[(
En
juillet, nous faisions appel, par circulaire, à un certain
nombre de nos lecteurs pour faire le point sur le mouvement de mai :
leur participation, les comportements qu’ils ont observés,
les besoins de structures nouvelles, les modifications de leurs
conceptions et convictions et leur attitude face à une reprise
éventuelle à la rentrée.
Environ
10 pour cent des gens touchés ont répondu à
cette « enquête ».
Pour
des raisons financières et faute de place dans la revue, nous
ne pouvons tout publier ; nous ne présentons ici que les textes
qui nous ont paru caractéristiques ; cependant nous pourrions
envisager de ronéotyper une synthèse des autres
réponses si certains d’entre vous en manifestaient le désir.
De toute façon, ce dossier reste ouvert.
)]
…
Lancer des pavés aux flics…
Avant
mai, j’ignorais tout de l’anarchisme et ne me posais pas de
questions sur la violence.
J’ai
participé aux événements de mai. Le 6 mai nous
avons manifesté tout l’après-midi, et le soir, vers 9
heures, nous avons été matraqués. Mon mari a été
emmené à Beaujon tandis que moi, saignant abondamment,
j’étais conduite à une pharmacie qui m’a expédiée
à l’hôpital Cochin. Ma réaction ensuite a été
de vouloir à tout prix aller aux autres manifestations pour
lancer des pavés aux flics, attaquer, me faire tuer au besoin,
enfin répondre à ce matraquage. Je ne le pouvais pas
car mon mari était revenu de Beaujon avec un traumatisme
crânien s’accompagnant d’idées de suicide, de
symptômes paranoïaques en plus. Je me suis contentée
de la manifestation du 13 mai, de quelques assemblées
générales, et, surtout, nous nous sommes informés
auprès des divers « groupuscules » pour comprendre
quelque chose aux diverses tendances. Ce qui m’a, finalement, fait
prendre la résolution de ne jamais appartenir à aucun
parti ou groupe politique. L’état de mon mari allant en
s’aggravant, nous avons dû partir pour qu’il se repose au
calme. La violence ne me posait toujours pas de questions : J’étais
toujours aussi furieuse de ne pas pouvoir participer, et d’une
manière violente, aux manifestations. Lorsque nous sommes
revenus à Paris, j’ai tenté de retourner à
quelques assemblées générales et commissions,
mais je n’y comprenais plus rien, je n’arrivais pas à
comprendre ce qui s’était passé en mon absence. J’ai
été moi-même malade, et j’ai commencé,
pour la première fois, à réfléchir
sérieusement sur la violence.
Si,
le 6 mai, j’ai été manifester avec les étudiants,
c’était que leur révolte me faisait espérer
que je m’étais peut-être trompée : qu’il y
avait encore de l’espoir en Europe, et que c’était une
occasion de faire comprendre à tous ces gens qui ne vivent que
pour gagner du fric en faisant un travail dont ils se foutent et qui
les use jusqu’à l’âge de la retraite que la vie
c’était quelque chose qui valait le coup, qu’il fallait la
prendre et en jouir au maximum et comme on l’entend, au lieu de la
laisser distiller goutte à goutte dans les carcans de la
société.
Le
mouvement a été pour moi un mouvement d’amour : enfin
on était ensemble, on marchait ensemble, on criait ensemble,
on se serrait ensemble — quant aux CRS, c’étaient des
choses noires et pas belles qui ne ressemblaient pas du tout à
des hommes. L’occupation de la Sorbonne a été le
moment culminant de ce défoulement d’amour — on voyait
même des JCR parler avec des types d’Occident. Aux
assemblées, chacun avait la parole, il n’y avait plus de
« droit », et cependant, plus on prenait ses aises et plus
on se sentait comme les autres, solidaire des autres. On était
libre et tout semblait possible. On ne se disait plus : l’idéal
ce serait tel comportement, ou bien encore on ne posait pas à
l’avance un idéal de « structures », mais tout se
créait au fur et à mesure et l’on sentait que cela
prendrait beaucoup de temps, mais qu’il fallait être patient,
se libérer de tout idéal, car tout idéal est
dogmatique, mais écouter et proposer au fur et à mesure
que le mouvement avançait. Comportements et structures se
créaient peu à peu, il ne fallait rien précipiter
ni établir d’avance, seulement se laisser aller en
faisant cependant attention de demeurer toujours aussi libre et
spontané.
Avant
les événements de mai, je ne m’intéressais
guère qu’à Cuba. Je savais qu’il y avait des gens
qui se disaient « anarchistes » mais je ne savais pas du
tout ce que cela signifiait — un peu exotique et vieillot —
j’ignorais même les marmites de Ravachol.
Lorsque,
au cours de notre espèce d’enquête auprès des
différents « groupuscules », nous avons rencontré
des anarchistes, j’ai été « séduite »,
« séduit»» est le mot car j’en étais
arrivée, à force d’entendre tant de théories
toutes aussi logiques, sincères et sures d’elles-mêmes
les unes que les autres, à me fier plutôt à la
façon dont le type me parlait et parlait des autres groupes
plutôt qu’à ce qu’il me disait ! J’ai alors décidé
de lire des bouquins sur l’anarchisme.
Et
puis aussi j’ai commencé à me demander alors si
l’esprit, le sens du mouvement de mai et ce qui me plaisait en lui
n’étaient pas foncièrement, essentiellement
anarchistes, et cela, je le pense encore.
Quant
à la non-violence, bien que membre du Service civil
international, cela ne m’intéressait pas du tout avant.
Cependant, au moment de la crise de mon mari, le jour le plus
dramatique, je me suis mise à penser brutalement que le seul
absolu possible vers lequel on peut tendre ne pouvait être que
l’amour et que ce qu’il demandait était incompréhensible
et surtout imprévisible. C’en était désespérant,
et le jour d’après, je ne voulais plus y penser. Ce n’est
qu’à mon retour que j’ai fait la relation
amour-non-violence-anarchie. Et j’ai essayé de penser qu’il
pouvait être possible de se promettre de ne jamais user de
violence tout en s’engageant comme on en a envie.
Je
souhaite faire quelque chose pour le mouvement de mai s’il reprend
en octobre. Mais je ne sais pas quoi : si j’allais dans une
manifestation, cela ne servirait à rien que je dise aux
manifestants de ne pas lancer de pavés sur les flics. Seule,
je ne peux rien faire dans une manifestation violente et j’en suis
complice. Cela me semble même difficile de participer à
un comité d’action où j’aurais à distribuer
dés tracts disant « les manifestants ont raison, allez
vous joindre à eux ».
Il
me semble qu’il faudrait une action parallèle à
l’action violente, une action qui vise les mêmes fins mais
par d’autres moyens et qui réussisse à entraîner
peu à peu les gens.
C.
P.
…
si un noyau de non-violents avait existé…
Étant
étudiant, j’ai bien sûr participé aux
événements du mois de mai, puis à ceux du
festival d’Avignon au mois d’août.
Mois
de mai.
•
Participation
à l’occupation du Collège littéraire
universitaire d’Avignon (annexe de la faculté d’Aix)
jusqu’à la fin de la grève de la SNCF, qui s’est
traduite par :
—
l’ouverture
de l’amphithéâtre à tous, avec organisation de
tribunes libres.
—
des
contacts plus directs avec les ouvriers, lors du ramassage des
ordures ménagères avec les boueux grévistes « au
service de la population ».
— le
ravitaillement de certaines usines ou entreprises en grève
(Pechiney, Ferroviaire) en pommes de terre distribuées
gratuitement par les paysans de Châteaurenard.
—
la
visite d’un comité d’occupation (CGT) de la Ferroviaire,
qui a montré clairement la différence de mentalité
qui peut exister entre le « militant de base » et le « bonze
syndical ».
—
l’ébauche
de création d’un comité de liaison entre grévistes
sur le plan départemental.
•
Les
communications rétablies, j’ai pu me rendre à mon
lieu de travail habituel, la faculté des sciences de
Marseille, où, contrairement à Avignon, le rôle
des étudiants était déterminant. J’ai assisté
et participé à des assemblées générales,
à la commission « pédagogie », à des
discussions lors de débats ou bien par petits groupes, au
comité de grève CAPES agrég. (en particulier
j’ai pris part à des piquets de grève).
Mois
d’août.
Habitant
très près d’Avignon, j’ai pu prendre part ou
assister aux discussions, improvisations et manifestations qui ont pu
avoir lieu.
Si
dans le Sud-Est les CRS ne s’étaient jamais montrés
en mai (ce qui fait que ce mois a été très
calme), l’arrivée d’une bonne centaine de jeunes Parisiens
(que la presse baptisa les « contestataire ») nous a
permis de les voir arriver armés au grand complet.
Comportements
Je
ne crois pas que ce mouvement ait été révélateur
de comportements nouveaux, du moins dans la région. Il est
certain que de nombreux individus ont pu se comporter d’une façon
nouvelle, mais dans l’ensemble je n’ai pas remarqué de
choses réellement « neuves ».
A
Avignon, les étudiants, très peu nombreux, ont dû
manifester avec les centrales syndicales ouvrières et
enseignantes, le maire d’Avignon, les députés du
département et les groupements politiques de gauche ;
manifestations tellement intégrées que je n’y ai pas
participé et n’en ai aucun regret.
A
Marseille, la seule manifestation à laquelle j’ai participé
(le 13 mai) était également dans ce style, mais
d’autres furent plus originales. Le système d’organisation
des comités de grève et d’occupation ne m’a pas
semblé être quelque chose de très nouveau. Ce qui
est intéressant de noter, c’est sa généralisation
et le rôle des non-syndiqués. Dans les usines
l’autogestion ne m’a paru que rarement et partiellement réalisée
sauf pendant une courte période à Nantes. Le nombre de
participants actifs est resté toujours réduit, surtout
dans les facultés. La grève — ou plutôt le
boycottage — des concours par les étudiants me paraît
être assez nouvelle et a désemparé les
« autorités » au moins au début, ce que très
peu d’enseignants ont compris.
•
Par
contre, le besoin de structures nouvelles s’est exprimé
à tous les niveaux, les modifications de structures passant
bien avant les revendications salariales, ce qui est assez
inhabituel.
1)
Dans les établissements scolaires, le besoin de gestion
de ces derniers par les seuls utilisateurs (étudiants,
personnel technique, assistants, professeurs) se traduit par la
formation d’assemblées illégales (assemblées
constituantes des facultés par exemple) prenant des décisions
notamment sur les travaux réalisés en commissions
(élaboration de nouvelles structures de gestion, méthodes
pédagogiques nouvelles, etc.);
2)
Dans les usines, prise en charge de ces dernières par
les comités de grève ;
3)
Lors du festival, la nécessité de rendre
accessible le théâtre aux travailleurs a été
mise en évidence par plusieurs troupes et surtout par le
Living Theatre à Avignon.
Mes
convictions n’ont pas, dans leur ensemble, été
notablement modifiées.
a)
En ce qui concerne l’anarchisme, ces dernières ont
été renforcées, le rôle des partis
politiques et des syndicats, intégrés, ayant été
clairement montré. Seul le PSU a pris parti pour les étudiants
pour… récupérer leurs voix. D’ailleurs de
nombreuses expériences et discussions qui ont eu lieu lors de
ces événements furent libertaires. Le rôle des
élections n’a pas été dénoncé,
pour une fois, par les seuls anarchistes… Revendication de
l’autogestion…
b)
En ce qui concerne la violence, il est certain que les
premières manifestations et barricades amenèrent une
prise de conscience face aux brutalités policières
qu’elles révélèrent et beaucoup de gens
approuvèrent. Mais ce phénomène se répéta
si régulièrement qu’il y eut rupture entre
manifestants et population.
c)
En ce qui concerne la non-violence, je persiste à
croire que c’est une « technique » à préférer
aux méthodes violentes, sous toutes leurs formes pour les
raisons suivantes :
Une
manifestation non violente suffisamment engagée peut
déclencher une prise de conscience peut-être aussi
importante que les barricades de mai.
Elle
évite la rupture entre manifestants et observateurs.
L’inconvénient, c’est qu’elle nécessite une
préparation : on se défend violemment instinctivement.
Le comportement non violent s’acquiert par la réflexion et
l’entraînement.
d)
La révolution me paraît de plus en plus difficile
à réaliser lorsque je pense à la force
matérielle et psychologique (radio, presse) que détient
le gouvernement ; à la complexité de l’économie,
surtout de l’industrie, qui rendrait l’autogestion certainement
difficile à réaliser, le problème des liaisons
entre entreprises et celui des marchés étant
essentiels ; à la présence de couches moyennes
importantes (petits commerçants, fonctionnaires aisés)
pas du tout favorables à de tels changements.
Si
le mouvement reprend, je m’y associerai et participerai, comme aux
mois de mai-juin-août, à tout ce qui me convient.
Participer directement à une action violente me paraît
exclu, mais il y a toujours des possibilités de travailler à
un mouvement sans utiliser la violence.
Il
serait cependant souhaitable d’établir une liaison entre
non-violents désireux de participer à un mouvement
révolutionnaire afin d’essayer de réaliser des
actions plus spécifiquement non violentes. En mai, je me suis
trouvé « noyé » parmi des gens n’ayant
aucune confiance en la non-violence et n’ai pu qu’accepter leurs
propositions dans la mesure où elles me convenaient.
Si
un noyau de non-violents avait existé, une action aurait été
possible. Ainsi au festival d’Avignon, les groupes parisiens
(appelés contestataires dans la presse) ont fini par adopter
les techniques non violentes, sous l’impulsion des gars du Living
Theatre bien qu’au début ils aient été opposés
à de telles formes d’action. Mais pour qu’une action non
violente puisse intéresser des violents « sincères »
encore faut-il que les actions que nous proposons soient suffisamment
engagées. Peut-être jugent-ils les non-violents
seulement d’après ceux qui sont trop soucieux de la légalité
comme il en existe. Beaucoup de ces derniers d’ailleurs, me
semble-t-il, ont refusé de participer aux événements,
ne voyant que les barricades et les déprédations de
tout ordre.
Il
est regrettable que l’organisation de groupes d’action non
violente ébauchée à Aix, il y a deux ans, n’ait
pu se poursuivre et ait été abandonnée. Ils
auraient pu constituer des noyaux autour desquels auraient pu
s’agglomérer peut-être de nombreuses personnes.
C.
R.
…
trouver un détonateur non violent…
Nous
avons, ma femme et moi, participé aux événements
de mai en tant qu’instituteurs syndicalistes grévistes. Nous
avons ainsi participé à de nombreuses réunions,
non seulement d’enseignants, mais aussi d’étudiants et
d’ouvriers à Caen.
Ce
mouvement nous a surpris et enthousiasmés, par son ampleur, sa
force et par la façon dont la société fut
totalement remise en question par les étudiants. Nous ne
pensions pas qu’il y eût de telles potentialités dans
la jeunesse. Malheureusement, si les étudiants en vinrent
rapidement à poser le problème de l’autogestion et à
agir pour la mettre en pratique, il n’en fut pas de même chez
les ouvriers et chez les instituteurs en général. Au
lieu de s’orienter vers la grève gestionnaire, on s’en
tint à une attitude contestataire et négative dont les
appareils et M. Séguy ne purent que se réjouir après
avoir tout fait, évidemment, pour obtenir ce résultat.
Malgré
tout, je pense que l’aspiration à un changement total, à
la dignité humaine, était générale, mais
devant l’absence totale d’éducation syndicaliste, les
travailleurs n’ont pas eu le temps de prendre conscience de ce
qu’ils voulaient réellement. Quand ils commencèrent à
en prendre conscience, il était trop tard ; les bureaucrates
avaient tout repris en main…
Les
événements de mai n’ont donc fait que confirmer ce
que nous pensions déjà, à savoir qu’une
révolution ne s’improvise pas ; elle se prépare. En ce
sens d’ailleurs, ce qui s’est passé a été
positif, car il s’est créé une sensibilisation aux
problèmes de la construction révolutionnaire dont nous
aurons à profiter pour essayer d’entreprendre cette
éducation qui, comme en 36, a terriblement manqué.
Quant à la violence, si les manifestations qui la suscitèrent
servirent, comme il a été dit, de détonateur au
mouvement, elles furent impuissantes, évidemment, à
promouvoir les capacités gestionnaires et administratives des
travailleurs. La prise en main de ses propres affaires n’a rien à
voir avec la violence, et la grève générale
gestionnaire me semble essentiellement non violente. Il resterait à
trouver un « détonateur » non violent. La tâche
est rendue encore plus difficile par la bureaucratisation des
organisations ouvrières qui ne feront rien, bien au contraire,
pour déclencher un mouvement général. Alors, la
question reste posée.
Mais,
de toute façon, le travail d’éducation à
entreprendre me parait être encore la meilleure action à
la fois anarchiste et non violente.
J.-P.
B.
…
une synthèse de toutes les aspirations…
A
aucun moment il ne m’a semblé possible de ne pas participer
aux événements de mai, par contre dès le début,
je me suis demandé de quelle manière le faire. Après
avoir hésité à monter à Paris où
il semblait que tout allait se jouer, j’ai pensé qu’il
était plus utile d’essayer de le faire dans, autour et avec
son entourage immédiat.
Dans
la pratique, cela s’est traduit par une succession de petits faits
sans retentissement important, mais bien adaptés à
l’échelle d’un individu isolé puisqu’il ne
m’était pas possible d’agir dans mon milieu professionnel.
Seule
exception, dans les tout premiers jours de mai, à l’occasion
d’une réunion ANV élargie, nous avons décidé
de nous munir de deux magnétophones et d’interpeller les
gens en leur demandant leur point de vue sur « les barricade ».
Le magnétophone était le prétexte pour provoquer
le dialogue sur la voie publique, nous avons assez bien réussi
et pendant deux ou trois heures nous avons provoqué un
attroupement où nous étions les animateurs d’une
sorte de tribune libre improvisée.
En
dehors de cette action spécifique :
—
Explication
de la grève des enseignants et des problèmes de
l’enseignement dans le cadre de l’association des parents
d’élèves.
—
Contacts
avec le comité d’action culturel d’Aix.
—
Contacts
et participation à un comité d’action révolutionnaire
qui fut très éphémère et assez stérile
car noyauté par les JCR.
—
Lancement
d’une tribune libre permanente d’abord, bihebdomadaire ensuite
qui s’est terminée par lassitude des participants.
—
Présence
aux manifestations importantes (deux à Toulon).
Il
me semble, si on se réfère quelque peu à
l’histoire sociale et révolutionnaire, qu’il n’y a pas
eu autant de formes d’actions originales que ce qu’on a bien
pu dire et écrire. Par contre, au niveau de l’état
d’esprit, bien que la stimulation soit partie d’une petite
minorité agissante, il apparaît une prise de conscience
assez révolutionnaire et étendue de quantité
d’individus considérés habituellement comme
amorphes. Un certain carcan de barrières mentales a pu
sauter pendant quelques jours se traduisant par :
—
la
contestation globale de toutes les formes d’aliénation
depuis l’exploitation économique jusqu’au niveau des
comportements individuels en passant par les problèmes de
récupération.
Cela
me paraît réellement nouveau et en tout cas très
positif ; dans l’action s’est créée une synthèse
des aspirations marxistes, anarchistes, situationnistes,
surréalistes, etc., amenant un climat de « fête
révolutionnaire » qui a rompu les frontières de
l’individu et des étiquettes et a rendu possible un dialogue
permanent positif (voir compte rendu de certaines commissions de
travail et en particulier celle du C. A. « Nous sommes en
marche »).
Mes
conceptions et convictions n’ont pas été vraiment
modifiées, mais plutôt complétées et
enrichies en particulier sur :
—
les
possibilités des minorités agissantes que je
sous-estimais ;
—
la
nécessité de radicaliser les positions et actions pour
avoir une audience ;
—
la
nécessité de trouver des formes d’action originales,
actives, radicales et non violentes afin de pouvoir sortir de
l’alternative violence active – non-violence passive.
Le
mouvement de mai a bénéficié de l’effet de
surprise, il peut en être difficilement de même dans
l’avenir. L’organisation de la répression, le regroupement
des forces réactionnaires autour du gaullisme, le jeu du PC,
ainsi que la situation internationale rendent peu plausible et très
utopique la vision d’une révolution réussissant en
France.
Par
contre, il me semble que nous devons participer partout où
cela est possible aux mouvements de contestation et y proposer des
formes d’action telles que la désobéissance civile.
Il me paraît souhaitable également d’améliorer
notre coordination et d’envisager éventuellement des actions
en tant que groupe et pour cela de nous regrouper dans un lieu pour
une action spécifique lors d’événements
graves.
M.
V.
…
spontanéité…
Je
passerai rapidement sur les raisons de ma non-participation aux
événements de mai dernier. J’y ai été
contraint par ma situation géographique et professionnelle. En
un sens cette abstention m’a été désagréable
du fait qu’ayant « prêché » pendant de
nombreuses années dans le sens qu’a en partie pris ce
mouvement, je n’ai pu y être associé sur le moment.
D’un côté, j’ai pu suivre plus objectivement le
déroulement des événements puisque n’y étant
pas impliqué directement.
Je
crois que la violence de fait qui a sévi dans l’action en
mai doit être non seulement acceptée comme normale mais
encore comme positive malgré ses erreurs tactiques (manque de
préparation, manque de ligne de direction chez les
initiateurs, etc.) ne serait-ce que par la découverte chez
tout un chacun de sa force propre et de la faiblesse d’un pouvoir
qui se veut représentatif et fort, mais qui en est réduit
à la répression violente et incontrôlée
plutôt qu’à toute autre méthode de riposte ou
d’adaptation. Répression encore aggravée du fait de
l’inadaptation de ce pouvoir à la forme inhabituelle,
spontanée et non aménagée aux formes classiques
des encadrements politiques et syndicaux d’opposition et de
contestation connus, tolérés et ainsi récupérés
en permanence et en totalité.
Le
plus grave danger qui pourrait en résulter serait, à
mon avis, la réédition systématique et à
priori (la théorisation en fait) de ces mêmes tactiques
dans les actions prochaines qui ne devraient pas tarder à
réapparaître. On peut considérer les moyens
d’action utilisés en mai comme une nécessité
historique du moment, comme la résultante et le prolongement
logique d’un système de pensée conformiste, figé
par l’habitude, le manque d’imagination dû au
conditionnement mental des acteurs et à leur intégration
consciente ou non dans le système régnant.
Les
attitudes diverses apparues dans le cadre de ce mouvement ne me
semblent pas une condamnation de la non-violence qui reste à
mon sens valable pour ceux qui y sont préparés et
décidés et souhaitable dans le cas d’une éventuelle
action originale due à leur initiative. Par contre, la riposte
non violente aux actes du pouvoir me parait irréelle et
illusoire, voire impossible à pratiquer devant la forme même
des forces de répression. Vaut-il mieux alors s’abstenir ? Là
je ne réponds pas, du moins pas encore mais la question reste
sérieuse et pressante. Elle devrait être soulevée
et résolue par ceux qui, comme nous, se réclament de la
non-violence.
En
mai, quelques-uns d’entre nous se sont laissés aller au gré
du mouvement au nom de la spontanéité (plutôt
d’ailleurs au nom de rien, mais parce que traumatisés par
leur inactivité habituelle), or la spontanéité
ne peut se révéler bénéfique et positive
que comme prolongement pratique de nos acquis individuels
indispensables en tant qu’engagés permanents dans la
contestation. A ce niveau, elle pourra apparaître comme une
nécessité vitale chez l’être sain et désireux
de mettre enfin sa vie au diapason de ses idées, et deviendra
la seule issue logique faute de quoi les notions théoriques
emmagasinées deviendront objets de musée, cadavres.
Elle
sera ou deviendra synonyme de vie car remise en question permanente
et dépassement inconscient de l’héritage de la veille
même si celui-ci nous semblait logique jusqu’alors. Elle
nécessitera donc une volonté de vie réelle et
effective, un souci de participation. Elle devra résulter
d’une recherche intellectuelle quotidienne et devenir le
tâtonnement expérimental du moment.
Pour
moi, les événements de mai ne se sont donc en rien
posés au niveau des principes : non-violence — révolution
— anarchisme, etc., mais bien à celui des comportements et
seulement à celui-ci.
L.
G.
…
la commune contre la province…
Je
n’ai pas participé à cause d’un voyage à
l’étranger.
Je
pense que ce mouvement a été révélateur
de comportements nouveaux. De la solidarité, en particulier,
mais attention : à Paris et dans les grands centres seulement.
J’ai passé en voiture dans la province, pour me rendre au
tunnel du Mont-Blanc. Nous avons été frappés
(nous venions de Paris, d’un Paris révolutionnaire mais
aussi sans essence, sans usines qui tournent) par le fait qu’en
province les pompistes ne se sentaient aucunement concernés et
que les usines tournaient comme à l’accoutumée. Il
faut comprendre que la province, sauf les grandes villes et les
grandes usines, se désolidarisait totalement de ce mouvement
qui, non seulement ne la « concernait » pas, mais qui, dès
le départ, lui faisait peur. C’était la Commune,
seule, contre la province ralliée toute à M. Thiers.
Donc,
solidarité, oui, mais réduite à ceux seuls qui
étaient concernés (la minorité de la France,
d’où ces élections de peur, ce scrutin gaulliste).
Comportements
nouveaux : les étudiants entraînant les travailleurs,
leur demandant de débrayer — parce que les étudiants
avaient besoin des travailleurs. Qu’apportaient les étudiants
en échange ? Je ne sais. Peut-être ont-ils secoué
l’apathie des travailleurs. Oui.
Mais
sans plus.
Comportements
anciens : la violence venant de la police, d’abord. La politisation
de ce mouvement spontané : la gauche restant fidèle à
sa politique « made in IIIe République ». Autre
comportement ancien : celui des syndicats et leur réveil
tardif.
Besoin
de structures nouvelles : Oui. Déclaration de la faillite
syndicale, les syndicats sont morts. Les partis dits de gauche sont
morts. Alors ? Une nouvelle gauche ? De nouveaux syndicats — des
syndicats à l’esprit rénové, plutôt ? Ce
serait bien nécessaire.
Structures
nouvelles, oui : mais, tant que ceux qui ont besoin d’un monde
meilleur ne sauront pas que, pour faire une révolution
(violente ou non violente), il est nécessaire d’avoir un
programme économique d’abord, social ensuite, qui soit à
proposer, à appliquer sitôt le premier pavé lancé
(ou la première grenade lancée par les flics), alors,
tant que cela ne sera pas, nous ferons, vainement, la fausse
révolution. La révolte n’est pas la révolution.
La révolution sous-entend un programme (économique
d’abord, j’y insiste très fortement) applicable de suite.
Toutes nos révoltes me font penser à Sisyphe roulant sa
pierre, sans cesse, encore et toujours, et inutilement. C’est bien
un mythe. Contester est une chose fort utile, car contester évite
de faire la sieste. Contester n’est pas tout. C’est construire
qu’il faut, après avoir contesté. Après la
révolte, la révolution.
Mes
conceptions sur :
—
l’anarchisme :
inchangées. Sauf que Marcuse est à méditer
autant que Stirner ou que Bakounine. Méditer est une phase,
agir est une autre phase nécessaire.
—
la
violence : inchangées. Elle est plus active que la
non-violence, en ce sens que l’instinct bestial que nous avons tous
(l’instinct du type qui applaudit à la mise à mort
d’un taureau) soulève plus les gens que la non-violence.
—
la
non-violence : inchangées. La non-violence reste l’arme d’une
élite. Je ne sais si je fais partie de l’élite!…
Car enfin, tout le monde (et je suis tout le monde) n’a pas la
force explosive, ni l’éducation, de la non-violence. On ne
s’improvise pas tellement non violent. On le devient, par une force
intérieure immense. Et cette force, je crains que tous nous ne
la possédions pas.
—
la
révolution : inchangées. Voir plus haut ma distinction
(personnelle et toute gratuite quant aux termes empruntés,
mais qui répond à ce que je pense, à ce que je
sens) entre révolution et seulement révolte.
J’ajouterai — et c’est bien le plus triste de ma lettre — que
je crains que (même si le monde ne peut plus être
absolument comme avant les événements de mai, même
si un effort de contestation permanente est fait très
légèrement par quelques-uns) pour la majorité
des gens qui se sentaient concernés en mai, petit à
petit, les vacances aidant, la révolution ne fasse que reculer
devant le besoin de confort moral et social. Je crains que l’on
s’endorme. Je crains que l’étudiant, après avoir
acquis une situation de cadre, oublie. Je crains qu’un jour
prochain d’anciens étudiants ne se retrouvent et qu’ils
n’évoquent leurs souvenirs d’antan, leurs souvenirs des
barricades, en se disant : « Dis donc, tu te souviens… Que nous
étions jeunes à l’époque ! » Je crains que
le travailleur, lui aussi, n’évoque ses souvenirs — comme
mon père évoquait, avec ses amis du même âge,
leurs souvenirs communs de la guerre 14 – 18.
Je
crains ce qui s’est passé après, la période de
grèves des années qui suivirent la Seconde Guerre
mondiale : aux premières grèves, tous en étaient.
On faisait grève de façon illimitée. On luttait,
ensemble, et tous. On faisait grève souvent, même. Et
puis, un jour, durant cette fameuse IVe République, les
copains, petit à petit, en eurent marre, de faire grève.
Alors, les grèves furent plus courtes et moins suivies. Et
puis, un jour, toujours sous la IVe, on ne fit plus grève. On
retrouva son confort. Moral comme matériel. On était
fatigué de revendiquer. Alors on n’a plus revendiqué.
Et de ça, de cette fatigue, de cette désaffection, j’en
ai une peur bleue.
J.
M.
…
J’ai eu peur du chômage…
Je
n’ai pas participé aux événements de mai, le
chantier où je me trouvais, Grenoble, fonctionnait, et refuser
de travailler durant cette période m’aurait valu le
licenciement sous un prétexte quelconque : l’année
dernière, j’ai été en chômage — j’ai
eu peur du chômage.
Mais
si la grève avait continué j’aurais fait la grève,
car au bout de deux mois de grève, la guerre civile, à
mon avis, aurait débuté. Je crois que la nouvelle
génération sent en elle un besoin de sécurité,
de justice, d’égalité ; en un mot, elle souhaite que
le soleil brille pour tout le monde, et non pour quelques
privilégiés.
Je
ne sais pas si un jour une société libertaire se
créera, il est possible que cela n’arrive jamais, mais ce
que je sais, c’est qu’il est possible de la créer.
Nous
avons eu raison d’écrire dans « Quelques données
fondamentales » : « De toute façon devant le
gigantisme actuel des forces répressives et la mise en
condition psychologique, la violence insurrectionnelle paraît
impuissante…» Il me semble que les événements
de mai ont donné raison à ce paragraphe.
Je
crois que pour celui qui désire œuvrer pour un socialisme qui
soit au service de l’individu, l’action non violente est l’unique
moyen d’y parvenir.
Certes
la révolution est nécessaire, mais en employant des
moyens non sanglants, en respectant la vie de l’adversaire et, si
nous gagnons, en sauvegardant sa dignité d’homme.
Je
ne pense pas que « le mouvement se continue et qu’il puisse
reprendre prochainement avec vigueur ». A Grenoble, lorsque nous
faisions des retouches à la cité olympique, il nous
arrivait de travailler dans des appartements déjà
habités, tous les gens avec qui nous bavardions ont subi la
grève, mais trouvaient qu’elle ne servait pas à
grand-chose. Sur le chantier de Marseille où je me trouve, les
ouvriers qui ont fait grève (maçons, électriciens,
plombiers, etc.) regrettent car ils ne peuvent pas prendre de congés,
et lorsque je leur demande s’ils sont prêts à refaire
la même chose dans quelques mois, ils me demandent si je rigole
ou quoi…
Donc
s’il y avait un essai de reprise du mouvement, ce ne serait que le
fait d’étudiants et de quelques minorités
révolutionnaires. Je doute fort que les syndicats et les
ouvriers recommencent…
R.
N.
…
individualiste libertaire…
J’ai
participé aux événements de mai à la
Faculté des sciences de Marseille, c’est-à-dire
quasiment rien fait.
Étant
individualiste libertaire, je me suis posé la question de la
participation ; en fait, j’ai suivi uniquement pour faire de la
propagande, mais sans croire à une issue valable. De plus,
j’ai voulu voir, et je suis monté à Paris pour cela,
le déroulement d’une « révolution ». Ce que
j’ai vu m’a confirmé dans mes appréhensions.
Par
contre, j’ai beaucoup apprécié les mobiles
inconscients ou à demi conscients du mouvement car je pense
que la société actuelle doit obligatoirement provoquer
des explosions contre son étouffement (ce qui me fait penser
que l’individualisme doit se développer puis rester
parallèle aux structures oppressives).
P.
J.
…
discussion à partir du drapeau noir…
Ma
participation aux « événements » a été
fonction à la fois de mon engagement, antérieur et de
ma situation géographique.
En
effet, depuis de nombreuses années, je travaille dans le cadre
de l’UNEF, d’une part, et dans les milieux libertaires, d’autre
part.
J’ai
donc été tout naturellement conduit à agir en
mai et juin dans le cadre du mouvement étudiant tout en
restant en contact le plus fréquemment possible avec les
autres anarchistes limougeauds (nous avons eu pendant les mois de mai
et juin des réunions hebdomadaires du groupe libertaire et
nous nous retrouvions souvent dans la semaine à des
manifestations, réunions, etc.).
Le
fait que je sois à Limoges, où tout a été
calme, où les étudiants n’ont démarré
que trois semaines après Paris, où il n’y a pas eu de
flics et donc pas de troubles, a contribué à rendre mon
activité très différente de ce qu’elle aurait
pu être à Paris.
Pratiquement,
le mouvement a permis un regain très net d’importance et
d’influence de l’UNEF à Limoges ; l’AGEL périclitait
depuis de nombreuses années, et à la faveur du
mouvement de mai a pu retrouver une audience et une activité
longtemps en sommeil : que les examens n’aient pu avoir lieu malgré
la volonté de l’administration et des enseignants de les
faire passer est une victoire pour nous (Limoges compte peu
d’étudiants, 3.000 environ, pour 120000 habitants). Surtout,
nous avons pu défendre, ce que nous n’aurions jamais osé
faire avant, des positions révolutionnaires dans le cadre de
l’UNEF, en disant clairement que notre but, au-delà de la
réforme de l’université, était avant tout le
changement de société et la lutte contre la société
capitaliste. L’ambiance « révolutionnaire »
aidant, nous avons pu entrer en contact avec beaucoup de personnes
qui n’auraient pas été réceptives dans une
autre situation, mais qui, en fonction des événements,
cherchaient à comprendre. J’ai ainsi pu expliquer à
des étudiants, mais aussi à des ouvriers ou des
enseignants ce qu’est l’anarchisme (j’ai participé aux
manifestations du 13 mai et du 1er juin avec un drapeau
noir, et beaucoup de personnes ont entamé la discussion a
partir de cette question du drapeau). C’est par exemple moi qui ai
rédigé un tract concernant les élections, au nom
de l’AGEL ; j’ai présenté un débat organisé
sur ce thème et je n’ai pas manqué de me présenter
comme anarchiste […].
Actuellement,
depuis un mois environ, un comité ouvriers-étudiants a
commencé à fonctionner. Pour l’instant, c’est assez
limité mais je crois que c’est une forme d’organisation
qui peut être très intéressante ; d’ailleurs
elle fait déjà peur puisque j’ai été
« interviewé » à ce sujet par les
Renseignements généraux où j’ai été
menacé d’être déplacé de Limoges si je
continuais à « me mettre en vedette ». On retrouve
dans ce comité ouvriers-étudiants la plupart des
militants du groupe libertaire (ouvriers et étudiants), des
gens du PSU et quelques autres sans appartenance politique précise,
mais écœurés par l’attitude de la CGT et du PC au
cours des événements.
L’existence
de ce comité me semble bien illustrer une des premières
leçons que je tire des événements que nous
venons de vivre : la possibilité de collaborer sur des points
précis avec des gens qui ne sont pas anarchistes mais peuvent
être d’accord pour agir dans une large mesure avec nous.
Ce
ne me semble pas être propre au plan local ; à Paris,
bien sûr, le meilleur exemple en est le 22 mars, où la
JCR collaborait avec les anars et ensuite les très nombreux
comités de base ou comités de quartier, où
l’étiquette importait peu. Je crois qu’un accord assez
large peut se faire entre les « groupuscules », surtout à
la base (à Limoges, un ouvrier du PCMLF travaille
régulièrement avec nous).
Je
n’en veux pour preuve que la déclaration de Mury, publiée
dans « le Monde » il y a un mois environ, où il
expliquait que le mouvement de mai avait montré la caducité
de la conception du parti, avant-garde de la classe ouvrière,
et qu’on avait constaté au contraire que la spontanéité
révolutionnaire était bien préférable,
qu’il s’agissait donc avant tout de fédérer les
groupes de base. Pour moi, bien qu’évidemment cette
déclaration ne puisse être qualifiée
d’anarchiste, je considère qu’elle en recouvre un des
aspects et que je peux donc travailler avec des gars professant ce
point de vue.
La
seconde leçon des événements concerne l’action
anarchiste : il m’apparaît encore bien plus nettement qu’avant
que si nous voulons avoir une action efficace nous devons agir dans
le cadre des organisations syndicales existantes et utiliser toutes
les possibilités qui nous sont offertes d’exposer notre
point de vue (réunions, débats, etc.) sans nous replier
sur nous-mêmes et chercher à agir par l’intermédiaire
d’une organisation anarchiste quelconque. L’organisation
anarchiste doit être à usage interne (rencontres pour
échanger des points de vue et des expériences
différentes et dégager certaines conclusions), mais ne
pas être utilisée pour élargir notre audience ;
ainsi à Limoges, l’expérience que nous avons tentée
et qui consistait à mettre sur pied un « Cercle d’études
sociales Proudhon » a été un échec dans la
mesure où les conférences et les débats que nous
avons organisés n’ont attiré que très peu de
personnes, alors que par notre activité de mai et juin, nous
en avons touché beaucoup plus, et plus profondément.
Je
crois que notre tâche maintenant est de travailler dans le
cadre des groupes de base formés un peu partout (à
Limoges, comité ouvriers-étudiants) dans lesquels nous
pourrons avoir une action tendant à faire prendre conscience
aux gens de l’aliénation dont ils sont l’objet et où
nous pourrons populariser les idées-forces qui sont les nôtres
et qui sont revenues au premier plein de l’actualité, que ce
soit la lutte contre l’autoritarisme sous toutes ses formes, la
grève générale (que l’on tendait à
présenter comme périmée et impossible de nos
jours) etc.; le terrain est d’autant plus favorable qu’il y a une
certaine frange de syndicalistes ou d’autres individus qui ont été
écœurés par l’attitude du PC et de la CGT. Il s’agit
pour nous d’exploiter ce mécontentement.
Le
problème de la violence m’était toujours apparu, et
m’apparaît encore plus aujourd’hui, comme un peu
secondaire, bien qu’il me semble logiquement qu’il soit
impossible d’établir par la violence une société
libertaire. Mais dans la mesure où elle n’est pas choisie
par les révolutionnaires, et où elle est imposée
par le pouvoir, qui découvre ainsi sa nature répressive,
il me paraît assez difficile de réagir autrement. Bien
sûr, l’idéal serait que puissent être mises au
point des techniques non violentes de résistance à la
répression, mais cela me paraît difficile à
établir et surtout à faire mettre en pratique par une
masse non avertie.
Je
signale au passage que si je suis objecteur de conscience, c’est
plus parce que l’armée représente le lieu d’élection
de l’autorité hiérarchisée et de la
réification de l’homme (réduit à l’état
de machine), et parce que c’est le moyen qui permet à l’État
d’exister, que pour mes convictions non violentes, qui ne sont
malgré tout pas absentes.
J.-F.
P.