La Presse Anarchiste

Marches

Si
l’on veut bien admettre que toute action vio­lente res­sor­tit à
un phé­no­mène plus géné­ral de « des­truc­tion », on se doit alors de mon­trer que l’action
non vio­lente, elle, tire sa force de la « création »,
de « l’imagination ». Ain­si nos facultés
d’invention, de renou­vel­le­ment devraient être mises à
contri­bu­tion au maxi­mum. Mais le fac­teur « engagement
per­son­nel phy­sique » n’en sera pas moins indis­pen­sable.
Nous asso­cions à la notion d’engagement celle de
« 
risque », mais pour nuan­cer et ne pas tom­ber dans une
concep­tion acti­viste, nous avons dit que des positions
d’attente sont néces­saires. Le mini­mum d’engagement
serait donc la prise de conscience intel­lec­tuelle et morale, et
l’action deman­dant l’engagement le plus faible serait la
« marche ».

Dans
les pré­cé­dents numé­ros (3, 4, 5), nous nous
sommes effor­cés de décrire minu­tieu­se­ment et
aus­si de cri­ti­quer les formes d’action que l’on regroupe
sous le mot « marche ». Nous ne vou­lons pas reprendre
ici ce tra­vail, mais resi­tuer ces expé­riences dans le cadre
de ce numéro.

La
marche, c’est la démons­tra­tion publique d’un désaccord
qu’il n’est plus suf­fi­sant d’exprimer par des
inter­mé­diaires (presse, délé­ga­tion, etc.), c’est
une pro­tes­ta­tion, une contes­ta­tion ; c’est aus­si l’affirmation
de convic­tions posi­tives avec l’argument supplémentaire
de sa per­sonne phy­sique ; c’est essen­tiel­le­ment peut-être
un mode d’information directe de même
que les tracts et les ban­de­roles qui accom­pagnent ; les
son­dages d’opinion qui quel­que­fois ont été organisés
sur place se pré­sentent comme le deuxième volet du
dia­logue entre les mani­fes­tants et le public, comme le moyen
de connais­sance quant à l’effet obte­nu par la marche,
comme un contrôle de l’efficacité de l’action.

Mais
« en mar­chant paci­fi­que­ment », on s’est trop contenté
d’appliquer une recette, sans vrai­ment cher­cher à en
amé­lio­rer le ren­de­ment. Ain­si on marche dans les banlieues
désertes le dimanche, on marche en rase cam­pagne. Pour
ne pas entrer dans l’illégalité, on évite
les lieux publics (plages en été, cer­taines rues,
etc.). Au contraire les « com­man­dos » non violents
sont des opé­ra­tions par petits groupes qui demandent une
par­ti­ci­pa­tion maxi­male et plus de facul­tés d’initiative ; ce qui n’est pas le cas des marches où chaque
indi­vi­du est cen­sé suivre les mots d’ordre ; de même,
dans une mani­fes­ta­tion impor­tante, on est noyé dans la
masse. En petit groupe, on est obli­ga­toi­re­ment « vu ».
Les marches pour accom­pa­gner en pri­son un objec­teur et un groupe sans
aucun papier d’identité se soli­da­ri­sant tota­le­ment avec lui
ont été rares : elles reva­lo­ri­saient la marche dans le
sens de l’engagement. La marche enga­geant peu aurait dû être
uti­li­sée sur­tout comme mode d’information mais il fallait
alors recher­cher le « canal » le meilleur pos­sible pour que
cette infor­ma­tion passe du mani­fes­tant au public.

Dans
cette optique, nous avions sou­le­vé quelques ques­tions comme le
silence, le bruit, le main­tien et l’habillement des mar­cheurs. Nous
affir­mions la valeur du silence comme expres­sion d’un comportement
nou­veau, reflet de l’état d’esprit non violent. Mais on a
vu et en par­ti­cu­lier dans le der­nier numé­ro « Happening »
que le « bruit » n’est pas abso­lu­ment incom­pa­tible avec
la mani­fes­ta­tion non vio­lente. De même pour l’habillement et
le main­tien. Cepen­dant, il est à craindre que le mélange
des genres, dans une même marche, décon­certe trop le
public et nuise en fin de compte au mes­sage final.

André
Bernard

[(

Le
same­di 23 mars, Pierre Souy­ris, pro­fes­seur agré­gé à
Aix, et Claude Voron, membre de la com­mu­nau­té de l’Arche et
ancien objec­teur, ont com­men­cé un jeûne de huit jours
dans le bidon­ville d’Aix-en-Provence. Ils enten­daient attirer
l’attention des pou­voirs publics et de l’opinion sur cette cité
misé­rable de cinq cent trente habi­tants, dont trois cents
enfants.

Une
asso­cia­tion d’aide aux migrants y a ouvert un centre
d’alphabétisation pour adultes, et actuel­le­ment une campagne
de péti­tions est faite à tra­vers la ville pour obtenir
la construc­tion d’une cité pro­vi­soire de tran­sit et la
réa­li­sa­tion d’un pro­gramme d’habitations de type HLM.

Le
bidon­ville n’a qu’un seul point d’eau potable et un seul WC ;
les rats y pullulent.

)]

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