La Presse Anarchiste

Objection politique ou politisation de l’objection

On peut dire que toute objec­tion est objec­ti­ve­ment poli­tique puisque c’est une cri­tique en actes du sys­tème. Les objec­teurs posent un pro­blème qu’ils ne peuvent ni ne veulent résoudre seuls (cf. le rôle de l’armée dans la socié­té capi­ta­liste ou la socié­té socia­liste d’État). Par objec­tion dite poli­tique, nous enten­dons celle qui fait réfé­rence expli­ci­te­ment et essen­tiel­le­ment à la lutte contre le sys­tème capi­ta­liste. Cette objec­tion s’est éla­bo­rée à par­tir des pos­si­bi­li­tés actuelles au sein du ser­vice civil que per­met le sta­tut, allant du ser­vice clas­sique dans une asso­cia­tion, d’un tra­vail recon­nu ou non sous cou­ver­ture d’une asso­cia­tion, à la néga­tion du service.

L’objection, actuel­le­ment, peut prendre plu­sieurs formes :

a) Une demande « poli­tique » du statut :

Se vou­lant plus radi­cal, l’objecteur « poli­tique » (ou le déser­teur poli­tique qui ne peut plus béné­fi­cier du sta­tut) a une démarche stra­té­gique. Il joue sur les contra­dic­tions du sys­tème en deman­dant le sta­tut pour se le faire refu­ser ou le faire écla­ter. C’est un peu le sché­ma provocation‑répression d’où l’importance de la pri­son pour la dra­ma­ti­sa­tion de l’action, et seule une situa­tion de répres­sion per­met le sou­tien des divers groupes poli­tiques. Dans ce cas d’objection expli­ci­te­ment poli­tique, cer­tains groupes gau­chistes pour­raient se joindre au sou­tien et des mili­tants adop­ter cette posi­tion. Cette action se situe au niveau dit poli­tique, dif­fé­rent du niveau où se situent les luttes réelles. Les objec­teurs en ser­vice (sous quelque forme que ce soit) devront se situer par rap­port à cette répres­sion, se soli­da­ri­ser et sou­te­nir par diverses actions, ou refu­ser de sou­te­nir une telle demande (Val­ton, Péran, Gai­gnard, Janin, Fayard).

b) Un refus total de l’armée et du statut :

Le refus de l’armée et du sta­tut est une posi­tion radi­cale face à l’État, mais ce n’est pas tou­jours ni essen­tiel­le­ment une prise de posi­tion « poli­tique », elle peut faire réfé­rence aus­si où uni­que­ment à la liber­té et ou à l’individualisme (Put­te­mans, Cha­pelle, Jambois).

c) Déser­tion du ser­vice civil :

Refu­ser le sta­tut après l’avoir deman­dé et obte­nu, c’est ne plus sup­por­ter la situa­tion de récu­pé­ra­tion et de répres­sion qu’est le ser­vice civil (res­sen­ti comme telle). Ce n’est pas tou­jours une posi­tion poli­tique au sens où nous l’avons défi­ni plus haut. Cette déser­tion du ser­vice civil met­tra à l’épreuve les nou­velles juri­dic­tions appli­cables aux objec­teurs depuis peu (Car­ré).

d) Une « poli­ti­sa­tion » du ser­vice civil :

L’objection dite « poli­tique » ne défi­nit pas une pra­tique quo­ti­dienne ; la « poli­ti­sa­tion » du ser­vice civil, en refu­sant l’intérêt géné­ral défi­ni par la loi, en serait une. C’est le refus, de la notion de ser­vice natio­nal en conti­nuant d’agir et de vivre selon ses dési­rs et les néces­si­tés de la lutte (rem­pla­cer l’intérêt géné­ral par l’intérêt indi­vi­duel ou l’intérêt de classe : grèves, actions spé­ci­fiques, com­mu­nau­tés, information‑soutien). Une telle démarche vise à saper les fon­de­ments de l’exploitation et non à pro­vo­quer une confron­ta­tion directe avec le pou­voir, la lutte étant située au niveau du quo­ti­dien (cf. textes de Bru­no Dulac, Objec­tion liber­taire, Fran­çois Destryker).

Nous publions ci‑après des textes et des lettres illus­trant les dif­fé­rentes posi­tions qui viennent d’être défi­nies sché­ma­ti­que­ment. Il est cer­tain que chaque cas pré­sente des carac­té­ris­tiques qui lui sont propres et que ses posi­tions en recoupent d’autres ; en ce sens, notre clas­si­fi­ca­tion prend un aspect arbi­traire qui ne se jus­ti­fie que par une volon­té de clarification.

Nous avons jugé utile de pré­sen­ter tout d’abord les prin­ci­paux objec­teurs ou insou­mis « politiques » :

Ber­nard Péran : Demande de sta­tut pour rai­sons poli­tiques refu­sée le 17 juin 71. Décla­ré inapte au ser­vice mili­taire, exempté.

Domi­nique Val­ton : Demande de sta­tut pour des motifs poli­tiques reje­tée le 4 mars 71. Au terme d’un jeûne de quinze jours, il a été arrê­té en com­pa­gnie d’Armel Gai­gnard au cours d’une mani­fes­ta­tion avec enchaî­ne­ment, le 8 novembre 71. Son pro­cès a eu lieu le 7 jan­vier der­nier à Rennes ; il a été condam­né à dix‑huit mois de prison.

À la suite de son incar­cé­ra­tion, Domi­nique Val­ton ain­si que Ber­nard Bien­ve­nu (objec­teur), Daniel Tho­muy, Jean‑Pierre Willert, Jean-Michel San­ga­ni, Didier Goel­ler, Jean‑Claude Joi­gneaux (déser­teurs), Jean‑Marie Bon­ne­tier (insou­mis) et Serge Lon­dé (outrage à un supé­rieur) ont fait une grève de la faim pour obte­nir le droit de deman­der le sta­tut à n’importe quel moment et quels qu’en soient les motifs.

Armel Gai­gnard : Déser­teur depuis le 18 sep­tembre 71 après neuf mois de caserne. Il se joint à l’action de Domi­nique Val­ton et son arres­ta­tion a lieu le 8 novembre 71 au cours de la mani­fes­ta­tion pré­cé­dem­ment citée. Il a été condam­né à huit mois de prison.

Fran­çois Janin : Demande le sta­tut le 14 jan­vier 71 ; celui‑ci lui est refu­sé à cause des « consi­dé­ra­tions poli­tiques et cri­tiques de la socié­té » expri­mées dans sa lettre. Insou­mis depuis le début octobre, il a com­men­cé un tra­vail d’aide aux tra­vailleurs immigrés.

Jean‑Michel Fayard : Demande le sta­tut le 1er février 71. Il se heurte à un refus de la com­mis­sion juri­dic­tion­nelle. Insou­mis depuis décembre 71. Il tra­vaille, depuis octobre, avec Fran­çois Janin à l’association Accueil et Rencontres.

Joël Cha­pelle : Arrê­té le 7 mai 71 après deux ans d’insoumission. Il refuse le ser­vice mili­taire et le sta­tut des objec­teurs. Jugé le 29 juillet 71, il a été condam­né à dix‑huit mois de pri­son. Joël Cha­pelle (déte­nu), 13561, Bât. D3, 7, av. des Peu­pliers, 91‑Fleury‑Mérogis.

Syl­vain Put­te­mans : Appe­lé sous les dra­peaux le 7 sep­tembre 70, il refuse le ser­vice mili­taire et le ser­vice civil. Le 7 octobre 70, il est incar­cé­ré à Loos‑les‑Lille. Le 17 décembre, il est condam­né à dix‑huit mois de pri­son avec sur­sis. Rame­né en caserne, il refuse à nou­veau l’uniforme et fera par la suite une grève de la faim de trois semaines. Le 19 jan­vier 71, il est condam­né à deux de pri­son ferme. Syl­vain Put­te­mans, écrou 56.87, sec­tion D ; cel­lule 117, mai­son d’arrêt de Loos‑les‑Lille.

Gas­ton Jam­bois : Insou­mis depuis le 2 août 71.

Chris­tian Car­ré : À obte­nu le sta­tut et est incor­po­ré en juin 71. Le 8 novembre 71, il refuse le béné­fice du sta­tut et récuse la conscrip­tion qui englobe le ser­vice civil, allant jusqu’à sug­gé­rer un ser­vice mili­taire facultatif.

Oli­vier Denis : À refu­sé de por­ter l’uniforme le 3 décembre 71 à la caserne d’Olivet. Il refuse et l’armée et le sta­tut des objecteurs.

Jean‑Pierre Lalanne qui refu­sait le ser­vice mili­taire s’est sui­ci­dé le 25 octobre 71 dans les locaux dis­ci­pli­naires de la caserne d’Étain.

Jean‑Jacques Marin : Sol­dat, il a refu­sé de conduire les camions mili­taires pen­dant la grève des conduc­teurs du métro. Son pro­cès s’est tenu le 29 novembre 71. Il a été condam­né à six mois de pri­son dont quatre avec sursis.

Cette liste n’est pas com­plète, mais les infor­ma­tions concer­nant les autres cas ne nous sont pas parvenues. 

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