Les Tem­pliers s’é­clip­sèrent d’au­tant plus vite qu’ils avaient réso­lu d’a­gir dans l’ombre. Ils mirent leurs immenses capi­taux dans l’in­dus­trie nais­sante. Le mariage pré­pa­ré d’E­douard ii avec Isa­belle de France ser­vit leur ven­geance. Suc­ces­si­ve­ment, les trois fils de Phi­lippe le Bel mou­rurent de façon mys­té­rieuse et Edouard iii, fils de leur sœur Isa­belle, put pré­tendre au trône de France. Telle fut l’o­ri­gine de la guerre de Cent Ans. La France va ser­vir de proie à tous les Yeo­men ou archers et aux autres guer­royeurs qu’on n’en­voyait plus aux Croi­sades, à tous les Cadets dont on ne savait que faire. 

Les Tem­pliers accor­dèrent leurs sub­sides aux Lan­castre à la condi­tion de reven­di­quer la cou­ronne des lys et d’emmener en expé­di­tion tous les rou­tiers, cepen­dant que les ouvriers fla­mands embau­chés appre­naient aux Anglais à fou­ler, à teindre et tis­ser la laine.

Les Yeo­men qui épou­sèrent les filles des ouvriers fla­mands natu­ra­li­sés et deve­nus riches, acquirent de grands domaines et des bla­sons, tan­dis que la France mise au pillage fut plon­gée pour plus d’un siècle dans la plus extrême misère. 

Les Che­va­liers occultes du Temple deve­nus indus­triels et mer­chants reçurent du Roi le titre de ban­ne­rets, acquirent le droit du sceau, prirent place au Par­le­ment, nom­mèrent 12 membres sur 24 dans le Grand Conseil royal. L’hos­ti­li­té san­glante des whigs et des torys vint des pre­miers métiers à tis­ser anglais : les indus­triels de proie et d’a­ven­tures s’op­po­sèrent aux land­lords, davan­tage adver­saires des conquêtes continentales. 

Edouard iii décré­ta, en 1340, que tous les marins fai­sant le tra­fic de la laine se char­ge­raient de rap­por­ter, par chaque bateau, la valeur de 2 marks d’or ; en 1342, il ordon­na en outre que toute céréale expor­tée d’An­gle­terre fût payée en mon­naies ou lin­gots d’or. 

En 1343 – 1341, il fit frap­per au titre légal arabe des doubles flo­rins d’or, des flo­rins et des demi-flo­rins. Ces pièces por­taient la même estam­pille que celles frap­pées par le kha­life Abd-el-Melik lors­qu’il rom­pit ouver­te­ment le joug du Basi­leus. Le roi y est repré­sen­té l’é­pée nue en main et debout dans un vais­seau flot­tant sur les flots. 

Ce n’est évi­dem­ment point par hasard que des­sin et titre accusent une alliance musul­mane ; et la pré­sence de l’al­chi­miste Ray­mond Lulle à Londres à cette époque n’est sans doute pas étran­gère au pacte secret qui fut conclu entre Musul­mans, Fla­mands et Anglais. 

Pour sou­te­nir sa guerre, Phi­lippe de Valois abais­sa secrè­te­ment, en 1348, les mon­naies d’argent de France et fit jurer aux employés de l’Hô­tel des Mon­naies de n’en rien révéler. 

Jean le Bon fait pri­son­nier à Poi­tiers, Edouard iii rédige, sur l’a­vis de son conseil secret, le fameux trai­té de Londres que la France repousse et par lequel il reven­di­quait plus de la moi­tié de son ter­ri­toire, une ran­çon de 4 mil­lions de deniers d’or et d’autres avantages. 

Les indus­triels du Temple de Londres cher­chaient ain­si à reprendre, en France, les biens fon­ciers des anciens Tem­pliers et les ban­quiers de la Cité les tré­sors confisqués. 

Les land­lords redou­tèrent alors la trop grande pré­pon­dé­rance de leurs rivaux. Fort de leur appui, Charles v rom­pit le trai­té de Bré­ti­gny qu’il avait dû signer.

Mais en 1420, le trai­té de Troyes assu­ra le triomphe des Che­va­liers indus­triels, et leur octroya en France des faci­li­tés de tran­sac­tion et des pri­vi­lèges de commerce. 

Par ce trai­té, Hen­ri v de Lan­castre épou­sait la fille de Charles vi, Cathe­rine de France, tan­dis que Charles d’Or­léans fait pri­son­nier à ran­çon en 1415 res­tait à Londres en otage.

Pen­dant la folie de Charles vi, Mar­gue­rite de Flandre fut char­gée, par les pou­voirs finan­ciers et poli­tiques occultes qui la com­man­di­taient, de sur­veiller Isa­beau de Bavière.

Cepen­dant les chan­geurs et usu­riers juifs dépos­sé­dés sur­veillaient tou­jours leurs rivaux. Ils s’é­taient ins­tal­lés de longue date aux marches de Lor­raine et contrô­laient l’in­tense tra­fic des Flandres à Venise, à tra­vers la Bourgogne.

C’est alors que les Fran­cis­cains sus­citent Jeanne d’Arc. Mais ceci est une autre histoire. 

« Charles vii employa, dit Le Blanc, toutes sortes de moyens pour résis­ter à ses enne­mis et se conser­ver le Royaume qu’on vou­lait lui enle­ver. Dans cette extrême néces­si­té, l’af­fai­blis­se­ment des mon­naies était un des plus prompts et assu­rés moyens pour avoir de l’argent ; c’est pour­quoi il n’y avait guère de mois qu’il ne les affai­blit… de sorte que le marc d’argent qui valait, dans les lieux qui lui obéis­saient, 9 livres le 3 mai 1418, en valut 90 au mois de juillet 1422. Le dau­phin, fai­sant faire ses mon­naies plus basses ou de moindre valeur que celles du Roy son père les atti­rait presque toutes, ce qui ne cau­sait pas un petit embar­ras aux Anglais… »

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