La Presse Anarchiste

Les systèmes parlementaires, théorie et pratique

Les premières assemblées

Sur
400.000 Athé­niens, 40.000 étaient citoyens et avaient
accès à l’As­sem­blée (Eccle­sia), mais il n’y eut
jamais plus de 6.000 pré­sents. Res­taient en fait hors de la
démo­cra­tie : 34.000 citoyens, 90.000 femmes et enfants, 70.000
étran­gers (Métèques) et 200.000 esclaves.

À
Rome seules les familles patri­ciennes étaient représentées
au Sénat et le peuple n’ar­ra­cha une représentation
sépa­rée qu’au prix d’une lutte reven­di­ca­tive séculaire
(retraite sur l’A­ven­tin, etc.); mais alors une nou­velle divi­sion en
classes sociales était apparue…

De
même les répu­bliques urbaines médiévales
furent gou­ver­nées par des assem­blées patriciennes
contre les­quelles les tra­vailleurs se sou­le­vaient par­fois (sur­tout au
XIVe siècle avec Jacques d’Ar­te­velde à Gand,
Michel Lan­do à Flo­rence, etc.)

Les
pre­mières véri­table démo­cra­ties d’Eu­rope citées
comme seules « démo­cra­ties directes » furent les
can­tons suisses dont tous les habi­tants (sauf les femmes il est vrai)
se réunirent eux-mêmes en Assem­blée : Le
Landsgemeinde.

L’ancien régime

Ailleurs
la socié­té féo­dale conti­nuait la tra­di­tion des
tri­bus guer­rières nomades ger­ma­niques où l’assemblée
des hommes libres éli­saient le chef. Les autres hommes
(esclaves, serfs…) n’ayant évi­dem­ment pas voix au chapitre.
Ain­si furent suc­ces­si­ve­ment élus par l’as­sem­blée du
« peuple » c’est-à-dire des vas­saux, les fondateurs
des dynas­ties fran­çaises : Clo­vis, Pépin le Bref, Hugues
Capet, Phi­lippe de Valois. Une fois ins­tal­lée chaque famille
régnante s’ar­ran­geait pour ins­tau­rer en fait l’hérédité,
mais ne pou­vait se pas­ser de la consul­ta­tion théo­rique des
vas­saux. Le monarque conser­vait en outre à ses côtés
une « Curia Regis » (Cour du Roi) d’où naquit le
Par­le­ment ; en France, simple tri­bu­nal supé­rieur ayant à
enre­gis­trer les ordon­nances royales. Les par­le­men­taires : Nobles ou
grands bour­geois enno­blis ne repré­sen­taient aucu­ne­ment le
peuple et au contraire étaient jalou­se­ment atta­chés à
leurs pri­vi­lèges. Ils s’op­po­sèrent néanmoins
par­fois au pou­voir royal sur­tout au moment de la Fronde (1648) et à
la veille de la Révo­lu­tion fran­çaise, prétendant
jouer chaque fois un rôle sem­blable à celui du
Par­le­ment anglais dont l’o­ri­gine était toute autre.

Beau­coup
plus repré­sen­ta­tifs étaient les États
Pro­vin­ciaux et, à par­tir du XIVe siècle, les
États Géné­raux, com­po­sés de députés
des trois Ordres : Cler­gé, Noblesse, Tiers État.

La
guerre de 100 ans faillit à plu­sieurs reprises faire des États
Géné­raux un véri­table pou­voir per­ma­nent et
indé­pen­dant car, l’im­pôt n’é­tant pas encore créé,
le pou­voir royal serait mort faute de res­source. Au moins deux
ten­ta­tives de limi­ter étroi­te­ment la monar­chie furent près
de réus­sir défi­ni­ti­ve­ment : celle d’Étienne
Mar­cel et de la grande Ordon­nance de 1357, celle de l’Ordonnance
cabo­chienne et de la prise de la Bas­tille de 1413.

Les
États Géné­raux avaient été réunis
une dou­zaine de fois au XIVe siècle, autant au XVe,
ils le furent seule­ment 5 fois au XVIe. Leur majorité
catho­lique deve­nait net­te­ment anti­roya­liste et régi­cide en
face d’un roi pro­tes­tant ! Puis, ils ne furent plus convoqués
qu’en 1614 et. en 1789, pour se trans­for­mer d’eux-mêmes en
Assem­blée Natio­nale Constituante.

La mère des parlements

Alors
qu’en France la monar­chie put au long des siècles affer­mir son
auto­ri­té en s’ap­puyant tan­tôt sur les ordres
pri­vi­lé­giés, tan­tôt sur la bour­geoi­sie, il n’en
fut pas de même en Angle­terre, où, Noblesse et
Bour­geoi­sie sur­ent oppo­ser un front uni aux empiètements
monar­chiques. À la faveur de guerres rui­neuses menées
en France par Jean sans Terre les barons anglais obte­naient en 1215
la grande Charte « Magna Car­ta » qui ins­tau­rait le « Conseil
com­mun du Royaume » sans l’ap­pro­ba­tion de qui aucun impôt
ne pou­vait être levé. La noblesse anglaise dut lutter
encore 50 ans avant que la monar­chie ne recon­naisse définitivement
les réformes (Sta­tuts d’Ox­ford de 1258). En 1265, s’étant
adjoint les repré­sen­tants de la bour­geoi­sie, le premier
Par­le­ment se réunit, qui se com­po­se­ra doré­na­vant de
deux chambres : celle des Lords (noblesse – Cler­gé) et celle des
Com­munes (bour­geoi­sie).

Quatre
siècle plus tard. une ultime épreuve de force oppose la
monar­chie, qui veut ins­tau­rer l’ab­so­lu­tisme, et le par­le­ment. Ce
der­nier en sor­ti­ra vain­queur à la suite des révolutions
de 1648 et 1688 et de la pro­mul­ga­tion de l’Ha­beas Cor­pus 1679 et de
la Décla­ra­tion des Droits de 1689.

Au
XVIIIe siècle, la dynas­tie de Han­novre se
dés­in­té­res­sant des affaires anglaises, on voit
appa­raître le deuxième organe du régime
par­le­men­taire : le Cabi­net, c’est-à-dire un conseil de
ministres déli­bé­rant sans le chef de l’É­tat et
peu à peu res­pon­sable devant le Par­le­ment seul.

Au
XIXe siècle, le régime conti­nue à se
démo­cra­ti­ser sous la pres­sion de l’o­pi­nion publique, des
mani­fes­ta­tions de masse par­fois vio­lentes, des cam­pagnes de presse et
des mee­tings. Par contre­coup de la révo­lu­tion pari­sienne de
1830, une pre­mière loi de réforme en 1832 annonce une
exten­sion du droit de vote – alors réser­vé à
une mino­ri­té – vers le suf­frage uni­ver­sel définitivement
acquis en 1928 par la lutte des suf­fra­gettes. Entre temps (1911) la
chambre des Lords avait per­du tout pouvoir.

Au
terme d’une évo­lu­tion sécu­laire l’An­gle­terre a ain­si vu
se créer un régime consi­dé­ré comme le
modèle du par­le­men­ta­risme. Sys­tème constitutionnel
fon­dé sur deux organes déco­ra­tifs : le chef de l’État
et la Chambre Haute, et. deux organes de gou­ver­ne­ment : la Chambre
Basse et le Cabi­net. Mais en fait sys­tème repo­sant entièrement
sur l’exis­tence de par­tis poli­tiques au nombre de deux, aptes en tout
temps à se relayer au pou­voir, et, sur la per­ma­nence d’un
régime élec­to­ral unique (suf­frage d’arrondissement
majo­ri­taire à un tour) per­met­tant de déter­mi­ner une
majo­ri­té dès l’é­lec­tion pour toute la
légis­la­ture. Ces par­tis furent suc­ces­si­ve­ment au
XVIIe:cava­liers et têtes rondes, au XIXe :
conser­va­teurs et libé­raux, au XXe : conser­va­teurs et
tra­vaillistes. Le sys­tème s’est per­fec­tion­né au point
que lorsque l’un est au pou­voir l’autre s’ap­prête à.
L’être : au Pre­mier Ministre répond le Chef de
l’Op­po­si­tion et le Cabi­net est dou­blé par le Cabi­net fantôme
du par­ti adverse dont cha­cun connaît les membres. Aujourd’hui
le par­ti conser­va­teur est le porte-parole de la bourgeoisie
capi­ta­liste tra­di­tion­nelle tan­dis que le par­ti socia­liste est celui
de la bour­geoi­sie moderne et du haut per­son­nel de l’É­tat et
des syn­di­cats. Le pre­mier jouit de l’ap­pui sans réserve de la
grande finance, et l’autre des caisses syn­di­cales (6.000.000 de
coti­sants). L’un se fait sur­tout pas­ser pour l’a­vo­cat des classes
moyennes plé­tho­riques et l’autre pour celui des travailleurs.

Le
théo­ri­cien tra­vailliste Las­ki a énon­cé que « la
grande carac­té­ris­tique de la période précédente
a été la capa­ci­té géné­rale de
chaque par­ti d’ac­cep­ter sans grande dif­fi­cul­té la législation
de son pré­dé­ces­seur parce qu’elle ne trou­blait pas les
fon­da­tions de l’État. »

Avec
les natio­na­li­sa­tions en série et les dénationalisations
nous sommes peut-être entrés dans une autre période.

Quoi­qu’il
en soit on s’est atta­ché dans de nom­breux pays, principalement
de Scan­di­na­vie et du Béné­lux à repro­duire le
sys­tème bri­tan­nique, en essayant même de le parachever.
Ain­si le Dane­mark vient de sup­pri­mer car­ré­ment la Chambre
Haute. Seul le régime bipar­tite n’a pu être obte­nu avec
autant de per­fec­tion et la mul­ti­pli­ci­té des par­tis entraîne
un jeu déjà plus com­pli­qué de coa­li­tions. En
France ce fut une toute autre affaire.

La copie française

L’his­toire
du Par­le­ment fran­çais est l’his­toire de tentatives
innom­brables pour copier le sys­tème anglais. Depuis
Mon­tes­quieu et son « Esprit des Lois ». où il
démarque l’An­glais Locke, Vol­taire et ses « Lettres
phi­lo­so­phiques » où il fait l’a­po­lo­gie de l’Angleterre,
les théo­ri­ciens conservent les yeux bra­qués vers
l’autre côté de la Manche.

Rous­seau
annonce plus les grandes ques­tions révo­lu­tion­naires et sent
par­fois l’im­por­tance de la dupe­rie par­le­men­taire. Aus­si dit-il : « Les
dépu­tés du peuple ne sont donc, ni ne peuvent être
ses repré­sen­tants, ils ne sont que ses com­mis­saires : ils ne
peuvent rien conclure défi­ni­ti­ve­ment » (Contrat social –
III, 15) ou « du moment qu’un peuple se donne des représentants
il abdique sa liberté ».

La
Révo­lu­tion allait confir­mer ces craintes. Les députés
des États Géné­raux avaient été
élus à un suf­frage com­pli­qué (indi­rect et par
ordres) mais du moins uni­ver­sel. Une fois qu’ils se furent proclamés
consti­tuants, et qu’ils eurent abo­li les ordres privilégiés
ils mirent au point (Consti­tu­tion de 1791) un sys­tème non
moins indi­rect et sur­tout où seuls les riches votaient
(suf­frage cen­si­taire). Ain­si fut dési­gnée la
Légis­la­tive. Son règne fut court car un facteur
extra-par­le­men­taire per­tur­ba le sys­tème. Le peuple parisien
par les jour­nées révo­lu­tion­naires du 20 juin et du 10
août 1792 l’ef­fa­ça, ins­tal­lant la Com­mune de Paris à
la place de la monar­chie consti­tu­tion­nelle et plou­to­cra­tique. La
Conven­tion élue sur ces entre­faites res­te­ra la seule
expé­rience de Suf­frage Uni­ver­sel jus­qu’en 1848. Le peuple de
Paris va s’u­ser contre elle. Par les jour­nées des 31 mai et 2
juin 1793 il pro­voque la chute des Giron­dins. Par celles des 4 et 5
sep­tembre 1793 il par­vient à sti­mu­ler un peu les Montagnards.
Mais ceux-ci avec Robes­pierre com­prennent où est le danger :
Ils retournent le Ter­reur contre les « Sans-Culotte ». Les
« Enra­gés » sont aus­si­tôt arrêtés
(J. Roux, Var­let en sep­tembre 1793). Puis ce sera un jeu de décapiter
la Com­mune et les Sec­tions et de liqui­der les Hébertistes
(mars 1794). La Conven­tion gagne sur toute la ligne, elle n’a plus en
ther­mi­dor (juillet 1794) qu’à se débar­ras­ser de
Robes­pierre et des autres révo­lu­tion­naires qui ont fait le lit
de la bour­geoi­sie. Désor­mais le Par­le­ment est tout puis­sant et
ne se lais­se­ra plus dic­ter son action par le peuple. Les derniers
sur­sauts popu­laires des 12 ger­mi­nal et 1 prai­rial (avril-mai 1795 ),
lui font quand même tel­le­ment peur qu’il envoie l’armée
répri­mer et désar­mer les tra­vailleurs des Faubourgs.

Désor­mais
les bases du sys­tème. sont solides : une bour­geoi­sie nan­tie et
vic­to­rieuse ser­vie par un per­son­nel par­le­men­taire expérimenté,
les conven­tion­nels. Ces der­niers à tra­vers tous les
tâton­ne­ments super­fi­ciels du régime (Direc­toire,
Consu­lat, Empire, Res­tau­ra­tion, Monar­chie de juillet, etc.) resteront
en place tant qu’ils vivront et se per­pé­tue­ront par ces
fameuses dynas­ties bour­geoises qui gou­vernent encore en France.


À tra­vers toutes les consti­tu­tions et chartes (Ans III, VIII,
X, XII, 1814, 1815, 1830, 1848, 1852, 1870, 1875, 1946) prennent
défi­ni­ti­ve­ment tour­nure les ins­ti­tu­tions actuelles sous
dif­fé­rentes déno­mi­na­tions successives.


Un exé­cu­tif ini­tia­le­ment col­lé­gial (Direc­teurs,
Consuls) rapi­de­ment réduit un chef de l’É­tat (Ier
Consul, Empe­reur, Roi, Pré­sident, Empe­reur, Président)

—Un
légis­la­tif composé.

a)
d’une Chambre basse (Conseil des 500, Corps législatif
dédou­blé du Tri­bu­nat, puis seul, Chambre des
repré­sen­tants, des dépu­tés, Assemblée
légis­la­tive, Corps légis­la­tif, Chambre des députés)
élue de plus en plus « démo­cra­ti­que­ment » et
drai­nant tout le pouvoir.

b)
d’une Chambre haute : (Conseil des anciens, Sénat,
Chambre des Pairs, Sénat, Conseil de la République)
élue ou dési­gnée de façon à être
plus réac­tion­naire et à frei­ner toutes les mesures de
réforme.

c)
d’une Chambre admi­nis­tra­tive : Le Conseil d’État,
ins­ti­tu­tion tel­le­ment solide qu’on ne prend presque plus la peine de
la citer dans les textes consti­tu­tion­nels et qu’elle fonc­tion­na même
sous l’oc­cu­pa­tion nazie.

Au
cours du XIXe siècle se dégage empiriquement
un gou­ver­ne­ment de Cabi­net res­pon­sable devant le Par­le­ment. Un
pre­mier ministre tend à appa­raître, pre­nant le nom de
Pré­sident du Conseil : même pas mentionné
dans la consti­tu­tion de 1875, il n’au­ra d’exis­tence légale que
dans celle de 1946.

Au
XXe siècle, les par­tis structurés,
maîtres des élec­tions, prennent la place des simples
« groupes par­le­men­taires » fluc­tuants auxquels
s’ins­cri­vaient chaque année les dépu­tés après
l’é­lec­tion. L’exis­tence consti­tu­tion­nelle des groupes
par­le­men­taires date aus­si de 1946, celle des par­tis n’a pas encore vu
le jour.

La
mul­ti­pli­ci­té des par­tis est soi­gneu­se­ment entre­te­nue par
l’i­nexis­tence d’un sys­tème élec­to­ral fixe. Chaque
assem­blée déci­dant par une nou­velle loi élec­to­rale
du mode de scru­tin de la sui­vante, visant ain­si à prévenir
tout chan­ge­ment d’é­qui­libre des majorités.

Le
régime par­le­men­taire est ain­si deve­nu le pou­voir poli­tique de
la majorité.

C’est
le prin­cipe de la volon­té de la majo­ri­té qui oblige le
Cabi­net à être « res­pon­sable » c’est-à-dire
à se démettre quand la majo­ri­té le veut. Or
cette majo­ri­té est assez mou­vante. Léon Blum dans « La.
Réforme gou­ver­ne­men­tale » a pu conclure « Le régime
par­le­men­taire c’est le régime des partis ».

On
voit que, copie batarde du modèle bri­tan­nique, le système
fran­çais a abou­tit à un résul­tat quelque peu
dif­fé­rent. C’est de là que sont par­tis les auteurs des
Consti­tu­tions euro­péenne d’a­près 1919 (Alle­magne,
Pologne, Tché­co­slo­va­quie, Pays Baltes, Grèce , etc.)
adop­tant la variante fran­çaise du régime parlementaire
(anglais) mais une variante sys­té­ma­ti­sée, dogmatisée,
« ratio­na­li­sée » comme dit le constitutionaliste
Mir­kine-Guet­ze­vitch qui en fut l’a­pôtre. La « rationalisation »
por­tant sur la façon de déter­mi­ner la « confiance »
envers le gou­ver­ne­ment sur l’i­ni­tia­tive et l’a­dop­tion des lois et
leur « navette » entre les deux Chambres. La Constitution
répu­bli­caine espa­gnole de 1931 était la dernière
œuvre en Europe de ce droit consti­tu­tion­nel nouveau.

Depuis
1945 d’autres consti­tu­tions, notam­ment celles des pays décolonisés,
conti­nuent cette filia­tion juri­dique. Et la Consti­tu­tion de la IVe
Répu­blique (1946) n’est à son tour qu’une variante
fran­çaise de la ratio­na­li­sa­tion ger­ma­nique ou let­tone ou
litua­nienne. Que de belles œuvres si pures de toute contingence
sociale et immor­telles dans les manuels de Droit !

Autres régimes

Tel
est le régime par­le­men­taire au sens strict : un Par­le­ment
gou­ver­nant par l’en­tre­mise d’un Cabi­net res­pon­sable devant un
chef du gou­ver­ne­ment (Pre­mier ministre, Pré­sident du
Conseil, Chan­ce­lier, etc.) dis­tinct du chef de l’État
(Pré­sident de la Répu­blique ou Monarque).

Cepen­dant
d’autres régimes existent dotés de Par­le­ment non moins
sou­ve­rains mais sans gou­ver­ne­ment res­pon­sable devant lui. Les
juristes ne leur donnent que par exten­sion le titre de régimes
parlementaires.

Ain­si
le sys­tème Pré­si­den­tiel des États-Unis
est fon­dé sur la plus vieille consti­tu­tion écrite
encore en vigueur dans le monde. Un Pré­sident, chef à
la fois de l’É­tat et du gou­ver­ne­ment, élu par le
peuple, désigne les ministres res­pon­sables devant lui seul et
non devant le par­le­ment (le Congrès). Les deux pouvoirs,
légis­la­tif et exé­cu­tif, sont égaux et
indé­pen­dants. Ce sys­tème, fon­dé sur un exécutif
mono­cra­tique et la sépa­ra­tion rigou­reuse des pou­voirs, a
exer­cé un grand rayon­ne­ment. On ne doit pas négliger
qu’il joue lui aus­si en fait sur l’al­ter­nance de deux par­tis se
chas­sant régu­liè­re­ment du pou­voir : cha­cun dès la
vic­toire, rem­pla­çant immé­dia­te­ment tout le personnel
admi­nis­tra­tif – jus­qu’au por­tier du minis­tère – par son
propre per­son­nel (« Spoil-Sys­tème » – Système
des dépouilles). Aucun n’é­tant par défi­ni­tion à
gauche ou à droite de l’autre : tout dépend des
« machines » locales pous­sant le candidat.

Ce
régime stable jus­qu’à pré­sent aux États-Unis
a, dans les pays où il fut trans­po­sé, don­né des
résul­tats tous dif­fé­rents en frayant la voie au
Cau­dillisme (en Amé­rique latine où il est la règle
géné­rale) au Bona­par­tisme (IIe République
en France.) et à l’Hit­lé­risne (Alle­magne de Weimar).
C’est ce régime « plé­bis­ci­taire » que le
Gaul­lisme a tou­jours appelé.

Autre
pos­si­bi­li­té : le sys­tème d’un exé­cu­tif col­lé­gial
asso­cié au gou­ver­ne­ment d’As­sem­blée. C’est celui de la
Suisse qui n’a ni Chef d’É­tat ni Cabi­net mais un Conseil
Fédé­ral de 7 membres élus pour la législative
et en fait réélus, cha­cun étant à la tête
d’un dépar­te­ment minis­té­riel, et exer­çant la
pré­si­dence à tour de rôle. Ce système
vient d’être adop­té par l’U­ru­guay, la plus pai­sible des
répu­bliques latino-américaines.

Les artifices parlementaires classiques

Toutes
les formes de régime repré­sen­ta­tif visent un même
but : amor­tir, assour­dir, détour­ner, émasculer,
cana­li­ser, la volon­té popu­laire. Les arti­fices les plus
gros­siers sont aban­don­nés (suf­frage restreint
cen­si­taire…). Mais d’autres sub­sistent plus sournois.
Prin­ci­pa­le­ment le suf­frage indi­rect, c’est-à-dire l’élection
à plu­sieurs degrés : citoyen éli­sant des délégués
à une assem­blée qui en élisent une autre et
ain­si de suite. C’est le sys­tème par exemple de l’élection
des séna­teurs par les délé­gués des
conseils muni­ci­paux – D’a­bord il per­met de mieux fil­trer l’opinion
en la fai­sant décan­ter par des élites (au sens propre
de col­lec­ti­vi­té. Élue) suc­ces­sives de plus en plus
res­treintes et en place dans l’ap­pa­reil admi­nis­tra­tif. Ain­si de nos
jours, les séna­teurs com­mu­nistes sont encore raris­simes du
fait qu’ils relèvent du seul par­ti d’op­po­si­tion, alors que les
radi­caux nour­ris dans le sérail ont un effec­tif pléthorique
(cinq fois plus nom­breux que les sta­li­niens!) – Ensuite le dosage
des dif­fé­rentes délé­ga­tions locales per­met de
gon­fler l’im­por­tance des petites muni­ci­pa­li­tés rurales aux
dépens des grosses agglo­mé­ra­tions ouvrières, et
des dépar­te­ments figés aux dépens de ceux qui
s’in­dus­tria­lisent. Ce prin­cipe appli­qué en France à
l’é­lec­tion des séna­teurs avait été
pous­sé. à son paroxysme dans la vieille Angle­terre avec
les « bourgs pourris ».

Le
Bica­mé­ra­lisme répond à la même
pré­oc­cu­pa­tion : à côté d’une Assemblée
que l’on craint trop sujette à reflé­ter l’opinion,
ins­tal­ler une seconde Assem­blée, dite de réflexion, que
l’on s’ef­for­ce­ra de gar­nir de per­son­nages plus conser­va­teurs par
toutes sortes de condi­tions de recrutement :


Suf­frage indi­rect autant que pos­sible avec représentation
rurale disproportionnée


Âge plus éle­vé voire chefs de famille


Dési­gna­tion d’of­fice « sur titre » : comme les Lords
anglais et une par­tie des séna­teurs des débuts de la
IIIe Répu­blique ou de l’I­ta­lie actuelle, etc., etc.

Cette
Chambre « haute » pour­ra peser de toute l’i­ner­tie de son
hono­ra­bi­li­té pour frei­ner le méca­nisme parlementaire.

Les
jus­ti­fi­ca­tions les plus cou­rantes du Bica­mé­ra­lisme seront
aus­si le Fédé­ra­lisme et la repré­sen­ta­tion des
Inté­rêts économiques.

Le
Fédé­ra­lisme c’est le pré­texte invoqué
pour créer une Chambre où toutes les par­ties du
Ter­ri­toire grandes ou petites, seront éga­le­ment représentées.
Ain­si cha­cun des États-Unis, quelle que soit son importance,
désigne deux séna­teurs. En France, le plus drôle
est que tous les régimes – à part celui de 1791 qui
ins­tau­ra une pro­fonde et vivante décentralisation
mal­heu­reu­se­ment éphé­mère – ayant ten­du de
toutes leurs forces à réduire à néant la
vie locale et à concen­trer le pou­voir à Paris, on
invoque quand même la « repré­sen­ta­tion des
col­lec­ti­vi­tés locales » pour main­te­nir les sénateurs.
Il est vrai que l’on se réfère à un fédéralisme
non moins inexis­tant pour créer une Assem­blée d’une
Union fran­çaise tout aus­si fantasamagorique.

La
repré­sen­ta­tion éco­no­mique a une autre histoire.
Le 14 mars 1920 les syn­di­cats alle­mands en décré­tant la
grève géné­rale brisent le putsch de Kapp. Pour
les remer­cier la Répu­blique de Wei­mar ins­ti­tue, le 4 mai, un
Conseil Éco­no­mique à la place du Conseil Économique
d’Em­pire pré­vu par la Consti­tu­tion de 1918 mais jamais créé.
Repré­sen­tants des syn­di­cats et du par­ti pour­ront y enta­mer la
solide col­la­bo­ra­tion qui les lie­ra conjoin­te­ment à l’État.

En
1936 en France le gou­ver­ne­ment de Front Popu­laire trans­forme le
Conseil Natio­nal Éco­no­mique créé en 1925 auprès
du gou­ver­ne­ment et en fait un organe presque par­le­men­taire. La
Consti­tu­tion de 1946 consacre défi­ni­ti­ve­ment son rôle
légis­la­tif : les délé­gués des syndicats
pré­ten­dus « repré­sen­ta­tifs » y feront en
toute léga­li­té l’ap­pren­tis­sage du pou­voir et de la
ges­tion loyale de l’é­co­no­mie capitaliste.

La classe des politiciens professionnels

La
consé­quence la plus impor­tante du régime parlementaire
est la créa­tion d’un per­son­nel poli­tique per­ma­nent et
spé­cia­li­sé. Ce per­son­nel, à une cer­taine époque,
a pu être consti­tué essen­tiel­le­ment d’individus
for­tu­nés, direc­te­ment liés au monde des affaires
(avo­cats…), il fait de plus en plus place en son sein à de
nou­veaux venus. Ceux-ci ne peuvent par­ve­nir que par leur appartenance
à un par­ti orga­ni­sé natio­na­le­ment pour la conquête
du pou­voir et dis­po­sant déjà de nom­breux postes
admi­nis­tra­tifs et fonc­tions élec­tives dans tout l’appareil
éta­tiste ou paraé­ta­tiste. L’é­lec­teur n’a pas le
choix entre des hommes et des opi­nions mais entre différentes
hié­rar­chies plus ou moins occultes des­ser­vant des intérêts
pré­cis et cor­res­pon­dant plus ou moins à des
appel­la­tions conven­tion­nelles, C’est ain­si que nous avons en France
actuellement :


les can­di­dats du Capi­tal, de la droite aux radi­caux, sans que les
divi­sions réelles en groupes ban­caires cor­res­pondent aux
déno­mi­na­tions des partis.


les can­di­dats d’une frac­tion du haut per­son­nel d’É­tat et des
syn­di­cats liés au régime, allant de cer­tains radicaux
aux socia­listes, orga­ni­sés sui­vant les différentes
franc-maçon­ne­ries qui les lient d’autre part aux représentants
du capital.


enfin les can­di­dats d’une autre frac­tion du per­son­nel étatiste
et syn­di­cal hié­rar­chi­sée par le par­ti communiste

À
quelque ten­dance qu’ils appar­tiennent et quelle que soit leur origine
sociale pre­mière ils forment tous un même milieu social
ayant au fond. des réac­tions, des ambi­tions simi­laires et par
suite des inté­rêts com­muns. C’est une classe de
ges­tion­naires de l’É­tat. La plu­part aban­donnent définitivement
tout tra­vail pro­duc­tif et, sim­ple­ment toute autre pro­fes­sion. Ils
font car­rière. Qu’im­porte s’ils sont bat­tus à des
élec­tions, le par­ti ou le grou­pe­ment les recase ailleurs dans
un des fro­mages qu’il s’est taillé dans l’É­tat, le
Par­le­ment, les Conseils géné­raux, muni­ci­paux, les.
Comi­tés d’En­tre­prise et les mul­tiples ins­ti­tu­tions syndicales
ou par­ti­sanes nour­ris­sant leurs « per­ma­nents ». Exemples
récents : André Phi­lip ou Rama­dier n’ont-ils pu se faire
réélire dépu­tés dans des départements
où la clien­tèle socia­liste est en baisse ? La S.F.I.O.
bom­barde le pre­mier au Conseil éco­no­mique, et le second au
Pool Char­bon Acier. Exemples aus­si des députés
com­mu­nistes para­chu­tés dans les Comi­tés d’Entreprise
des grandes socié­tés nationalisées.

Ce
que pré­voyaient les pen­seurs anar­chistes est démontré
main­te­nant dans tous les pays : Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir
de dépu­té ouvrier ; mais sim­ple­ment des hommes qui ont
ces­sé d’être ouvriers et de ser­vir la classe ouvrière
pour deve­nir des bour­geois et des ser­vi­teurs des différents
appa­reils du régime capi­ta­liste. Ceux qui ont encore
l’illu­sion de mettre l’É­tat au ser­vice du prolétariat
ne font, au plus, que l’ap­pren­tis­sage de la bureau­cra­tie avec la
béné­dic­tion de la bour­geoi­sie. Le régime
par­le­men­taire finit par assi­mi­ler tous ceux qui sont venus faire de
l’op­po­si­tion en son sein. Il a besoin de renou­ve­ler son personnel,
son voca­bu­laire, de ren­for­cer son emprise sur le peuple, son pouvoir
de mystification.

Du parlementarisme au fascisme

Les
mou­ve­ments fas­cistes, théo­ri­que­ment antiparlementaires,
n’é­chappent pas à la règle. Beau­coup d’entre eux
sont ava­lés par le régime qu’ils vou­laient renverser.
Dès qu’ils sont élus au Par­le­ment, leur hostilité
vis-à-vis de ce qu’ils appellent le « système »
com­mence à décroître, et, plus ils ont de députés
plus ils deviennent acco­mo­dants, puis ils par­ti­cipent aux majorités
puis aux gou­ver­ne­ments. Ain­si en fut-il en .France suc­ces­si­ve­ment ces
der­nières années des par­tis gaul­liste (R.P.F.) et
pou­ja­diste (U.D.C.A.). Les dépu­tés de ces par­tis, à
l’o­ri­gine farou­che­ment hos­tiles au sys­tème par­le­men­taire, se
sont lais­sé gagner indi­vi­duel­le­ment, puis par groupe, puis
tous ensemble par l’at­trait par­ta­ger le pou­voir et de pro­fi­ter de ses
bien­faits. Encore peut-on dire qu’ils se soient progressivement
déna­tu­rés, et qu’en deve­nant par­le­men­taires et
gou­ver­ne­men­taux ils aient ces­sé d’être fas­cistes. En
d’autres occa­sions on vit, au. lieu de fas­cistes se ral­liant au.
Par­le­ment bour­geois, ce der­nier se ral­lier au. Fascisme.

Que
ce soit en Ita­lie, en Alle­magne ou en France les chefs d’état
fas­cistes ont été por­tés léga­le­ment au
pou­voir par les par­le­ments démo­cra­tiques. Cer­tains comme
Mus­so­li­ni, Hor­ty ou Per­on ont conti­nué long­temps à
gou­ver­ner avec le Parlement.

Les
régimes fas­cistes ont par­fois même vou­lu créer
leur Par­le­ment, comme les Cor­tès fran­quistes ou le Conseil
Natio­nal de Pétain. Il y eut au. moins un dic­ta­teur renversé
par l’or­gane de son régime : Mus­so­li­ni par le Grand Conseil
Fasciste.

S’il
est bien évident que le tota­li­ta­risme fas­ciste suppose
l’a­bou­tis­se­ment au régime du par­ti unique, il n’en reste pas
moins que de nom­breuses variantes ou tran­si­tions sont possibles
menant insen­si­ble­ment de la démo­cra­tie bour­geoise à la
dic­ta­ture. Et l’on peut se deman­der où en est la France :
démo­cra­tique chez elle, fas­ciste en Algérie.

Enfin
le jeu des alliances inter­na­tio­nales est tel que dans la dernière
« guerre du droit et de la liber­té » on a va en
pleine Europe occu­pée par les troupes alle­mandes, un pays
comme le Dane­mark pro­cé­der à ses élections
par­le­men­taires les plus régu­lières (où le parti
nazi ne recueillait qu’un pour­cen­tage infime des voix). À la
même époque la Fin­lande, alliée de l’Allemagne,
res­tait une démo­cra­tie bour­geoise avec comme pre­mier ministre
le chef du par­ti socia­liste, tan­dis que du côté des
grandes démo­cra­ties anglo-saxonnes com­bat­taient plusieurs
dic­ta­tures lati­no-amé­ri­caines (sans comp­ter Chang Zai Chek et
Staline).

Régimes parlementaires marxistes

Il
est curieux de consta­ter com­ment le régime bol­che­viste, tout
en s’ac­com­mo­dant au mieux de la liqui­da­tion sou­daine (jan­vier 1918)
de l’As­sem­blée consti­tuante (démo­cra­tie représentative)
comme de celle plus lente des soviets (démo­cra­tie directe
pro­lé­ta­rienne), a visé à copier peu à peu
le régime par­le­men­taire le plus traditionnel.

Par
les deux consti­tu­tions léni­nistes de 1918 et 1924, le terme de
soviet per­dait tout son sens de « Conseil des ouvriers, des
pay­sans et des sol­dats » pour deve­nir syno­nyme de toute
assem­blée : du Conseil muni­ci­pal au Par­le­ment. Fina­le­ment on
est venu à pré­sen­ter la révo­lu­tion comme
consis­tant à ins­tal­ler un « vrai » Par­le­ment, un.
régime par­le­men­taire « juste », comme si les
ins­ti­tu­tions de la démo­cra­tie bour­geoise pou­vaient simplement
fonc­tion­ner hon­nê­te­ment au ser­vice du peuple. Cette prétention
à réa­li­ser le rêve des bour­geois du XIXe
est bien carac­té­ris­tique des bureau­crates sta­li­niens du XXe.

La
troi­sième consti­tu­tion de 1936, la consti­tu­tion « stalinienne »
de l’U.R.S.S. orga­nise deux Assem­blées com­po­sant le Soviet
Suprême, un Pré­si­dium col­lé­gial et un Conseil des
Ministres. Cha­cun sait que ce par­le­men­ta­risme « le plus
démo­cra­tique du monde » est de pure forme. La
consti­tu­tion elle-même, en son article 126, caractérisant
le par­ti com­mu­niste comme le « noyau diri­geant de toutes les
orga­ni­sa­tions de tra­vailleurs, aus­si bien des orga­ni­sa­tions sociales
que des orga­ni­sa­tions d’É­tat » on est implicitement
pré­ve­nu que la véri­table orga­ni­sa­tion du pou­voir est
celle du Par­ti et non de l’Ét­tat. Il n’est pas besoin
d’é­pi­lo­guer sur la façon dont ce par­ti a éliminé
les autres par­tis et for­ma­tions et com­ment en son sein même il
a détruit toute pos­si­bi­li­té de débat pour yoir à
quelle dis­tance nous sommes du régime par­le­men­taire, malgré
la figu­ra­tion main­te­nant tra­di­tion­nelle des « sans-Parti ».

Même
calque scru­pu­leux de la démo­cra­tie bour­geoise dans les
démo­cra­ties « popu­laires» ; seule différence :
après la fusion for­cée des ex-par­tis socia­listes avec
les par­tis sta­li­niens on a gar­dé l’ap­pa­rence de partis
bourgeois.

Ain­si
siègent aux côtés du P.C. chi­nois, la Ligue
Démo­cra­tique, le Kuo in Tang révo­lu­tion­naire et
d’autres for­ma­tions des­ti­nées à créer
l’im­pres­sion d’un « Front Popu­laire », d’un « Front
Natio­nal », d’un « Front Patriotique ».

En
Alle­magne de l’Est l’o­pé­ra­tion « sur­vie » des partis
poli­tiques a été menée de main de maître.
À côté des sque­lettes précieusement
conser­vés des par­tis chré­tien-démo­crate et
libé­ral-démo­crate deux autres ont sur­gi : Par­ti paysan
et Natio­nal-démo­crate fon­dés par deux anciens membres
du P.C. démis­sion­nés de leur fonc­tion à cet
effet. Ces quatre fan­tômes de par­tis visent à ral­lier au
régime cha­cun une caté­go­rie déter­mi­née de
la popu­la­tion croyants, bour­geois, ruraux et anciens militaires
sur­tout nazis et cha­cun est repré­sen­té à la
Chambre du Peuple et au gouvernement.

En
You­go­sla­vie la pres­sion sta­li­nienne ne par­vint pas à susciter
de tels « reve­nants », les diri­geants du P.C. yougoslave
esti­mant super­flus cette mascarade.

La
révo­lu­tion hon­groise de 1956 a clai­re­ment montré
com­ment ces par­tis de « com­pa­gnons de route » du stalinisme
s’é­va­nouis­saient au moindre choc, vidés de toute
sub­stance, tan­dis que réap­pa­rais­saient spon­ta­né­ment les
par­tis anciens et que s’en créaient de nou­veaux, reflet des
ten­dances jeunes.

En
Pologne l’é­vo­lu­tion actuelle est à sur­veiller puisque
le Sejm (Chambre des dépu­tés) élu pour
plé­bis­ci­ter Gomul­ka l’a été de façon à :

évi­ter
toute repré­sen­ta­tion pro­lé­ta­rienne authen­tique issue
des Conseils ouvriers,

ména­ger
l’en­trée d’une oppo­si­tion vir­tuelle réduite mais
visible : catho­liques et par­ti paysan.

Enfin
c’est la pre­mière fois depuis les années qui suivirent
la mort de Lénine — hor­mis peut-être la Hon­grie avant
Octobre 1956 — que dans un Par­ti com­mu­niste au pou­voir des
ten­dances (au moins trois) peuvent s’af­fron­ter ouvertement.

Mais
nous ne sommes plus là dans le domaine du par­le­men­ta­risme mais
de la « Démo­cra­tie inté­rieure » ou de la
« Démo­cra­tie ouvrière ».

Répu­blique par­le­men­taire ou république
des conseils ?

La
longue his­toire du Par­le­ment n’est certes pas ache­vée et elle
nous pro­met de nou­veaux déve­lop­pe­ments. Le gouvernement
repré­sen­ta­tif, qui était la revendication
révo­lu­tion­naire des bour­geois du XVIIIe siècle,
a gagné le monde entier. Les des­potes se comptent sur les
doigts de la main : Ibn Séoud, Haïle Selassié.…
Par contre les régimes les plus divers se sont accommodés
du Par­le­ment ou l’ont accom­mo­dé à leur façon :
aus­si bien le fas­cisme que le sta­li­nisme peuvent s’or­ner d’une
Chambre des Dépu­tés, quel que soit son nom. Il y a
presque tou­jours un per­son­nel diri­geant à faire figu­rer ou à
consul­ter et l’on n’a plus besoin de beau­coup d’i­ma­gi­na­tion pour le
faire élire par le peuple, tant les méthodes
élec­to­rales se sont per­fec­tion­nées. La Russie
sta­li­nienne est célèbre par ses élec­tions où
les can­di­dats gou­ver­ne­men­taux ras­semblent plus de 98% des suffrages,
en Algé­rie, sous la « pré­sence française »,
depuis le gou­ver­neur socia­liste Nae­ge­len on obte­nait régulièrement
des résul­tats aus­si merveilleux

Quel
que soit le régime ce n’est qu’ex­cep­tion­nel­le­ment que les
vrais débats poli­tiques sont por­tés au Par­le­ment. Car
les par­le­ments ne sont qu’une façade morte, un décor en
car­ton-pâte où de faux tour­nois d’éloquence
expriment des posi­tions et des déci­sions élaborées
ailleurs. Où ? dans le Par­ti ou les par­tis, dans leurs Comités
cen­traux, Conseils natio­naux, Com­mis­sions exé­cu­tives, Bureaux
poli­tiques et dans toutes les cou­lisses, anti­chambres et cour­sives du
Pou­voir où se retrouvent les porte-parole des groupes
d’in­té­rêts capi­ta­listes ou bureaucratiques.

La
réa­li­té par­le­men­taire a quit­té les appareils
d’É­tat pour les appa­reils de par­ti ; ces der­niers étant
entraî­nés les uns après les autres dans une même
évo­lu­tion interne vers la sclé­rose et la dic­ta­ture du
Secré­ta­riat, la démo­cra­tie ne s’en est pas accrue, au
contraire.

Si
res­treint soit-il le cercle de la dis­cus­sion révèle
chaque fois les mêmes tend.ances plus ou moins vives, déclarées
ou conscientes, effa­cées, extir­pées ou reniées.
Que ce soit dans les par­tis fas­ciste ou nazi, sta­li­niens ou
gomul­kistes, les mou­ve­ments fran­quiste ou nas­sé­rien, dans le
Des­tour tuni­sien ou le Congrès indien, dans les Par­le­ments les
plus vieux ou les plus jeunes, mar­xiste ou bour­geois, le même
éven­tail d’o­pi­nions appa­raît entre une droite et une
gauche : l’une tra­di­tio­na­liste défen­dant les plus anciennes
classes capi­ta­listes sur­vi­vantes, où l’on trouve les « mous »,
les jouis­seurs, les cor­rom­pus, les fati­gués, les lassés
ne s’in­té­res­sant guère aux expériences
socia­listes et aux tra­vailleurs ; et puis l’autre, celle des « durs »,
des dog­ma­tiques, des doc­tri­naires, des « incorruptible »,
des ascètes, qui invoquent sans cesse le peuple et veulent
pous­ser l’in­ter­ven­tion de l’É­tat dans tous les domaines au nom
de la classe ouvrière et du socialisme.

Quel­que­fois
une troi­sième ten­dance peut se faire jour : celle de lais­ser la
parole à ces tra­vailleurs au nom de qui parle la gauche. Mais
cette ten­dance là, elle, n’est pas sérieuse.
Tout est bon pour lui refu­ser une place. Témoin l’exemple
récent de Gomul­ka fai­sant évin­cer les représentants
des Conseils Ouvriers ou de la jeu­nesse d’oc­tobre (Gozd­zik,
Laso­ta…) et conser­vant avec une majo­ri­té de députés
sta­li­niens et social-démo­crates che­vron­nés une
oppo­si­tion bour­geoise et clé­ri­cale. Quant au peuple il reste
tou­jours hors du débat.

Sous
toutes ses formes et variantes le régime par­le­men­taire aboutit
au même résul­tat : confier à une petite minorité
le soin de déci­der au nom des masses. Une fois tous les cinq
ans envi­ron le peuple est appe­lé à la cérémonie
solen­nelle moyen­nant quoi il n’a plus qu’à obéir.

La
super­che­rie du par­le­ment bour­geois se répète dans le
par­le­ment marxiste.

Le
Par­le­ment est l’or­gane déco­ra­tif, jadis délibératif,
de la classe diri­geante. Il ne peut opé­rer que des réflexions
sur lui-même et res­ter étran­ger à l’expérience
per­ma­nente des travailleurs.

Vou­loir
trans­for­mer les par­le­ments exis­tants en organes révolutionnaires
est aus­si vain que de jeter les plans du par­le­ment idéal,
par­fait chef d’œuvre de la démocratie.

Com­muent
sor­tir de ce cercle ? La réponse a été donnée
dans de nom­breux pays : c’est celle des tra­vailleurs eux-mêmes
s’or­ga­ni­sant en Conseils, Soviets Col­lec­ti­vi­tés agraires et
indus­trielles. C’est celle de la révo­lu­tion prolétarienne :
Paris (1871), Rus­sie (1905, 1917), Mexique (1911…), Finlande,
Alle­magne Hon­grie, Ukraine (1918, 1919), Krons­tadt (1921), Asturies
(1934), Espagne (1936), Pologne, Hon­grie (1956). Chaque fois il se
trouve un par­le­ment pour orga­ni­ser la répres­sion la plus
sévère ; soit un par­le­ment bour­geois comme aux Asturies
en 1934, soit un par­le­ment mar­xiste comme à Krons­tadt en 1921,
soit un par­le­ment mar­xiste-bour­geois comme à Bar­ce­lone en
1937.

La
seule démo­cra­tie qui ne puisse se retour­ner contre les
tra­vailleurs c’est celle qui s’é­ta­blit au sein de la classe
ouvrière et non hors d’elle et au-des­sus d’elle. L’attitude
consé­quente des tra­vailleurs face au Par­le­ment est celle,
néga­tive, de la non-par­ti­ci­pa­tion. Toute action constructive
doit pas­ser par d autres voies, tabler sur d’autres moyens.

Tout
Par­le­ment, tout gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, reste
néces­sai­re­ment une impos­ture et une tra­hi­son car il repose sur
un per­son­nel poli­tique acqué­rant des conceptions
bureau­cra­tiques et iden­ti­fiant sa volon­té à celle de
l’É­tat. Dans la classe ouvrière toute tendance
révo­lu­tion­naire peut four­nir une contri­bu­tion posi­tive. Hors
d’elle, tout par­ti poli­tique ne peut qu’ag­gra­ver la domi­na­tion de la
bour­geoi­sie ou ins­tal­ler la sienne propre.

J.
Presly

La Presse Anarchiste