La Presse Anarchiste

Printemps

« Quand mon père, à la cas­bah de Bône, pré­pa­rait son évasion…»
Ain­si com­men­çait grand-mère. Nous les gosses, nous écoutions
Ces mots que nous savions par cœur, car si sou­vent nous avions deman­dé, insa­tiable, exi­geant public :
« Dis, grand-mère, raconte encore tes his­toires d’Afrique. »
Et tou­jours se dérou­lait la même épo­pée lamen­table et grandiose :
Les mas­sacres de juin qua­rante-huit, Belle-Ile et ses pon­tons et Cadix et les Arabes et la rage au cœur qui n’ose
Pas s’avouer toute la défaite, — puis dans le camp des dépor­tés près du désert,
A Lam­bes­sa, la mort sou­daine et le retour des sur­vi­vantes : une fillette de six ans avec sa mère

Mon père, lui, par­lait de Bel­le­ville, son quar­tier natal, à l’arrivée des Versaillais.
Et le vieil ami qu’on aimait tant, secouant la tête, ajoutait :
« Cette per­qui­si­tion chez moi… Avec, seul lieu à peu près sûr,
Dans la che­mi­née, un fédé­ré. S’ils avaient rele­vé la plaque, on était bons pour le Mur. »

Pen­ché sur Miche­let tu rêvais à ces choses.
L’époque était dor­mante. Plus de chant. De la prose,
Une prose où vibrait cepen­dant la lueur
Inter­mit­tente à n’en plus finir, comme des éclairs de chaleur,
D’un ave­nir plus jeune encore que la jeunesse.
Seuil de nos vies — seuil de la Vie.

Nous aus­si nous avions promis
Dans la sai­son de la promesse :
Le Prin­temps clair comme un parvis
De pigeon-vole avant la messe.

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