La Presse Anarchiste

Nous avons reçu

– « La Révo­lu­tion com­mu­na­liste », par Pierre Rim­bert, aux Edi­tions syn­di­ca­listes, 21, rue Jean‑Robert, Paris‑18e. Prix 6 F. I. Les évé­ne­ments. II. L’œuvre de la Com­mune. La Com­mune sur la défen­sive. III. Les causes de la Com­mune. IV. Les causes de la défaite de la Com­mune. V. Signi­fi­ca­tion his­to­rique de la Commune.
– « La Com­mune de Paris », par Michel Bakou­nine sui­vi d’extraits de « trois confé­rences aux ouvriers du Val‑Saint‑Imier », 32 pages. 2,50 FF, Librai­rie Publi­co, 3, rue Ter­naux, Paris‑11e. 2,00 FS, Centre inter­na­tio­nal de recherches sur l’anarchisme, Beau­mont 24, 1012 ‑ Lau­sanne, Suisse.
– « Œhim­sa », n° 7, ronéo­té, 60, rue de la Pou­drière, 1000 ‑ Bruxelles. Belgique.
– « Frente liber­ta­rio », n° 7, men­suel, Ama­dor Alva­rez, 87, rue de Patay, Paris‑13e.
– « L’Annuaire de la presse paral­lèle » , Chris­tian Pacaud, BP 101, 92‑Montrouge. 4 F, par vire­ment pos­tal à « la Sep­tième Aurore », CCP 1159 08. C’est le réper­toire d’une grande varié­té de pério­diques, revues, bul­le­tins édi­tés en France et non dif­fu­sés en librai­rie pour la plupart.
– « C », n°19, liai­sons des com­mu­nau­tés de vie…, M. Fali­gand, 8, allée Roland‑Garros, 94 ‑ Orly.
– « Free­dom » , heb­do, 13 mars 71, 84 b Vhi­te­cha­pel High Street, Lon­don E1.
– « Anar­chy », n°1, deuxième série, « Towards a ratio­nal bisexua­li­ty », 84 b Whi­te­cha­pel High Street, Lon­don E1.
– « 103 dif­fu­sion », compte ren­du de la semaine de la non‑violence orga­ni­sée à Tou­louse du 3 au 10 mars 1970. 5 F. Centre d’information pour l’ouverture au tiers monde, 5, place de la Dau­rade, 31‑ Toulouse.
– « Tri­bune libre 93 », n° 1. « Requiem et Pré­lude », poèmes. Jean‑Marc Cari­té, 11, rue Pachot‑Laine, 93 ‑ Livry‑Gargan.
– « Vivre en har­mo­nie », n°212, men­suel, 2 F. 5, rue Emile‑Level, Paris‑17e.
– « Cahiers des amis de Han Ryner », n°100, bulletin‑ tri­mes­triel, 3 F. Louis Simon, 3, allée du Châ­teau, 93 ‑ Pavillons‑sous‑Bois.
– « Fais pas le zouave!…», jour­nal anti­mi­li­ta­riste unique et gra­tuit. Groupe liber­taire Kro­pot­kine, 3, rue Ter­naux, Paris‑11e.
– « AIT », n° 3‑4, bul­le­tin de l’Association inter­na­tio­nale des tra­vailleurs. J.‑M. Congost, 38, rue V.‑Chabot, 87‑Limoges.
– « Bul­le­tin du cercle Socia­lisme », n° 4, men­suel, 2 F. J. Péaud, 1, pas­sage Pri­vé, 93 ‑ Pantin.
– « L’Anarcho‑syndicaliste », n° 105, men­suel édi­té par l’Union des anar­cho-syn­di­ca­listes. Guy Ray­nal, 12, rue Béchade, 79 ‑Chef‑Boutonne.
– « Tse­dek », n° 108‑109, dos­sier men­suel. E. Lévyne, 18, rue Adolphe‑Chérioux, 92‑lssy‑les‑Moulineaux.
– « Fer­nand Pel­lou­tier, fon­da­teur des Bourses du tra­vail » par Mau­rice Fou­lon, 185 p., 10 F. La Ruche ouvrière, 10, rue de Mont­mo­ren­cy, Paris‑3e.
– « Une expé­rience pas­sion­nante par 5 000 ouvriers », par L. Rie­ra, 120 p., 6 F. A la Ruche ouvrière, 10, rue de Mont­mo­ren­cy, Paris‑3e,
– « Le Monde nou­veau » (son plan, sa consti­tu­tion, son fonc­tion­ne­ment), Par Pierre Bes­nard, 6 F. A la Ruche ouvrière.
– « URSS, l’Etat‑patron », par Zem­liak, 185 p. 8 F. A la Ruche ouvrière.
– « Quelques études sociales », par le Dr Pier­rot, 234 p., 9 F (envoi com­pris). A la Ruche ouvrière.
– « Valeur de la liber­té, le socia­lisme contre l’autorité, socia­lisme et huma­nisme », par Ernes­tan, 190 p., La Ruche ouvrière.

« La Vio­lence dans le monde actuel », confé­rences du Centre d’études de la civi­li­sa­tion contem­po­raine. Des­clée de Brou­wer édit.

Nous avons lu ce livre et le pré­sen­tons sous forme d’extraits et de com­men­taires propres, croyons‑nous, à faire naître des réac­tions nou­velles concer­nant la vio­lence. L’originalité de ce livre, ras­sem­blant une série de confé­rences faites par des uni­ver­si­taires à l’université de Nice, c’est qu’il essaie d’exposer et d’expliquer sans pas­sion les divers aspects sous les­quels se mani­feste la vio­lence sans en tirer de conclu­sion ; le but que nous recher­chons donc en le pré­sen­tant est d’en tirer quelques leçons à l’usage des révo­lu­tion­naires non violents.
Nous avons conser­vé les titres des conférences :

Ten­sions et dis­tor­sions dans l’humanisme contem­po­rain, Jean Onimus.
Oni­mus oppose d’abord « civi­li­sa­tion », mani­fes­ta­tion des objets, et « culture », mani­fes­ta­tion de la conscience, c’est‑à‑dire des sujets. « Nous avons ces­sé de contem­pler, dit‑il, c’est‑à‑dire de péné­trer dans l’intimité des choses… la nature a été réduite au silence parce qu’elle n’est plus peu­plée que d’objets… il arrive un moment où le concept, en impo­sant son effi­ca­ci­té, éli­mine le sujet qui le pen­sait : Il se suf­fit à lui‑même ; la struc­ture règne, elle n’a pas besoin du concret, elle n’a pas besoin des personnes. »

Face à cette évo­lu­tion de la civi­li­sa­tion, la culture doit jouer un rôle de contre­poids ou d’antidote sans lequel nous allons vers une déshu­ma­ni­sa­tion de plus en plus grande ; mais Oni­mus dis­tingue deux cultures, l’une tra­di­tion­nelle, offi­cielle et inadap­tée et l’autre vivante, « expres­sion spon­ta­née de l’homme de notre temps », or cette der­nière est « dia­mé­tra­le­ment oppo­sée à la fois à la culture tra­di­tion­nelle et à la civi­li­sa­tion contem­po­raine », d’où appa­ri­tion de la révolte, de la vio­lence dans l’art contem­po­rain. « La culture devient insur­rec­tion des consciences naïves, intègres, non rési­gnées, non adap­tées. » Cette vio­lence, sur­tout ver­bale et diri­gée contre les objets plus que contre les per­sonnes, naît de l’impasse où l’on est accu­lé et de l’impossibilité d’en sor­tir ; elle se défi­nit donc comme « un néga­tif de la civi­li­sa­tion, son com­plé­men­taire », et comme elle, « semble détruire quelque chose d’essentiel qui est l’équilibre d’une conscience lucide, consciente de ses limites et de ses pos­si­bi­li­tés : ce que nous appe­lions la sagesse ».

Vio­lence et morale, Lucien Mugnier‑Pollet.

Mugnier‑Pollet fait le paral­lèle entre les grandes périodes de croyance et les mas­sacres, et conclut que « la foi débouche assez natu­rel­le­ment sur la vio­lence », ce qui laisse à pen­ser que pour abou­tir à la non‑violence on doit se déta­cher de cer­taines struc­tures men­tales reli­gieuses. Il trouve ensuite chez Hegel une jus­ti­fi­ca­tion de la vio­lence, assi­mi­lée à la créa­tion et, « chez Nietzsche, (l’affirmation que) la vio­lence a pour inté­rêt de bri­ser cette quiète som­no­lence qui avi­lit l’homme et qui par la dégé­né­res­cence qu’elle pro­voque met en jeu le des­tin même de l’humanité ». Cepen­dant, ces jus­ti­fi­ca­tions doivent être démys­ti­fiées et on nous montre que la vio­lence « n’a fina­le­ment pas de rap­port avec la créa­tion mais avec la mort », « dans la vio­lence on trouve tous les attri­buts posi­tifs de l’homme, mais com­plè­te­ment sub­ver­tis, com­plè­te­ment retournés » .

Ter­ro­risme et vio­lence psy­cho­lo­gique, Jacques Ellul.

Le ter­ro­risme est une vio­lence doc­tri­naire. « La ter­reur est un sys­tème de gou­ver­ne­ment domi­né par la ver­tu. La ver­tu dis­tingue les bons des méchants, et, à l’égard des méchants, il faut appli­quer toute la rigueur néces­saire. » (Saint‑Just). Par­tant de cette don­née, le ter­ro­risme des anar­chistes du XIXe siècle ne fait qu’utiliser à son propre compte « la peine exem­plaire » infli­gée aux « méchants ». L’auteur s’applique éga­le­ment à étu­dier la ter­reur psy­cho­lo­gique qu’exercent les puis­sances nucléaires, par exemple, par la menace réelle qu’ils font peser sur l’humanité et celle, beau­coup plus sub­tile, qu’exercent cer­tains pro­fes­seurs en « écra­sant intel­lec­tuel­le­ment l’adversaire et en lui impo­sant sa pen­sée ». Dans le cas des sys­tèmes dia­lec­tiques, on est en pré­sence « d’une pen­sée qui veut ava­ler l’autre », qui pré­tend expli­quer l’autre par autre chose que lui‑même.

Il y a éga­le­ment une uti­li­sa­tion du ter­ro­risme psy­cho­lo­gique dans l’Inquisition et dans le nazisme par la pra­tique du double phé­no­mène du secret et de l’explication. On main­tient un état d’attente, de ten­sion, créa­trice d’une cer­taine angoisse, puis brus­que­ment la vio­lence se produit.

Mais la psy­cho­lo­gie ayant fait des pro­grès, le ter­ro­risme actuel tend à « rem­pla­cer la vio­lence par la com­pré­hen­sion et l’autorité externe pesant sur l’individu par la dou­ceur, mais par une dou­ceur inflexible ». C’est le sys­tème des rela­tions humaines, sorte de « ter­ro­risme huma­niste » qui court‑circuite toute vel­léi­té de reven­di­ca­tion et qui amène l’employé à faire plus que ce qu’il ferait s’il y était obli­gé, en tablant sur « tout un méca­nisme créa­teur de mau­vaise conscience ». Ellul cite alors Mar­cuse : « Le ter­ro­risme est un aspect spé­cial du col­lec­ti­visme… Pour arri­ver aux formes col­lec­ti­vistes de civi­li­sa­tion, il faut néces­sai­re­ment pas­ser par un stade ter­ro­riste tota­li­taire, parce que, en face de la pos­sible libé­ra­tion de tous les dési­rs et facul­tés indi­vi­duels, leur enré­gi­men­te­ment répres­sif indis­pen­sable ne peut se faire que par la ter­reur. Et les frus­tra­tions accu­mu­lées dans une popu­la­tion enré­gi­men­tée, sou­mise à un régime tech­ni­cien de masse doivent être soit libé­rées contre un enne­mi choi­si (c’est le ter­ro­risme violent) soit inté­rio­ri­sées (c’est le ter­ro­risme des rela­tions humaines)». Selon Ellul, la seule atti­tude qui soit exempte de ter­ro­risme, c’est l’amour, « parce que pré­ci­sé­ment, il s’agit à ce moment de recon­naître l’autre pour ce qu’il est et non pas pour ce que l’on veut qu’il soit ».

La vio­lence dans les conflits sociaux, J. W. Lapierre.

« Le recours à la vio­lence se pro­duit quand la crise (entre deux groupes sociaux) est deve­nue si aiguë que l’un au moins des groupes consi­dère comme inac­cep­table toute autre solu­tion que la des­truc­tion, la dés­in­té­gra­tion ou l’oppression du groupe adverse. J’entends alors par vio­lence l’emploi de moyens d’action qui portent atteinte à l’intégrité phy­sique, psy­chique ou morale de la per­sonne d’autrui. »

« L’équilibre, le com­pro­mis, l’innovation sont des solu­tions non vio­lentes des conflits sociaux. »

« La des­truc­tion ou l’oppression, ce sont les deux manières vio­lentes de régler les conflits sociaux, la pre­mière étant plus bru­tale que la seconde. Mais ne confon­dons pas la vio­lence avec la bru­ta­li­té. Il y a une vio­lence bru­tale, c’est celle qui frappe l’imagination. Elle est spec­ta­cu­laire. Elle use du fer, du feu et du sang. Mais il y a aus­si une vio­lence moins appa­rente, non moins réelle, c’est la vio­lence éta­blie, la vio­lence ins­tal­lée, la vio­lence constante : celle que nous appel­le­ront la vio­lence oppressive. »

« Sorel consi­dé­rait la vio­lence pro­lé­ta­rienne pra­ti­quée dans l’expérience des grèves et oppo­sée à cette vio­lence oppres­sive comme le seul moyen de sau­ver le mou­ve­ment ouvrier de la dégé­né­res­cence du socia­lisme par­le­men­taire ; il écri­vait : « La grève est un phé­no­mène de guerre. C’est donc un gros men­songe que de dire que la vio­lence est un acci­dent appe­lé à dis­pa­raître des grèves.»… Or les évé­ne­ments n’ont pas confir­mé les pré­vi­sions de Sorel. La vio­lence a dis­pa­ru des grèves ou du moins elle s’est consi­dé­ra­ble­ment atté­nuée. » Lapierre cite un extrait de « Stra­té­gie de la lutte sociale » de Fran­çois Sel­lier : « L’impossibilité d’un déploie­ment extrême des forces pour réa­li­ser un chan­ge­ment total par un acte unique de vio­lence a été recon­nue. Elle a entraî­né de la part des syn­di­cats la néces­si­té d’une tac­tique de ména­ge­ment des forces en vue de l’attaque conti­nue des posi­tions adverses, par dif­fé­rents moyens. La grève n’est qu’une des formes de l’état per­ma­nent d’une guerre où l’attaquant est le plus faible, en puis­sance abso­lue, des deux adversaires. »

La consé­quence de cet état de fait c’est que plus le mou­ve­ment syn­di­cal est puis­sant, plus la conscience ouvrière s’éloigne de ses formes les plus révo­lu­tion­naires. D’autre part, l’évolution des tech­niques d’armement n’a fait qu’accentuer encore l’écart entre les forces en pré­sence. Au XIXe siècle, des deux côtés on avait des fusils, et au sabre pou­vait répondre la fourche, alors qu’il est impos­sible au mou­ve­ment ouvrier de pos­sé­der des tanks, ni des avions, ni du napalm, etc.

Lapierre fait ensuite quelques remarques : « C’est dans les pays où les tra­vailleurs ont le niveau de vie le plus éle­vé que les conflits raciaux sont les plus violents. »

La vio­lence et le tiers monde, André Nouschi.

Nou­schi fait remar­quer que « le colo­nia­lisme rompt les cadres et les formes de la vie rurale, de la vie urbaine, de l’artisanat clas­sique, de l’agriculture. Il dis­loque les cir­cuits du com­merce inté­rieur et du com­merce exté­rieur. […] Le trau­ma­tisme est d’autant plus sérieux que la colo­ni­sa­tion ne se pré­oc­cupe pas, ori­gi­nel­le­ment, d’éduquer les popu­la­tions colo­ni­sées », d’où « dis­har­mo­nie », et for­ma­tion de forces de rup­ture, de refus, de retour vers le pas­sé. À ce refus qui émane du colo­ni­sé « cor­res­pond en face un autre refus : celui du colo­ni­sa­teur qui impose la sépa­ra­tion d’avec le colo­ni­sé. Le colo­ni­sa­teur rejette l’autre dans un ghet­to sans s’occuper de ce qu’il pense, mais il lui fait prendre aus­si conscience de son uni­té. Ce qui explique qu’au‑delà et peut‑être avant la lutte contre l’aliénation éco­no­mique se situe le com­bat pour retrou­ver la nation per­due… ain­si que le mythe, ce qui est plus impor­tant et plus grave, c’est‑à‑dire la culture, ou une cer­taine idée de la culture et du pas­sé, tels qu’on les imagine ».

Un autre aspect de la vio­lence, rela­tif au tiers monde, est évo­qué à pro­pos des conflits sociaux, dans cette ques­tion : « Les tra­vailleurs des socié­tés indus­trielles peuvent, sans trop de vio­lence, arra­cher aux déten­teurs du pou­voir éco­no­mique cer­tains avan­tages, mais savent‑ils et veulent‑ils savoir que leurs conquêtes sociales sont payées du prix de la misère des pay­sans, des mineurs, des débar­deurs d’Afrique, d’Asie du Sud‑Est, ou d’Amérique latine ? ».

Vio­lence inter­na­tio­nale, Jean Dupuy.

« Per­sonne ne s’est jamais cho­qué, pen­dant des siècles, que l’on par­lât d’un droit des États à faire la guerre. C’est même un des cri­tères de l’État, le carac­tère spé­ci­fique de l’État. »

Dupuy montre com­ment le natio­na­lisme est à la base des conflits pré­sents et pas­sés et que c’est là une notion bien dif­fi­cile à extir­per d’autant qu’elle se drape dans les plis de l’amour de la patrie, de l’honneur et autres épices. « Si le natio­na­lisme n’entraîne pas néces­sairement le recours à la vio­lence, et peut même faire appel dans son com­bat, à la non‑violence, il favo­rise, le plus sou­vent, les justifica­tions de l’appel à la force. »

La vio­lence inter­vient aus­si par les pres­sions éco­no­miques qu’exercent cer­taines puis­sances sur les pays sous‑développés, au besoin sous forme de dons (stade suprême de l’impérialisme, dit Dupuy) qui sous cou­vert d’assistance cha­ri­table assurent des mono­poles de débou­chés pour leurs propres indus­tries et pèsent lour­de­ment sur les cours des matières pre­mières, appau­vris­sant ain­si constam­ment les pays qu’ils pré­tendent aider.

Enfin après avoir mon­tré l’inefficacité de l’Onu pré­ci­sé­ment parce que c’est un orga­nisme qui émane d’États qui n’envisagent nul­le­ment de renon­cer à leur « droit » de faire la guerre, Dupuy envi­sage comme Prou­dhon la sup­pres­sion de l’État et son rem­pla­ce­ment par le fédé­ralisme, « mais il y a l’approche quo­ti­dienne, et celle‑ci bien sûr, ne consiste pas à s’en tenir à un modèle par­fait autre­ment que comme puis­sance d’engagement, comme phare, ou comme étoile dans la nuit interétatique ».

Vio­lence et non‑violence, Fran­cis Jean­son et Lan­za del Vasto.

Ici nous avons deux expo­sés sous forme de dia­logue, qui posent le pro­blème de la vio­lence, de la révo­lu­tion, de la jus­tice sociale de deux points de vue distincts.

F. J.: « La ques­tion est de savoir si l’on peut, par exemple, cou­rir le risque de mou­rir, et, cor­ré­la­ti­ve­ment, celui d’avoir à faire mou­rir, afin de rendre pos­sible un véri­table affron­te­ment. Non plus un affron­te­ment des vies réduites à se nier l’une l’autre pour sur­vivre, mais un affron­te­ment des consciences qui puisse débou­cher sur un véri­table dia­logue… Le refus de la vio­lence ne sau­rait en aucun cas se pré­sen­ter sous une forme incon­di­tion­nelle. Je veux dire que refu­ser les actes vio­lents, tout en lais­sant les indi­vi­dus dans un état de vio­lence, me paraît une forme de tri­che­rie, et fina­le­ment, la révolte peut fort bien être, avec tout ce qu’elle implique de com­por­te­ments réels, concrets, la condi­tion préa­lable du vrai dia­logue… Lorsque nous par­lons contre la vio­lence, quand nous pre­nons radi­ca­le­ment et incon­di­tion­nel­le­ment posi­tion contre la vio­lence, nous enga­geons le sort d’un grand nombre d’hommes à tra­vers le monde ; or nous n’avons pas le droit de le faire… Je pense sim­ple­ment que nous avons tous à nous situer par rap­port à ce fait que des hommes, ici ou là, ne sup­portent pas l’oppression dont ils sont vic­times et entre­prennent de lut­ter contre cette oppression. »

L. D. V.: Une pre­mière remarque pour noter que tous ceux qui uti­lisent la vio­lence ou qui la pro­voquent sont per­sua­dés d’être dans leur bon droit, puis Lan­za del Vas­to pré­cise ce que les non‑violents entendent par vio­lence : « Tout ce qui viole l’ordre natu­rel et har­mo­nieux des choses. Par consé­quent, tout men­songe, toute injus­tice est une vio­lence latente qui, un jour ou l’autre, devien­dra for­cé­ment une vio­lence patente. » D’autre part, « si nous avons à choi­sir entre le violent, même dément, et l’hypocrite, nous pré­fé­rons le violent. Si nous avons à choi­sir entre le violent révo­lu­tion­naire ou contre‑révolutionnaire, et le lâche, nous pré­fé­rons le révo­lu­tion­naire, et même le contre‑révolutionnaire en nous for­çant un peu… Les vrais vio­lents sont ceux qui ont trop, et qui, natu­rel­le­ment veulent avoir plus. Car une fois qu’on est entré dans le trop, il n’y a plus de limites. Et puis il y a ceux qui veulent domi­ner les autres. Ils sont tou­jours vio­lents, tou­jours, et dans tous les régimes. C’est pour­quoi nous nous refu­sons à toutes les poli­tiques, car la poli­tique consiste à acqué­rir la pos­si­bi­li­té de for­cer les gens à faire ce qu’ils ne veulent pas faire… Com­ment s’appelle le déchaî­ne­ment de la vio­lence légi­time ? Cela s’appelle guerre ou cela s’appelle révo­lu­tion. Et des deux côtés, les com­bat­tants refusent le dia­logue. Leur adver­saire ne com­prend que le lan­gage de la force, et il s’agit de le mettre sur les genoux. »

F. J.: « On fait peser sur nous l’exigence d’un com­por­te­ment abso­lu. En fait, il me semble que nous devons par­tir de cette réa­li­té que nous sommes de ce monde humain tel qu’il est, c’est‑à‑dire avec tout ce que cela com­porte d’absolument rela­tif… On ne nous a pas deman­dé si nous vou­lions être vio­lents ou non vio­lents, on nous a jetés dans un monde où la vio­lence est un fait per­ma­nent et où des hommes ont en tout cas, besoin d’y répondre par la vio­lence… Les valeurs morales dont nous pou­vons nous récla­mer ont jus­te­ment cette carac­té­ris­tique, à quelque époque que ce soit, de n’être pas des valeurs uni­ver­selles parce que si elles l’étaient, il n’y aurait plus de pro­blème moral, nous serions tous des êtres par­fai­te­ment moraux, sachant par­fai­te­ment ce qu’ils devraient faire… Aus­si long­temps que les valeurs dont je me réclame ne seront pas recon­nues par beau­coup d’autres hommes, je suis convain­cu, per­son­nel­le­ment, que ces valeurs ne seront pas encore valables. Elles me servent tout juste à me gui­der tant bien que mal au niveau de conscience où je suis par­ve­nu, en fonc­tion de mon appar­te­nance à tel milieu social, à tel pays, etc. Mais je ne pense pas qu’aucun d’entre nous, tout seul, puisse dire : « Voi­là une dis­tinc­tion abso­lue, et je m’y tiens parce que je la sais être vraie ».

* * *

Cette suite d’exposés se ter­mine donc par un dia­logue après avoir fait des ana­lyses du phé­no­mène « vio­lence ». Or à l’issue de ce dia­logue ou du moins de ce qui est trans­crit dans le livre, on ne semble pas être arri­vé très loin dans la com­pré­hen­sion mutuelle ; il y a même un cer­tain blo­cage sur les notions de « véri­té » chez Jean­son et de « révo­lu­tion » chez Lan­za del Vas­to qui empêche d’aboutir à une syn­thèse com­mune. Je pense que notre situa­tion de révolution­naires non vio­lents devrait nous per­mettre d’être une pas­se­relle pos­sible entre ces deux modes de pen­sée et d’action et qu’il nous incombe de réus­sir à faire la syn­thèse, faute de quoi nous per­drons la non-­vio­lence en route, et nous devien­drons sta­li­niens tout en nous en défen­dant, ou la révo­lu­tion, et nous devien­drons au mieux des sociaux­-démo­crates, au pire des libé­raux huma­nistes (ou les deux à la fois!).

M. Bou­quet

La Presse Anarchiste