La Presse Anarchiste

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L’actualité va vite, ce qui était écrit hier, demain n’aura plus de valeur. Il fau­drait pour­tant reve­nir un ins­tant sur un évé­ne­ment : la grève de la faim des déte­nus gauchistes.

Il ne s’agit pas d’analyser la si­gnification de cette affaire dans le contexte actuel. Cela, d’au­tres l’ont fait. Il faut essayer d’analyser et de com­prendre les modes d’action employés. Il n’y a pas eu à ma connais­sance d’essai de com­pré­hen­sion du moyen de lutte qu’est la grève de la faim en dehors des cercles non violents.

La grève de la faim, un moyen non violent ? Dans une inter­view à RTL un des « gré­vistes par soli­da­ri­té » de la cha­pelle de la gare Mont­par­nasse, décla­rait : « La grève de la faim n’est pas un moyen non violent car c’est un moyen de pres­sion sur l’opinion publique et le gou­ver­ne­ment ». Si cette décla­ra­tion révèle une mécon­nais­sance totale de la non‑violence, elle ex­prime sur­tout une gêne sen­sible, dans les milieux gau­chistes, face à ce type d’action. Le pre­mier point ne nous étonne pas, le second méri­te­rait que l’on revien­ne des­sus d’une manière plus appro­fon­die [[Mme Alain Geis­mar, s’enchaînant à la gare Saint‑Lazare pour dis­tri­buer des tracts, a don­né ses lettres de noblesse gau­chiste à ce moyen typi­que­ment non violent. Nous l’en remercions.]].
Pour nous la grève de la faim est un moyen non violent [[Voir éga­le­ment l’article de Jean‑Paul Sartre, dans « J’accuse » (n°2, 15 mars):

« Les gré­vistes de la faim sont des révo­lu­tion­naires ; contre notre “forme de socié­té” qui est oppres­sive et répres­sive, ils savent qu’on ne peut agir que par la vio­lence ; or on a cou­tume, depuis Gand­hi, de tenir la grève de la faim comme le moyen pri­vi­lé­gié des non‑vio­lents. Pour cette rai­son, cer­tains révo­lu­tion­naires com­prennent mal que leurs cama­rades y aient recours. Il faut donc rap­pe­ler que la grève de la faim, en France et aujourd’hui, est une démarche vio­lente et révolutionnaire.

« Demain, peut‑être, on n’y aura plus recours : c’est la situa­tion qui décide. Aujourd’hui, elle est née dans les pri­sons et c’est là qu’elle prend tout son sens. »]].

Stra­té­gie

Nous pen­sons qu’elle est l’aboutissement d’une série d’actions s’étant sol­dées par un échec.

Dans la pano­plie non vio­lente, elle est l’arme abso­lue. Comme ce genre d’arme, son résul­tat n’est pas cer­tain. En consé­quence elle équi­vaut à un acte de kamikaze.

En cas d’échec de la pres­sion, d’autres diront du chan­tage, elle entraîne la mort. Or pour aller jusque‑là, il faut que l’enjeu soit d’importance. Sou­vent aus­si, elle est l’expression de per­sonnes iso­lées dans une lutte. C’est quand elle devient l’expression d’un mou­ve­ment, au moins de ses élé­ments les plus enga­gés, qu’une stra­té­gie dif­fé­rente, avec le même moyen, peut être employée et par là com­porte moins de risques. Il s’agit du jeûne pro­lon­gé en fonc­tion du but fixé ou, si l’on pré­fère, de la grève de la faim limi­tée dans le temps. Une grève de la faim de quinze jours ou trois semaines cor­rec­te­ment relayée peut avoir un impact consi­dé­rable et réduire les risques. Exa­mi­nons com­ment cette action s’est passée.

Dérou­le­ment

4 jan­vier : À Tou­louse, 4 déte­nus entament la grève de la faim.

14 jan­vier : Fresnes et Fleury‑Mérogis se joignent à la grève. Il y aura jusqu’à 20 pri­son­niers à la faire, cer­tains étant libé­rés entre‑temps.

8 février : Fin des grèves de la faim.

La soli­da­ri­té exté­rieure ne com­mence à se mani­fes­ter que le 22 jan­vier. Elle pren­dra deux formes :
– a) classique :

Le 23 jan­vier, manif devant la San­té ; le 27, cock­tails Molo­tov contre la Roquette ; le 29, de même sur la San­té ; le 2 février, bom­bage de trains ; le 5, attaque du com­mis­sa­riat du Panthéon.
– b) Soli­da­ri­té effective :

Le 22 jan­vier, trois per­sonnes com­mencent une grève de la faim dans la cha­pelle de la gare Mont­par­nasse ; les jours sui­vants ils seront 11.

Le 28 jan­vier, grève à Notre-Dame‑­de‑­Lo­rette.

Le 1er février, à Fleury‑Mérogis, des droits com­muns mineurs entament une grève de soli­da­ri­té ; le 3, à la Sor­bonne, ils seront 12 ; à Mar­seille, Tou­lon, Nantes et Lille le mou­ve­ment s’étend.

Ana­lyse

Un écart de dix jours entre le début du pre­mier groupe, Tou­louse et le second, Paris.

Un écart de huit jours pour que com­mencent les actions de solidarité.

Trois semaines de cam­pagne, d’abord au ralen­ti, puis à plein régime.

Les grèves de la faim par soli­da­ri­té ont cou­vert le bruit des cock­tails Molo­tov et ont mis le gou­ver­ne­ment et la droite dans l’impossibilité de les exploiter.

Ce sont elles qui ont ame­né le gou­ver­ne­ment à plier, consé­quence de la sen­si­bi­li­sa­tion pro­fonde du public, et ceci beau­coup plus qu’ils ne s’y atten­daient. À la gare Mont­par­nasse, ain­si qu’à la Sor­bonne, ce fut un défi­lé inces­sant de sympathisants.

Pour­quoi la soli­da­ri­té est‑elle inter­ve­nue si tard ? Essen­tiel­le­ment parce que les gau­chistes n’y croyaient pas. La pre­mière grève de Geis­mar n’avait pas pro­vo­qué cet élan. En fait, ils ont pris le train en marche.

Un capi­tal de sym­pa­thie a été amas­sé tout au long de cette action. On peut dire qu’il a été dila­pi­dé au cours des mani­fes­ta­tions de Cli­chy et du Sacré-Cœur, qui ont révé­lé, à mon humble avis, le com­plexe de culpa­bi­li­té de ceux qui n’avaient rien fait pen­dant les grèves de la faim. D’autre part, il faut recon­naître que la mani­fes­ta­tion de Cli­chy fut le point de départ de l’affaire Guyot qui, elle aus­si, remua pro­fon­dé­ment les masses lycéennes. À ce pro­pos, on peut remar­quer deux choses : Les lycéens ont joué le rôle de base de départ des luttes de « com­mu­nau­tés soli­daires ». L’action est par­tie d’un lycée et a gagné les autres. Voi­là la réa­li­té et l’efficacité des « conseils ». À côté du refus de nombre de lycées de se poli­ti­ser, en fait de refu­ser l’emprise des grou­pus­cules, on a pu remar­quer l’emploi de « sit‑in » d’abord sur les trot­toirs, puis dans la rue.

Ce qui vient d’être dit est une par­tie peut‑être plus pra­tique de la réflexion qui est menée à tra­vers ce numé­ro. Elle devrait nous conduire à pous­ser plus loin la recherche pour une nou­velle expres­sion de la non‑violence.

Pierre Som­mer­meyer

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