« Un mouvement punk actif et créatif apparut alors amenant pour la première fois des modes de vie alternatifs dans beaucoup de villes slovènes. La réaction du parti-État fut ambivalente. Par moments il percevait le mouvement comme une menace symbolique contre un ordre symbolique, à d’autres moments comme une menace réelle pour le régime communiste. La coexistence, pas très facile, cessa brusquement au début des années quatre-vingt par le fait d’une réaction policière brutale. Les méthodes varièrent : poursuites en justice pour une prétendue inspiration nazie (il est significatif que toutes les charges retenues furent en définitive abandonnées); harcèlements dans la rue, à la maison, à l’école ; fermeture des discothèques alternatives ; descentes contre les auteurs de graffiti, etc. La présence de la subculture punk alla en diminuant mais le mouvement ne fut pas liquidé. Il se déplaça vers un ghetto artistique dans lequel il survit encore aujourd’hui. Bien qu’il ne s’agisse plus d’une force sociale significative, son influence peut encore se ressentir d’une manière indirecte : à savoir, avec les punks, un espace social autonome avait été créé et il fut vite rempli par de nouveaux mouvements — pacifiste, écologiste, homosexuel, féministe, etc. »
C’est ainsi que Gregor Tomc, sociologue se définissant comme un « rocker subculturel et activiste alternatif », brosse la genèse du mouvement alternatif en cette république « riche » du nord de la Yougoslavie dans le Bulletin des pacifistes (Ljubljana, août 1986).
« Les nouveaux mouvements sociaux sont plus que de simples groupes de pression décentralisés. Ils cultivent une manière tout à fait nouvelle d’aborder les problèmes sociaux. » Alors que les « rouges », « critiques marxistes du marxisme », espèrent, toujours selon G. Tomc, « reprendre le flambeau là où le parti a échoué dans la lutte pour la bonne cause du communisme », les « verts », « les alternatifs réunis autour des nouveaux mouvements sociaux, soit s’opposent à l’idéologie dominante soit, ce qui est plus souvent le cas, l’ignorent tout simplement. L’accent est mis sur les styles de vie alternatifs, la création de sphères autonomes de vie commune et sur une action sociale efficace à l’intérieur de la société civile, en opposition au monde dominant. Mais il n’y a, chez eux, aucun désir de substituer à la vision ancienne une nouvelle ».
Ignac Krivec (voir ci-dessous son texte Les Principes du mouvement) dit à peu près la même chose d’une autre manière : « La naissance des nouveaux mouvements sociaux est évidemment liée à la profonde crise sociale dans laquelle se trouvent les différentes sociétés, dont la nôtre. Chaque crise offre des possibilités de changement, que ce soit pour la mise en forme de quelque chose de nouveau, d’avancé, ou pour un retour à l’ancien, au dépassé. Cependant, les nouveaux mouvements sociaux ne sont pas seulement l’expression de la crise sociale ou des tensions dans le système. À la différence des mouvements sociaux qui appartiennent à l’histoire, ces mouvements-ci n’idéalisent pas les rapports sociaux, ne désirent pas prendre le pouvoir ou réaliser un bouleversement social. Ils se sont créés afin d’établir de nouveaux rapports, de nouvelles formes d’organisation permettant de satisfaire les besoins spécifiques des différents groupes d’intérêts. » (Cahiers du pacifisme, Ljubljana, automne 1986.)
Nous n’avons pas ici la place d’examiner les positions théoriques des alternatifs slovènes. Nous nous bornerons donc à décrire leurs pratiques et les cadres dans lesquels elles s’exercent, leur impact étant de toute façon plus grand que celui de leurs textes théoriques, surtout si l’on considère l’ensemble de la Yougoslavie.
Pour leurs actions, les alternatifs slovènes ne conçoivent pas d’agir en dehors de la légalité et les différents mouvements existants se sont structurés en groupes de travail auprès soit de la Conférence universitaire (assemblée des membres) de Ljubljana, soit de la Conférence républicaine de l’Union de la jeunesse socialiste de Slovénie (UJSS), dont les adresses 4, rue Kersnikova et 4, rue Dalmatinova constituent leurs bases à Ljubljana. Ces groupes de travail ont pour vocation d’être « les intermédiaires entre le mouvement et l’organisation, entre la société et l’État ».
Le mouvement pacifiste fut le premier à se constituer, c’est également celui qui rassemble le plus de monde. Il y a deux groupes à Ljubljana, l’un auprès de chacun des organismes cités plus haut : la Section pour une culture de la paix et le Groupe de travail pour un mouvement pacifiste. Ils publient ensemble un Bulletin des pacifistes en slovène et en anglais. Ces deux groupes agissent bien sûr de concert sur les mêmes thèmes : contre la répression touchant les objecteurs, qui peuvent passer 10 ans en prison vu la répétitivité des peines et l’inexistence de statut, contre la vente d’armes de l’État yougoslave, contre les jouets guerriers, pour « la démilitarisation à tous les niveaux, sans aucun ajournement tactique » et en solidarité avec les pacifistes est-européens.
Lors de l’agression américaine en Libye, une manifestation avait été organisée et dans leur texte les pacifistes condamnaient l’attitude des deux pays, protestaient contre la manière partiale dont la presse yougoslave avait présenté les faits (la Yougoslavie étant particulièrement amie avec la Libye), demandaient le départ des navires militaires soviétiques stationnés dans les bouches de Kotor et, profitant de l’occasion, exigeaient pour eux-mêmes l’instauration d’un statut d’objecteur. Des banderoles disaient : « Un communisme de caserne ? Non, merci », « Non à la militarisation de la société. Pas de service pour les femmes », « Pour les droits de l’homme. Pour l’objection de conscience ». Actuellement, ce groupe s’occupe surtout de la question de l’objection de conscience et mène une campagne de soutien en faveur de six objecteurs devant bientôt passer en procès (A. et I. Bergaver, J. Cehtel, P. Jezrnik, B. Miglic et R. Valenta). Tous les six ont déjà fait plusieurs années de prison pour objection et ils ont de nouveau reçu des convocations pour l’armée après que le débat informel imposé par les pacifistes eut tourné court : une instance fédérale de l’Alliance socialiste du peuple travailleur a, en effet, condamné l’objection de conscience comme contraire au système de la « défense populaire généralisée » et proclamé le débat officiellement clos 1Les pacifistes ne désarment pas et pour la première fois ils ont fait appel à la solidarité internationale. Ceux qui souhaitent participer au « débat » sur l’objection peuvent donc écrire au gouvernement (SIV, PALACA FEDERACIJE, 1100 BEOGRAD) ou à la présidence (PREDSEDSTVO SFRJ, Bulevar Oktobarske Revolucije 92, 11000 BEOGRAD), et demander l’arrêt des poursuites à l’encontre des objecteurs..
Le groupe écologiste s’intitule Orientation verte et édite un bulletin du même nom. D’autres groupes analogues se sont formés auprès des conférences communales de l’UJSS dans de nombreuses localités. Ce groupe de Ljubljana était, à son début, à ce qu’il paraît, « très anarchiste ». Il s’est surtout fait connaître par les actions menées après la catastrophe de Tchernobyl, dont une manifestation à Ljubljana. Plus de 2.000 personnes ont ainsi protesté contre l’attitude du gouvernement soviétique, mais aussi contre le manque d’informations et le peu de précautions prises par les gouvernements slovène et yougoslave, et se sont opposées à la construction de toute nouvelle centrale nucléaire en Yougoslavie. Une seule centrale existe déjà, à Krsko, en Slovénie, mais d’autres sont en projet. Une pétition demandant l’organisation d’un référendum sur cette question avait recueilli plus de 11.000 signatures lorsque fut organisé un an après une manifestation pour commémorer la catastrophe.
Une autre action, d’un autre type, a fait du bruit, celle contre la construction d’un barrage sur la Mura : elle a vu la collaboration active de scientifiques, de jeunes et de paysans de la région du Prekmurje (située entre les frontières hongroise et autrichienne).
Cet hiver, les écologistes ont fait campagne à propos d’un référendum sur le quatrième renouvellement d’une « autocontribution » des citoyens en faveur de la sauvegarde de l’environnement (en retirant directement un pourcentage de leurs salaires). Les écologistes ont jeté un beau pavé dans la mare en appelant à voter « non », tracts à l’appui y compris le jour du vote devant les bureaux de vote, considérant que « l’autocontribution n’est pas le meilleur moyen de régler les problèmes écologiques ». L’autocontribution « écologique » a été rejetée.
Le groupe féministe Lilit-section pour les questions féminines organise des réunions, des débats, des conférences réservés aux femmes. « Le but de la section consiste à développer parmi les femmes des formes de communication qui ne les détermineraient pas toujours par rapport à l’univers masculin, et de poser avec plus d’acuité la question de la position de la femme dans les systèmes sociaux existants. » Les féministes ont surtout été actives en collaboration avec les pacifistes pour refuser l’instauration d’un service militaire obligatoire pour les femmes. En effet, quatre ans après avoir instauré un service volontaire, les autorités militaires voulaient le transformer en service obligatoire. Après l’action menée en 85 et 86 contre cette tentative, le projet semble avoir été oublié.
Le groupe Magnus-section gay fut créé à l’origine pour organiser un festival sur le thème Homosexualité et culture. Son but est d’œuvrer pour la liberté individuelle et les droits de la minorité gay. Il adresse des revendications au gouvernement comme pour l’abolition des articles des codes pénaux des républiques de Serbie, de Bosnie-Herzégovine, de Macédoine et de la province du Kosovo, condamnant les relations homosexuelles. Ils demandent aussi que leur gouvernement proteste auprès des gouvernements établissant une discrimination à l’égard des homosexuels allant jusqu’à l’emprisonnement, et même la liquidation physique ; ils citent la Roumanie, l’Union soviétique, Cuba et l’Iran. Un congrès gay international avait été prévu pour mai 87 : les autorités l’ont interdit « en raison des risques de SIDA ». Les organisateurs pensent pouvoir le tenir en septembre.
Il reste à parler du groupe le plus original, le Groupe de travail pour les mouvements spirituels. Ses trois buts principaux sont : « l’éveil d’une nouvelle spiritualité, l’ouverture d’un dialogue entre les croyants et les non-croyants, et une collaboration avec les autres groupes du même type en Slovénie et ailleurs. » Qu’est-ce que l’éveil d’une nouvelle spiritualité ? Il s’agit, seulement, semble-t-il, d’amener les gens à se poser des questions comme celle du rapport de l’homme avec la nature, etc. et en aucun cas de propager une idéologie propre, de diriger ou de hiérarchiser mais de « permettre aux tendances spirituelles existant dans notre société de s’exprimer dans l’espace spirituel ». Son activité consiste dans l’organisation de conférences sur la spiritualité et d’ateliers au sein desquels on peut prendre connaissance avec les différentes pratiques spirituelles.
Les groupes que nous venons de présenter travaillent donc auprès des instances officielles de l’organisation de jeunesse. Qu’est-ce que cette organisation ? Chaque république a son union de la jeunesse socialiste (UJS ; en slovène ZSM, en serbo-croate SSO), de même qu’elle possède son parti, son syndicat, etc. Les UJS des six républiques et des deux régions autonomes constituent l’UJS de Yougoslavie. Jusqu’en 1974, il existait une organisation étudiante autonome, elle fut alors intégrée à l’UJS et les différentes conférences universitaires font maintenant partie de la Conférence républicaine au même titre que les différentes conférences communales. Chaque conférence communale ou universitaire possède sa présidence et son secrétariat, il y a ensuite une présidence au niveau de la République et puis une présidence fédérale.
À la différence du parti, l’organisation de jeunesse regroupe tout le monde ; pratiquement tous les jeunes en font partie. Ils en deviennent membres dans l’enseignement secondaire, avant ce sont des « pionniers ». Un beau jour, devant toute la classe, le professeur demande solennellement : « Qui refuse de faire partie de la Jeunesse socialiste ? » Il est rarissime que quelqu’un réponde. Après, il suffit de payer sa cotisation. Si la direction est contrôlée par le parti, celui-ci ne peut pas contrôler toutes les instances de base, et les alternatifs, de par leur dynamisme, y ont pris beaucoup d’importance.
Au congrès de l’UJS de Slovénie à Krsko au printemps de 1986 ont été acceptées des propositions alternatives à soumettre au congrès fédéral ; elles demandaient l’ouverture de débats publics sur la légalisation du droit de grève, l’instauration d’un service civil, la suppression de l’article 133 du Code pénal fédéral permettant de condamner pour délit d’opinion, et l’abolition de la peine de mort. Au congrès fédéral ces propositions ont été rejetées avec mépris : elles auraient été empreintes de « chauvinisme » slovène ! Le congrès a seulement accepté de prendre en compte la proposition d’ouvrir un débat sur le service civil. Les délégués slovènes en sont donc revenus un peu amers, mais de la tribune officielle du congrès ils ont pu faire entendre leurs propositions et leurs idées dans l’ensemble du pays, et ce, en direct, à la radio.
L’organisation la plus radicale est la Conférence universitaire de Ljubljana dont la présidence actuelle est issue de l’action de boycottage du paiement des droits des cités universitaires commencée en avril 85 et qui avait duré neuf mois. Ce sont ses animateurs qui viennent d’être réélus à la présidence de la Conférence universitaire après une élection historique où, pour la première fois dans l’histoire de la Yougoslavie, deux listes s’affrontaient en présentant chacune un programme. La liste gagnante proposait un programme (intitulé « Promettre beaucoup pour réaliser au moins quelque chose ») ne se limitant pas au domaine strictement universitaire et s’inscrivant dans les préoccupations alternatives.
Il convient de n’aborder la question de la presse qu’après celle des organisations, puisqu’en Yougoslavie il ne peut y avoir de publication qui ne soit l’organe d’une organisation officielle. Les publications sont plus ou moins officielles par leur contenu. Le samizdat n’existe pas. Dans son ensemble la presse slovène même la plus officielle est considérée comme plus ouverte et plus sérieuse que celle des autres républiques. Cette réputation vaut surtout pour le quotidien Delo et son hebdo Teleks.
Cependant cette presse-là conserve un caractère rigide. Cela a permis le développement de la « presse de jeunesse » qui a pris une importance considérable : il s’agit d’abord de Mladina (la jeunesse) hebdo de la Conférence républicaine de l’UJSS qui est, d’après sa publicité, l’hebdo le plus lu en Slovénie (25.000 exemplaires en moyenne). Tribuna et Katedra sont respectivement les organes des conférences universitaires de Ljubljana et de Maribor. Ces revues sont vendues non seulement dans les kiosques officiels mais aussi sur des sortes de stands improvisés mais permanents, avec des affiches manuscrites qui interpellent les passants. Il faut aussi signaler la profusion de revues locales, organes des conférences communales, souvent très alternatives et dont la diffusion dépasse parfois de beaucoup les limites de leur commune 2Une de ces revues TNT , organe de la Conférence communale de l’UJS de Grosuplje (environs de Ljubljana) a publié un extrait du dossier consacré à Cuba dans le précédent numéro d’<i<Iztok..
Enfin, il y a les radios locales sur la FM avec en premier lieu Radio Student, de la Conférence universitaire de Ljubljana. Il faut citer, d’autre part, la revue littéraire Nova Revija, qui ne fait pas partie de la presse de jeunesse, et la revue Pogledi.
Mais aujourd’hui il y a aussi les publications des groupes de travail, moins régulières, moins précautionneuses aussi. Dans le numéro de janvier d’Orientation verte, consacré au référendum de l’autocontribution on signale que « la plupart des textes qui suivent n’ont pu être publiés dans Teleks, Mladina, ou Nova Revija (en raison de “malentendus”, de “problèmes techniques”, de “questions de tactique” et autres, qui bien sûr n’ont rien à voir avec la prise de conscience auto-protectrice de ceux qui décident des publications)».
Néanmoins, toutes ces revues publient beaucoup de choses qui dérangent et, lorsque des textes sont censurés, la rédaction de Mladina le signale parfois par un blanc ou une table des matières ne correspondant pas avec le contenu. Un numéro de Mladina est même paru avec ses deux pages de couverture toutes blanches. Dans chaque numéro de Mladina des chroniques comme celle de Tomaz Mastnak mettent le doigt sur des questions épineuses. Par exemple en avril 86 il signale un petit détail « oublié » par les autres médias : le nouveau président de l’Union des syndicats slovènes était auparavant secrétaire de la présidence du comité central du Parti ; le précédent, lui, venait tout droit de la direction de la police. Cet hiver Mladina publiait en dossier une longue analyse de Tonci Kuzmanic intitulée La Grève, un droit de l’homme pour le travailleur.
Ces revues informent sur les violations des droits de l’homme en Yougoslavie, publiant le rapport d’Amnesty International mais aussi des témoignages directs sur les conditions de détention. Dobroslav Paraga a ainsi témoigné dans les colonnes de Nova Revija et de Mladina, sur les mauvais traitements qu’il a subis en purgeant sa peine (5 ans de prison pour une pétition demandant la libération des prisonniers politiques). Aucun membre de ces revues n’a été inquiété pour cela, mais Paraga, lui, vivant en Croatie, sera de nouveau condamné pour ces « mensonges » (il avait aussi porté plainte contre l’État pour les sévices subis en prison et « il faut bien que l’État se défende avec les moyens dont il dispose », a déclaré un bureaucrate). Il est intéressant de comparer la manière dont cette affaire a été traitée par deux revues homologues de deux républiques différentes : alors que Mladina publiait, pendant le procès, une lettre des témoins de la défense que le tribunal avait refusé d’entendre, Polet (organe de la Conférence républicaine de l’UJS de Croatie) s’indignait de l’intérêt porté par « certains » à cette affaire et concluait en écrivant : « le seul à ne pas être satisfait de l’issue (très clémente, selon Polet), c’est Paraga : en effet, sur qui va-t-il cracher maintenant ? » Il a été condamné à une peine de prison avec sursis assortie d’une interdiction de s’exprimer en public.
La presse de jeunesse s’intéresse aussi beaucoup à l’opposition dans les pays de l’Est et a publié un grand nombre d’interviews et de documents sur la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie ou l’Ukraine. Sur l’Afghanistan par exemple, Mladina a publié un entretien avec un représentant de la résistance intitulé Les Communistes au pouvoir, l’Afghanistan en feu. L’importance de cette presse réside aussi dans le fait qu’elle est la seule à passer les communiqués et les appels des alternatifs.
Pour ce qui est des livres, il faut parler de la collection KRT (Bibliothèque de théorie révolutionnaire ; le substantif Krt signifie « taupe » ) qui a publié outre une Anthologie de l’anarchisme (voir ci-dessous les Nouvelles du front), une épaisse anthologie intitulée : Une Société civile socialiste ? regroupant des entretiens avec d’anciens membres du KOR, des textes de la Charte 77, des textes de M. Haraszti et autres tirés du samizdat hongrois, etc. La société civile, « espace dans lequel agissent les nouveaux mouvements sociaux » qui en sont « les acteurs » et qui « la constituent », est une notion qui revient tout le temps dans le discours des alternatifs et en particulier dans celui de Tomaz Mastnak, sociologue auquel tout le monde se réfère tout comme s’il était le théoricien du mouvement. Parmi les autres titres publiés par KRT, on trouve : La RS de L’Opposition ouvrière (en URSS pendant et juste après la révolution), Solidarnosc dans la crise polonaise 80 – 82, La Lutte contre le travail (du mouvement ouvrier américain du début du siècle à l’Italie des années 60 – 70), Le Punk chez les Slovènes et La Réforme scolaire (en Yougoslavie).
Il y a des actions alternatives qui n’entrent strictement dans le domaine d’action d’aucun des mouvements énumérés ci-dessus. Il en est ainsi de l’action continue en faveur des droits de l’homme, que ce soit pour demander l’abolition de l’article 133 du Code pénal ou l’instauration d’un statut de prisonnier politique ; pour la loi yougoslave, en effet, le délit politique est un crime parmi d’autres, le prisonnier politique est donc mêlé aux prisonniers de droit commun. Cette action commence par l’information qui est faite dans la presse de jeunesse mais aussi dans la rue. Elle peut aussi se traduire par une solidarité matérielle, comme celle que propose le Fonds de solidarité avec les victimes de la répression, créé à Belgrade et dont l’activité est actuellement en sommeil vu les attaques véhémentes dont il a fait l’objet : ce serait « une tentative d’instaurer un régime pluri-parti ».
Une action d’un autre genre a fait beaucoup de bruit dans toute la Yougoslavie, c’est celle pour l’abolition ou au moins la modification du sens et de la forme de la Fête de la jeunesse. À cet égard la manifestation du 10 décembre 86 est exemplaire par son impact et aussi parce qu’elle concentrait le même jour au même endroit plusieurs types d’action tournées vers des buts très divers. En quoi consiste cette cérémonie ? À travers toute la Yougoslavie, pendant des semaines, les jeunes se passent solennellement de village en village un relais (stafeta, en slovène) symbolisant la fédération, pour terminer leur course le jour de l’anniversaire de Tito (journée de la jeunesse) dans le grand stade de l’Armée populaire à Belgrade où se tient alors une gigantesque cérémonie athlétique destinée à « renforcer l’amitié entre les peuples et les nationalités de Yougoslavie ». Les jeunes Slovènes considèrent ces festivités comme ridicules, dépassées et déplacées, et disent tout simplement « non » à la stafeta en proposant à la place une marche des jeunes chômeurs. Seulement, l’Organisation de jeunesse fédérale tient beaucoup à ce « rituel antique ». C’est pourquoi le 10 décembre, par ailleurs journée internationale des droits de l’homme, des étudiants d’arts plastiques sont venus en plein cœur de Ljubljana sur une place très passante sculpter un gigantesque tronc de bois afin de donner à leur président de l’UJS de Slovénie un beau relais de 300 kg à porter en descendant du mont Triglav s’il ne fait pas entendre leur voix et si la cérémonie est maintenue. À part cela, à côté du relais géant des stands ont été mis en place où les passants attirés par le happening pouvaient s’informer sur la situation des droits de l’homme en Yougoslavie, et signer des pétitions contre l’article 133, pour un statut de prisonnier politique, pour un statut d’objecteur de conscience, contre la construction de nouvelles centrales nucléaires et, bien sûr, contre la stafeta. Et les passants faisaient même la queue pour signer… La Conférence universitaire de Ljubljana qui avait organisé cette journée conserve dans ses locaux des piles de pétitions impressionnantes. « Au petit matin la stafeta, abandonnée sur le pavé, a été symboliquement emmenée à la décharge municipale. »
Charles Fabian
- 1Les pacifistes ne désarment pas et pour la première fois ils ont fait appel à la solidarité internationale. Ceux qui souhaitent participer au « débat » sur l’objection peuvent donc écrire au gouvernement (SIV, PALACA FEDERACIJE, 1100 BEOGRAD) ou à la présidence (PREDSEDSTVO SFRJ, Bulevar Oktobarske Revolucije 92, 11000 BEOGRAD), et demander l’arrêt des poursuites à l’encontre des objecteurs.
- 2Une de ces revues TNT , organe de la Conférence communale de l’UJS de Grosuplje (environs de Ljubljana) a publié un extrait du dossier consacré à Cuba dans le précédent numéro d’<i<Iztok.