La Presse Anarchiste

Ma conception de l’anarchisme

ma con­cep­tion de l’Anarchisme 

Elle est exclu­sive­ment d’or­dre intel­lectuel, et ne prend en con­sid­éra­tion que les avan­tages immé­di­ats pou­vant en résul­ter pour l’é­man­ci­pa­tion et la cul­ture indi­vidu­elles de l’être humain. 

C’est la révo­lu­tion en soi, qui ne pré­tend nulle­ment s’op­pos­er à la révo­lu­tion sociale, ni vouloir se sub­stituer à elle, mais représente, comme élé­ment de pro­grès et de bon­heur per­son­nels, suff­isam­ment d’in­térêt pour qu’il ne soit point néces­saire, par sur­croît, de lui adjoin­dre le souci de visées con­testa­bles sur un avenir problématique. 

C’est aus­si l’aboutisse­ment nor­mal de ce ratio­nal­isme sci­en­tifique (qui n’est ni une doc­trine, ni un par­ti, mais une méth­ode objec­tive de recherche). lorsqu’on l’ap­plique à la soci­olo­gie et l’épu­ra­tion de soi-même à l’é­gard des super­sti­tions anciennes. 

Sur­gi, par le hasard de la nais­sance, dans un monde absurde, en état de mis­ère et de boule­verse­ments con­tin­uels, — dans lequel je me serais bien gardé de pren­dre place si j’avais eu la fac­ulté de choisir ma des­tinée — je ne me con­sid­ère pas pour cela comme exempt de tout devoir de réciproc­ité envers les êtres qui m’ont pro­tégé, nour­ri, instru­it, été sec­ourables à un titre quelconque. 

Mais je repousse comme injuste et arbi­traire la pré­ten­tion d’autrui de me faire, à cause de cela, servir à ses fins par­ti­c­ulières, sans tenir compte des aspi­ra­tions et volon­tés qui me sont propres. 

Je me garderais de réclamer de quiconque qu’il s’abaisse jusqu’à être le servi­teur obséquieux de mes pro­jets, voire sim­ple­ment de mes goûts par­ti­c­uliers. Mais je me refuse à croire que je sois venu tout exprès pour expi­er des fautes ances­trales que je n’ai pas com­mis­es, pein­er pour assur­er l’oisiveté dorée de castes qui s’in­soucient de mon sort, ou mourir obscuré­ment en armes, pour com­plaire aux fan­faron­nades de quelque prince de droit divin. 

Ni inso­cia­ble ni sans-scrupules, je me réserve cepen­dant, en toute cir­con­stance, de ne me pli­er aux exi­gences de mon milieu que dans la mesure où, après exa­m­en, j’ai estimé juste et raisonnable de m’y conformer. 

Mon irre­li­gion ne s’in­cline devant aucun dogme, quel qu’il soit-il, et se garde de sub­stituer, à la dévo­tion devant les images de pierre des églis­es, des sen­ti­ments du même genre devant cer­tains hommes, ou cer­taines œuvres, si élevés soient leurs mérites. 

Je ne recon­nais d’autre autorité suprême que celle de la rai­son qui, demeu­rant en étroit con­tact avec l’ob­ser­va­tion et l’ex­péri­men­ta­tion sci­en­tifiques, devant l’év­i­dence des faits, rend impos­si­ble désor­mais la contradiction. 

Je suis pour la vérité en marche, aux hori­zons tou­jours plus éten­dus, et non pour celle qui se cristallise en des for­mules abstraites et des réso­lu­tions de con­grès, que dépassent bien­tôt les événements. 

Cette libéra­tion de la con­science est, pour ceux qui savent, une source de joie autrement grande que de se meur­trir les genoux devant des images tail­lées, ou d’ob­nu­bil­er ses fac­ultés men­tales dans l’abrutisse­ment rit­uel d’in­ter­minables chapelets. 

Et quelle sat­is­fac­tion n’est-ce pas que de pou­voir con­sacr­er à la cul­ture physique, la prom­e­nade médi­ta­tive, ou la lec­ture de beaux ouvrages, le temps et les ressources con­sacrés par les dévots à des céré­monies et pra­tiques dépourvues d’utilité !

L’ini­ti­a­tion à l’hy­giène natur­iste, libérale­ment com­prise, en con­for­mité de nos tem­péra­ments respec­tifs, des exi­gences du cli­mat où l’on vit, de la pro­fes­sion que l’on exerce, représente le pas­sage du malaise habituel, de la mal­adie fréquente, à l’a­paise­ment et à la force dans la per­sis­tante jeunesse, la sénil­ité retardée. 

J’ai réservé pour la fin ce qui est par­ti­c­ulière­ment pré­cieux : cette ini­ti­a­tion à la vie sex­uelle qui con­fère à cha­cun la pos­si­bil­ité de se pré­mu­nir, dans la plu­part des cas, non seule­ment con­tre les atteintes trop dédaignées du fléau vénérien, mais encore con­tre des angoiss­es et des charges acca­blantes, non seule­ment indésirées, mais encore injus­ti­fi­ables dans des cir­con­stances tragiques.

Voici ce qui, selon moi, con­stitue la par­tie pos­i­tive et l’essen­tiel de la philoso­phie de l’a­n­ar­chisme, j’en­tends de celle qui se fonde sur des réal­ités présentes, sans se faire d’il­lu­sions sur les valeurs humaines, pas plus que sur les pos­si­bil­ités d’in­stau­ra­tion pra­tique, et à bref délai, de plans de sociétés futures dont il est impos­si­ble de prophé­tis­er avec cer­ti­tude ce que seront les statuts soci­aux et date d’avènement. 

Cette réserve dernière n’im­plique pour­tant pas que l’on se réfugie dans une sorte de robin­son­isme mis­an­thropique et déce­vant. Quand on a reçu sa part du mag­nifique héritage d’art et de sci­ence que nous a légué le passé, si l’on estime que cela jus­ti­fie à l’é­gard de l’hu­man­ité quelque grat­i­tude, il n’est cer­taine­ment ni d’un fou, ni d’un sot, de pren­dre rang dans la bataille pour la défense et pour l’ex­ten­sion des lib­ertés con­quis­es et du bien-être commun.

[/Jean Marestan/]

P.S. — Je crains que mon dernier arti­cle : Funérailles par Antic­i­pa­tion ait été mal inter­prété par quelques-uns. Je n’ai enten­du aucune­ment cri­ti­quer la déférence que l’on doit aux vieil­lards, comme aux malades ou aux enfants, en rai­son de leur faib­lesse, ou de leurs infir­mités, d’au­tant que la vieil­lesse est effec­tive­ment une mal­adie et qu’elle est à échéance mortelle ! C’est une rai­son de plus pour ne pas la rap­pel­er à tout pro­pos à ceux qui en souf­frent. Il serait plus com­préhen­sif d’es­say­er de la leur faire oublier.

[/J.M./]